RADIO METAL https://www.radiometal.com/ Webradio & Webzine Metal/Hard Rock : news, interviews, reviews, shows... Mon, 18 Mar 2024 17:39:56 +0000 fr-FR hourly 1 https://www.radiometal.com/wp-content/uploads/2024/02/cropped-logo-radio-metal-since-2007-32x32.jpg RADIO METAL https://www.radiometal.com/ 32 32 Lynch Mob : l’épopée de la création https://www.radiometal.com/article/lynch-mob-epopee-de-la-creation,472068 https://www.radiometal.com/article/lynch-mob-epopee-de-la-creation,472068#respond Sun, 17 Mar 2024 10:08:31 +0000 https://www.radiometal.com/?p=472068 Chômer, voilà un terme que George Lynch ne connaît pas. Après une année 2023 bien chargée, avec plusieurs sorties d’albums, le guitariste est parti cette fois pour sillonner la route avec les autres membres de son groupe Lynch Mob, fort d’un nouveau line-up, pour son Final Ride Tour. Connu pour sa virtuosité à la guitare […]

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Chômer, voilà un terme que George Lynch ne connaît pas. Après une année 2023 bien chargée, avec plusieurs sorties d’albums, le guitariste est parti cette fois pour sillonner la route avec les autres membres de son groupe Lynch Mob, fort d’un nouveau line-up, pour son Final Ride Tour. Connu pour sa virtuosité à la guitare et son style unique, le musicien continue d’inspirer. Son dévouement à sa musique est inégalé, et c’est cette passion qui alimente chaque note de ses performances. C’est aussi ce qui explique un parcours musical de légende, jalonné de succès, de créativité sans limite et de projets parfois ambitieux.

Alors nul doute que cette dernière tournée sera à l’image de ce que Lynch a toujours su faire, en un mot : épique. Avant que la rockstar ne raccroche les gants avec Lynch Mob, offrant ainsi aux fans une dernière chance de vivre l’énergie électrique du groupe en concert, il fallait bien l’interroger sur la force qui nourrit son moteur et permet au musicien de créer autant de projets divers et variés, et surtout aussi délectables.

« Je préfère quelqu’un qui n’a pas la technique d’un grand chanteur mais qui a un style vraiment unique, qui se démarque de tout le monde, et qui a la capacité d’écrire des paroles poétiques, qui racontent des histoires, et des mélodies accrocheuses, plutôt qu’un technicien, un chanteur extraordinaire capable de chanter n’importe quoi, mais qui n’a pas de style propre. »

Radio Metal : En mars 2023, tu as sorti un album avec The Banishment. Et en mai, il y a eu un nouvel album de Sweet & Lynch. En octobre dernier, tu es revenu avec un nouvel album de Lynch Mob. Sans parler d’un nouvel album solo, de l’album Heavy Hitters II et celui à venir de The End Machine. Quel est ton secret pour avoir autant d’énergie et de créativité à revendre ?

George Lynch (guitare) : Cette question suppose que sortir ces albums demande une certaine quantité d’énergie, mais je répondrais que me poser dans mon studio et jouer de la guitare comme ça, ce n’est pas si difficile [rires], si on compare aux gens qui se lèvent pour aller bosser, qui doivent travailler et produire quelque chose tous les jours, cinq ou six jours par semaine, huit à dix heures par jour. Il m’arrive de voir ce que je fais comme un travail. J’essaie d’avoir ce genre de discipline, comme si j’allais au boulot. J’ai la responsabilité d’être productif chaque jour et de tirer le meilleur parti de mon – et de nôtre – temps. Si je garde cet état d’esprit et que je reste concentré pour avancer, je suis capable d’abattre pas mal de travail dans un relativement court laps de temps. C’est ce que j’aime faire, j’aime être productif. Le fait est qu’il y a de nombreuses années, voire des décennies, j’avais parfois du mal à créer. C’est ce qu’on appelle le syndrome de la page blanche, quand les idées ne viennent pas facilement, et c’était très frustrant. De nos jours, ce n’est plus le cas. Je pense donc que je devrais profiter du fait que j’ai, premièrement, beaucoup d’idées que j’aimerais enregistrer et, deuxièmement, que j’ai la possibilité de le faire, que j’ai un nom, que je peux obtenir des contrats d’enregistrement et que d’autres musiciens veulent jouer avec moi. J’ai donc beaucoup de chance, en ce sens. Alors, pourquoi pas ? Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? [Rires]

N’est-ce pas compliqué de jongler avec plusieurs projets et albums en même temps ?

Un peu, mais pas vraiment, parce que je fais chaque chose en son temps, donc je m’impose un certain temps pour, disons, composer un album de Sweet & Lynch. Je dis : « D’accord, j’ai tant de temps », j’embauche un ingénieur… Je travaille généralement dans mon propre studio, ce qui me permet d’être chez moi et d’aller et venir à ma guise. Je me concentre sur cet album et je lui accorde un certain délai de sortie avec la maison de disques, peut-être trois mois. Entre-temps, je travaille sur un autre album qui sortira dans les trois mois qui suivent ou plus tard à un autre moment. J’essaie donc de fragmenter les choses, de rester discipliné et de faire en sorte que ce soit logique. Ceci dit, comme tu l’as dit, il arrive parfois que je m’embrouille et que j’écrive la même partie pour plusieurs albums. Je joue une partie, je me dis : « Oh, j’ai trouvé ce riff, il est cool ! Attends, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu… » Je le mets dans une chanson et plus tard, je me dis : « Oh merde ! C’est la même partie que j’ai écrite pour l’autre album » [rires]. Ça, ça me pose parfois des problèmes, parce que si tu écris environ onze chansons par album et que tu fais, disons, cinq albums sur l’année, ça peut aller jusqu’à soixante-dix chansons, et chaque chanson possède trois ou quatre parties, ce qui fait près de trois cents parties. Je ne suis seul à composer ces parties, donc inévitablement, je vais me répéter. Si quelqu’un achète deux de mes disques et se dit : « Oh, ça ressemble à cette partie de cette autre chanson », c’est que c’est probablement le cas. Mais une fois que tu fais jouer cette partie par un groupe différent, avec un son différent, un arrangement différent et, surtout, un chanteur différent, une mélodie vocale différente, des paroles différentes et un mixage différent, ce n’est pas forcément si reconnaissable.

L’inactivité en tant que musicien te fait-elle peur ? Ou au contraire, en dehors des studios et de la scène, essayes-tu de t’accorder le plus de moments de repos possible ?

En fait, je ne joue pas beaucoup de musique, y compris ces derniers temps. Je ne travaille sur aucun disque en ce moment. Je ne joue donc que très occasionnellement. Ça fait cinquante-neuf ans que je joue de la guitare, donc c‘est normal de la poser de temps en temps, et parfois c’est même une bonne chose. Non, je ne suis pas du tout accaparé par la musique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Je ne suis pas ce genre de personne. J’ai beaucoup d’autres choses à faire. Nous sommes des gens de plein air et nous aimons rester actifs, et nous aimons les choses aventureuses, construire des choses, faire plein de voyages, de randonnées, être dans l’environnement naturel, être impliqués dans certaines questions qui sont importantes pour nous. Nous nous occupons de la problématique des Amérindiens et des sans-abris. Nous nous impliquons dans quelques structures et nous essayons de nous occuper de certaines de ces choses. Nous avons une famille nombreuse et nous vivons dans plusieurs endroits, ce qui fait que nous sommes toujours en mouvement. Nous voyons la vie comme une aventure. C’est plein de petits chapitres et nous passons de l’un à l’autre, plutôt que d’avoir le genre d’existence qui se résume à la même chose jour après jour.

« J’ai une analogie – qui est très mauvaise, je l’admets –, un groupe c’est presque comme aller en guerre, mais sans la mort et la destruction [petits rires]. On retrouve ce même genre de liens que les militaires nouent entre eux. »

Dernièrement, tu as sorti l’album Babylon avec un tout nouveau line-up de Lynch Mob. Tu es le seul membre permanent de ce groupe…

C’est un peu triste, mais tout change et j’ai appris cette leçon à la dure avec mon expérience au sein de Lynch Mob au cours des trente-cinq dernières années. J’avais ce rêve d’un groupe de frangins – car mon groupe, ce sont mes amis, ce sont mes frères – dans lequel nous affronterions les difficultés ensemble, en construisant quelque chose qui, avec un peu de chance, s’avèrerait payant, et avec lequel nous partagerions l’excitation d’accomplir quelque chose qui a du sens, et ainsi de suite. Mais je n’ai jamais réussi à maintenir l’unité du groupe et ça me dérange, ou ça m’a dérangé pendant de très nombreuses années. C’est frustrant. Nous voilà, trente ou trente-cinq ans plus tard. J’ai une version du groupe qui, selon moi, est la plus proche de ce que j’avais imaginé initialement, avec Jaron Gulino, Gabriel Colon et Jimmy D’Anda. Nous sommes ensemble depuis maintenant deux ans et demi. C’est vraiment une merveilleuse version du groupe, elle est fantastique en live et nous nous aimons tous, il n’y a pas de problème, pas de soucis d’ego, pas de mauvaise alchimie ou quoi que ce soit. Tout le monde s’entend bien. Nous nous sommes alors dit que nous voulions que ça reste ainsi pour toujours. Sauf que ça n’arrivera pas. Nous avons donc décidé de donner à ce groupe une année supplémentaire et d’en faire une superbe année. Nous avons ainsi imaginé la tournée Lynch Mob Final Ride 24. Nous en faisons la publicité et nous organisons cette année comme notre dernière, pour ensuite raccrocher.

Tu as parlé de l’importance d’avoir les meilleurs musiciens, ainsi qu’une alchimie et une forme de fraternité au sein d’un groupe. Comment évalues-tu la compatibilité entre les potentiels membres ? Comment sais-tu si ça va fonctionner ?

Il y a peut-être deux choses. L’une est, évidemment, la compatibilité musicale, quand vous vous retrouvez dans une pièce, sur scène ou dans un studio et que vous pouvez voir comment vous réagissez l’un à l’autre, comment vous vous écoutez, comment vous interagissez, le feeling, etc. Tout ceci dépend du musicien. Avec un batteur, je recherche un certain groove, un certain style, un certain son qui colle au produit ou à la musique. Pour le bassiste, je recherche un type très spécifique de bassiste, dans la veine de Jeff Pilson ou de Jimmy Bain, un son P-Bass, avec un ampli à lampe vintage, un peu granuleux, mais aussi très orienté groove. En termes de chanteur, je veux surtout quelqu’un qui a son propre style. Il faut que ça convienne au groupe, bien sûr, mais je préfère quelqu’un qui n’a pas la technique d’un grand chanteur mais qui a un style vraiment unique, qui se démarque de tout le monde, et qui a la capacité d’écrire des paroles poétiques, qui racontent des histoires, et des mélodies accrocheuses, plutôt qu’un technicien, un chanteur extraordinaire capable de chanter n’importe quoi, mais qui n’a pas de style propre et sonne comme une combinaison de plusieurs autres chanteurs – ça peut impressionner d’autres musiciens, mais ça ne le démarque pas. Je préfère donc de loin une personne ayant sa propre personnalité.

Il y a donc ces choses à considérer, mais en plus de tout ça, il y a la relation interpersonnelle. Je cherche quelqu’un qui a un sens de l’humour et qui soit une bonne personne. Je ne veux juste pas travailler avec des connards ou des gens atteints de la « maladie du chanteur lead », avec un gros ego, narcissiques ou qui sont dans les excès – je n’ai plus le temps pour ça dans ma vie. Le truc, c’est que quand vous êtes un groupe, vous passez vingt-deux heures ensemble sans jouer de musique, donc autant s’assurer que vous vous appréciez, que vous partagez des choses, et que vous passez ce temps agréablement, en ayant hâte de vous revoir. J’ai beaucoup de chance d’avoir ça aujourd’hui avec chaque personne avec qui je joue dans mes différents projets.

« Être musicien, c’est plus que jouer, il se passe plein d’autres trucs à côté. En fait, être dans un groupe, c’est surtout tout le reste [rires]. Quand tu montes enfin sur scène, c’est ta récompense. »

Tu as décrit les musiciens dans Lynch Mob comme étant non seulement tes meilleurs amis mais aussi ta famille. Comment entretiens-tu une bonne relation avec tes collègues dans un environnement aussi exigeant et difficile que celui de l’industrie musicale ?

Si vous tournez beaucoup, vous passez beaucoup de temps à voyager ensemble. Le défi numéro un, sur la route, c’est de se laisser suffisamment d’espace, parce qu’on est vraiment constamment ensemble, confinés dans de petits espaces. On est sur scène ensemble, on voyage en bus et en avion ensemble, on est à l’hôtel ensemble, on mange ensemble… Il faut donc s’octroyer des espaces où on peut être seul, c’est important. J’ai une analogie – qui est très mauvaise, je l’admets –, c’est presque comme aller en guerre, mais sans la mort et la destruction [petits rires]. On retrouve ce même genre de liens que les militaires nouent entre eux. J’ai vécu ça avec mon père qui a fait la guerre de Corée. A la fin, quand il est mort, il a voulu être enterré avec ses frères d’armes – ça montre à quel point il les aimait. Quand tu partages une expérience de vie comme celle-ci, ça crée un lien éternel. Être dans un groupe peut ressembler à ça, dans une moindre mesure, évidemment, mais surtout au début, car les premières années, c’est là que c’est difficile. Je veux dire qu’il y a une chance sur un milliard de réussir – quoi que ça veuille dire –, il y a tant d’obstacles, vous n’avez pas un rond, etc. Vous y allez par pure détermination, allant de l’avant année après année, en croyant en vous, contre toutes les attentes et tous les obstacles.

Dans le temps, quand j’étais jeune et que je faisais ça, nous avons fait des choses légendaires ! Je ne pourrais même pas tout te raconter, il faudrait en faire un livre ! [Rires] Avec le recul, c’est hilarant, il y a des histoires qui sont drôles et dont il est amusant de parler, mais en réalité, c’était dur, ce n’était pas forcément très amusant. Je ne suis pas sûr de vouloir le refaire. Ça resserre les liens. Aujourd’hui, nous profitons du fruit de ces nombreuses décennies de travail, à croire en quelque chose et à avancer malgré tous les obstacles. Nous sommes donc plus complaisants maintenant et nous voulons juste être dans la routine, et quand nous partons en tournée, nous nous contentons d’assurer le job. Il y a des défis – il y en a toujours, dans n’importe quel type de boulot –, mais nous aimons aussi le processus, le travail que ça implique, ce qui se passe en coulisse, etc. Je dis généralement aux gens que la chose la plus facile dans ce que nous faisons, de loin, c’est monter sur scène et jouer pendant une heure et demie. Je peux faire ça toute la journée. Ce qui est difficile, c’est tout le reste. C’est la mise en place des concerts, le fait de gérer le business, l’argent, les problèmes de groupe et ce qui va avec. Ça implique beaucoup de choses, comme dans n’importe quelle entreprise. Être musicien, c’est plus que jouer, il se passe plein d’autres trucs à côté. En fait, être dans un groupe, c’est surtout tout le reste [rires]. Quand tu montes enfin sur scène, c’est ta récompense.

Aimerais-tu un jour écrire un livre sur toutes ces histoires auxquelles tu as fait allusion ?

Pas vraiment, pour plusieurs raisons. Premièrement, je n’ai jamais rien écrit et je ne suis pas fan des prête-plumes, même si je sais que nombre de mes amis font ça et l’ont fait. Si je faisais un livre, je voudrais pouvoir l’écrire moi-même, or je ne suis pas, techniquement, un écrivain. Deuxièmement, il faut vraiment avoir quelque chose à dire, bien plus que raconter des histoires sordides sur le rock des 80. Je ne voudrais jamais écrire ce genre de livre. J’ai des enfants et des petits-enfants, et j’ai du respect pour les gens. Ça ne m’intéresse pas. La seule raison pour laquelle des gens écrivent ce genre de livre, c’est pour gagner de l’argent, or je n’ai pas envie de vendre mon âme, c’est déshonorant. Donc quel genre de livre j’écrirais ? Il y a plein de choses à propos desquelles j’aimerais écrire. J’ai fait un film documentaire intitulé Shadow Nation, que j’ai passé de nombreuses années à faire et qui me tenait à cœur, sur le traitement réservé aux peuples indigènes ici en Amérique mais aussi partout dans le monde, sur ce que ça signifie à un niveau plus profond, etc. Personne n’avait envie de voir ce film ! Personne ne veut voir Mr. Scary parler des pauvres Indiens, et je l’ai appris à mes dépens quand je suis allé voir certaines sociétés de production de films et certains distributeurs, pour qu’ils le prennent, mais ils n’en voulaient pas. Ce qu’à peu près tout le monde m’a dit, c’est : « Si tu faisais un film sur ta vie et ta musique, on l’achèterait immédiatement, mais un film où tu parles de peuples indigènes, personne n’a envie de voir ça. »

« Ça ne m’intéresse pas de raconter des histoires sordides sur le rock des 80. La seule raison pour laquelle des gens écrivent ce genre de livre, c’est pour gagner de l’argent, or je n’ai pas envie de vendre mon âme, c’est déshonorant. »

Bref, si j’écrivais un livre, je voudrais parler de plein d’autres choses, dans des domaines politiques, philosophiques, des flux de conscience, des allégories et des histoires qui n’ont rien à voir avec la musique mais qui, je trouve, ont du sens, mais je crois que personne n’a envie de lire ça. Alors pourquoi le faire ? J’aime l’idée de garder ma vie privée autant que possible, en dehors des interviews et de ce genre de chose. D’un autre côté, tout le monde a son prix, donc bien sûr, si quelqu’un m’offrait une énorme quantité d’argent, peut-être, mais ça n’arrivera pas non plus. Dans le coin où j’habite, beaucoup de musiciens vivent ici, je ne mentionnerai aucun nom, mais vous savez qui ils sont et ils ont tous fait toutes sortes de choses. Ils font des livres et tout le reste. Ça sort et je me dis : « De quoi ça parle ? » Et en fait, c’est genre : « On est allés au Rainbow pour prendre de la coke et j’ai rencontré ces gonzesses. J’étais là : ‘Eh mec, quoi de neuf ?’ Le mec a répondu : ‘Je ne sais pas, et toi, quoi de neuf ? Tu veux de la coke ?’ ‘D’accord’ Puis je me suis battu avec les autres gars du groupe, et ceci est arrivé, cela est arrivé… » Putain, mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qui en a quelque chose à foutre ? C’est ridicule ! Peut-être que je pourrais aller à contre-courant et écrire le truc le plus stupide qui soit sur le rock, bien pire que les Poison et les Ratt, complètement superficiel, idiot, rempli d’incidents les plus ineptes, crétins et clichés, et intentionnellement mal écrit. Et tu sais quoi ? Ça se vendrait probablement bien ! C’est à réfléchir… Essayer d’être mauvais…

Tu sais, j’ai une idée – je ne l’ai jamais concrétisée, mais un jour je le ferai peut-être. Ça s’intitulerait Intentionnally Bad Solos (solo intentionnellement mauvais, NdT). A chaque fois que je fais un album, juste pour faire redescendre la tension ou me vider la tête, je me mets à jouer très mal, de façon très juvénile, comme si je ne savais pas jouer. Par exemple, je me mets à jouer la guitare en gaucher, à l’envers, et ça sonne comme de la merde, je joue les mauvaises notes, désaccordé, etc. Ça fait environ quatre ans que je fais l’idiot comme ça de temps en temps, pendant les répétitions ou en enregistrement, juste pour plaisanter. Mais j’en suis arrivé à un point où je me dis qu’il y a un peu de science derrière ça, l’art de mal jouer. Et je crois que j’ai envie d’en faire quelque chose !

Tu devrais essayer !

Peut-être juste pour un solo dans une chanson… J’ai fait une cinquantaine d’albums, des centaines de chansons, des centaines de solos : est-ce que je peux en faire un mauvais ? Je pense que ce serait intéressant ! J’aimerais entendre ça si j’étais quelqu’un d’extérieur : « Un horrible solo de George Lynch, où on dirait un gamin de douze ans qui joue avec de l’arthrose et le plus merdique des amplis ? J’ai bien envie d’entendre ça ! » Je pense que ce serait très intéressant ! Personnellement, j’achèterais. Ce pourrait même être mon plus grand succès ! Je vais sortir un livre débile sur le rock et je vais jouer mon solo le plus merdique, comme tu l’as suggéré, et là ma carrière explosera ! Merci pour le coup de pouce !

De rien [rires]. Tu as connu pas mal d’allées et venues de chanteurs au sein de Lynch Mob, Oni Logan et Robert Mason étaient les deux principaux. Tu as commencé à l’évoquer, mais quels ont été tes critères pour arrêter ton choix sur Gabriel Colon ?

Il n’y a que deux critères : ne sois pas un connard – ce n’est pas si difficile – et aie de la personnalité. Et aussi : n’aie pas un nom bizarre ! Quand tu t’appelles Gabriel Colon, quand tu pars sur la route, tout de suite, le groupe t’appelle « Gay Colon », évidemment. C’était donc le seul inconvénient qu’il avait, son nom qui est bizarre, mais ça va ! [Rires]

« A chaque fois que je fais un album, juste pour faire redescendre la tension ou me vider la tête, je me mets à jouer très mal, de façon très juvénile, comme si je ne savais pas jouer. J’en suis arrivé à un point où je me dis qu’il y a un peu de science derrière ça, l’art de mal jouer. Et je crois que j’ai envie d’en faire quelque chose ! »

Tu as déclaré que Gabriel défiait tous les stéréotypes des chanteurs leads, en étant l’un des chanteurs les plus sympas, gentils et humbles avec lesquels tu as jamais travaillé. Considères-tu avoir eu affaire à de nombreux chanteurs leads stéréotypés dans ta carrière ?

On connaît tous ces chanteurs. Pour tous ceux qui ont travaillé dans l’industrie du rock, c’est habituel. Mais à leur décharge, je dirais que les chanteurs sont des créatures uniques. Ils doivent prendre tout ce que tu fais et le transmettre au public ; leur position fait qu’ils doivent leur communiquer toute l’énergie. Pour y parvenir, il faut avoir quelque chose que je n’ai pas. Il faut avoir une énergie et un ego hors du commun. L’ego n’est pas forcément une mauvaise chose. C’est quand il est hors de contrôle et qu’on l’utilise pour faire le mal plutôt que le bien que c’est mauvais. C’est à double tranchant. Gabriel est très intéressant, dans le sens où il est très réservé, modeste et calme en dehors de la scène, mais lorsqu’il est sur scène, il devient un tout autre animal, il est fou. Ce n’est pas qu’il monte sur scène et devient arrogant. C’est juste que… Je ne sais pas comment l’exprimer, mais il est très sûr de lui sur scène, il sait qu’il est bon et il ne fait pas semblant. Il est très cohérent et il sait qu’il a un bon groupe et de bonnes chansons, donc il y va confiant. Il s’exécute d’une façon qui capte l’attention des gens. Je travaille donc avec un chanteur qui fait ce qu’on attend de lui, sans avoir à faire usage d’ego et d’autoglorification, toutes ces choses qui peuvent compliquer la vie pour coexister dans un van. Nous avons donc beaucoup de chance qu’il soit bâti ainsi.

Le dernier album de Lynch Mob s’intitule Babylon, qui, dans la Bible, est symbole de corruption et de décadence. Tu es athée, mais penses-tu que l’on vive dans une nouvelle Babylone ?

Pas exactement, mais la cacophonie de voix en ligne est très bruyante actuellement dans le monde. L’idée est qu’il faut qu’on reconnaisse ce qu’on partage et qu’on a en commun, plutôt que nos différences. Je crois que l’on est essentiellement des créatures qui se font la guerre, mais je crois aussi que l’on est essentiellement des créatures évolutives. Si on réunit ces deux caractéristiques, je soutiendrais que l’on s’améliore lentement au fil du temps, avec des fluctuations et le pendule qui balance d’un côté à l’autre. Je crois que l’on est en lutte pour se racheter auprès de soi-même, en ayant une langue commune… Enfin, je ne parle pas de véritable langue, mais de notre idée commune, de nos points communs qui sont essentiels à notre survie et, dans les mêmes proportions, à la qualité de notre vie et à celle des autres. Il y a plein d’autres choses qui vont avec ça, mais je n’y prête pas trop attention. C’est essentiellement la raison pour laquelle j’ai choisi cette pochette, parce qu’elle a l’air cool ! Et c’est un super mot, Babylon, c’est cool ! Je me soucie toujours de donner du sens aux choses après coup. On choisit un titre sympa et on lui donne une signification intéressante plus tard : « Oh, je voulais dire ci et ça », alors qu’en fait, on n’en savait rien [rires]. Ceci dit, je n’ai pas écrit les paroles ; je n’ai écrit qu’un mot, Babylon, et Gabriel s’en est emparé. Moi, je me contente de jouer, c’est tout.

Tu as mentionné avoir une compréhension instinctive de la musique, et c’est vrai que certains musiciens ont l’impression que trop de connaissances théoriques peut entraver la spontanéité. Du coup, comment as-tu trouvé le subtil équilibre entre la technique et la magie brute de la création musicale ?

Je n’ai jamais trouvé l’équilibre parfait entre la technique et l’impulsivité de la création. J’ai toujours manqué de connaissances techniques et théoriques, et je le sais. J’aurais aimé avoir davantage de savoir théorique et de capacités techniques, parce que je pense que ça me faciliterait la vie et je serais capable de mieux traduire dans mes doigts ce que j’entends dans ma tête, mon imagination. Si j’avais ces outils ce serait plus simple. Ce que tu as mentionné, c’est un très vieux débat au sujet des guitaristes, c’est-à-dire que d’un côté, il y a la prouesse technique, le fait de savoir jouer par cœur les gammes et les modes de haut en bas, d’avoir une connaissance complexe de la théorie musicale, et d’un autre côté, il y a cet esprit libre consistant à jouer avec son cœur sans savoir ce qu’on fait, en se laissant guider par l’inspiration. Les gens ont tendance à traiter ce sujet comme si les deux s’excluaient mutuellement, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Je crois qu’ils sont complémentaires. Avoir plus de l’un ne remettra pas en cause l’autre. Ceci est donc mon défi personnel, dont, globalement, je ne me suis pas très bien occupé dans ma vie. Je suis devenu très complaisant avec l’âge par rapport ce que je suis, mais durant les premières années, j’ai progressivement recherché ça. Je suis allé au GIT (Guitar Institute Of Technology de Los Angeles, devenu depuis Musicians Institute, NDLR) à plusieurs reprises, j’ai pris des cours, j’ai eu des professeurs, j’ai étudié des livres sur toutes sortes de musiques du monde, des tablatures, des partitions pour essayer d’apprendre différentes choses que je ne connaissais pas, et ça m’a bien aidé, mais je suis intrinsèquement fainéant, comme la plupart des êtres humains. On se contente de faire juste ce qu’on a besoin de faire pour survivre, donc je suis devenu paresseux avec l’âge et je ne fais pas ce que je pense devoir faire, et je culpabilise. Ça me hante un peu, car je sais que je pourrais être un meilleur musicien si je le faisais. C’est peut-être quelque chose sur lequel il faut que je travaille, donc merci d’avoir amené le sujet pour que je me sente horriblement mal vis-à-vis de moi-même ! C’est ça ton boulot ? Faire des interviews avec des vieux types pour qu’ils aient l’impression d’être des merdes ? Bon sang ! Je plaisante bien sûr [Rires].

« Je suis devenu paresseux avec l’âge et je ne fais pas ce que je pense devoir faire, et je culpabilise. Ça me hante un peu, car je sais que je pourrais être un meilleur musicien si je le faisais. C’est peut-être quelque chose sur lequel il faut que je travaille, donc merci d’avoir amené le sujet pour que je me sente horriblement mal vis-à-vis de moi-même ! »

Penses-tu que la guitare est l’instrument le plus facile à jouer quand on manque de connaissances théoriques ?

Pour moi, c’est l’instrument le plus facile, parce que c’est ce que je joue. Des gens disent que l’anglais est la langue la plus difficile au monde à apprendre. Pas pour moi ; pour moi, c’est la plus facile ! [Rires]

C’est un fait, c’est la plus facile, plus que le français en tout cas !

Oui, ce n’est pas comme le navajo ou le portugais. Je suis d’ailleurs en train d’essayer d’apprendre le navajo. Bon, je ne m’applique pas très bien, mais je m’y essaye depuis environ six mois. C’est une langue fascinante parce que ce n’était pas une langue écrite jusque dans les années 1950. Elle n’est construite sur aucune structure comparable à d’autres langues. Il n’y a pas de racine latine ou une histoire comme l’anglais ou le latin. C’est un truc à part, avec sa propre structure qui est unique. Il n’y a pas de principe directeur. C’est donc très aléatoire et très difficile à apprendre. Et pour cette raison, l’armée américaine, pendant la campagne du Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale contre le Japon, l’a utilisé pour encoder tous leurs messages, de façon à ce que les Japonais ne puissent pas comprendre quels étaient nos plans. Les Japonais n’ont jamais réussi à déchiffrer ce code. Les hommes qui étaient en charge du cryptage en navajo s’appelaient les code talkers. Ils sont sans doute la raison pour laquelle nous avons gagné la guerre. Je trouve que c’est une belle histoire. Et le dernier code talker vient de mourir. J’ai une guitare avec quelques-unes de leurs signatures dessus, ça remonte à l’époque où je travaillais sur le film Shadow Nation. C’était un honneur d’avoir pu rencontrer ces messieurs, j’en étais très fier sur le moment. Je me suis dit que, peut-être, ça façonnerait ma musique, d’une façon ou d’une autre, si j’apprenais cette langue, car la musique est une langue. Ça pourrait permettre à mon cerveau de fonctionner un petit peu mieux et de penser à de meilleures choses, je ne sais pas. Je fais un très faible effort pour au moins apprendre à dire : « Bonjour maman. » Ça fait six mois que je travaille sur cette phrase et je n’ai toujours pas réussi, donc je n’ai pas encore beaucoup d’assurance. Je ne suis pas près de parler navajo de sitôt.

Peut-être que lors de notre prochaine interview tu parleras navajo…

La prochaine interview sera en navajo ! Tu as intérêt à commencer à apprendre. Ça pourrait être pire, ça pourrait être de l’hopi, ce qui est encore plus dur ! Tu sais quelle est la langue la plus populaire au monde ? Des gens disent que c’est le chinois… Personne ne dit que c’est le français. C’est la langue des signes ! C’est intéressant. On n’y pense pas quand on nous pose cette question, n’est-ce pas ?

Tu as mentionné tout à l’heure la tournée Final Ride qui doit s’étendre de janvier 2024 à mars 2025, mais tu t’es laissé la possibilité de faire plus d’albums avec Lynch Mob sans tourner. Beaucoup de groupes lient intrinsèquement le live et le studio, et parfois, le studio est surtout là pour justifier de tourner plus. Le live et le studio sont-ils deux environnements complètement dissociés pour toi ?

Ils ne sont pas complètement différents. Quand nous jouons live, nous improvisons parfois et j’en suis fier, et c’est quelque chose que j’adore faire, car lorsque j’étais plus jeune, à la fin des années 60 et dans les années 70, quand je jouais dans mes groupes, c’était une chose très importante et normale. Quand nous jouions de la musique, nous suivions une sorte de flux de conscience, nous jouions ce qui nous passait par la tête, nous jammions. Aujourd’hui, il y a des groupes de jam et je suis fan de nombre d’entre eux, comme Umphrey’s McGee ou Phish, mais ce ne sont pas vraiment des groupes de jam, car ils n’improvisent pas, ils font juste des solos à rallonge et tout est répété. Ce n’est pas un jam. Ce que nous faisions à l’époque est que nous pensions à quelque chose, nous étions là : « Qu’est-ce je ressens là tout de suite ? Oh, j’ai envie de jouer ce riff. » Le batteur écoute et se dit : « Oh, c’est cool, je vais faire ce rythme. » Le bassiste suit. Puis, avec un peu de chance, les bons soirs, ça évolue, ça continue, un autre changement arrive, tout le monde s’écoute… C’est cool ! Le public participe et vit un moment créatif plutôt qu’un moment récréatif où tu rejoues pour la cinq centième fois une chanson que tu as enregistrée il y a dix, vingt ou trente ans [rires]. A la place, tu fais quelque chose de nouveau que le public vit en temps réel. C’est tout à fait autre chose.

« Nous sommes un vieux sujet de plaisanterie ici en Californie du Sud, comme quoi tout le monde doit passer par la case Lynch Mob pendant une période avant de passer au niveau suivant. Nous sommes donc un vivier pour les plus gros groupes, car Lynch Mob a un haut niveau d’exigence, il faut être un bon musicien, être très discipliné, etc. Mais nous ne sommes pas un groupe assez important pour que je puisse exiger une fidélité à cent pour cent. »

J’adore faire ça, je suis fait pour ça, et j’aime incorporer cet élément dans autant de concerts que possible. Si nous sommes pressés par le temps, que nous avons quarante minutes en ouverture d’une grande scène avec d’autres groupes, ce n’est pas possible, mais si nous sommes en tête d’affiche et que nous avons une heure et demie ou deux heures, parfois j’arrête le concert ou entre deux chansons, je fais ça, j’envoie un truc et nous partons dans une petite excursion jammée. Je dirais que ceci est l’inspiration pour une grande partie des chansons que je compose, donc quand j’arrive en studio, je prends ce que j’ai créé durant cette session de jam et c’est ainsi que se produit le processus d’écriture. A partir de là, je l’emmène au niveau supérieur et je l’enregistre, je le codifie, je le mets en forme solide pour que ce soit compréhensible et reproductible, et que ça devienne une chanson. Ce sont donc deux parties de la même chose.

Tu as déjà un peu évoqué le sujet au début, mais qu’est-ce qui te fait dire que maintenant est le bon moment de faire une ultime tournée ?

Comme je l’ai dit, Lynch Mob a ce passif notoire d’avoir été, sur les trente-cinq dernières années, une porte tournante pour les musiciens. Nous avons eu, je ne sais pas, une centaine de personnes dans ce groupe ! [Rires] Nous sommes un vieux sujet de plaisanterie ici en Californie du Sud, comme quoi tout le monde doit passer par la case Lynch Mob pendant une période avant de passer au niveau suivant. Nous sommes donc un vivier pour les plus gros groupes, car Lynch Mob a un haut niveau d’exigence, il faut être un bon musicien, être très discipliné, etc. Mais nous ne sommes pas un groupe assez important pour que je puisse exiger une fidélité à cent pour cent. Les gens passent à autre chose, ils se voient proposer de plus grosses offres, et ainsi de suite. Je le comprends. Je ne voulais donc pas terminer le groupe sur ce genre de dynamique. J’espérais que nous puissions terminer sur quelque chose de plus solide, or là, le groupe est solide, avec un nouvel album qui, je trouve, nous crée une nouvelle identité et est très bon. Ça me va bien parce que ça conclut l’histoire de Lynch Mob sur une note positive, selon nos conditions et en fanfare plutôt qu’en geignant, avec cette valse des membres, des disques douteux qui n’arrivent pas à la cheville de Wicked Sensation. Avec Babylon, je n’ai pas cherché à refaire Wicked Sensation – ce n’est pas Wicked Sensation, c’est tout autre chose. Il représente le groupe d’aujourd’hui.

Nous allons donc le soutenir et tourner à fond en 2024 dans cette optique, avec cette idée de virée finale, comme si nous roulions en Harley. Je me sens bien à l’idée de finir l’histoire comme ça. Nous allons nous appuyer dessus pendant un an et demi. Un an et demi, c’est assez long ! Ça ira quand même jusqu’à mars 2025. Mais ce que nous ne ferons pas, c’est revenir et dire que nous allons étendre la tournée ou faire une dernière dernière tournée [rires]. Nous allons vraiment finir avec la croisière des Monsters Of Rock début mars 2025, ce sera notre dernier concert. Mais ça laisse pas mal de temps d’ici là et beaucoup de choses peuvent se passer dans ce laps de temps. Nous allons faire beaucoup de concerts et je n’écarte pas l’idée de faire un dernier album. Je pense notamment à un album live, car Lynch Mob n’a jamais fait d’album live. Historiquement, les albums live ont souvent mis un point final à la carrière des groupes, que ce soit Deep Purple, Thin Lizzy ou je ne sais quel groupe de classic rock avec lesquels on a grandi et qu’on adore ; dès qu’ils sortaient un album live, c’était la fin de leur carrière. Ça me paraît donc logique de faire ça. Nous sommes un bon groupe de live et j’aimerais peut-être arrêter là-dessus.

Est-ce que tu te sens bien à cette idée aussi parce que tu sais que tu as d’autres projets qui t’attendent ?

Oui, j’ai d’autres projets. Je ne sais pas si je vais tourner après ça, mais si je le fais, ce ne sera clairement pas autant. J’aurai soixante-dix ans ! Très honnêtement, ça me va si je ne tourne plus autant. J’adore enregistrer, composer et jouer de la guitare, donc je peux réduire mes ambitions live et je pourrai aussi me permettre d’être un petit peu plus aventureux, car combien d’albums de hard rock peut-on faire dans sa vie ? J’en ai fait tellement… Si vous voulez m’entendre faire ça, allez acheter l’un des cinquante albums [rires]. Il y a d’autres choses que j’aimerais faire, sans non plus être super complaisant envers moi-même. Je n’ai pas envie de tomber dans le stéréotype : « Il vieillit, donc il se met au vert et à jouer du blues. » Bon, il y a un peu de ça, mais j’aime simplement essayer de faire d’autres choses qui poussent le bouchon, ainsi que revenir à mes racines, c’est-à-dire le blues et le R&B, et même le flamenco classique. Je voudrais faire tout sauf du rock [rires]. Je me vois bien faire autre chose, même si je ne suis pas encore sûr de savoir quoi.

Interview réalisée par téléphone le 1er décembre 2023 par Aurélie Cordonnier.
Retranscription : Aurélie Cordonnier
Traduction : Aurélie Cordonnier & Nicolas Gricourt.
Photos : George Lynch (1) & Enzo Mazzeo (2, 7).

Site officiel de George Lynch : georgelynch.com

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Hauntologist – Hollow https://www.radiometal.com/article/hauntologist-hollow,472208 https://www.radiometal.com/article/hauntologist-hollow,472208#respond Sat, 16 Mar 2024 15:40:11 +0000 https://www.radiometal.com/?p=472208 C’est à Jacques Derrida qu’on doit le terme d’« hantologie », qui décrit une œuvre bâtie sur des traces du passé et dont la traduction, « hauntology », a eu un certain succès auprès de critiques musicaux britanniques. Est-ce que c’est là que le duo Hauntologist a puisé son inspiration ? On ne peut que […]

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C’est à Jacques Derrida qu’on doit le terme d’« hantologie », qui décrit une œuvre bâtie sur des traces du passé et dont la traduction, « hauntology », a eu un certain succès auprès de critiques musicaux britanniques. Est-ce que c’est là que le duo Hauntologist a puisé son inspiration ? On ne peut que le supposer, mais ces nouveaux venus peuvent en tout cas compter sur leur passif pour attirer l’attention : Mgła et Kriegsmaschine pour le batteur Darkside, Mgła aussi (en live) pour The Fall. Et avec son titre évocateur, Hollow, et sa pochette tout en givre, brume et ville décatie, c’est bien l’absence et la morosité que ce premier album semble mettre à l’honneur…

Même à l’aveugle, le pedigree des musiciens est évident : « Ozymandian » et « Golem » ressemblent à s’y méprendre à des chansons de Mgła. Mais à partir de l’instrumental « Waves Of Concrete », Hauntologist prend de la distance et commence à mériter son nom : la mélancolie de cet intermède ambient ne quittera plus l’album. Elle hante (on y arrive) le black metal de « Deathdreamer » et « Autotomy » et gagne du terrain au fil des très post-rock « Hollow » et « Gardermoen », jusqu’à tout envahir. Minimaliste, à la fois glaçant et hypnotique, « Car Kruków » qui referme l’album sur une poignée d’arpèges et une voix en polonais conclut sur les corbeaux, la forêt et la mort – le black metal qui revient où on ne l’attendait plus ? – comme seules échappées possibles hors d’un monde moderne usé et fatigué. Malgré des juxtapositions un peu abruptes et au-delà de son côté « remix ‘doomer’ de Mgła » avec son pessimisme et son imagerie d’ex-bloc de l’Est bétonné et délabré (après tout, le « spectre qui hante l’Europe » qui avait inspiré Derrida, c’était le communisme), le post-black d’Hollow n’est pas une dilution de ce que le black a de plus abrasif, mais une manière renouvelée de lire ses états d’âme dans ce qui nous environne.

L’album en écoute intégrale :

Album Hollow, sorti le 8 janvier 2024 via No Solace. Disponible à l’achat ici

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The Black Crowes : retour à l’harmonie https://www.radiometal.com/article/the-black-crowes-retour-a-harmonie,471830 https://www.radiometal.com/article/the-black-crowes-retour-a-harmonie,471830#respond Fri, 15 Mar 2024 09:01:10 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471830 La relation des frères Chris et Rich Robinson est réputée pour son explosivité, autant sur le plan créatif que personnel. C’est donc ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de The Black Crowes, et malheureusement, c’est bien ce qui a mené à sa dissolution, actée officiellement en 2015, avec quelques coups […]

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La relation des frères Chris et Rich Robinson est réputée pour son explosivité, autant sur le plan créatif que personnel. C’est donc ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de The Black Crowes, et malheureusement, c’est bien ce qui a mené à sa dissolution, actée officiellement en 2015, avec quelques coups de gueule par médias interposés. Mais finalement, cet éloignement était peut-être un mal pour un bien, pour que chacun prenne ses distances avec l’autre – eux qui ont été élevés ensemble, ont monté un groupe ensemble et ont connu le succès ensemble –, prenne du recul grâce à d’autres expériences et reprenne conscience de la valeur de leur collaboration artistique et de leur lien fraternel.

Ça paraissait loin d’être gagné d’avance, mais force est de constater qu’ils ont su mettre leurs différends de côté, revenant sur le devant de la scène en 2019, notamment pour une tournée à l’occasion des trente ans du premier album Shake Your Money Maker, un EP de reprise en 2022 et désormais un nouvel album, baptisé avec humour Happiness Bastards, en clin d’œil à l’instabilité de leur relation, tout en faisant amende honorable. Cela a tout l’air d’un retour durable, qui se veut être pour de bonnes raisons et épuré des éléments néfastes du passé. Nous discutons de tout ceci avec Rich dans l’entretien qui suit.

« Il a fallu que nous reconstituions notre confiance, mais je crois que nous avons aussi beaucoup mûri durant ces neuf années. Nous sommes devenus plus adultes et conscients de notre propre contribution à notre discorde [rires]. »

Radio Metal : Vous avez reformé The Black Crowes en 2019. Depuis, vous avez effectué plus de cent cinquante concerts dans vingt pays, vous avez célébré les trente ans de l’album Shake Your Money Maker, et vous sortez désormais un nouvel album, Happiness Bastards. Cette réconciliation avec ton frère était assez inespérée, vu la façon dont ça s’était terminé en 2015. En y repensant, quel a été le déclencheur ayant permis cette réconciliation ?

Rich Robinson (guitare) : C’est difficile à expliquer. J’ai toujours composé des chansons pour mon frère, avec sa voix en tête, donc au bout d’un moment, après la séparation, ça te pèse. Nous avons des enfants, et chacun d’entre eux s’intéressait à leurs oncles respectifs, ils étaient là : « Comment se fait-il qu’on ne voie jamais l’oncle Chris ? » « Comment se fait-il qu’on ne voie jamais l’oncle Rich ? » Ça fait pas mal relativiser. Puis j’avais écrit une poignée de chansons et sur un coup de tête, j’ai mentionné à l’un de nos amis : « Bon sang, j’adorerais entendre ce que Chris ferait avec ces chansons », simplement parce qu’en plus d’être son frère, je suis également fan de lui. Notre ami a dit : « Chris m’a dit exactement la même chose l’autre jour ! » C’était ce petit truc qui a entrouvert la porte. Deux ou trois mois sont passés et nous nous sommes croisés dans un hôtel à New York. Mes enfants étaient là, il a pu les rencontrer. Une chose a mené à une autre qui en a mené à une autre… Nous avons décidé de tenter le coup et de le faire à l’occasion des trente ans de Shake Your Money Maker pour voir comment ça se passait. Et nous voilà maintenant, nous avons fait un album de reprises et ensuite un nouvel album de musique inédite.

Quelles leçons pensez-vous avoir apprises de cette période de séparation ?

Tout le monde apprend sur tout. La vie est un apprentissage. Nous avons commencé très jeunes. J’avais dix-sept ans quand j’ai commencé à composer Shake Your Money Maker, et « She Talks To Angels » était la première chanson. J’ai fait l’album quand j’avais dix-neuf ans, puis je suis parti en tournée pendant trente ans ! Ça signifie que nous n’avons jamais vraiment eu le temps de réfléchir. Le succès a été si grand et si rapide que nous nous sommes cramponnés de toutes nos forces. Nous avons vu cette énorme opportunité et nous avons sauté dessus. Nous n’avons pas réfléchi à notre relation en tant que frères. Nous essayions juste de rester dans ce train, de faire en sorte que ça marche et d’exister dans ce monde. Parfois, il peut arriver que ça dysfonctionne. Il y a neuf ans, nous nous sommes éloignés et avons fait nos propres carrières. Nous avons fait des albums solos, produit d’autres groupes, écrit des chansons pour d’autres gens. Ce genre de chose m’a vraiment donné un autre point de vue, si bien que lorsque nous sommes revenus, c’était pour les bonnes raisons et pas juste pour faire une tournée. On nous a fait une proposition de tournée pratiquement chaque année depuis notre split ; des gens nous contactaient et nous offraient de grosses tournées, et nous refusions parce que nous ne voulions pas et nous n’étions pas prêts.

Être frères est une relation assez spéciale. Dirais-tu que ça rend les émotions qui vous lient encore plus intenses, que ce soit dans l’amour ou dans la haine ? Et penses-tu qu’on retrouve cette intensité dans votre musique quand vous en faites ensemble ?

Nous sommes frères, donc c’est ce que nous connaissons ; je ne sais pas ce que ça fait d’avoir une sœur ou des sœurs. C’est nous, tout simplement, et il n’y a que nous deux. Il n’y a pas de frère ou de sœur entre nous deux ou de plus jeune. A cause de ça, il y a un petit peu un côté extrême, mais au final, c’est ce que j’ai connu toute ma vie et ce qu’il a connu toute sa vie. C’est ce que c’est. Je crois que c’est peut-être plus intense pour les gens autour de nous, mais pour nous, c’est ce à quoi nous sommes habitués.

Happiness Bastards est votre premier album en quinze ans. Comment était-ce de relancer la machine créative après toutes ces années ? Etiez-vous un peu rouillés ou bien, au contraire, penses-tu que vous aviez encore plus à exprimer ?

Chris et moi avons quoi qu’il en soit écrit des chansons pendant tout ce temps, l’un sans l’autre. J’ai fait quatre albums solos, deux EP, j’ai écrit des chansons pour dix autres artistes et j’ai fait trois albums de The Magpie Salute. Chris a fait un tas d’albums pour son groupe et a produit d’autres albums pour d’autres gens. Nous avons tous les deux passé un paquet de temps en studio à faire ce genre de choses, et nous avons tous les deux constamment écrit. Du coup, écrire n’a jamais été un problème pour nous. Puis quelqu’un nous a offert une année et demie [rires]. Le Covid-19 est arrivé et tout d’un coup, une année et demie nous est tombée dessus ! Nous étions prêts à partir en 2020. Nous sommes venus en Europe en février, je crois, pour la tournée Brothers Of A Feather, nous avons fait quelques concerts ici et là, puis nous sommes partis aux Etats-Unis et nous nous préparions à repartir cet été-là, mais le Covid-19 a frappé. Au lieu de me tourner les pouces, je me suis tout de suite dit que j’allais commencer à composer. Ce n’était pas forcément spécifiquement pour un album, mais c’était quelque chose qui m’a permis de me tenir occupé pendant longtemps. J’avais un studio à la maison, donc j’ai commencé à écrire des chansons et à les envoyer à Chris. Il écrivait par-dessus et me les renvoyait. J’ai composé plus de quarante chansons et je les ai envoyées à Chris. Il a passé en revue ce sur quoi il voulait travailler, et nous avons peaufiné. Puis nous sommes partis sur la tournée de Shake Your Money Maker, donc nous avons mis ces morceaux de côté. Quand le moment est venu, nous sommes revenus dessus et nous avons écrit de nouvelles chansons. C’était très détendu. Nous ne croyons pas au fait de forcer les choses. Tout s’est fait naturellement.

Tu as déclaré que vous n’aviez pas « à réparer [v]otre relation en tant que compositeurs, car ça n’a jamais été un problème ». Dirais-tu que la relation personnelle et la relation artistique sont deux choses très différentes ? Penses-tu que, comme ton frère l’a lui-même dit, la musique « est toujours là où [v]ous trouvez une harmonie ensemble » ?

Oui, je dirais que le studio a toujours été un endroit sûr pour nous, ensemble, car nous y mettons toujours tout de côté pour nous concentrer uniquement sur l’écriture. La relation personnelle a pris un peu de temps. Nous avions été séparés, il a fallu que nous reconstituions notre confiance, mais je crois que nous avons aussi beaucoup mûri durant ces neuf années. Nous sommes devenus plus adultes et conscients de notre propre contribution à notre discorde [rires]. Ces choses se font un peu en parallèle, mais l’écriture de la musique et le côté artistique, ça a toujours été là où nous mettions les conneries de côté et où nous nous entendions.

« Une grande partie des groupes de hair metal était presque trop futée à essayer de jouer à un jeu. Nous nous contentions de faire des albums avec la musique que nous voulions faire. Je pense que cette sincérité se voyait sur Shake Your Money Maker. Cet album montrait quelque chose de différent et les gens seront toujours plus touchés par la sincérité que par des conneries à la mode. »

Comme je l’ai mentionné, vous avez célébré les trente ans de Shake Your Money Maker, l’album qui vous a fait connaître. Penses-tu que le fait de revisiter ces vieilles chansons et la nostalgie qu’implique, je suppose, une tournée anniversaire ont eu la moindre influence sur votre approche de Happiness Bastards ? Vous êtes-vous reconnectés à vos racines grâce à ça ?

Pas vraiment. J’ai toujours composé en fonction de ce qui me venait et de ce qui sonnait bien à mes oreilles. Le focus sur Shake Your Money Maker était super, rien que pour le fait de pouvoir faire quelque chose que nous n’avions jamais fait, c’est-à-dire avoir la discipline de jouer un album dans son intégralité, dans l’ordre dans lequel il a été enregistré. Et le public était génial, les réactions étaient super. Nous nous sommes éclatés. C’était aussi génial de voir tant de jeunes gens aux concerts. Ça, c’était vraiment cool, mais en fin de compte, la majorité de l’écriture a été faite avant que nous partions en tournée. Ce que j’aime dans Shake Your Money Maker, c’est sa concision, on y trouve des chansons de trois minutes, tout est très concentré, tout est dégraissé, etc. C’était donc très sympa de se focaliser sur cet album, et c’est l’une des choses que nous avons apportées à ce nouvel album.

Tu penses que c’est en partie ça qui a contribué à rendre Shake Your Money Maker si spécial ?

Peut-être. Si tu remets ça dans un contexte historique, toutes les merdes de hair metal s’essoufflaient et devenaient un peu absurdes. Enfin, il y avait des groupes sérieux, comme Guns N’ Roses, mais il y avait aussi un tas de chansons idiotes, kitch et caricaturales. C’est toujours le produit dérivé d’un système qui se soucie plus de l’argent que de l’aspect créatif. L’industrie musicale passe par des fluctuations comme ça. Le truc concernant The Black Crowes est que nous ne nous sommes jamais forcés ; nous avons toujours fait les albums que nous voulions faire. Nous avons grandi en Géorgie, nous ne faisions pas partie de l’industrie musicale, alors qu’une grande partie de ces groupes de hair metal venaient de Los Angeles, New York ou peu importe où, et était presque trop futée à essayer de jouer à un jeu. Nous nous contentions de faire des albums avec la musique que nous voulions faire. Je pense que cette sincérité se voyait sur cet album. Il montrait quelque chose de différent et les gens seront toujours plus touchés par la sincérité que par des conneries à la mode. Et c’était deux ans avant le grunge, donc nous avons en quelque sorte déclenché la chute de ces trucs hair metal ridicules. Je pense que c’est la raison pour laquelle ça a parlé aux gens, et je pense que c’est la raison pour laquelle cet album était pur.

J’avais dix-neuf ans, j’ai eu mon diplôme d’études secondaires un an avant de faire l’album, je vivais avec mes parents. Nous avons fait cet album, nous sommes partis en tournée et il s’est vendu en sept millions d’exemplaires ! C’est beaucoup de succès à gérer quand on n’a pas encore vingt-et-un ans. Nous avons joué trois cent cinquante concerts en dix-huit mois. Tout d’un coup, tu vis des expériences. Nous avons tourné avec des groupes comme AC/DC, Aerosmith, Robert Plant, ZZ Top, pour n’en citer que quelques-uns, et nous avons voyagé dans le monde entier. Nous avons commencé en jouant face à douze personnes dans un club et l’un des derniers concerts que nous avons faits, c’était à Moscou face à huit cent mille personnes. Nous avons couvert tout le spectre. Puis nous sommes rentrés à la maison et avons tout de suite fait The Southern Harmony, et je trouve que c’est avec cet album que nous sommes devenus nous-mêmes, c’était ça The Black Crowes, c’était notre son, car quand on est gamin et qu’on n’a pas vécu beaucoup d’expériences, on a tendance à davantage montrer ses influences, même s’il y avait toujours cette approche sincère, à cause de notre amour de la musique, de la composition et de ces groupes. Donc je pense qu’au final, c’est ça qui s’est passé.

Chris a dit que « Happiness Bastards est [v]otre lettre d’amour au rock n’ roll », mais on dirait que vous avez toujours eu une définition élargie du rock n’ roll, puisque vous avez aussi parfois un peu un pied dans la folk, le jazz ou le funk. Du coup, que représente l’étiquette « rock n’ roll » pour vous ?

Le rock n’ roll était l’un des genres musicaux les plus vastes, si ce n’est le plus vaste de tous. Le rock n’ roll que nous adorons et vers lequel nous nous tournons n’était pas enlisé dans la vision typiquement commerciale consistant à définir un son, à catégoriser et à séparer les choses. C’était plutôt Joni Mitchell versus Led Zeppelin, ou les Doors, ou Jimi Hendrix, ou Bob Dylan… Ils étaient tous diffusés en même temps sur les mêmes radios. Je pourrais même citer Miles Davis qui a joué au festival d’Isle Of Wight ! Le rock n’ roll n’avait aucune frontière et c’est ce que j’adorais ! Quand nous composons et que nous puisons dans nos inspirations, dans ce que nous écoutions étant gamins, ça couvre ce large éventail de ce qu’était la musique. Mon père avait un tas d’albums, que ce soit de Crosby, Stills And Nash, Mose Allison, Bob Dylan, Muddy Waters, Sly Stone, Joe Cocker, et tout ce qu’il y a entre. Nous avons grandi avec une riche base de ce que la musique pouvait être et nous ne nous sommes jamais enlisés à penser en termes de formats ou de styles.

« Les bons artistes viennent d’en marge de la société et ils ont la capacité de voir des choses qu’une personne normale ne peut peut-être pas voir, et de les mettre en lumière, de faire un focus dessus et de montrer un point de vue extérieur. Et ceci peut faire avancer la conscience humaine, notre compréhension en tant qu’espèce humaine et nous faire aller de l’avant dans le bon sens. »

Cet album, c’est du Black Crowes typique et vous n’avez pas cherché à moderniser votre expression. Penses-tu que ce soit le secret pour sonner intemporel : ne pas se soucier de sonner « actuel » ?

Je crois que forcer quoi que ce soit est idiot. Et au final, quand on le fait, ça ne sonne pas sincère. Si nous avions un DJ sur notre album parce que quelqu’un nous avait dit de le faire, ce serait au mieux hypocrite. Je crois toujours que l’expression vient de l’artiste et que les bons artistes sont les outsiders ; les bons artistes viennent d’en marge de la société et ils ont la capacité de voir des choses qu’une personne normale ne peut peut-être pas voir, et de les mettre en lumière, de faire un focus dessus et de montrer un point de vue extérieur, mais d’une façon qui peut plaire à tout le monde et faire dire : « Hey, regarde ce truc, car c’est vraiment cool ! » Et ceci peut faire avancer la conscience humaine, notre compréhension en tant qu’espèce humaine et nous faire aller de l’avant dans le bon sens.

Au final, l’expression de la personne qui voit ces choses doit être sincère et presque comme un conduit, comme si quelque chose passait à travers elle, et elle le laisse faire, elle ne se prend pas la tête avec, elle n’interfère pas avec, parce que quand on le fait, c’est juste l’égo qui parle et on essaye juste de gagner de l’argent. Je veux dire, c’est super de gagner de l’argent, mais ce ne devrait pas être la motivation derrière ce qu’on fait et la raison pour laquelle on le fait. J’ai donc toujours pensé que tout devait être naturel, et le naturel, pour moi, c’est ma forme d’expression et celle de Chris. Et notre quête de meilleures chansons et du reste découle d’une myriade d’éléments créatifs : de quoi va parler la chanson, comment ça va sonner, comment le groupe va jouer, comment ce sera produit, l’ordre des chansons de l’album, même le fait de faire un album au lieu d’un EP ou ce qui est plus pratique pour une maison de disques qui ne veut pas payer, parce qu’ils croient que plus personne n’écoute. Nous croyons aux albums car nous croyons que c’est toujours viable. Nous croyons que l’album reste une manière de créer une œuvre. C’est une œuvre, c’est un voyage. On peut écouter une chanson et partir ailleurs, et si on suit l’ordre des chansons, ça nous emmène ailleurs. Toutes ces petites choses s’imbriquent dans cette création. Ça a toujours été ma vision.

La chanteuse-compositrice de country Lainey Wilson chante sur la ballade « Wilted Rose ». C’est assez nouveau pour The Black Crowes. Comment ça s’est fait ?

Nous avons joué aux CMT Awards à Austin l’an dernier et nous avons eu l’occasion de la rencontrer. Elle était tellement sympa et avait une voix si cool que nous avons pensé : « Ouah, ce serait super d’entendre sa voix sur cette chanson ! »

Vous avez fait appel au producteur Jay Joyce pour cet album. Vous n’aviez jamais travaillé avec lui par le passé, mais le fait est que vous n’avez jamais travaillé avec le même producteur sur plus de deux albums. Et tu as dit que vous aviez « consciemment décidé de le laisser [vous] dire un peu quoi faire ». Penses-tu qu’une part d’inconnu et peut-être d’inconfort est nécessaire ou profitable lorsque qu’on fait ce genre de musique ?

Faire quelque chose une seule fois n’est pas forcément la façon dont nous ferons les choses à l’avenir. Mais pour cette fois, pour faire cet album, Chris et moi avons voulu avoir un producteur. Comme je l’ai dit plus tôt, Chris a produit de nombreux albums en dehors de son groupe, j’ai produit tous mes albums solos, tous les albums de The Magpie Salute, j’ai produit d’autres groupes, j’ai composé pour d’autres groupes, etc. Donc Chris et moi avons de nombreuses heures de studio et de production à notre actif. Ça peut être cool, globalement, parce que nous avons tous les deux des idées, mais quelqu’un d’extérieur, qui est nouveau et n’a pas été impliqué dans le passé du groupe ou dans je ne sais quelle connerie émotionnelle, peut avoir les idées beaucoup plus claires par rapport aux décisions, aux suggestions, etc. Et ça s’est avéré être le cas, parce que Jay était super. Il a vraiment pris ce qu’il voulait, changé ceci, conservé cela, et avec Chris, nous tenions à permettre cela et à le laisser apporter son expertise. Donc pour cet album, ça a vraiment bien fonctionné pour nous.

Cet album s’intitule donc Happiness Bastards. C’est une référence évidente aux nombreuses années de turbulence entre toi et ton frère, et Chris a dit que c’était représentatif de votre relation tout en signifiant où vous en êtes aujourd’hui. J’imagine que c’est une manière de reconnaître vos torts mutuels et de dédramatiser votre histoire avec un peu d’humour, mais dirais-tu que vous avez toujours été des « connards » l’un avec l’autre, y compris en remontant à l’enfance ?

Comme des frères typiques, nous avons toujours eu nos bons et mauvais moments. C’est le cas de n’importe quelle relation dans n’importe quel milieu. La relation parfaite n’existe pas. Mais le fait d’être dans un groupe ensemble, d’être partenaires de business, partenaires créatifs, frères, toutes ces choses différentes, peut mettre à rude épreuve n’importe quelle relation. Je pense que ce titre est assez explicite. C’est impertinent, c’est un peu drôle. Ce que Chris a dit est vrai, comme lorsqu’il a parlé de lettre d’amour au rock n’ roll. Oui, nous avons eu nos hauts et nos bas. C’est un petit clin d’œil à notre passé, à qui nous sommes en tant que personnes. Tout est compris dedans.

« Il est clair que je suis plus réservé et réfléchi, et Chris est plus explosif et dans la réaction, mais ces deux personnalités ont besoin un peu de l’opposé. C’est ce qui fait qu’ensemble, nous sommes des êtres humains plus complets [rires]. »

Tu es le plus jeune des deux frères, mais qui serait le plus sage de vous deux ? Et comment comparerais-tu vos personnalités respectives ?

Je ne sais pas qui serait ou ne serait pas sage. Je suis sûr qu’il dirait être sage et je dirais que je suis sage [rires]. Je ne sais pas comment répondre à ça, mais il est clair que je suis plus réservé et réfléchi, et lui est plus explosif et dans la réaction, mais ces deux personnalités ont besoin un peu de l’opposé. Il peut profiter un peu de mon bon sens et de ma réflexion, et je peux profiter un peu de son explosivité. C’est ce qui fait qu’ensemble, nous sommes des êtres humains plus complets [rires].

Dirais-tu qu’il était fait pour être frontman, du fait de sa personnalité ?

Bien sûr, absolument ! Il est né pour ça. Il est génial en tant que tel. Je ne suis pas quelqu’un qui a besoin d’attention, je n’aime pas trop ça. Et il est très bon là-dedans, alors que moi pas. J’aime jouer de ma guitare et composer mes chansons, donc je me contente de ça.

Au moment où tu as fondé The Magpie Salute, tu as dit que The Black Crowes « était plein de négativité en provenance des personnalités présentes dans le groupe ». Vous êtes-vous assurés que toute cette négativité avait disparu pour de bon ?

Oui. Quand nous sommes revenus, nous avons dit que nous ne voulions pas nous reformer, retomber dans les mêmes pièges et nous séparer de nouveau. Nous voulions faire les choses aussi bien que possible. Il fallait que nous nous débarrassions de la négativité que les gens… Tu sais, il y avait beaucoup de gens négatifs autour de Chris et moi qui utilisaient notre instabilité contre nous-mêmes. Ils creusaient un fossé entre nous, en lui disant de la merde sur moi, en me disant de la merde sur lui, en essayant de nous diviser, en mentant, etc. C’était des gens qui travaillaient pour le groupe et des gens qui étaient dans le groupe. Du coup, quand nous nous sommes remis ensemble, nous avons dit que nous ne voulions pas que cette reformation soit ponctuelle, nous ne voulions pas que ce soit juste une tournée pour amasser de l’argent, nous voulions le faire comme il faut. Nous voulions que les gens qui nous entourent puissent soutenir et nourrir notre relation, y voir le positif au lieu de la démolir et la détruire pour de petits gains mesquins, égoïstes et temporaires. Nous avons donc consciemment pris la décision d’avoir un nouveau management et de nouveaux membres du groupe – à l’exception de Sven [Pipen] que nous connaissons depuis presque quarante ans, c’est notre bassiste et il est extraordinaire. Nous voulions vraiment que ce soit comme il faut. Ça nous a pris un peu de temps mais nous avons trouvé les bonnes personnes, et maintenant ce groupe est super, nous sonnons super, nous allons de l’avant et tout va vraiment bien.

C’est intéressant comme la pochette de l’album montre un graffiti par-dessus celle de The Southern Harmony. Quel en est le symbole ?

Je pense que c’est plus une sorte de renaissance. Il y a de nouveaux éléments et de vieux éléments. Il y a The Southern Harmony et il y a ce nouveau truc, c’est une renaissance pour devenir autre chose. Mais de toutes façons, on change toujours. Tout comme le groupe, nous bougeons et changeons, et c’est toujours cool, nous restons The Black Crowes. Je joue et compose comme moi-même, Chris chante et écrit comme lui-même, et ça a toujours été comme ça.

Vois-tu Happiness Bastards comme une continuation ou un nouveau départ ? Tu parlais de renaissance…

C’est toujours une continuation. Tu peux mettre cet album à côté de n’importe quel autre de nos albums. Il y a des éléments qui sont similaires, mais il y a aussi de nouvelles choses. Chaque album avait de nouvelles choses. Si on regarde notre voyage, de Shake Your Money Maker à The Southern Harmony, de The Southern Harmony à Armorica, d’Armorica à Three Snakes, By Your Side, Lions… Nous n’avons jamais été contraints par des attentes et la pression de qui que ce soit essayant de nous pousser à sonner comme quelque chose ou à faire quelque chose. Nous avons fait en sorte que ce soit comme ça. Donc je pense qu’il y a un peu des deux.

Cette année marque les quarante ans de la naissance de The Black Crowes. Quel est ton sentiment quand tu penses à vos origines ? Penses-tu que vous ayez conservé les mêmes idéaux avec ce groupe ?

Je crois, oui ! Pour ce qui est de notre façon de travailler et d’écrire, ce que nous faisons et ce que nous voulons faire, oui, absolument. Enfin, il peut y avoir des approches différentes parce que quand tu as quinze ans et que personne ne vient te voir quand tu es au lycée, comme c’était mon cas, c’est différent de quand tu as cinquante-quatre ans, que tu as une carrière de plus de quarante ans et que tu joues devant plein de gens. C’est un petit peu différent, mais l’essence est restée la même. Notre amour pour la musique et pour ce que nous faisons n’a jamais changé.

Comme tu l’as dit, The Black Crowes est un groupe qui a toujours fait son propre truc, indépendamment des modes, et tu as dit que ça a pu parfois être à votre détriment. D’un autre côté, on dirait qu’il y a eu une résurgence et une demande pour ce genre de rock n’ roll authentique. As-tu l’impression que le monde et The Black Crowes sont en phase en ce moment ?

C’est possible. Je ne sais pas ! [Rires] Nous faisons ce que nous faisons. J’espère toujours que les gens aiment et en retirent quelque chose, car la musique est là pour ça. Comme je l’ai dit, la musique est faite pour vous donner un point de vue un peu différent, pour vous aider à traverser des moments difficiles, pour renforcer les moments heureux, c’est pour tout, dans la perte comme dans l’amour. Avec un peu de chance, ce que nous faisons parle aux gens et leur apporte de la joie, car c’est tout le but.

Maintenant que The Black Crowes est de retour, y aura-t-il quand même un avenir pour The Magpie Salute ?

Je ne planifie rien. Aucun de nous ne le fait. Nous nous laissons porter par les événements. Là tout de suite, nous faisons The Black Crowes et c’est ce qui m’intéresse. Je ne pense pas que The Magpie Salute rejouera un jour, mais qui sait ? Je suis simplement content de faire ça.

Interview réalisée par téléphone le 15 février 2024 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de The Black Crowes : theblackcrowes.com

Acheter l’album Happiness Bastards.

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The Black Crowes – Happiness Bastards https://www.radiometal.com/article/the-black-crowes-happiness-bastards,472096 https://www.radiometal.com/article/the-black-crowes-happiness-bastards,472096#respond Thu, 14 Mar 2024 21:43:21 +0000 https://www.radiometal.com/?p=472096 Avec Happiness Bastards, les frères Robinson reviennent avec un line-up remanié à l’exception du bassiste Sven Pipien, à travers dix nouveaux titres qui sont une parfaite synthèse de leurs influences, à savoir les Faces, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Humble Pie ou le Allman Brothers Band, et cette touche singulière du corbeau. Les Black Crowes […]

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Avec Happiness Bastards, les frères Robinson reviennent avec un line-up remanié à l’exception du bassiste Sven Pipien, à travers dix nouveaux titres qui sont une parfaite synthèse de leurs influences, à savoir les Faces, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Humble Pie ou le Allman Brothers Band, et cette touche singulière du corbeau. Les Black Crowes célèbrent également ici quatre décennies de carrière depuis leur formation à Atlanta sous le nom de Mr. Crowe’s Garden. Le premier single dévoilé « Wanting And Willing » a ce groove caractéristique et des lignes mélodiques rock n’ roll des années 1970 rappelant leur titre « Jealous Again ».

Rich, avec un son saturé « dirty », et ses acolytes revisitent d’ailleurs les marqueurs musicaux spécifiques de cette période avec des guitares slide, de l’orgue Hammond, une section rythmique entraînante, une touche groovy et funky par moments, et un ascenseur émotionnel dans les lignes vocales de Chris (« Cross Your Fingers » ou « Dirty Cold Sun » et ses maracas). Sur « Bedside Manners », ce dernier fustige une ex avec ses paroles – « Si tu ne veux pas de mes diamants / Ne secoue pas mon arbre » – alors que son frère fait rugir sa slide de façon sauvage. « Rats And Clowns » rappellera un peu MC5 avec son chant et ses riffs punkoïdes. On retrouve aussi sur cet album du blues old school, nous plongeant en plein Tennessee (« Bleed It Dry »), avec une touche country dans les harmonies vocales de l’invitée Lainey Wilson (« Wilted Rose »). Les chœurs sur « Follow The Moon » apportent de la profondeur au chant accusateur de Chris Robinson couplé aux riffs organiques de son frère. Happiness Bastards est le regain d’une passion artistique qui ne s’est nullement atténuée après quatre décennies de haut et de bas. Les Black Crowes signent un grand moment musical. C’est bon de les retrouver !

Clip vidéo de « Wanting And Waiting » :

Chanson « Cross Your Fingers » en écoute :

Album Happiness Bastards, sortie le 15 mars 2024 via Silver Arrow Records. Disponible à l’achat ici

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Dragonforce : le boss final du jeu extrême https://www.radiometal.com/article/dragonforce-le-boss-final-du-jeu-extreme,470132 https://www.radiometal.com/article/dragonforce-le-boss-final-du-jeu-extreme,470132#comments Wed, 13 Mar 2024 13:52:20 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470132 Afin de célébrer dignement sa récente signature chez Napalm Records, Dragonforce se prépare en ce début d’année à sortir son neuvième album studio ainsi qu’à se lancer dans une tournée européenne en co-tête d’affiche avec leurs amis suédois d’Amaranthe. 2024 commence donc sur les chapeaux de roue pour le groupe qui n’a pas chômé depuis […]

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Afin de célébrer dignement sa récente signature chez Napalm Records, Dragonforce se prépare en ce début d’année à sortir son neuvième album studio ainsi qu’à se lancer dans une tournée européenne en co-tête d’affiche avec leurs amis suédois d’Amaranthe. 2024 commence donc sur les chapeaux de roue pour le groupe qui n’a pas chômé depuis son dernier album de 2019. Avec une bassiste maintenant bien intégrée depuis 2020 et une envie de s’amuser toujours présente, la créativité reste au rendez-vous pour la formation qui propose encore de nouvelles chansons épiques toujours de près ou de loin influencées par leur amour des jeux vidéo. L’accent cette fois-ci est mis sur le fond des compositions, qui reflètent chacune à leur manière un aspect de la vie personnelle des membres qui n’ont plus peur de montrer qui ils sont et de faire ce qui leur plaît avant tout.

A contre-courant de certains clichés parfois rencontrés dans la scène metal, Dragonforce choisit toujours la positivité, la bonne humeur et la persévérance comme mantras quotidiens. C’est ainsi que le guitariste Herman Li a accepté de discuter avec nous une nouvelle fois afin de nous révéler les secrets du processus d’écriture et de la direction artistique de Warp Speed Warriors, et ce, à sa demande, entièrement en français !

« Nous avons établi que nous étions capables de jouer vite et d’avoir un style énergique, avec beaucoup de puissance, mais maintenant, nous n’avons plus besoin de le montrer. Bien sûr, nous faisons toujours ce style, mais nous en ajoutons d’autres que nous combinons et mélangeons. »

Radio Metal : Tu as déclaré que Warp Speed Warriors avait bénéficié de quatre ans d’incubation créative. Il s’agit évidemment d’une musique exigeante, mais je crois que c’est aussi l’incubation la plus longue de tous les albums de Dragonforce. Penses-tu que ce temps a été nécessaire pour arriver à ce résultat ?

Herman Li (guitare) : Tu sais, ça a pris quatre ans parce que faire de la musique, ça prend du temps et nous ne voulons pas sortir un album ou faire des chansons si nous n’en avons pas envie. La musique de Dragonforce, même si c’est maintenant un boulot, nous ne voulons pas que ça en soit un. Nous travaillons quand nous sentons qu’il est temps de faire un autre album. Nous avons pris pas mal de temps parce qu’il y a eu la pandémie, et pendant cette période nous avons passé beaucoup de temps sur YouTube et Twitch. Nous n’avons pas arrêté de faire des choses. J’ai même écrit des chansons sur Twitch, sur le livestream, qui sont un peu comme des blagues. Nous avons fait des chansons en composant dans le style de Nightwish, Amaranthe et d’autres groupes, juste pour nous amuser. C’était bien pour nous d’attendre un peu, sinon le résultat finit par sonner trop comme l’album d’avant. S’il n’y a pas assez de temps qui passe, la musique ressemble à celle de l’album précédent ; d’ailleurs, même si on fait ça maintenant, il y en aura toujours pour dire que toutes les chansons sont les mêmes [petits rires].

Quand on écoute l’album, on dirait que vous avez amené un peu plus de contraste et de variations dans l’écriture…

Oui, je pense qu’à chaque fois que nous sortons un nouvel album avec Dragonforce, il y a plus de variété et de dynamique dans le style. Ce n’est pas comme les quatre premiers dans lesquels presque toutes les chansons sont à deux cents à l’heure – c’est à 200bpm et voilà, c’est le style. Nous avons une carrière suffisamment longue pour avoir établi que nous étions capables de jouer vite et d’avoir un style énergique, avec beaucoup de puissance, mais maintenant, nous n’avons plus besoin de le montrer. Bien sûr, nous faisons toujours ce style, mais nous en ajoutons d’autres que nous combinons et mélangeons. Même dans les chansons plus lentes, je pense qu’il y a toujours le son, la marque de fabrique de Dragonforce. En conséquence, je pense que chaque nouvel album sera plus varié, parce que c’est difficile de tout le temps écrire les mêmes chansons à 200bpm. Et si nous ne variions pas, peut-être que nous n’aimerions même pas ce que nous ferions.

Tu as déclaré que la première chanson de l’album, « Astro Warrior Anthem », regroupait tous les éléments de la musique de Dragonforce. En effet, c’est une chanson qui est accrocheuse, épique, rapide, progressive… Est-ce que c’est une façon d’accueillir les nouveaux auditeurs dans le monde de Dragonforce ?

Nous n’avons pas écrit ça pour les fans, mais pour, comme tu l’as dit, qu’il y ait un peu de tout dedans. Je crois qu’il y a du début de Dragonforce jusqu’à maintenant dans une seule chanson. C’est pour ça que c’est la première chanson de l’album, mais nous avons fait exprès de ne pas la sortir comme premier single, parce qu’après avoir sorti « Doomsday Party » qui est plus lente, puis le deuxième single un peu plus rapide qui était « Power Of The Triforce », pour le troisième, j’ai préparé les fans à une surprise. Si j’avais sorti « Astro Warrior Anthem » comme première chanson, les gens n’auraient pas été assez surpris. Je ne sais pas si c’était la meilleure chose à faire, mais je l’ai quand même fait [rires]. J’espère que ça marche !

Il y a beaucoup de genres musicaux représentés dans le clip vidéo de « Doomsday Party », dans la manière dont vous êtes tous habillés, à danser ensemble. Est-ce que c’est une sorte de message dans l’espèce de guerre des genres que l’on peut souvent voir, surtout dans la scène metal ?

Oui, c’est exactement ça. Nous voulions montrer que dans le style metal, que l’on sépare en sous-scènes, on peut être comme lorsque l’on va dans un festival, tel que le Hellfest ou le Wacken, c’est-à-dire faire la fête tous ensemble. En plus, le clip a un côté humoristique. Nous avons choisi les styles et les personnages les plus opposés aux membres du groupe. Par exemple, le chanteur, Marc [Hudson], n’est pas du tout nu metal ; moi, je ne suis pas du tout black metal. Nous avons fait ça parce que nous trouvions que ce serait marrant pour les fans !

« Avant 1987, j’étais à Hong Kong, je n’écoutais même pas de musique. C’est après quand j’ai vécu en France que je me suis mis à écouter du rock, du metal, Bon Jovi, Mylène Farmer [rires]. »

Ton maquillage rappelle d’ailleurs Abbath, qui est connu pour être l’un des plus fêtards dans la scène black metal. Est-ce que c’est pour ça que tu as choisi de te déguiser en lui ? As-tu une sorte d’admiration pour son personnage ?

Nous voulions des personnages emblématiques. Même les gens qui n’écoutent pas de metal vont se dire : « Oh, ça me dit quelque chose, j’ai déjà vu ça ! » Concernant Abbath, il existe des mèmes de lui avec des petits chats, des chiens, des animaux… Avec Jonathan Davis de Korn, il y a A.D.I.D.A.S. qui est très connu. Il y a aussi Avenged Sevenfold ou le genre emo metal et bien sûr Amon Amarth et les Vikings. Pour le thrash, c’est Megadeth, Dave Ellefson. C’est marrant, j’ai vu sur YouTube beaucoup de commentaires de gens qui ne savaient pas que c’était moi déguisé en Abbath ; ils croyaient que c’était le vrai Abbath dans le clip [rires]. C’est sûr que c’est assez perturbant !

Tout comme Extreme Power Metal, Warp Speed Warriors est plein de références aux années 80 avec de la batterie électronique, des synthétiseurs, etc. La dernière fois, tu nous avais dit que tu n’étais pas assez vieux pour avoir vécu les années 80, mais comment est-ce que cette décennie a-t-elle pu te marquer ?

Je n’aimais pas la musique de cette période jusqu’en 1987, lorsque j’ai vécu en France. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à en écouter. Avant, j’étais à Hong Kong, je n’écoutais même pas de musique. Là, je me suis mis à écouter du rock, du metal, Bon Jovi, Mylène Farmer [rires]. Et je me suis mis à jouer aux jeux électroniques des années 80 et début 90. Nous aimons le style et le look de cette période, donc nous le mélangeons à notre style de musique. Je trouve que les choses issues des années 80 sont toujours amusantes, ce n’est pas aussi sérieux que maintenant. Voilà pourquoi nous avons voulu faire référence à cette époque, dans les visuels et la composition.

La pochette de l’album pour Warp Speed Warriors fait un peu écho à celle d’Extreme Power Metal, avec la manière dont le groupe apparaît dessus dans un style années 80. Est-ce que ce nouvel album est une sorte de continuation de ce que vous avez commencé il y a cinq ans ?

Oui, la pochette est certainement une continuation. Nous apparaissons comme des super-héros et il y a des références aux jeux électroniques de type « beat him up », comme Street Fighter, Double Dragon, Streets Of Rage, etc. Nous avons cherché les pochettes de jeux électroniques que nous avons aimés au début des années 90. Nous nous sommes dessinés comme nous voulions apparaître et nous avons envoyé ça à l’artiste pour qu’il le redessine comme il faut, parce que nous ne savons pas vraiment dessiner, nous pouvons seulement faire des esquisses.

« Space Marine Corp » est une chanson assez surprenante, dans le style d’un hymne militaire joyeux…

L’influence derrière, c’est le jeu Space Marine, mais un peu dans le style du film Starship Troopers. Il y a un côté ironique, car c’est un jeu sérieux mais nous n’avons pas écrit la chanson de façon très sérieuse, c’est fait pour être marrant et amusant. Nous avons voulu la rendre différente et originale. Pour les jeux sérieux, agressifs, c’est facile de tomber dans du thrash metal ou du metalcore, mais nous avons voulu le faire à notre sauce, dans le style de Dragonforce, qui est triomphant et joyeux.

Le thème de l’espace est assez développé dans cet album et même assez récurrent dans votre discographie. Est-ce que la fantasy spatiale est quelque chose qui t’intéresse en général ?

Je crois que plus on a de thèmes au sujet desquels parler, comme l’espace, plus c’est facile d’écrire. Personnellement, j’ai étudié la physique et l’astrophysique avant l’université, alors j’ai toujours aimé les choses liées à l’espace et la science-fiction. Du coup, pourquoi pas ? Pourquoi rester seulement dans la fantasy des batailles ? Nous nous sommes étendus à plus de thèmes épiques.

« J’étais dans une conférence de jeux électroniques à San Francisco et j’ai parlé avec le créateur du jeu Beat Saber, je lui ai dit : ‘Il vous faut Dragonforce dans votre jeu ! Il n’est pas assez difficile, vous avez besoin de nous !’ [Rires] »

Il y a d’autres référence à des jeux, comme « Power Of The Triforce » qui est un hommage à Zelda…

Oui, il y a aussi la chanson « Pixel Prison » qui est basée sur Tron. Je pense que sur cet album, notamment avec ces chansons, nous n’avons pas eu peur de montrer ce que nous aimions et que nous étions des nerds, Sur beaucoup de chansons, les thèmes sont inspirés de notre vie personnelle. Nous avons beaucoup joué à Zelda quand nous étions jeunes, alors pourquoi ne pas écrire une chanson sur le thème de ce jeu ? Même pour la chanson de Taylor Swift, il y a une raison : ça vient de notre vie personnelle. Nous n’avons plus peur maintenant de mettre davantage en avant notre personnalité et comment nous sommes.

En décembre vous avez dévoilé un single intitulé « Power Of The Saber Blade » qui n’est pas présent dans l’album et que vous aviez écrit pour le jeu Beat Saber. C’est aussi la chanson la plus rapide qu’il y ait jamais eu dans ce jeu avec 10.66 notes par seconde. Comment est-ce que vous avez abordé l’écriture d’une chanson pour ce jeu ?

L’album, en soi, n’était pas encore fait mais les chansons si. Nous avons écrit le morceau pour Beat Saver après, mais nous l’avons enregistré en premier. Je crois que c’était en 2019, j’étais dans une conférence de jeux électroniques à San Francisco et j’ai parlé avec le créateur du jeu Beat Saber, je lui ai dit : « Il vous faut Dragonforce dans votre jeu ! Il n’est pas assez difficile, vous avez besoin de nous ! » [Rires] Ça a pris quelque temps, mais c’est arrivé, nous avons écrit cette chanson spécifiquement pour le jeu, dans l’optique que ce soit hyper difficile, un peu comme le « Through The Fire And The Flames » de Guitar Hero. Je pense qu’à chaque fois que des gens trouvent des chansons de Dragonforce dans un jeu vidéo, ils s’attendent à ce que ce soit difficile, que ce soit un défi.

Vous jouez évidemment beaucoup à des jeux vidéo. Penses-tu qu’il y a certaines aptitudes nécessaires pour jouer à des jeux vidéo qui peuvent être utiles pour maîtriser le jeu de guitare, et vice versa ?

Maintenant, je joue surtout à des jeux électroniques sur téléphone portable pour pouvoir jouer quand nous ne sommes pas à la maison. Je ne suis pas sûr que ça aide pour le jeu de guitare, mais ce qui aide, c’est le fait d’essayer encore et encore, de ne jamais abandonner. Ça entraîne son cerveau à la persévérance, à ne jamais abandonner et à continuer d’essayer et de travailler. Je pense que c’est ce qui m’a aidé dans les jeux électroniques.

Tu as mentionné la reprise de « Wildest Dreams » de Taylor Swift. Sur le dernier album, vous aviez repris Céline Dion, et tu nous avais dit que la raison principale était que c’est une chanson très proche de ce que vous faites dans vos propres chansons. Est-ce la même situation cette fois-ci ?

Il y a quatre ans, ma fille est née avec des dents. Un bébé qui est né avec des dents ! Je ne sais pas si c’est pour ça qu’elle pleurait tout le temps, mais pendant six mois elle a pleuré sans arrêt, alors nous avons essayé de trouver tout ce que nous pouvions pour qu’elle arrête. Nous avons alors écouté beaucoup de musique, nous avons passé beaucoup de temps sur YouTube à chercher des clips et nous avons écouté beaucoup de Taylor Swift. C’est comme ça que nous avons commencé. Pendant ces quatre ans j’ai écouté Taylor Swift presque tous les jours – peut-être pas tous les jours, mais presque ! Comme j’aime bien la chanson « Wildest Dreams », j’ai dit à Sam : « Pourquoi ne pas faire une reprise de cette chanson ? Je pense que c’est possible de le faire dans le style de Dragonforce et que ça va marcher. » C’est comme ça, et maintenant je suis un Swiftie à cause de ma fille ! [Rires]

« Les jeux électroniques entraînent son cerveau à la persévérance, à ne jamais abandonner et à continuer d’essayer et de travailler. Je pense que c’est ce qui m’a aidé. »

Il y a une grande diversité d’artistes invités sur les titres bonus : Elize Ryd sur « Doomsday Party », Alissa White-Gluz sur « Burning Heart » – elle avait également chanté « Wildest Dreams » avec vous en concert – et Matt Heafy sur « Astro Warrior Anthem » –, ce qui nous ramène à votre collaboration sur Maximum Overload. Comment avez-vous pensé à leur faire enregistrer des versions spéciales de ces chansons ?

Avant ça, la seule collaboration que nous ayons vraiment faite était avec Babymetal pour une chanson sur leur album. Après avoir fait beaucoup de Twitch et YouTube, je me suis dit que la vie était trop courte pour ne pas collaborer avec d’autres musiciens géniaux. Je me suis alors demandé : « Quelles chansons marcheraient pour des collaborations et pourraient être encore meilleures, plus dynamiques ? » Ce n’est pas exactement les mêmes versions ; nous voulons toujours que la version originale soit sur l’album principal, mais pourquoi ne pas rajouter d’autres versions ? C’est ainsi que ça s’est passé. Tous ces musiciens que tu as mentionnés étaient notre premier choix. Pour « Doomsday Party », nous avions fait le clip avec la danse, or nous ne savons pas du tout danser, comme vous l’avez bien vu. Elize sait danser et elle chante hyper bien. Nous voulions faire un duo avec une chanteuse et elle était notre premier choix. « Burning Heart » est plutôt une chanson thrashy, agressive, or j’ai toujours aimé le style d’Alissa White-Gluz, donc c’est comme ça que cette collaboration s’est faite. Quant à Matt Heafy et Nita Strauss, je les connais depuis des années, donc c’était facile. Nous avons la chance qu’ils aient tous dit oui. En plus, j’ai encore quelques collaborations que j’ai faites mais qui ne sont pas sur l’album ; on verra pour les sortir peut-être en digital. C’est la maison de disques qui a décidé que ces chansons soient en bonus.

En restant sur le sujet d’Elize Ryd qui a chanté sur « Doomsday Party », tu avais dit que tu étais « un grand fan d’Amaranthe depuis leur première démo ». Même si Amaranthe et Dragonforce ne se ressemblent pas, vous avez chacun un côté fun dans votre ADN. Penses-tu qu’il y ait une sorte de lien de parenté entre ces deux groupes grâce à ça ?

Oui. J’admire les musiciens qui font quelque chose de différent, comparés à tous les autres groupes de la scène. Je crois que ce qui nous rapproche, c’est que nos chansons ont toujours un refrain accrocheur, même s’ils ont un côté un peu agressif avec leur chanteur death metal. Et puis Olof joue aussi dans un groupe qui s’appelle Dragonland, ce qui fait un lien avec nous ! Il y a longtemps, au début, quand nous avions un forum sur dragonforce.com, Olof participait au forum de Dragonforce. C’est marrant que maintenant nous tournions ensemble ! [Rires]

Warp Speed Warriors est le premier album auquel Alicia a participé. Elle a rejoint le groupe en 2020 pour un remplacement de tournée « temporaire », et finalement elle n’est jamais partie. Elle semble avoir vraiment gagné en confiance. Comment est-ce que ça se passe dans le groupe pour elle et comment est-ce que son intégration s’est passée au fil des années ?

Une chose très importante, c’est que nous avions besoin de quelqu’un qui travaille dur et c’est ce qu’elle fait, tout en étant une super bassiste. Elle apporte beaucoup d’énergie positive dans notre groupe. Nous en avons besoin parce que nous nous amusons tout le temps, nous ne sommes pas un groupe dark, triste et méchant, alors nous avions besoin de quelqu’un qui soit également positif, c’est comme ça que ça a marché. Ça a tellement bien fonctionné qu’elle est devenue membre du groupe. C’est difficile de confirmer quelqu’un qu’on ne connaît pas, de lui dire tout de suite qu’il est dans le groupe. Les gens me demandent tout le temps : « Pourquoi vous n’avez pas trouvé un autre claviériste ? » Ce n’est pas facile de trouver quelqu’un qui joue du clavier, qui aime le metal, qui veut tourner et avec qui nous nous entendons bien, surtout quand on commence à tourner et à se voir tous les jours, ce n’est pas facile d’un point de vue personnalité, ça peut changer quelqu’un.

Interview réalisée par téléphone le 6 février par Mathilde Beylacq.
Retranscription : Mathilde Beylacq.
Photos : Morgan Demeter (1) & Travis Shinn.

Site officiel de Dragonforce : dragonforce.com

Acheter l’album Warp Speed Warriors.

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Zakk Sabbath – Doomed Forever / Forever Doomed https://www.radiometal.com/article/zakk-sabbath-doomed-forever-forever-doomed,470019 https://www.radiometal.com/article/zakk-sabbath-doomed-forever-forever-doomed,470019#respond Wed, 13 Mar 2024 10:57:59 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470019 « Quelle joie le rock’n’roll ! » chantait Didier Wampas, enivré des moments de fête que la musique rock sait nous procurer. Et c’est précisément la sortie d’un tel album qui vient une fois encore à nous le rappeler. Le plus classe des tribute band de Black Sabbath – « the only band with the […]

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« Quelle joie le rock’n’roll ! » chantait Didier Wampas, enivré des moments de fête que la musique rock sait nous procurer. Et c’est précisément la sortie d’un tel album qui vient une fois encore à nous le rappeler. Le plus classe des tribute band de Black Sabbath – « the only band with the balls to pay tribute to Black Sabbath properly » comme on peut lire sur l’affiche promo du disque – reprend du service pour notre plus grand plaisir (coupable ?). Partenaire comme on le sait du Prince des Ténèbres himself sur de nombreux albums et tournées, Zakk Wylde persiste et signe son hommage aux légendaires pionniers du heavy metal, dont les hymnes ésotériques et tutélaires semblent encore faire l’unanimité aujourd’hui. Accompagné de Blasko à la basse et Joey Castillo à la batterie, le guitariste américain puise cette fois-ci dans les deux immenses classiques de la discographie du sabbat, Paranoid (1970) et Master Of Reality (1971), afin d’en proposer une relecture certes attendue mais néanmoins rondement exécutée.

Il n’est pas chose aisée en effet de passer derrière la bande à Iommi ; pari cependant remporté haut la main par ce Sabbath 2.0 qui peut s’enorgueillir d’être parvenu à proposer un son dépoussiéré et revigorant, offrant une nouvelle mise en lumière de ce corpus fabuleux. Le postulat de départ n’ayant après-tout jamais été de dépasser le maître, mais simplement de célébrer son répertoire magistral et ô combien essentiel à la culture metal, et plus largement musicale, du XXe siècle. Et c’est bien là que l’on notera la différence avec un énième tribute sans intérêt : Zakk Wylde fait du Sabbath, à sa façon à lui ; c’est à dire en respectant profondément l’œuvre de base tout en veillant à l’enrichir de sa propre touche heavy, de son timbre, de sa couleur… des éléments qui ne sont autre, finalement, chez le musicien, que les résultats directs du testament artistique de Black Sabbath. Bref, la boucle est bouclée. Une proposition assez consensuelle en somme, avec juste ce qu’il faut pour apporter un vent de fraicheur diabolique, sans pour autant dénaturer les chansons originelles et alors froisser les fans. Doomed Forever / Forever Doomed n’est que succession de chefs-d’œuvre tubesques à la sauce Wylde et fait un bien fou, rappelant, s’il était encore utile de le faire, que l’héritage du combo maléfique de Birmingham est loin, très loin, d’être menacé. Hail Sabbath !

Album Doomed Forever Forever Doomed, sortie le 1er mars 2024 via Magnetic Eye Records. Disponible à l’achat ici

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WinteRock Fest 2024 : nos francophones ont du talent ! https://www.radiometal.com/article/winterock-fest-2024-nos-francophones-ont-du-talent,472032 https://www.radiometal.com/article/winterock-fest-2024-nos-francophones-ont-du-talent,472032#respond Tue, 12 Mar 2024 11:42:26 +0000 https://www.radiometal.com/?p=472032 Début des hostilités pour nous à 19h, une demi-heure après l’ouverture officielle des portes, à l’agora de Bonneville en Haute-Savoie, pour le WinteRock Fest, un festival local monté par des amis depuis maintenant neuf ans et qui s’étend sur deux soirées. Le festival avait commencé la veille avec une soirée punk affichant complet, et c’est […]

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Début des hostilités pour nous à 19h, une demi-heure après l’ouverture officielle des portes, à l’agora de Bonneville en Haute-Savoie, pour le WinteRock Fest, un festival local monté par des amis depuis maintenant neuf ans et qui s’étend sur deux soirées. Le festival avait commencé la veille avec une soirée punk affichant complet, et c’est donc pour celle de rock/metal que nous nous sommes déplacés avec enthousiasme.

Dès l’entrée, un premier coup d’œil nous permet de voir qu’après neuf ans, l’édition 2024 est la première à proposer du merch avec la vente de t-shirts (dont la bonne qualité fait beaucoup parler). Au sous-sol, une friperie, un atelier de sérigraphie de la programmation, de la vente d’accessoires et un Photomaton gratuit sont proposés aux festivaliers. Au-dessus du bar, un panneau annonce la couleur : « Hier les punks ont bu six cent vingt litres de bière », ce qui, pour une jauge pleine de six cent cinquante personnes, est un chiffre assez intéressant ! La salle est grande, tellement que le merch artistes y est entreposé sur le côté de la scène. Lors d’une discussion avec l’un des membres de la direction, il apparaît que cette soirée n’est pas sold out, avec cependant une belle estimation de cinq cents festivaliers. Pourtant, l’affiche n’est pas en reste : ce qui tient à cœur à l’organisation, c’est de programmer des groupes français et/ou francophones, si possible même locaux, afin de mettre en avant la scène grandissante. Affiche qui parvient même à convaincre un ami de se joindre à nous en dernière minute. L’organisation a su réagir rapidement suite à une pénurie de bouchons d’oreilles et ils ont bien fait, car ce soir sont programmés quatre groupes qui nous promettent de ne pas s’ennuyer : Lifeboats, Lòdz, Kassogtha et Dagoba.

Artistes : DagobaKassogthaLòdzLifeboats
Date : 24 février 2024
Salle : L’Agora
Ville : Bonneville [74]

Il est 19h32 lorsque les Lyonnais de Lifeboats montent sur scène. Immédiatement, un code vestimentaire peu commun au genre metal assez monochrome saute aux yeux : chemisettes à motifs colorés, shorts et ambiance festive sont au rendez-vous. Le merch proposé suit d’ailleurs la même direction artistique, de quoi ramener un peu d’été dans cette soirée de février en vallée alpine. L’énergie entre le groupe et le public (qui n’est pas encore au complet) est au rendez-vous, entraînée par Lucas Seurre, chanteur de la formation qui interagit de manière très régulière avec celui-ci et ne manque pas de sauter partout. Des petits circle pits sont lancés en fin de chansons puis, après quelques dizaines de minutes, on voit monter sur scène un nouveau chanteur – visiblement un ami des musiciens, lui aussi paré de sa plus belle chemisette – pour se joindre comme seconde voix sur quelques chansons, avant de redescendre se poser au merchandising. En milieu de set, Lucas Seurre reprend la parole et annonce : « Ok les amis, vous aimez un petit peu le hardcore ? Parce qu’à partir de ce moment-là du set ça va, comment dire… bouger un peu plus ! » pour le plus grand plaisir du public qui acclame la déclaration et semble amateur du style. Les cinquante minutes de concert sont passées à une vitesse éclair, le public sort en direction du bar le sourire aux lèvres, content également de recroiser plus tard dans la soirée les Lyonnais dans la foule.

Setlist :

Confessions
Till The End
Misery Business (Paramore cover)
Distress
Cut From The Same Cloth
Old Habits
Tears Me Up
Way Out

La salle et le public sont plongés dans le noir, une bande enregistrée passe dans les enceintes, et c’est dans cette ambiance presque mystique que le deuxième groupe lyonnais de la soirée entre en scène. Très rapidement, le ton est donné : le hardcore a laissé place au post-metal atmosphérique. Le début du set reste assez sombre, avec un jeu de lumières plutôt diffus et laissant toute sa place à l’obscurité. Eric Tulpa, au chant et à la guitare, prend vite possession de son micro pour remercier le public d’être là, le qualifiant de très beau et remerciant l’organisation pour un super accueil. Il ajoute : « Vous avez reconnu notre bassiste ? » En effet, Julien Mailland est également le bassiste de Lifeboats ; il aura donc enchaîné les deux premiers concerts de la soirée, prenant tout de même le temps de revêtir des vêtements et une casquette plus sobres pour son concert avec Lodz. Pour cette deuxième apparition sur scène, il appuiera Eric sur le chant screamé, apportant une profondeur que l’on apprécie dans le style. « Pyramids », un titre cent pour cent instrumental, est joué en milieu de set, allouant un joli pont et une belle transition à la chanson « Ghosts Of Confusion », issue du même album. Après un énième remerciement au public, et rappelant le plaisir qu’a le groupe d’être là, celui-ci joue « The Sound Of Deceit » et quitte la scène, sous les applaudissements d’un public visiblement satisfait.

Setlist :

You’ll Become A Memory
Chimeras
Play Dead
This Mistake Again
Pyramids
Ghosts Of Confusion
Time Doesn’t Heal Anything
The Sound Of Deceit

Après avoir mangé pour reprendre des forces, c’est collés à la scène que nous attendons l’arrivée du groupe suisse, découvert lors d’une date en première partie d’Avatar il y a environ un an. Les musiciens entrent un à un et Stephany Hugnin, frontwoman de la formation, apparaît en dernier, cheveux teints de bleu, prestance scénique impressionnante et sourire aux lèvres – telle une digne héritière d’une chanteuse, elle aussi francophone, bien connue de la scène death metal. Dès que le premier scream est lancé, le public est averti : Kassogtha est ici pour retourner la soirée. Appuyée de son bassiste Mortimer Baud au chant screamé lui aussi, la chanteuse montre qu’elle maîtrise parfaitement les alternances scream/voix claire tout au long de la quasi-heure qui leur est donnée. Le premier circle pit est lancé sur « The Call » et les pogos ne s’arrêteront qu’en même temps que les musiciens cinquante minutes plus tard, entraînant quelques écrasements de cages thoraciques sur la scène pour les plus proches de celle-ci. On note aussi l’apparition de slams inversés : faute de crash barrières, à quatre reprises des slammers ont atterri sur scène, attisant l’énergie du public, avant de se jeter de nouveau dans la foule qui les a portés cette fois-ci jusqu’à leur point de départ. Un jeu entre le guitariste dansant Martin Burger et le batteur (aussi souriant qu’on le connaît sur scène) Dylan Watson – qui est aussi batteur pour Can Bardd – est relevé, montrant que les Genevois sont bien soudés. Le titre fraîchement dévoilé, « Rise », lance un second circle pit, encore plus gros que le premier. Ses ponts instrumentaux permettent aux musiciens une mise en avant de leur technicité bien appréciée. Le concert se termine avec « Complacency », point final d’un show qui ne nous a pas laissé voir le temps passer. Le groupe annonce qu’il sera présent pour rencontrer le public au stand de merchandising, et certaines conversations laissent entendre qu’il s’agissait d’une « très belle découverte ».

Setlist :

The Infinite
Drown
Kassogtha (The Call)
Venom
Rise
Pale Horizon
Before I Vanish
Complacency

Après une dizaine de minutes de remerciements de l’organisation à leurs équipes et au public – chose plutôt appréciable ! – le changement de plateau pour le concert de clôture de la soirée et du festival laisse penser que Dagoba est légitime à sa place en tête d’affiche : en effet, c’est le premier concert qui présente une scénographie vraiment travaillée. Dès les premières notes de « Dracula », le groupe semble avoir toute l’attention du public. Le lancement de la chanson « Inner Sun » et l’engouement reçu pour celle-ci font dire au leader Shawter, qui est en très grande forme vocale et physique à en juger par ses headbangs puissants, que ça leur fait du bien de rejouer des vieux morceaux. La mise en scène est calée, les musiciens sont techniques et raccord, voilà un groupe maintenant bien rodé. Shawter reprend la parole : « Celle-là, je pense que vous la connaissez, quasiment toute la population française l’a vue sur YouTube alors, écartez-moi cette foule ! » – référence au wall of death mythique lancé par le groupe lors de leur passage au Hellfest Open Air 2014 – et les premières notes d’« It’s All About Time » sont accompagnées de la création d’une fosse au cœur du public, heureux d’attendre les quelques secondes précédant ce gros câlin brutal géant. L’organisation nous permet de prendre de la hauteur alors que les notes bien reconnaissables de l’intro de « When Winter » sont jouées, afin de nous rendre compte que l’entièreté du public, qui occupe une grosse partie de la salle, bouge à l’unisson avec le groupe, il est d’ailleurs noté un nombre important de slammers !

Shawter et les autres membres prennent beaucoup de fois la parole lors de ce concert, usant souvent de l’humour et n’hésitant pas à rappeler leurs origines marseillaises, afin de remercier le public et l’organisation. C’est un échange chaleureux qui se produit : à la barrière, on entend des gens s’adresser au duo fonctionnel Ritch De Mello/Kawa Koshigero pour les féliciter, un autre monte sur scène pour chanter quelques couplets avec le groupe… Si on ne compte plus les circle pits, pogos et wall of death lancés via des phrases telles que « je veux voir les ingés au fond, là je ne vois rien ! » qui sont sans fin durant ce concert, reste en mémoire l’image de cet enfant, monté sur les épaules du chanteur, qui fait se séparer la foule en deux de manière plus que coopérative. Le concert se termine par les iconiques « The Great Wonder » et « The Things Within », puis le groupe annonce qu’il y aura du lourd à venir bientôt, et invite tout le monde à les rejoindre boire une bière au stand de merchandising. Les lumières se rallument et « Jump » de Van Halen retentit, de quoi décrocher quelques rires au sein du public.

Setlist :

Dracula
Inner Sun
White Gun
It’s All About Time
Black Smokers
Nightfall
Degree Zero
When Winter
Epilogue
Sunset Curse
Stone Ocean
From Torture
Maniak
The Great Wonder
The Things Within

Photos : Mathilde Beylacq.

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Blaze Bayley – Circle Of Stone https://www.radiometal.com/article/blaze-bayley-circle-of-stone,471762 https://www.radiometal.com/article/blaze-bayley-circle-of-stone,471762#respond Tue, 12 Mar 2024 07:21:23 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471762 Blaze Bayley, c’est un peu comme la grand-tante qui a du poil au menton : on aime bien avoir de ses nouvelles de temps en temps parce qu’elle fait partie de la famille, mais personne ne se précipite pour lui faire la bise. Portant définitivement dans son dos une pancarte « ex-chanteur d’Iron Maiden » […]

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Blaze Bayley, c’est un peu comme la grand-tante qui a du poil au menton : on aime bien avoir de ses nouvelles de temps en temps parce qu’elle fait partie de la famille, mais personne ne se précipite pour lui faire la bise. Portant définitivement dans son dos une pancarte « ex-chanteur d’Iron Maiden » trop lourde pour lui (celle d’ex-Wolfsbane aurait été bien plus supportable), le natif de Birmingham n’en trace pas moins sa voie avec courage et passion. Sur ce nouvel album, qui fait suite à War Within Me paru en 2021, et dont l’enregistrement s’est achevé quelques jours avant qu’il soit victime d’une crise cardiaque (qui lui a valu plusieurs interventions chirurgicales), le chanteur fait une nouvelle fois ce qu’il sait faire le mieux : du heavy mélodique. Et notre bon Blaze se révèle très en voix. Que ce soit sur le puissant « Ghost In The Bottle » au riff quasi priestien (un comble) où il fait parler sa puissance ou sur le très mélancolique « The Broken Man » sur lequel son chant plaintif résonne comme aux grandes heures, on le sent à l’aise.

Si le début de Circle Of Stone est traditionnel, les six derniers titres qui le composent sont liés et forment un mini-concept mystique sur la tribu humaine et les liens oubliés avec ses ancêtres. Au cours de ce parcours initiatique on croise Niklas Stalvind (de Wolf) sur plusieurs titres, des cornemuses qui agrémentent « The Call Of The Ancestors » et un duo avec la chanteuse Tammy-Rae Bois (agrémenté d’un joli passage de violon) en guise de conclusion avec l’acoustique « Until We Meet Again ». Au final, on a un album aux émotions multiples, qui démontre que Blaze n’est pas blasé et qui plaira sans nul doute aux fans de ce sympathique et méritant survivant.

Clip vidéo de la chanson « Mind Reader » :

Clip vidéo de la chanson « Rage » :

Clip vidéo de la chanson « Circle Of Stone » (avec Niklas Stålvind du groupe Wolf) :

Album Circle Of Stone, sorti le 23 février 2024 via Blaze Bayley Recordings. Disponible à l’achat ici

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Myrath : le vent du changement https://www.radiometal.com/article/myrath-le-vent-du-changement,471491 https://www.radiometal.com/article/myrath-le-vent-du-changement,471491#comments Sat, 09 Mar 2024 09:01:59 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471491 Si le sirocco – ce vent chaud en provenance du désert – soufflait sur Shelili, c’est plutôt la brise du changement – ou le simoun, autre vent du sud, partant dans diverses directions – qui souffle sur Karma. Changement de line-up : Kevin Codfert, jusqu’alors homme de l’ombre en tant que compositeur, arrangeur, producteur et […]

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Si le sirocco – ce vent chaud en provenance du désert – soufflait sur Shelili, c’est plutôt la brise du changement – ou le simoun, autre vent du sud, partant dans diverses directions – qui souffle sur Karma. Changement de line-up : Kevin Codfert, jusqu’alors homme de l’ombre en tant que compositeur, arrangeur, producteur et manageur de Myrath, a enfin trouvé sa place dans la lumière, en remplacement du claviériste Elyes Bouchoucha. Changement de méthode : forcés par les événements du Covid-19 à vivre six mois sous le même toit, c’est physiquement ensemble que les Franco-Tunisiens ont élaboré leur sixième album. Enfin, (léger) changement de direction avec un recul des teintes orientales et une nouvelle sobriété dans l’approche des arrangements, sans pour autant perdre l’âme du groupe.

C’est justement avec Kevin et le chanteur Zaher Zorgati que nous évoquons en détail tout ceci, mais pas seulement. En effet, nous parlons également de la notion de karma, des « problèmes et [d]es enjeux qu’il y a dans le monde aujourd’hui » – notamment les discriminations dont le groupe lui-même fait régulièrement l’objet –, du fait de se battre positivement et des changements – encore – que pourra induire l’intelligence artificielle dans les années à venir.

« Mon état d’esprit et celui du groupe n’arrivent pas à raisonner business. Zaher est un mec ultrasensible, la seule chose qui lui importe, c’est voir la réaction des gens en face à face quand il s’exprime sur scène, qu’il fait sa chanson et qu’il voit le bonheur des gens dans les yeux. »

Radio Metal : Shelili est sorti en mars 2019, beaucoup choses se sont passées depuis dans le monde et pour le groupe. Comment avez-vous vécu ces cinq années ?

Kevin Codfert (claviers) : La période Covid-19 s’est assez mal passée pour nous, comme pour énormément de groupes. Beaucoup de groupes de metal ont arrêté sur cette période. Pour notre part, quand a eu lieu le premier confinement, nous étions en tournée européenne et nous jouions dans un petit village qui s’appelle Leipzig, en Allemagne. Les gouvernements ont appelé à la fermeture des frontières, et moi, en tant que ressortissant français, j’ai eu la chance en vingt-quatre heures de pouvoir rentrer à la maison, ce qui n’a pas été le cas pour les trois Tunisiens du groupe, dont le gouvernement n’a affrété aucun avion. Les mecs m’ont donc appelé et m’ont dit : « Kev, qu’est-ce qu’on fait ? On est bloqués. » Je leur ai dit : « Venez à la maison. Installez-vous chez moi, on va trouver une solution. » Au final, nous n’avons jamais trouvé de solution, puisqu’ils sont restés six mois à la maison, avec l’impossibilité de rentrer chez eux. Imagine, une maison microscopique avec six mecs, ma femme, mon chien, etc. C’était le gros bordel !

Zaher Zorgati (chant) : Et tu n’as pas raconté le trip de Paris à Saint-Rémy… Quand ils ont fermé toutes les frontières, c’était déjà trop tard, il fallait rester sur Paris. Nous avons pris le risque de prendre la route de Paris à Saint-Rémy dans un van. Nous étions dix personnes ; trois devant et trois dans le trailer avec tout le backline. Je ne te raconte pas les maux de jambes et aux fesses dans le trailer ! Et il faisait vraiment très froid ! C’était un peu le calvaire, mais après avoir fait le trajet et être arrivés sains et saufs à Saint-Rémy, nous avons rigolé tous ensemble, c’était l’un des plus beaux jours de notre carrière [rires]. C’était une belle expérience.

Kevin : Ensuite, nous avons essayé de transformer ça en opportunité et nous en avons profité pour composer tous ensemble, sachant que nous n’en avions quasi jamais eu l’opportunité pour les précédents albums. Du fait que tu aies des Français et des Tunisiens dans le groupe, les précédents processus, c’était : « J’ai une idée, je compose un truc, je l’envoie par Gmail », puis Zaher va me trouver une idée, me la renvoyer, etc. C’était un processus très digital et absolument pas ce qu’on attend en tant que musicien. Et là, étrangement, à cause de ce confinement, il s’est passé exactement l’inverse : nous avons été tous ensemble pendant six mois. Grosso modo, tu te réveilles le matin, tu prends ton café, tu vas sur ton piano, tu as un chanteur à disposition en face, tu dis : « Vas-y Zaher, teste-moi un truc ! » Et là, tu as un retour d’expérience qui est direct et, forcément, tu peux travailler un milliard de fois plus rapidement. C’est ce confinement qui nous a permis de pondre un nombre incalculable de morceaux. Nous en jetons toujours beaucoup chez nous, parce que nous ne sommes jamais satisfaits – c’est peut-être aussi le problème du perfectionnisme –, donc nous avons jeté quatre-vingts pour cent du matos à la poubelle. Nous en avons gardé dix pour cent pour Karma et un petit peu aussi pour le prochain album.

Pour résumer ta question, le Covid-19 a été très difficile, il a eu un impact psychologique sur nous qui a été très compliqué à gérer. Nous avons essayé de transformer ce problème en opportunité et ça nous a permis de composer ensemble. Aujourd’hui, nous remontons la pente, et nous avons la chance de le faire là où, malheureusement, beaucoup de groupes ont dû s’arrêter à cause de cette dynamique cassée. Aujourd’hui, nous sommes dans les meilleures dispositions pour assurer une super promo et une super sortie d’album. J’ai même attaqué la composition d’un nouvel album, histoire que nous puissions rapprocher un petit peu les sorties. Ce n’est pas évident pour nous, parce que, comme je disais, pour des raisons géographiques, tu n’as pas toujours les musiciens dans le même lieu. Ça nous prend pas mal de temps à chaque fois, trois ou quatre ans pour pondre des albums, donc nous allons essayer d’accélérer un petit peu après Karma pour lancer une dynamique. Pour l’instant, les choses se profilent bien !

Cet album est donc un peu le fruit de ces circonstances…

C’est ça qui fait que l’album est différent. Tu as beaucoup de groupes qui sortent un album et vont dire qu’ils ont fait le meilleur album de leur carrière. Pour moi, « meilleur album », ça ne veut absolument rien dire. Tu vas certainement me poser des questions sur le changement de cap musical que nous avons fait, car il y a une petite évolution au niveau des arrangements, etc. Clairement, cette évolution est induite par le processus même de composition. C’est-à-dire que tu ne fais pas la même chose quand [tu es en groupe et quand tu es tout seul]. C’est-à-dire que j’étais habitué à être seul dans mon studio, à passer des heures à mettre des arrangements dans tous les sens, parce que, forcément, quand tu es seul à bord à faire de l’arrangement sur un logiciel de MAO, c’est parfois difficile de faire sonner les trucs, donc tu as tendance à mettre des milliards de couches, etc. Quand tu as cinq musiciens dans une même pièce, il se crée une alchimie avec des idées qui arrivent et, j’ai l’impression, se suffisent à elles-mêmes, ce qui rend, quelque part, la démarche plus minimaliste, puisque tu as ce rendu direct avec de vrais instrumentistes et une vraie alchimie qui se crée. Oui, c’est un album Covid-19, c’est une évolution musicale qui est conjoncturelle, qui est due à ce processus de composition qui a changé, et nous en sommes très fiers parce que c’est bien aussi de faire évoluer les choses.

« La réalité est que d’un point de vue image, on voit un autre claviériste sur scène. D’un point de vue ressenti personnel, j’ai enfin l’opportunité de jouer sur scène avec mon groupe les parties que j’ai composées quand j’étais homme de l’ombre. »

L’autre grand changement dans le groupe, ça a été le départ d’Elyes [Bouchoucha]. Comme il l’a lui-même dit, c’était sa vie et un rêve d’adolescent qu’il a « nourri de [s]on sang et [s]on âme ». Le groupe a écrit qu’il avait « décidé de se séparer » de lui, donc j’imagine que ce n’était pas son choix…

Je ne sais pas si je peux répondre facilement à cette question parce que le problème est complexe. Elyes est un mec adorable, qui est bosseur et pour qui j’ai beaucoup de respect. Malheureusement, à un moment donné – et ça traînait depuis quelques années avant le Covid-19 –, nous avions une différence fondamentale de vision sur la musique du groupe. Nous avons commencé à avoir des points de divergence dès Tales Of The Sands et Legacy. A un moment donné, en tant que producteur du groupe, je ne me suis plus retrouvé dans la vision d’Elyes et les autres musiciens non plus. Ça a créé des petits points de friction qui ont amené des choses, comme, par exemple, le groupe qui m’a demandé d’être plus souvent là sur scène avec eux. Il n’y a pas des clans qui se sont formés, mais Elyes, par son comportement – qui était peut-être un comportement de souffrance –, s’est mis à l’écart du groupe, or il suffit d’un élément démotivé pour tirer un groupe vers le bas.

Zaher : Même au niveau de la composition, il était très impliqué avant et dès qu’il a senti que nous n’avions pas la même vision, musicalement parlant, pour le futur, il a cessé d’être aussi actif au niveau de la composition, de l’engagement envers le groupe, etc. Nous l’avons senti. Comme l’a dit Kevin, c’est difficile à expliquer. Le plan de séparation était déjà en route inconsciemment.

Quelle était sa vision musicale, justement, par rapport au reste du groupe ?

Kevin : Je vais dire quelque chose, mais ce n’est pas un parti pris ou un reproche : c’était peut-être une vision trop marketée. C’est-à-dire que, je pense, le rêve le plus fort d’Elyes est d’être une star mondialement connue. Mon rêve le plus fort est d’apporter des émotions aux gens et de faire de la musique pour les autres. Sa vision est respectable et ma vision l’est certainement aussi, mais quand ce qui te motive le matin est différent, ça ne marche pas. C’est bien d’avoir de l’ambition. Quand des gens montent une start-up, il y en a qui veulent d’abord servir une cause et l’argent n’est que la conséquence de cette cause, et puis il y en a qui disent : « Je veux faire des millions. Quels sont les moyens pour arriver à les faire ? » Ce sont deux visions qui peuvent fonctionner, mais mon état d’esprit et celui du groupe n’arrivent pas à raisonner business. Zaher est un mec ultrasensible, la seule chose qui lui importe, c’est voir la réaction des gens en face à face quand il s’exprime sur scène, qu’il fait sa chanson et qu’il voit le bonheur des gens dans les yeux. C’est aussi un peu ma vision, en tant que musicien et puriste. C’est une vision qui n’est ni meilleure, ni moins bonne, mais qui est différente.

Kevin, tu accompagnes le groupe sur scène depuis 2022, mais est-ce que ton statut au sein de Myrath a changé ? Es-tu vraiment officiellement devenu le claviériste du groupe ? Car jusqu’à présent, tu étais un peu l’homme de l’ombre en tant que producteur, compositeur, manageur…

Tout dépend si on parle du point de vue des fans ou de celui de l’organisation interne, parce qu’au niveau de l’organisation interne, il n’y a absolument rien qui change. Je travaille avec le groupe depuis quinze ans, je passe la majorité de ma vie à composer pour le groupe. Je joue même les parties de piano depuis le début des albums. Donc au niveau de l’organisation du groupe et de la manière dont nous bossons pour faire les compositions et tout un tas de choses, finalement, il n’y a rien qui change. La seule chose qui change, c’est ce que les fans perçoivent. Il y a des fois des gens qui disent : « Ah tiens, c’est qui ce nouveau claviériste sur scène ? » La réalité est que d’un point de vue image, on voit un autre claviériste sur scène. D’un point de vue ressenti personnel, j’ai enfin l’opportunité de jouer sur scène avec mon groupe les parties que j’ai composées quand j’étais homme de l’ombre. Finalement, il n’y a pas grand-chose qui change, si ce n’est d’avoir des musiciens qui sont très contents de m’avoir sur scène. Je suis fier d’être sur scène avec eux et je sais que c’était aussi une attente du groupe.

Il n’y a pas une part de soulagement pour toi de sortir de l’ombre, d’être dans la lumière et, comme tu le dis, de jouer ce que tu as composé ?

J’allais dire que je n’ai pas d’égo, mais dire ça, c’est déjà en avoir un peu. Disons que je n’ai pas suffisamment d’ego pour dire que ça change la donne, mais apparemment, je suis à ma place, je suis à une place logique. C’est-à-dire que jouer sur scène ce que tu t’es cassé le cul à composer dans l’ombre, sans forcément toujours communiquer dessus… C’est peut-être un de mes défauts : je travaille beaucoup pour les autres et je ne me mets jamais en avant, je poste très peu sur les réseaux sociaux, quand je vais composer une chanson, j’ai tendance à dire que c’est le groupe qui l’a composée et pas forcément moi, etc. Par mon ADN, je me mets en retrait, mais finalement, ce n’est peut-être pas la bonne solution. Je suis peut-être plus à ma place sur scène maintenant. Je suis le compositeur principal avec Zaher depuis des années et, oui, je m’affirme sur scène avec le groupe. Nous avons peut-être trouvé un équilibre comme ça.

Zaher : C’est ta place naturelle, Kevin ! Tu étais déjà musicien de scène avec Adagio, donc ce n’est pas nouveau pour toi.

« Nous n’allions pas nous forcer à coller à une recette, puisque dans ce cas, tu n’es plus musicien mais chef pâtissier. »

En 2016, Malek [Ben Arbia] nous disait que « le côté oriental va être en majorité amené par Elyes via les orchestrations et la voix de Zaher qui rajoute des quarts de ton ». J’imagine qu’aujourd’hui, c’est vraiment toi qui t’occupes de toutes les orchestrations. Forcément, la musique arabe n’est pas ta culture de base : comment t’es-tu approprié ces racines orientales ?

Kevin : Je n’ai pas repris exactement le boulot d’Elyes sur les orchestrations. Je m’occupais déjà des orchestrations dans le passé. En fait, Malek l’a expliqué comme ça parce que c’était beaucoup plus simple. Tout ce qui est ligne instrumentale typiquement tunisienne, effectivement, Elyes s’en occupait, parce que c’était le boulot qu’il aimait faire et qu’il voulait faire. Ceci dit, je suis allé en Tunisie près de deux cents fois, et quand tu sors de l’aéroport, que tu montes dans le premier taxi et que tu entends la musique tunisienne, au bout de la deux centième fois, tu te l’es appropriée. Si tu as le bagage technique – et je l’ai en tant que musicien –, inconsciemment tu intègres les structures harmoniques, les quarts de ton et tout un tas de choses. A l’époque, j’avais fait un premier essai quand j’avais travaillé avec Sepultura, qui avait demandé des arrangements orientaux. Je m’en suis occupé et j’ai pu voir, a posteriori – car c’est difficile d’avoir du recul sur son propre boulot –, avec les retours, que les gens se disaient : « Ah oui, ça sonne vraiment comme de la musique tunisienne », ce qui était une fierté pour moi, car ça voulait dire que je m’étais un peu approprié la chose. Je pense que c’est désormais un sujet que je maîtrise et que je suis en capacité de produire des arrangements à la fois orientales et symphoniques, parce que c’est quand même mon cœur de métier – j’ai un background classique et je suis dans la musique classique, contraint et forcé par mes parents, depuis mes quatre ans. Les couleurs orientales sont un outil technique, un bagage de plus que j’ai pu incorporer au fur et à mesure des années pour proposer des arrangements.

D’un autre côté, à la sortie de « Heroes », on a vu des internautes se plaindre de l’absence du côté oriental sur ce morceau. Et c’est vrai que, même si elle est toujours présente, cette couleur est en léger recul sur l’album : est-ce que vous avez cherché à sortir un peu de cette appellation de metal oriental pour ne pas vous enfermer dedans, et explorer d’autres couleurs ?

Quand tu es musicien, en général, on te met une étiquette, mais il ne faut rien chercher. La résultante que tu as écoutée, c’est-à-dire que « Heroes » ait moins d’arrangements orientaux, est multifactorielle. La première raison est une volonté de Jacob Hansen, avec qui nous avons travaillé sur la production de l’album, de me dire : « Kevin, tu viens de m’envoyer tous les morceaux. Tu as des grappes de quatre-vingts pistes par morceau. L’oreille humaine standard, celle de l’auditeur moyen, ne peut pas intellectualiser des millions de notes en même temps. Je vais donc te proposer un truc, dis-moi si tu acceptes ou pas. A chaque fois que tu as quelque chose de principal, mets-le en avant. Si ton sujet principal, c’est le chant, enlève du volume sur le reste. Laisse de la place à la réverb, au delay, à la spatialisation. Quand tu as un solo de guitare, mets-le en avant plus fort, baisse un peu tes arrangements. Quand tu as un arrangement qui est au centre de tout, mets-le plus fort. » C’est aussi pour ça que le son de l’album est différent. Ça a fait que sur « Heroes » et tous les morceaux, il y a une spatialisation différente et les arrangements sont en retrait, ce qui paradoxalement donne un son un petit peu puissant, car comme les Américains disent « less is more », moins tu en mets, plus tu donnes de place à la diffusion de la stéréophonie, à la réverbération, au delay, etc. C’est ça qui fait l’émotion et la spatialisation. Ça, c’est le premier point.

Le deuxième point est que, dans une démarche où on n’intellectualise pas son processus, quand nous étions ensemble et que nous avons fait « Heroes », nous nous sommes dit que ça sonnait super comme ça, alors pourquoi se dire : « Attention, on a une recette à respecter parce qu’on a des fans qui nous ont déjà étiquetés » ? Nous n’allons pas mettre l’arrangement oriental parce que nous sommes contraints et forcés, nous en mettons quand ça sert le morceau. Dans le cadre de « Heroes », ça ne servait absolument pas le morceau, donc nous n’allions pas nous forcer à coller à une recette, puisque dans ce cas, tu n’es plus musicien mais chef pâtissier.

Zaher : Sur cet album, ce n’est pas que nous ayons « cherché » à le faire, mais nos influences ont inconsciemment refait surface, comme tu peux l’apercevoir sur le morceau « Heroes » ou « Let It Go » qui a un côté un peu années 80. Et il y avait peut-être bien l’envie de faire quelque chose qui n’est pas trop rentre-dedans au niveau des sonorités orientales. C’est ce que j’aime. C’est comme quand on prépare à manger : on ne peut pas mettre trop d’épices, on en met un petit peu ici, un petit peu là, et quand tu manges, tu as un arrière-goût d’épices maghrébines ou orientales, plutôt qu’un goût agressif. Pour moi, c’est ce qui fait le charme de cet album. Oui, c’est différent de ce que nous avons fait par le passé, mais on sent l’arrière-goût de Myrath dans chaque morceau. Pour moi ainsi que pour les autres membres, c’était très intéressant d’explorer de nouvelles sonorités, tout en gardant l’âme de Myrath. Je ne crois pas que nous l’ayons perdue sur cet album, bien au contraire !

« Si tu as du respect pour tes fans, tu dois être stressé, tu dois avoir peur de leur réaction, sinon tu n’en as rien à foutre d’eux et ça ne veut rien dire. Nous avons beaucoup de respect pour nos fans et c’est pour ça que nous avons eu énormément de pression. »

Vous êtes aussi tous des musiciens extrêmement doués qui écoutent, j’imagine, des choses assez différentes. Ça doit être frustrant de devoir se limiter à une couleur donnée et « rentrer dans une case »…

Oui et non. Oui, c’est frustrant parce que quand tu passes plus de quinze ans à faire les mêmes sonorités, les mêmes modes, les mêmes atmosphères, et que tu écoutes d’autres groupes, tu te dis : « J’ai la capacité de le faire et même encore mieux, alors pourquoi je ne le fais pas ? » Et non, parce que c’est ton identité, ton empreinte, c’est aussi ce qui fait ta force. Nous avons donc essayé de trouver le juste milieu et j’espère que nous y sommes parvenus. Si ce n’est pas le cas, nous essaierons de faire mieux la prochaine fois !

Vous n’avez pas peur de la réaction des fans, qui vous aimaient justement pour ce côté oriental très mis en avant ?

Oui ! Si tu as du respect pour tes fans, tu dois être stressé, tu dois avoir peur de leur réaction, sinon tu n’en as rien à foutre d’eux et ça ne veut rien dire. Nous avons beaucoup de respect pour nos fans et c’est pour ça que nous avons eu énormément de pression. Enfin, pas en composant l’album, car nous étions en extase, nous jouions ce que nous voulions. Ce n’était pas robotique ou automatique. Ça venait du cœur et c’était très spontané. Nous étions longtemps ensemble dans le studio pour composer et faire la préproduction. C’est ce qui fait la différence entre cet album et les autres : nous y avons mis beaucoup de cœur, de volonté, plus de transparence, plus de spontanéité, et moins d’intellectualisation. Après avoir fait l’album, nous avons écouté, nous étions heureux, aux anges, et en même temps, nous étions très stressés, car nous nous sommes dit que ça ne ressemblait à aucun album que nous avions fait auparavant, que peut-être les gens allaient dire : « Ah, c’est à cause du départ d’Elyes, c’est lui qui amenait les orchestrations arabes. Vous avez peut-être perdu votre identité, votre personnalité. » Mais nous nous sommes dit que cette âme et cet arrière-goût de Myrath étaient présents dans chaque morceau. Même s’il y en a qui n’ont rien à voir avec l’oriental ou la musique maghrébine, on sent que l’esprit de Myrath est là.

Kevin : Je pense que c’est un pari réussi. Je n’aime pas faire ça, mais si je prends une casquette business, sur Spotify, les marchés ou les pays où nous avions le plus de fans et qui écoutaient le plus la musique de Myrath, avant c’était la France et l’Allemagne. Avec les trois nouvelles sorties, ce sont des marchés qui continuent à croître, sauf que l’écosystème des fans a complètement changé puisque, en même temps, le marché numéro un est devenu les US et le numéro deux la Suède. C’est la première fois que nous avons autant de traction – si on veut utiliser des termes business – dans ces marchés-là. Peut-être est-ce la conséquence directe de cette non-intellectualisation du processus de composition.

J’ai retenu trois moments ou éléments dans l’album qui, je trouve, marquent bien cette ouverture à d’autres couleurs et qui, du coup, participent à sa richesse : l’utilisation de cuivres dans « Into The Light », les inspirations un petit djent dans le riffing de Malek sur « To The Stars », et « Candles Cry » avec ses riffs presque blues rock…

« Candles Cry », je pense que c’est l’idée la plus ridicule que j’ai pu avoir. J’étais en train de prendre ma douche, je faisais un clappement de mains et je me suis dit : « Et si j’intégrais un clappement de mains dans un morceau ? » Ça n’a aucun sens, parce qu’à la limite, dans un morceau pop ou RnB, pourquoi pas, mais sur des riffs metal, ça ne marche pas. Je me suis dit que nous allions essayer. Je suis arrivé avec cette espèce de pattern rythmique que j’ai fait écouter à Zaher et qui m’a dit : « C’est déroutant, mais c’est différent. On sort un peu de ce qui se fait toujours dans le metal, les mêmes formules, etc. Essayons. » J’ai donc continué. J’en suis fier, parce que c’était un enjeu pour moi : au lieu d’exposer la ligne de chant à Zaher comme je le fais avec un piano, j’ai chanté le refrain. Zaher m’a dit : « Ecoute, Kev, c’est toi qui vas chanter le refrain sur l’album, parce que j’aime bien ce truc-là, c’est un peu différent. Forcément, tu chantes moins bien que moi, mais ça apporte un truc. » Du coup, je me suis retrouvé avec lui chez Jacob à m’égosiller pour chanter le refrain. J’ai donc laissé mon empreinte vocale sur cet album, avec la première fois où je prenais le lead en tant que pseudo-chanteur, même si je n’ai pas le talent de Zaher.

Zaher : Parce que le timbre de Kevin sur la maquette était tellement bien pour cette chanson et ce refrain que, franchement, je ne pouvais pas faire mieux. Je chante mieux que Kevin, mais là, c’était le timbre parfait.

Kevin : « To The Stars », c’est aussi une nouveauté. Nous sommes tous fans de musique gnawa et nous voulions vraiment mettre ce pattern qui est très lié à la culture marocaine, très élastique, très groovy, avec une interprétation très marocaine du rythme. Nous avons voulu commencer comme ça. Malek était vraiment dans sa zone de confort. Il a pondu un riff dessus et ça a tout de suite marché, ça a donné une couleur totalement différente. Je ne dirais pas que c’est djent, c’est gnawa, définitivement ! Concernant « Into The Light », il y a eu un énorme boulot dessus. Rien que les arrangements, ça m’a pris peut-être quatre semaines, avec le passage de piano qui était impossible. J’ai eu le malheur de le composer avec mon Cubase et après quand je l’ai mis en partition, je me suis dit que j’allais être incapable de jouer ce truc-là. Ça m’a pris trois mois à l’apprendre pour péniblement le jouer sur scène. Les harmonies du pré-refrain, c’est presque jazz-fusion. Nous sommes complètement sortis de la zone de confort et de ce qui se fait de manière traditionnelle dans le metal. Il y a aussi les cuivres, que j’adore. J’ai commencé ma carrière professionnelle en tant que pianiste de bal, comme beaucoup d’instrumentistes, avec des danseuses, des cuivres, et tu fais des reprises de Michael Jackson et ce genre de choses devant des publics de petits villages du sud de la France. J’ai toujours adoré travailler avec des sections de cuivres. Là, je me suis dit : « Pourquoi pas rajouter des cuivres ? »

« Faire de la musique progressive avec des morceaux qui font vingt minutes, il n’y a rien de plus facile. N’importe quel musicien un peu talentueux va te pondre un morceau de sept minutes avec des notes aléatoires et, à la fin, il n’y aura pas de corps. »

A l’époque de Shelili, Zaher, je te faisais remarquer qu’il semblait y avoir une envie de revenir à quelque chose de plus progressif, et une nouvelle fois avec Karma, le côté progressif est bien présent : avez-vous l’impression d’avoir maintenant trouvé le bon compromis entre vos envies prog – comme sur vos trois premiers albums – et le côté plus « commercial » ou accessible de Legacy vers lequel, Kevin, tu as poussé le groupe ?

Zaher : Nous n’avons jamais pensé à faire un compromis ou à mettre plus ou moins de progressif sur cet album. Encore une fois, c’était vraiment très spontané. Après avoir fini l’album et l’avoir écouté, nous nous sommes dit que, effectivement, spontanément, nous avions trouvé le juste milieu entre ce que nous faisions avant, ce que nos fans aimaient chez nous, c’est-à-dire ce côté un peu progressif, et le côté un peu mainstream qui se fait maintenant chez la plupart des groupes de la scène. Nous nous sommes dit qu’inconsciemment, nous avions trouvé le juste milieu. Peut-être bien que c’est le début d’une nouvelle ère ou orientation pour Myrath, c’est-à-dire que nous avons fini de chercher ce que nous devions faire ou ne pas faire.

Kevin : Nous avons été spectateurs de ce que nous avons fait. Quand tu composes, tu n’as absolument aucun recul sur ce que tu fais. J’ai été, comme Zaher l’a été, comme tout le monde l’a été, spectateur du rendu final quand l’album a été mixé, ce qui nous a permis d’avoir une vision d’ensemble sur l’album. Quand tu bosses sur un morceau pendant trois semaines, puis sur un autre, puis sur un autre, tu n’as aucune vision de la cohérence entre tes morceaux, de leur enchaînement, de leurs tonalités, etc. Tu n’arrives pas à avoir une vision holistique, parce que tu es trop dans le détail. Du coup, a posteriori, nous constatons que nous avons fait ce qu’il fallait faire de la manière la plus naturelle possible. Je n’ai aucune idée comment sonnera le prochain album, puisque nous avons pu prouver avec le Covid-19 que la méthodologie, le fait d’être ensemble donnait aussi quelque chose. Peut-être que nous voudrons retrouver ça, peut-être que nous allons nous voir… Alors, malheureusement, je ne peux pas payer des billets d’avion à tout le monde pour que nous nous voyons tous pendant six mois, car ça coûterait une fortune, mais par exemple, si avec Zaher nous nous voyions pendant deux ou trois semaines pour essayer de compléter nos démarches personnelles de composition, ce que nous avons fait chacun à la maison, par un esprit d’équipe, en recréant une complicité, ça amènerait quelque chose de différent ou, peut-être, de semblable à Karma.

La dernière fois, Zaher, tu disais en rigolant que, pour tous les fans du Myrath progressif, c’était « Kévin la bête noire », mais aussi que si on vous laissait faire un album sans Kevin, vous feriez « un album à la Dream Theater, mais version Myrath ». Kevin, as-tu toujours un peu ce rôle de « rééquilibrage » ?

Zaher : Il a le rôle du thermomètre !

Kevin : J’ai tendance à dire que faire de la musique progressive avec des morceaux qui font vingt minutes, il n’y a rien de plus facile. N’importe quel musicien un peu talentueux et qui sait faire des notes rapidement va te pondre un morceau de sept minutes avec des notes aléatoires et, à la fin, il n’y aura pas de corps. C’est souvent là-dedans que peut se perdre un musicien qui va, finalement, apporter quelque chose qui n’a pas véritablement de portée artistique, ni de fond. Bien sûr, j’ai ce rôle de thermomètre, mais je le fais avec les sentiments. Je vais donner un exemple concret : le morceau « Merciless Time », sur l’album Tales Of The Sands, commence par un riff qui est super. En fait, à l’époque, c’était un morceau de sept ou huit minutes qui ne voulait absolument rien dire, et ce riff arrivait à cinq ou six minutes. J’ai dit à Malek : « Ecoute, ça ne veut rien dire. Ce sont juste des notes aléatoires que tu as faites, ça n’a aucun sens. Par contre, ce riff-là a un sens. » J’ai gardé le riff, j’ai effacé quatre-vingt-dix-neuf pour cent du morceau et j’ai composé le reste, en lui disant : « Voilà, ton accroche est là. » J’essaye de faire partager cette expérience là où tous les musiciens ne l’ont pas. Je pense que si je laissais… Enfin, je ne suis pas là pour empêcher qui que ce soit de faire les choses. Après, les principales personnes qui composent dans le groupe, et c’est comme ça depuis longtemps, restent Zaher et moi. Malek et Anis [Jouini] sont vraiment dans une démarche d’interprétation et cherchent à apporter une valeur ajoutée maximale dans le sentiment qu’ils ont et dans le fait qu’ils arrivent à interpréter les choses pour changer totalement la couleur d’un instrument. Ils ne se réveillent pas le matin en se disant qu’ils vont composer quelque chose, ce n’est pas leur leitmotiv. Ce sont des mecs qui adorent interpréter et apporter une véritable valeur en termes d’interprétation et d’émotion sur une base déjà existante.

Tu étais jusqu’à présent le producteur du groupe. Cette fois, pour Karma, tu as coproduit avec Jacob Hansen. Le fait que tu fasses désormais officiellement parti du line-up du groupe t’a poussé à délaisser un peu la partie production à une personne extérieure ?

Le métier de producteur est double. Le premier rôle du producteur est d’arranger les morceaux, d’apporter des couleurs, d’apporter des nouveautés, etc. Le second rôle du producteur est de faire le mix. Sur Karma, j’ai maintenu ma place de producteur exécutif sur tout l’arrangement. Jacob s’est occupé uniquement de l’enregistrement et du mix. Cependant, je préfère dire que Jacob a coproduit plutôt que mixé, parce que c’est un ingénieur du son tellement de génie qu’il y a une part de production dans chacun de ses gestes de mixage. Le processus n’a donc pas évolué. Simplement, nous avons été en face d’un mec qui mixe comme personne ne sait le faire, or j’appelle ça aussi de la production.

« Je crois que si tu fais quelque chose de bien, tu recevras en retour de bonnes choses, dans cette vie ou la suivante. D’après ce qu’on a vu au niveau politique, humanitaire, de la préservation de la nature et tout ce qu’on voit depuis une dizaine d’années, c’est le karma qui répond à toutes nos questions. »

L’album s’intitule Karma et présente une femme sur sa pochette. Ça rappelle étrangement l’album Karma de Kamelot, avec qui vous avez justement tourné en 2023. En plus, si on y réfléchit, le style de Kamelot et de Myrath ne sont pas très éloignés : heavy, avec un côté prog, mais en étant ultra catchy, avec de grosses orchestrations, etc. Kamelot a d’ailleurs pour habitude d’employer des couleurs orientales sur certaines chansons… Y a-t-il une part de clin d’œil dans ce titre et cette pochette ?

Je voudrais, et ça aurait été malin, mais pas du tout ! Pas parce que nous ne voulions pas, mais parce que le séquencement des choses ont fait que ce n’est pas du tout un clin d’œil. Karma est un nom que Zaher porte depuis dix ans maintenant, et à chaque sortie d’album, il me dit : « Kev, il faut qu’on appelle notre album Karma. » Zaher est quelqu’un de très spirituel, il pourra t’en parler. Il croit au karma. Pour être honnête avec toi, j’y crois un peu moins, parce que, par mon éducation scientifique, mes quatre ans de maths après le bac, etc., j’ai une vision trop pragmatique et cartésienne des choses, ce qui peut avoir ses avantages et ses inconvénients. Dans tous les cas, je ne crois pas au karma. Je crois à la valeur travail, etc., ce qui me fait peut-être rater des choses, mais mon ADN est comme ça. Mais pour les sujets des chansons que Zaher a amenés, je lui ai dit : « Vas-y ! Ça représente tellement les paroles que tu portes qu’il faut l’appeler Karma. » Et pour la pochette, ce qui est intéressant, ce n’est pas la fille, même si elle est magnifique. Ce qui est le plus important, c’est la pomme qui est magnifique à l’extérieur et pourrie à l’intérieur, qui représente – d’une manière pas trop politique, parce que nous ne sommes pas experts – les problèmes et les enjeux qu’il y a dans le monde aujourd’hui. Nous cherchions un truc hyper minimaliste, donc cette pomme, qui fait le lien direct avec ce simple mot de karma, qui lui-même fait le lien direct avec tous les sujets que Zaher voulait exposer sur l’album.

Donc rien à voir avec Kamelot, mais ça aurait pu ! Car ce sont des super gars. Nous avons tourné avec eux ; moi-même j’avais tourné avec eux avec Adagio, mon précédent groupe. Nous sommes proches parce que nous partageons aussi une vision musicale qui est assez proche, puisqu’ils font une musique metal avec des arrangements symphoniques. Le claviériste est un mec adorable et il a un gros bagage technique. Beaucoup de musiciens auraient à apprendre de son expérience. Ce sont des super musiciens. J’ai fait trois tournées avec eux, une avec Myrath et deux avec Adagio, et à chaque fois, c’est une super expérience. Et les musiques étant proches, elles sont ultra compatibles pour les fans. C’est un package super intéressant pour le fan de metal symphonique.

Tu m’as un peu devancé, mais du coup, je vais me tourner vers Zaher : peux-tu nous parler de ta croyance dans le karma ? Qu’est-ce qui t’a amené à ça ?

Zaher : C’est très spontané, car je suis effectivement quelqu’un de très spirituel. Je crois au fait que l’on récolte ce que l’on sème. Comme l’a dit Kevin, ça faisait dix ans que je voulais nommer un de nos albums Karma, parce que j’y crois beaucoup et je crois que si tu fais quelque chose de bien, tu recevras en retour de bonnes choses, dans cette vie ou la suivante. D’après ce qu’on a vu au niveau politique, humanitaire, de la préservation de la nature et tout ce qu’on voit depuis une dizaine d’années, c’est le karma qui répond à toutes nos questions. Quand on voit la détérioration du climat, les guerres, la hausse du racisme et de l’antisémitisme… Tout ces faits m’ont confirmé ce que je disais déjà aux gars et à Kevin, c’est-à-dire qu’il fallait mettre le mot karma en avant, car c’est ce qui se passe. C’est ce qui m’a motivé – et nous a motivés – pour nommer l’album Karma, en plus des paroles que j’ai écrites avec notre parolier Aymen Jaouadi. Je crois que c’est très logique !

Tu te dis être une personne très spirituelle. Justement, comment as-tu construit ta spiritualité ?

Je tiens ça un peu de mes parents, de mon éducation, en tant qu’ex-terroriste musulman. Je blague ! [Rires] Mes parents sont très spirituels. Ils sont musulmans pratiquants. Je ne suis pas pratiquant. Je crois en toutes les religions et ma spiritualité n’est pas liée à une religion spécifique. Je crois qu’il y a un esprit plus fort que nous qui tire les ficelles dans le monde.

« Une majorité de gens font bonne figure et sont formatés par un mode de vie où il y a très peu de recul sur ce qui se passe, et l’humain aura tendance à montrer un aspect policé, propre et joyeux à l’extérieur, mais pourra être profondément affecté et dépressif à l’intérieur. »

Le karma, c’est donc l’idée que la destinée d’une personne est déterminée par l’ensemble de ses actions passées voire de ses vies antérieures. Comment appliqueriez-vous cette idée à Myrath ?

Kevin : C’est compliqué de répondre à cette question, car j’ai du mal à appliquer le karma pour les raisons que j’ai expliquées, mais je vais peut-être m’y pencher parce que j’ai pu voir certaines bonnes et mauvaises choses qui se sont passées dans le groupe et qui étaient liées à d’autres choses que, en tant que personne pragmatique, on n’arrive pas à maîtriser. Des fois, c’est pas mal et naturel de se laisser porter par quelque chose qu’on appelle karma, en se disant qu’on ne maîtrise peut-être pas tout. Avoir une vision plus spirituelle peut nous aider à faire des choses. Il y a peu de décisions que nous ayons prises qui soient liées à ça, mais il y a certaines décisions qui ont été inconsciemment portées par ça. Je pense notamment au premier concert que nous avons fait en Suède [au Sweden Rock Festival en 2019] où la démarche principale était d’amener du bonheur au public, avec une production monstrueuse qui a coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros, et en arrivant devant la petite scène, les techniciens me disaient : « Mais mec, tu es complètement fou. Tu amènes une prod de vingt mille balles, tu es en train de te ruiner, tu as fait un crédit pour ça, alors que tu vas jouer devant deux mille pèlerins et on est à peine deux à vous aider à installer de la grande illusion, des cracheurs de feu, des danseuses, etc. Vous perdez juste votre temps et votre argent. » Ce qui devait se produire s’est produit, puisque cinq minutes après avoir joué, nous avons entendu le directeur du festival dire : « Ecoutez, les mecs, vous avez deux heures, vous faites le mainstage du festival. » Ça n’était jamais arrivé dans l’histoire du Sweden Rock qu’un petit groupe ouvre la tente l’après-midi et se retrouve en tête d’affiche du festival le même soit à 21h sur la mainstage. Ce sont des phénomènes comme ça qui me font dire que, des fois, on est poussé par une spontanéité qui pourrait s’apparenter au karma, ou pas, je ne sais pas, et qui fait qu’on a des bonnes surprises.

Tu évoquais tout à l’heure la pomme que la femme sur la pochette tient dans sa main. Pouvez-vous développer sa symbolique ?

La pomme cristallise la société, le climat, la discrimination, le racisme, ainsi que des choses que les Tunisiens ont vécues à titre personnel depuis plein d’années. Aujourd’hui, on est dans un système économique, notamment en Europe, où tu as une majorité de gens qui font bonne figure, qui sont formatés par un mode de vie où il y a très peu de recul sur ce qui se passe, et l’humain aura tendance à montrer un aspect policé, propre et joyeux à l’extérieur, mais pourra être profondément affecté et dépressif à l’intérieur. C’est le yin et le yang. C’est la pomme luisante à l’extérieur et pourrie à l’intérieur. Cette simple image représente tous les sujets, sans exception. Ça représente le climat, par un comportement totalement irresponsable des politiciens dans le monde, qui vont marketer les démarches de faire une évolution ou pas dans le sens du climat. Ça représente les guerres. Ça représente les discriminations. Ça représente le racisme caché. C’est-à-dire que nous, en tant qu’Européens, on sait que le racisme existe, par contre tu ne peux pas dire : « Je le sens. » Je peux te dire qu’en tant que Français, je le prends à titre personnel. Quand tu suis et tournes avec un groupe dont trois membres sont tunisiens, que tu es à l’aéroport, que, du moment où un des musiciens tunisiens va sortir son passeport vert, tout change pour toi et que tu ne peux plus prendre l’avion, là tu sais que le racisme existe et est bien réel.

Zaher : Dans plusieurs pays, quand nous sommes au poste de contrôle et qu’ils voient un passeport vert, il y a la lampe rouge qui s’allume. C’est pour ça que j’ai à un moment donné dit « ex-terroriste », parce que quand on dit « musulman », « arabe » ou « maghrébin », c’est tout de suite « alerte au terrorisme ! » Même si je suis déclaré musicien, ils ont toujours tendance à te poser des questions antiterroristes.

Kevin : Quand nous avons fait la tournée en Amérique du Sud – Mexique, Argentine, Chili, Colombie et Brésil –, il n’y a pas une seule fois où nous avons pu prendre l’avion correctement. Ça a été une interdiction formelle de rentrer dans l’avion, des retards, reprendre l’avion le lendemain après avoir négocié avec le consul général, et une interdiction du territoire avec suppression des visas pour l’Argentine, puisque ce pays a clairement expliqué qu’ils avaient la volonté d’invalider les passeports car les musiciens tunisiens n’étaient pas les bienvenus, malgré un an de démarches administratives. Quand tu es dedans, que tu commences à trembler avec les gars et que tu deviens complètement parano en te disant que les yeux sont rivés sur toi, tu sais ce que ressent un mec qui souffre de cette discrimination.

Zaher : Et en Bulgarie, au poste de contrôle, on m’avait demandé de chanter pour prouver que j’étais un chanteur ! [Rires] Je te jure, c’est fou ! Tout le monde me cherchait après le passage de la douane policière. J’étais le dernier, ils m’attendaient, ils m’appelaient sur Messenger ou WhatsApp. Je ne pouvais pas répondre parce que j’étais en train de chanter des chansons aux policiers.

Kevin : Ça peut prêter à sourire, mais c’est une expérience des plus humiliantes qui soient. Imagine qu’à chaque fois que tu vas prendre le train pour aller sur Paris, juste toi, tu vas devoir prouver ton métier et tes intentions pour faire ces deux cent cinquante kilomètres. Je suis désolé, c’est ultra humiliant ! Ça pourrait décourager tous les musiciens. C’est d’ailleurs pour ça aujourd’hui qu’il n’y a aucun groupe cent pour cent tunisien sur la scène internationale, car c’est un poids trop important.

Zaher : Sur la tournée en Amérique latine, c’est Kevin et Morgan [Berthet] qui nous ont sauvés. Malek, Anis et moi étions tous les trois au poste de contrôle, la femme a pris nos passeports, elle a fait semblant d’appeler les autorités allemandes, parce que nous faisions une escale à Francfort, et elle nous a dit qu’elle attendait leur confirmation pour nous laisser partir. Quand Kevin et Morgan nous ont rejoints, elle dit : « Ah, vous êtes ensemble ? » Kevin a dit : « Oui, on est un groupe franco-tunisien. » D’un claquement de doigts, elle nous a dit : « Ah, c’est bien, vous pouvez passer. »

« Dans plusieurs pays, quand nous sommes au poste de contrôle et qu’ils voient un passeport vert, il y a la lampe rouge qui s’allume. Quand on dit ‘musulman’, ‘arabe’ ou ‘maghrébin’, c’est tout de suite ‘alerte au terrorisme !’ […] En Bulgarie, au poste de contrôle, on m’avait demandé de chanter pour prouver que j’étais un chanteur ! [Rires] Je te jure, c’est fou ! »

Malgré tout ça, vos paroles sont toujours très positives, avec les thèmes de résilience, de confiance en soi, etc. Vous considérez-vous comme des personnes particulièrement positives dans ce groupe ?

Kevin : C’est un moyen de se soigner ! Soit tu fais des paroles très sombres, tu tombes dans la dépression, tu te dis qu’il n’y a plus rien à faire et tu te suicides, soit tu fais ces paroles parce que, d’un, elles te soignent et, de deux, tu peux par extension penser que ça va soigner d’autres personnes. Ce qui est le cas. Nous faisons les paroles pour nous et pour les autres, et combien de fans viennent nous voir en disant : « Dans une certaine mesure, vous m’avez empêché de mettre fin à mes jours » ou « Vous m’avez donné la motivation pour faire quelque chose, sachant que tout était perdu d’avance ». Car pour le groupe, Myrath, tout est perdu d’avance pour chacune de nos actions depuis quinze ans. Tu peux donc faire le choix d’être fort et de te battre, et se battre, c’est être positif. Ta question fait énormément de sens, parce que les paroles positives ne sont que la conséquence de l’état d’esprit que nous devons avoir et tenir depuis quinze ans pour résister.

Le premier single était « Heroes », un thème encore une fois fort et très positif, décrit comme un hymne à l’émancipation et à la confiance en soi, où tu chantes : « We don’t need heroes, we are heroes ». Malgré tout, au sein de Myrath, avez-vous des héros ?

Zaher : Je crois que le premier héros, c’est Ahmed [Ben Arbia], le père de Malek. C’est en partie grâce à lui que nous sommes arrivés jusque-là. Ensuite, c’est Kevin qui a pris les rênes et qui est un autre héros, car il a cru en nous. Lorsque Ahmed est mort, nous nous sommes dit que nous étions finis parce que personne ne pourrait nous représenter après lui. Ahmed était notre manageur et, à cette époque, Kevin était notre producteur. Kevin a pris l’avion depuis Paris pour se rendre à Tunis pour l’enterrement, et il nous a dit : « Les mecs, je ne vous lâche pas. Je suis avec vous, je crois en vous, je crois en moi. On va continuer ensemble et réussir ensemble. » S’il y a des héros pour Myrath, c’est Ahmed et Kevin. Après, de façon plus générale, on peut être soi-même un héros dans son quotidien. Il y a des situations où on peut être fier. Je parle de n’importe qui. Déjà, le fait de surpasser nos peurs, nos limites et le stress de la vie, du boulot, etc., je considère ça comme étant héroïque, parce qu’il y a des gens qui sombrent dans la dépression et qui ne remontent pas la pente. C’est donc héroïque, pour moi, de voir des gens se battre malgré tout.

Kevin : Personnellement, je n’ai pas de héros. On va dire que le seul héros, ce serait une meilleure version de moi, parce que tu as des héros en fonction de tes objectifs, or le mien est d’être meilleur pour les autres – c’est un véritable objectif de vie que j’ai depuis longtemps. Ce sont mes convictions, c’est-à-dire d’apporter aux autres, dans le maximum de mes capacités, même si elles sont limitées, peu importe. Du coup, je fantasme, par une réflexion introspective, d’être un meilleur modèle de moi-même.

C’est drôle, car en entendant cette question, beaucoup de musiciens auraient cité d’autres musiciens qui les ont marqués ou inspirés…

Alors, moi, je n’écoute pas de metal, donc j’en ai mais ce serait dans d’autres styles, mais je ne considère pas ça comme des héros. Je pourrais dire que, oui, j’ai en tête des génies, des gens que je respecte énormément. Pour lui renvoyer la balle, dans les génies, je pense que Zaher en est un. Mais plus généralement, je suis extrêmement sensible au travail, par exemple, d’Arcadi Volodos, un pianiste russe qui revisite la manière dont on peut interpréter Rachmaninov et qui est un monstre – aujourd’hui, personne ne peut égaler un mec comme ça. Je respecte énormément des gens comme John Williams qui ont apporté une nouvelle couleur à la musique à l’écran. Des gens comme Mozart aussi, mais tout le monde te dirait ça. Après, peut-être qu’il n’a aucun mérite parce que, quand il n’y avait rien avant, c’était peut-être plus facile de créer quelque chose qui est devenu une référence, je ne sais pas, à méditer. Des gens comme Sia, qui est une des rares artistes dans le monde qui arrivent à faire des mélodies où, à la première seconde, ce sera une madeleine de Proust et où tu vas tout de suite l’identifier, en pensant que tu as toujours connu cette chanson ; c’est d’ailleurs ça qui fait qu’elle vend des millions d’albums, le fait qu’elle arrive à toucher le cœur d’un maximum de gens. Je connais peu de compositeurs capables de faire ce genre de choses. Michael Jackson, bien sûr. Ça, ce sont des génies pour moi.

Zaher : Moi, j’ai beaucoup de références, pas nécessairement des génies : Ronnie James Dio, Bruce Dickinson… Sur le plan symphonique, il y a Ryūichi Sakamoto qui est un excellent compositeur, sachant que j’aime bien la musique japonaise. Côté groupes, j’aime bien Dream Theater et Symphony X – Russel Allen est l’un des meilleurs chanteurs. J’apprécie beaucoup Jørn Lande. Quand j’étais ado, j’écoutais beaucoup de Pantera et de Metallica. Ce sont des influences qui m’ont marqué et m’impacte encore maintenant, y compris du point de vue composition. Bien sûr, il y a aussi des artistes tunisiens et du Moyen-Orient pour qui j’ai beaucoup de respect et d’estime. J’ai beaucoup de respect pour Muse aussi, niveau composition, et Opeth.

« Pour Myrath, tout est perdu d’avance pour chacune de nos actions depuis quinze ans. Tu peux donc faire le choix d’être fort et de te battre, et se battre, c’est être positif. Les paroles positives ne sont que la conséquence de l’état d’esprit que nous devons avoir et tenir depuis quinze ans pour résister. »

Dans « Into The Light », tu chantes : « Now it’s your call either embrace the night or dive into the light » (« Maintenant, c’est à vous de choisir soit d’embrasser la nuit, soit de plonger dans la lumière »). Dirais-tu que c’est le choix binaire auquel tout être humain est confronté ?

Je ne dirais pas ça, mais « Into The Light » est mon morceau préféré de l’album, notamment parce que c’est une chanson motivante. J’ai voulu faire deux ou trois chansons motivantes dans l’album, et celle-ci en est une. Je ne voulais pas mettre les gens face à deux choix, mais je dirais que c’est ma perception de la vie. Personnellement, je suis passé par la dépression, comme beaucoup de gens, et à un certain moment, je me suis dit : « Soit je reste dans ma dépression, cloîtré dans ma chambre, dans mon univers, dans ma bulle, soit je me bats. » J’ai donc traduit mon expérience en quelques mots. Ça rejoint « The Wheel Of Time » qui parle justement de dépression, de comment en sortir, d’essayer de s’en remettre et de se battre. Sur le refrain, je dis : « I spread my wings and fly up high, tell them I’ve learned to survive the darkest place of my mind. Rise above and stay alive, show them what you got inside, and leave them all behind. » Soit : « Dis-leur que j’ai appris à survivre », et quand je dis « leur », ça renvoie à ceux qui n’ont pas foi en toi et qui disent que tu ne vas pas te remettre ou que tu es foutu. Puis l’idée de survivre à l’endroit le plus sombre, qui est dans ta tête, c’est ce que j’ai vécu lors de ma dépression. C’est aussi l’une des chansons motivantes.

Au sujet de la chanson « Let It Go », le communiqué de presse dit que « Myrath encourage les auditeurs à se libérer du poids de leurs rêves et de leurs espoirs irréalisés, en mettant l’accent sur le pouvoir du lâcher-prise ». Penses-tu que parfois, nos rêves et nos espoirs nous contraignent, nous enferment ?

Exactement, parce que si tu as un rêve qui n’aboutit pas, tu peux tomber dans la dépression, justement. Le seul moyen de s’en remettre, ce n’est pas de renoncer à ses rêves, mais peut-être bien de rêver encore, d’autre chose, de choisir un autre chemin qui nous éloignera de ce rêve inachevé et nous évitera de tomber dans l’obscurité – par « obscurité », ce peut être la dépression ou simplement la déception –, en se disant que ce n’est pas la fin du monde.

La chanson « Child Of Prophecy » est décrite comme dépeignant « un monde au bord du changement, où l’enfant de la prophétie émerge comme un phare d’espoir au milieu des ténèbres dévorantes ». On peut facilement faire le lien avec l’actualité, mais avec un côté mythologique ou comme une légende. Est-ce, selon vous, le meilleur moyen de faire passer un message, c’est-à-dire en gardant un côté divertissant ou conteur d’histoire ?

Oui !

Kevin : Ce sont les histoires les plus anciennes qui sont les plus manichéennes et les plus faciles à intégrer. C’est pour ça d’ailleurs qu’à un moment donné, nous avons voulu faire une trilogie avec « Believer » et les deux autres morceaux, car ce sont ces images les plus simples qui permettent aux gens de prendre conscience de certaines choses. Le message doit rester simple. Puisque le message doit rester sujet à interprétation, tu ne peux pas écrire des paroles comme tu fais une dissertation, avec une thèse, une antithèse et une synthèse, parce que tu ne toucheras personne. Quand tu veux fermement parler de quelque chose, il faut quand même laisser place à l’imagination en donnant la possibilité d’avoir une lecture très simple de ce que tu veux expliquer, et la mythologie est l’un des outils qui le permettent.

Le clip de la chanson « Child Of Prophecy » montre des images de votre concert à Carthage le 13 septembre 2023. C’est la quatrième fois que vous jouez dans cet amphithéâtre et on voit que la production scénique a sacrément pris de l’ampleur, le public est vraiment nombreux… Quelle est la situation de Myrath en Tunisie aujourd’hui en termes de succès ?

Aujourd’hui, Myrath est le porte-parole de tous les metalleux tunisiens. Il n’y en a pas énormément, il y en a peut-être sept mille, et quand sept mille personnes viennent te voir, tu peux considérer que tu as tous les metalleux qui viennent. Je suppose que tous n’apprécient pas forcément la musique, mais il y a plus que ça. C’est-à-dire que j’ai le sentiment que nous sommes devenus ambassadeurs là-bas, parce que c’est dur, parce qu’il n’y a pas de structure, parce que les metalleux sont une population qui se sert les coudes, et nous essayons d’être les représentants de cette communauté, qui n’a pas toujours été bien vue par le gouvernement et les habitants. Aujourd’hui, c’est bien mieux, mais j’ai souvenir qu’avant la révolution, un metalleux qui sortait dans la rue et se baladait avec ses cheveux longs pouvait être considéré comme un sataniste ou des trucs qui n’ont aucun sens. C’était l’état d’esprit il y a quelques années et qui a un peu évolué, heureusement. Nous nous servons de cette pole position pour aider aussi des groupes là-bas qui manquent de structure et qui ont besoin d’aide, que ce soit administrative ou en conseil stratégique pour savoir, quand tu es un petit groupe, que tu n’as pas d’argent, que tu ne peux pas de payer d’instruments, comment signer un contrat avec une maison de disques. Nous avons ce rôle-là et nous essayons d’aider des communautés. Aujourd’hui, Myrath est numéro un. J’allais dire que, malheureusement, nous le resterons pour les raisons que nous avons expliquées ; c’est quasi impossible qu’un groupe cent pour cent tunisien le fasse à l’international, parce qu’il faut des appuis en Europe.

« Déjà, le fait de surpasser nos peurs, nos limites et le stress de la vie, du boulot, etc., je considère ça comme étant héroïque, parce qu’il y a des gens qui sombrent dans la dépression et qui ne remontent pas la pente. »

Vous faites partie des groupes qui ont adopté l’intelligence artificielle, en l’occurrence pour la lyric video de la chanson « Heroes ». Beaucoup de groupes ont fait ce genre de clip et c’est le grand débat du moment : pour vous, en tant que musiciens, voyez-vous l’intelligence artificielle comme une chance ou un malheur ? Comme un outil ou comme quelque chose qui pourrait un jour vous remplacer ?

Tu parles à un mec qui en fait dix heures par jour, puisque c’est mon métier. Je développe et implémente des algorithmes dans le cadre de services SAS, donc avec des intégration API ChatGPT et des solutions open source de génération d’images, comme Stable Diffusion, qui est une librairie faite par des développeurs américains. Je travaille donc sur ces outils et ce que je peux dire, c’est que c’est fascinant. Aujourd’hui, avec la progression que nous avons faite, quand on les regarde de l’intérieur, les algorithmes de réseaux neuronaux miment tellement bien le comportement du cerveau humain que je n’ai pas peur de dire qu’un ordinateur peut être l’égal d’un humain, mais en plus rapide, et qu’on va très rapidement pouvoir remplacer tous les humains sur la Terre, ce qui est logique. Sauf que ça fait extrêmement peur. Ça fait tellement peur que les inventeurs – quand tu regardes des conventions, par exemple, du responsable de la recherche et développement chez Google ou chez Facebook qui démissionne – disent eux-mêmes qu’ils commencent à avoir peur de leur bébé, ou tu vois des mecs comme Elon Musk qui veulent que les gouvernements mettent des règles rapidement sur l’utilisation de ces outils et, surtout, sur la capacité à avoir accès à internet pour ces outils. C’est-à-dire qu’il faut cadrer l’accès à l’information pour ces outils qui pourraient évoluer très vite avec l’information. Oui, c’est extrêmement dangereux. Il faut que ça reste un outil qui permette d’augmenter la productivité des gens. Sans que je sois quelqu’un de totalement socialiste, ça me ferait quand même mal au derrière que les gens soient remplacés.

Et je dis ça aussi en tant qu’artiste, parce qu’aujourd’hui, n’importe quelle intelligence artificielle peut faire une pochette. Je crois avoir remarqué dans la dernière de Dream Theater des patterns qui étaient faits par Stable Diffusion, parce que pour avoir travaillé sur les modèles, j’ai pu en reconnaître un, donc je suis quasi certain que la pochette n’a pas été faite par un humain, ou alors elle a été juste retouchée par un humain. On peut déjà aujourd’hui remplacer les artistes qui font des pochettes. Il y a beaucoup de start-up qui travaillent sur des algorithmes de génération d’audio et, très rapidement, un ordinateur pourra composer une chanson à la Muse en moins de dix secondes bien mieux que Muse. Où se trouvent les artistes là-dedans ? C’est donc extrêmement préoccupant pour les domaines artistiques et encore plus pour les gens qui officient dans des domaines qui peuvent être automatisés. Je pense au système bancaire, à monsieur Michou qui est banquier à Saint-Rémy-de-Provence, à une experte-comptable, à un avocat… Sachant que ChatGPT 5 a passé le barreau de Paris et a fini major de sa promo. On est donc en capacité de supprimer quatre-vingts pour cent des métiers qui existent aujourd’hui, et c’est préoccupant, car où va l’humanité ?

Ce que je dis peut paraître un peu étrange pour quelqu’un qui n’a pas creusé le point, il pourrait se dire « ce Kevin est complètement taré », mais en fait, c’est une réalité. En étant à l’intérieur, ça peut faire très peur et je pense qu’il faut des lois pour cadrer l’utilisation de l’AI, au sens général du terme, comme il y a quelques années on avait mis en place en Europe la RGPD pour la protection des données, ce qui a permis d’éviter beaucoup de dérives sur le vol et l’utilisation des données personnelles – c’est une loi qui est relativement bien respectée et c’est très encourageant.

Tu penses qu’à terme le métier de musicien pourrait changer à cause de ça ? Car aujourd’hui, si on schématise, un musicien est quelqu’un qui enregistre de la musique et se produit en live. Tu crois que ça se déporterait, par exemple, plus vers la production live, puisque c’est ce qu’une IA ne peut pas reproduire ?

Oui, mais ce n’est pas exactement ça qui va se passer. En fait, par exemple, plus les fournisseurs de plugin pour des Cubase ou des Pro Tools vont amener des solutions clés en main pour automatiser certains processus ou inventer de la musique, plus le musicien va modifier son comportement en studio. Là où avant il devait passer douze heures de son temps à créer l’harmonie, trois jours de son temps à créer les arrangements et des choses qui sont différentes et qui font la couleur de sa musique, le musicien de demain ne passera son temps qu’à faire de l’innovation en termes de recherche sonore, sur des bases musicales qui auront été pré-écrites. Il libèrera quatre-vingts pour cent de son temps pour faire encore plus de marketing, ce qui veut dire que les meilleurs marketeux seront les musiciens qui réussiront et les puristes, comme nous par exemple, auront beaucoup plus de mal. Si demain tu me dis que mon métier, c’est uniquement de faire le marketing de quelque chose qui a déjà été créé, où il y a une base, je te dirais que je n’ai pas signé pour ça. Mais il y a de fortes chances que ça se passe comme ça.

« Les algorithmes de réseaux neuronaux miment tellement bien le comportement du cerveau humain que je n’ai pas peur de dire qu’un ordinateur peut être l’égal d’un humain, mais en plus rapide, et qu’on va très rapidement pouvoir remplacer tous les humains sur la Terre. »

Tu penses que le public suivrait ? On voit qu’aujourd’hui, les technologies ont beaucoup évoluées, notamment dans la production, mais on se rend compte qu’il y a un petit retour en arrière, c’est-à-dire que le public revient vers l’humain, les vinyles, les productions un peu plus vintage, on voit une résurgence du rock un peu rétro, etc.

Ça n’y change rien. Ce sont deux sujets différents. Il y a le sujet du cycle des styles musicaux. Il a été prouvé par une université aux Etats-Unis, je crois, que les styles musicaux aimés par les gens avaient des cycles de quarante ans. C’est-à-dire que tu auras un cycle qui est top dans les années 20, qui sera oublié, et ensuite, il y aura un re-maniage de ce style qui réapparaîtra dans les années 60 et refera un carton, puis s’effacera à nouveau, etc. C’est ce qui est en train de se passer avec le metal et le rock. Ça, c’est un premier sujet. Sur ce sujet-là, le metal a toutes ses chances pour continuer à faire de la croissance et toucher un maximum de gens ces prochaines années, c’est très encourageant. Si la tendance est de faire du metal avec un son vintage, ça n’empêche pas les AI de fournir des outils pour faire du vintage. Donc ça ne change pas le processus.

A propos de technologie, votre nouvel album, Karma, a été mis en ligne illégalement avant même son annonce. Comment avez-vous pris et géré ça ?

J’ai tapé une crise de nerfs ! J’ai été contacté par une fan française qui m’a dit de manière totalement décomplexée : « Ah bah moi, de toutes façons, j’ai tous les albums de Verycords en avance. J’ai des journalistes qui me filent les trucs et les foutent sur les Kazaa, eMule, Torrent et tout le bordel. » L’album devait sortir en septembre, donc l’album watermarké a été envoyé par Verycords en vue de cette sortie, mais il a été décalé à cause de soucis logistiques, donc nous avons annoncé au dernier moment qu’il serait reporté de septembre à maintenant, et l’album a été posté en Torrent le jour de la sortie initiale. C’est-à-dire que la personne s’est dit : « Je le mets en Torrent, je m’en fous, de toutes façons il sort aujourd’hui », sauf qu’en fait, non, il ne sortait pas aujourd’hui et la personne n’a pas eu la notification ou n’a pas ouvert le mail envoyé par la maison de disques. J’ai demandé le nom de la personne parce que je connais beaucoup de journalistes en France et, en général, pour la grande majorité, il y a une éthique. Toi, tu es journaliste et je n’ose même pas imaginer que tu puisses intellectualiser ce genre de chose et faire ce genre de démarche. Ce doit donc être une crapule qui ne devrait d’ailleurs pas être appelée journaliste, puisqu’elle ne comprend pas l’investissement moral et en temps passé de créer un album. C’est une petite frappe, un gamin d’un webzine quelconque, français ou étranger, peu importe, qui a trouvé malin de foutre ça sur internet pour faire le beau.

Ça a fait beaucoup de dégâts, en tout cas pour moi, mais est-ce que ça a fait de réels dégâts sur la sortie de l’album ? En fait, non. J’ai directement appelé les maisons de disques Verycords et earMusic pour leur parler de cette fuite. Ils ont réfléchi et m’ont dit : « Ecoute, Kev, pas de panique. On continue la promotion comme si de rien n’était, puisque notre but est de faire découvrir Myrath au plus grand nombre. Les vrais fans du groupe achèteront ton album. Il n’y a pas mort d’homme. Ce serait dramatique si tu étais un Metallica ou un Iron Maiden… » Ces groupes sont des industries, ce sont des business, où les mecs ne doivent surtout pas changer leur style et sont dans une démarche purement marketing, parce que leur projet musical n’est même plus un projet musical, c’est un actif pour la retraite. Ils sont dans une espèce de machine de guerre et un album d’Iron Maiden qui fuite, oui, ça sera peut-être des millions d’euros en moins sur leur compte bancaire pour financer une tournée ou ce genre de chose. Mais au stade de Myrath, mis à part le fait d’avoir foutu les boules au groupe, au final, je ne pense pas qu’il y ait un impact si dramatique que ça.

Sachant que la fuite de la pochette, c’est encore une histoire différente. C’est-à-dire que quand tu inscris l’album sur plein de plateformes, pour le référencement, celles-ci vont mettre l’album, mais quand tu cliques, il ne sera pas disponible, mais tu as déjà la pochette qui vient bien en amont de ta sortie. La pochette était peut-être trouvable depuis août, ce qui n’est absolument pas dramatique, puisque les plateformes doivent se préparer.

Interview réalisée en visio le 9 février 2024 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Myrath : myrath.com

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Dragonforce – Warp Speed Warriors https://www.radiometal.com/article/dragonforce-warp-speed-warriors,470206 https://www.radiometal.com/article/dragonforce-warp-speed-warriors,470206#respond Sat, 09 Mar 2024 07:05:55 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470206 C’est une belle année qui débute pour Dragonforce, lancée par la sortie de leur nouvel album Warp Speed Warriors, accompagnée d’une tournée européenne pour le promouvoir. Dès les premières notes rétrofuturistes d’« Astro Warrior Anthem », l’auditeur est plongé dans un monde fantastique porté par la voix grandiloquente de Marc Hudson, laissant ensuite place à […]

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C’est une belle année qui débute pour Dragonforce, lancée par la sortie de leur nouvel album Warp Speed Warriors, accompagnée d’une tournée européenne pour le promouvoir. Dès les premières notes rétrofuturistes d’« Astro Warrior Anthem », l’auditeur est plongé dans un monde fantastique porté par la voix grandiloquente de Marc Hudson, laissant ensuite place à une composition rapide, épique et quelque peu progressive en forme de joli flash-back aux premiers albums du groupe. A travers les neuf titres, l’influence des jeux vidéo, plus ou moins old school, dans la touche musicale, artistique et lyrique de l’œuvre est une nouvelle fois de la partie, de quoi satisfaire les fans de Zelda, Tron et autre Space Marine. L’album offre une diversité de tempos et de styles, via des chansons puissantes telles que « Burning Heart » entrecoupées d’hymnes joviaux fédérateurs que l’on imagine facilement repris en chœur par une foule. Le jeu de batterie très sportif s’accorde naturellement au duo de guitaristes fondateurs du groupe et à la maintenant bien intégrée Alicia Vigil.

Ainsi, la maîtrise est au rendez-vous, que ce soit dans l’enjouée « Power Of The Triforce », la festive « Doomsday Party » aux teintes synthétiques eighties (y compris le cliché des roulements de batterie électronique) que n’aurait pas reniées Amaranthe (ça tombe bien, Elize Ryd participe à la version bonus) ou la surprenante « Space Marine Corp » et ses joyeux chœurs militaires. En plus de s’entourer d’invités reconnus sur les bonus, le quintet s’approprie « Wildest Dreams » de Taylor Swift, nécessitant presque deux écoutes pour que l’on s’aperçoive qu’il ne s’agit pas de l’une de ses créations originales. Warp Speed Warriors est la preuve que le temps n’a pas d’effet sur Dragonforce et que, s’ils ralentissent parfois la cadence, c’est simplement pour encore mieux redémarrer. Une chose est sûre, la joie et l’amusement sont partout dans la musique des guerriers de la vitesse de distorsion !

Clip vidéo de la chanson « Wildest Dreams » :

Clip vidéo de la chanson « Astro Warrior Anthem » :

Clip vidéo de la chanson « Doomsday Party » en version alternative avec Elize Ryd d’Amaranthe :

Clip vidéo de la chanson « Power Of The Triforce » :

Clip vidéo de la chanson « Doomsday Party » :

Album Warp Speed Warriors, sortie le 15 mars 2024 via Napalm Records. Disponible à l’achat ici

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Borknagar : anatomie d’une chute https://www.radiometal.com/article/borknagar-anatomie-dune-chute,470200 https://www.radiometal.com/article/borknagar-anatomie-dune-chute,470200#respond Wed, 06 Mar 2024 08:03:41 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470200 Quand on gravit une montagne, le risque, c’est la chute. Mais s’il y a un groupe devenu expert en alpinisme musical et qui ne tombe jamais, ou presque, c’est bien Borknagar. Une nouvelle preuve avec son douzième album, Fall, qui, en outre, soigne ses contrastes, en écho à celui de la nature qui inspire à […]

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Quand on gravit une montagne, le risque, c’est la chute. Mais s’il y a un groupe devenu expert en alpinisme musical et qui ne tombe jamais, ou presque, c’est bien Borknagar. Une nouvelle preuve avec son douzième album, Fall, qui, en outre, soigne ses contrastes, en écho à celui de la nature qui inspire à la fois crainte et amour, à ce désir de tutoyer les sommets tout en ayant conscience de défier la gravité, ou à ce respect du passé conjugué à un regard tourné vers l’avenir. La musique de Borknagar est une histoire de dualités, de contradictions, et de nuances, comme la vie.

C’est ce que nous raconte Øystein G. Brun, guitariste ainsi que compositeur et parolier principal du groupe, toujours aussi philosophique, dans l’entretien qui suit. Nous décortiquons avec lui Fall et, plus largement, le sens artistique de celui qui tend à visualiser la musique et à la planifier comme on le ferait d’une expédition, et se définit plus comme un aventurier musical qu’un enternainer, la notion de grand spectacle n’étant pas son truc – n’en déplaise aux adeptes de Kiss et de corpse paint !

« Un athlète ou quelqu’un qui doit gravir le mont Everest doit se préparer mentalement et travailler son plan dans sa tête avant de s’y mettre. C’est pareil pour moi avec la musique. »

Radio Metal : True North est sorti fin 2019, seulement quelques mois avant la pandémie. Tu as dit que « pour commencer un nouveau cycle d’album, [tu avais] le sentiment de devoir remplir tes obligations envers l’album True North ». Vous n’avez fait que deux concerts entre mai 2020 et avril 2022, ce qui signifie que vous avez eu beaucoup de temps durant cette période. Avez-vous profité de ce temps pour commencer à penser à l’album suivant ou est-ce impossible tant que le cycle en cours n’est pas terminé ?

Øystein G. Brun (guitare) : J’écris ou je travaille sur de la musique presque constamment. Entre les albums, il n’y a pas de véritable début ou de fin. Durant la pandémie, j’ai passé beaucoup de temps dans mon studio ici à travailler sur ma propre musique et à en produire plein d’autres. Je bosse tout le temps sur de la musique. Ceci dit, c’est quand nous avons fait la dernière tournée européenne avec Insomnium et Moonspell l’année dernière que nous avons décidé : « Ok, on va commencer un nouvel album après cette tournée. » C’est sûr que c’était important pour nous de pouvoir terminer True North, car nous n’avions pas pu tourner pour cet album. Nous étions censés faire une tournée aux Etats-Unis et en Europe, en gros pratiquement partout – nous parlions même du Japon et de l’Australie –, mais tout a fermé et a été annulé, donc nous avons quand même voulu que le gens vivent True North en live avant de commencer un nouvel album. C’était important pour nous, pour cette musique, d’honorer cet engagement, de finir l’expédition de True North, mais aussi pour les fans, car nous avons remarqué durant la pandémie que les gens aimaient beaucoup cet album.

Tu as déclaré passer « beaucoup de temps à dresser les contours du prochain album, mentalement parlant ». Que veux-tu dire par là exactement ? Quelle est ton approche ?

C’est quelque chose que je fais depuis toujours, mais je passe beaucoup de temps à réfléchir. Ce peut être indirectement par rapport à mes voyages et à ce que je vis, à un moment donné, je me dis : « Ok, commençons à songer à un nouvel album. » J’ai une approche de la vie qui fait que je m’imprègne d’inspirations. Ensuite, je commence à constituer un plan mental de la musique. J’ai des idées sur le type de chansons et d’atmosphère. J’ai aussi toujours eu une relation très visuelle avec la musique. Quand j’écoute de la musique, je l’associe toujours à des couleurs et à des formes. C’est aussi le cas quand je crée de la musique. Je fais de gros efforts mentaux pour essayer de trouver les bonnes couleurs et les bonnes formes, beaucoup de trucs bizarres se passent dans ma tête, mais je pense que c’est une sorte de préparation mentale pour aborder un nouvel album. Je passe beaucoup de temps à faire ça pour remplir ma tête d’idées. Il y a aussi un côté pratique au fait de se préparer, car j’ai fait de nombreux albums et je sais que ça me demandera beaucoup de temps et de sacrifices dans ma vie privée. En un sens, c’est comme se préparer à une expédition. Il faut que j’y sois prêt mentalement. Je pense que c’est la même chose qui se passe pour un athlète ou quelqu’un qui doit gravir le mont Everest : il doit se préparer mentalement et travailler son plan dans sa tête avant de s’y mettre. C’est pareil pour moi avec la musique.

Tu viens de dire que tu avais « une relation très visuelle avec la musique ». Est-ce qu’écrire de la musique, c’est aussi un peu comme peindre un tableau, pour toi ?

Oui, et ça a toujours été le cas. De nos jours, je regarde constamment des écrans quand je suis dans mon studio, mais dans le temps, je n’avais pas forcément ça parce que j’avais juste un magnétophone. Mais oui, j’ai toujours eu cette étrange visualisation de la musique. J’imagine que ça m’aide à manœuvrer et déterminer ce qui serait un riff sympa, une mélodie sympa, une combinaison sympa de notes. Peut-être que des gens appelleraient ça l’intuition, je ne sais pas, mais chez moi, cet aspect mental dans la conception musicale a toujours été important. Ça peut paraître bizarre, mais pour moi, la préparation et la planification mentales des chansons ont toujours été une grande part du travail. J’essaye de définir ce qu’il faut faire et élaborer un plan.

Quelles ont été les couleurs et les formes que tu avais en tête en écrivant Fall ?

[Rires] C’est dur à dire, car c’est quelque chose qui se produit vraiment dans l’instant. J’ai un peu changé ma manière de faire avec les paroles au fil des années, mais je me souviens, dans le temps, quand on me demandait de quoi parlait telle ou telle chanson, j’étais là : « Je n’en suis pas sûr, parce que ce sont des pensées que j’avais sur le moment où j’ai écrit ce texte. » En un sens, j’ai toujours été très spontané quand je me sentais créatif. Ce que je peux dire, c’est qu’avec Fall, j’ai voulu reprendre là où nous nous étions arrêtés avec True North, tout en élargissant et en faisant quelque chose de plus vaste, en étant même parfois plus dramatique. D’une certaine façon, je voulais tout maximiser.

« J’ai toujours été attaché à l’honnêteté en musique ; ma musique doit ressembler à la vie sous toutes ses facettes, avec les hauts et les bas, les jours de pluie et les jours ensoleillés, etc. Si on compte faire de la très bonne musique qui perdure éternellement, il faut y mettre tout le côté dramatique de la vie, avec tous ses contrastes et ses nuances. »

Tu as aussi déclaré que la musique devait « refléter [ta] vie et celle du groupe ». Comment Fall reflète-t-il ces cinq dernières années depuis True North ?

On vieillit tous et, bien sûr, ce qui se passe dans le monde m’influence. J’ai toujours évité que nous soyons un groupe politisé, antireligion et que sais-je encore. J’ai toujours cru que la musique devait dépasser tout ça, mais évidemment, je vis dans ce monde, je vois ce qui se passe, et toutes ces choses ont un effet sur nous. La pandémie, la guerre en Europe avec l’Ukraine et la Russie, celle entre la Palestine et Israël, le changement climatique… On ressent vraiment ce dernier ici en Norvège. Je suis sûr qu’on le ressent ailleurs en Europe aussi, mais ici, la nature est passée de dangereuse à extrêmement dangereuse, à cause des glissements de terrain et de la météo qui est beaucoup plus brutale que quand j’étais enfant, notamment pendant les orages. Et bien sûr, tout ceci m’inspire. J’ai dû mal maintenant à dire exactement que ceci ou cela est la raison pour laquelle tel album ou telle chose est ainsi. J’essaye de vivre ma vie et de faire ma musique en fonction. J’ai toujours été attaché à l’honnêteté en musique ; ma musique doit ressembler à la vie sous toutes ses facettes, avec les hauts et les bas, les jours de pluie et les jours ensoleillés, etc. C’est l’idée de contraste, le yin et le yang, le noir et le blanc. La musique est une chose tellement humaine que je crois fermement que si on compte faire de la très bonne musique qui perdure éternellement, il faut y mettre tout le côté dramatique de la vie, avec tous ses contrastes et ses nuances. Je pense que c’est la manière la plus universelle et la plus classique de faire de la musique.

Plus encore que le fait de vouloir que la musique ressemble à la vie, pour ce nouvel album, au niveau production, j’avais dans l’idée que les chansons soient une promenade en forêt ou en montagne. Quand on se promène en forêt, sur un chemin qu’on connaît, c’est familier, on a souvent arpenté ce chemin, mais à chaque fois, l’atmosphère est différente, on entend d’autres oiseaux, la météo est différente, la lumière est différente, etc. C’est l’idée d’une imperfection très organique et humaine ; c’est la parfaite imperfection humaine et c’est aussi quelque chose que j’ai envie de mettre dans ma musique. On peut écouter une première fois les chansons, puis la seconde fois, on vit une expérience légèrement différente. Je veux que ma musique soit presque comme une balade en forêt : on peut tout voir, mais il y a quelque chose d’autre qu’on verra peut-être demain. Ce côté aventureux a toujours été important pour moi en musique. C’est le genre de musique que trouve intéressante quand j’en écoute, celle dans laquelle je peux plonger, rêver, voler, et qui m’encapsule, me permet de m’évader du quotidien, etc. Et c’est le genre de musique que j’ai toujours essayé de faire.

J’ai toujours eu davantage l’impression d’être un aventurier musical qu’un musicien qui divertit. Bien sûr, le divertissement est une part importante de la musique, notamment quand on est sur scène et tout, mais je veux aussi que mon groupe ait une autre dimension et inviter les gens dans une aventure musicale pour qu’ils vivent leur propre expérience, peu importe ce qu’est cette expérience – ça peut être juste de profiter de la musique, mais ça peut aussi être de l’introspection ou une forme d’exaltation, une force pour les aider dans les moments difficiles. En tant que musicien qui fait ça depuis de nombreuses années, plus je vieillis, plus je vois la puissance de la musique. Elle est unificatrice. Quand on est triste, elle peut nous consoler. Quand on a besoin d’énergie, elle peut nous en donner. La musique est très importante, en tout cas dans ma vie, mais je pense aussi dans la vie de plein d’autres gens. Il y a tant d’aspects dans la musique qui enrichissent ma vie. Si je peux donner un peu de ça aux fans ou à quiconque écoute ma musique, je suis content !

Tu as dit penser « aux musiciens du groupe quand [tu] écris » et que lorsque tu as écrit les chansons de Fall, ton « objectif principal était de les mettre en valeur, les pousser et les défier. C’était aussi un défi pour [toi]. » Quels ont été les principaux défis que tu leur as donnés et auxquels tu as toi-même été confronté ?

C’est une très bonne question. Tout ça, c’est plus une affaire de mentalité, c’est un état d’esprit, un mode de pensée. Un exemple précis : nous étions posés ici dans mon studio pour faire les parties de chants, nous étions sur la chanson « The Wild Lingers ». Nous savons parfaitement ce que les gens aiment de Simen [Hestnæs] quand il chante et suivre ça, c’est la voie de la facilité pour nous. Or sur cette chanson, nous nous sommes mis au défi de faire quelque chose auquel les gens ne s’attendaient pas de notre part. Simen a eu le courage de faire un type de chant qu’il n’avait jamais fait. C’est cool, car il est assez célèbre pour sa voix, tout le monde la connaît et il sait parfaitement quoi faire pour que les gens aiment, mais nous avons mis ça un peu de côté en nous disant : « N’optons pas pour la prudence, essayons quelque chose de plus risqué », et c’est ce que nous avons fait. Simen a donc fait un chant assez différent de ce dont il a l’habitude. C’est l’idée que la musique devrait – comme la vie – être quelque chose qui progresse et évolue. Il faut que je sois honnête, je n’ai plus dix-neuf ans, j’en ai maintenant quarante-huit, je suis bien plus vieux que lorsque j’ai fait le premier album. Je ne peux pas refaire la même chose ; je ne devrais pas refaire la même chose. Ma musique devrait sonner différemment. Fondamentalement, il s’agit d’être honnête dans son expression. Dans l’ensemble, c’est un état d’esprit. Nous ne faisons pas toujours ce qu’il est prudent de faire, nous prenons aussi quelques risques avec la musique. Le fait de se donner des défis permet de se mettre un peu en danger. Je trouve que c’est beaucoup plus excitant que de se contenter de faire la même chose qu’on sait marcher auprès des fans. Mon cauchemar en tant que musicien serait de me retrouver à tourner en rond. Si ça arrivait, j’arrêterais sans doute de faire de la musique, car pour moi, ça n’a pas de sens. Quand on fait de la musique, l’excitation vient du fait de pouvoir repousser les limites, faire de nouvelles choses, étendre ses horizons et gravir une nouvelle montagne ! Pour moi, c’est l’essence du musicien.

« Quand j’étais enfant, le dimanche, ma famille n’allait pas à l’église, nous regardions des documentaires sur les animaux, la nature, etc. D’une certaine façon, la nature a été mon église. Je trouve donc de l’inspiration et de la force dans la nature. »

Tu as déclaré que tu essayais de veiller à ce que « que les gars aient le meilleur environnement pour enregistrer, [que] si [tu] devais envoyer Simen au pôle Nord avec un microphone, [tu] le ferais ». Penses-tu que l’environnement a une telle influence sur la prestation d’un musicien ?

D’après ma propre expérience, quand je suis en train de faire mes trucs dans mon studio, à enregistrer ou composer des chansons, j’ai besoin d’être dans ma bulle. Je ne suis pas du genre à pouvoir traîner avec une bière et faire des chansons avec des gars dans un tour bus. Ça ne fonctionne pas comme ça pour moi. J’ai besoin de calme, de ma propre installation, de mon studio, de mon environnement pour faire de la musique. Je sais que c’est pareil pour les autres membres du groupe. Par exemple, pour l’enregistrement de la batterie, nous pourrions probablement louer un gros studio qui coûte cher aux Etats-Unis pour obtenir le meilleur son de batterie possible. Ce ne serait pas vraiment un problème, nous pourrions nous le permettre, mais je préfère que Bjørn [Dugstad Rønnow] aille dans un studio où il se sent à l’aise, détendu, où il peut exploiter tout son potentiel. Pour moi, et je crois que ça vaut pour les autres, le processus consistant à enregistrer de la musique est quelque chose de très personnel, c’est presque intime, donc il faut se sentir à l’aise et en sécurité. Je demande au guitariste Jostein [Thomassen], au batteur Bjørn ou au chanteur Simen ce qui est nécessaire pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et ensuite, nous essayons de faire ce qu’il faut, car je crois que quand on est dans cette phase où on est créatif et où on enregistre, il faut être la meilleure version de soi-même. Encore une fois, c’est normal pour les athlètes et les gens qui se préparent et s’entraînent pour quelque chose, et c’est pareil pour nous. Je n’ai pas besoin de courir autour de ma maison pour être en forme pour un marathon, mais j’ai quand même besoin de faire mes exercices pour pouvoir donner le meilleur de moi-même en tant que musicien.

C’est déjà arrivé que l’un de vous enregistre dans des conditions ou un environnement étranges ?

Pas vraiment. Nous n’avons pas d’histoires extraordinaires là-dessus. J’ai un petit ruisseau qui traverse mon jardin et parfois, il m’arrive d’aller dehors pour enregistrer le ruisseau et le bruit de l’eau. J’imagine que c’est le truc le plus expérimental que nous ayons fait. Ce n’est pas si excitant [rires].

En dehors de la batterie qui a été enregistrée avec Marius Strand au Strand Studio à Oslo, le reste a été enregistré par toi-même dans ton Crosound Studio. Comment as-tu pensé ton propre studio quand tu l’as construit au fil des années ? Avais-tu une conception particulière de ce qu’un studio devait être ?

Ma femme et moi avons une propriété assez grande ici et nous n’avons aucun voisin très proche. Une grande partie de cette propriété est très sympa, mais il y a pas mal d’eau et on ne peut pas en faire grand-chose. A un moment, j’ai donc dit : « J’ai envie de construire un studio ici. » C’est ce que j’ai fait. Quand j’ai commencé ce projet, j’avais un home studio dans un loft, mais j’avais deux enfants qui grandissaient et prenaient de plus en plus de place, et à un moment donné, j’avais beaucoup de matériel… La musique est une part importante de ma vie, j’ai plein d’albums qui traînent, des guitares un peu partout, des trucs de studio… Donc j’ai eu besoin d’espace pour mon travail. J’ai donc construit un studio. Je dirais que je suis un nerd, donc au fil des années, j’ai dépensé beaucoup d’argent. Construire le studio, c’est une chose, mais acheter et améliorer le matériel en est une autre. Aujourd’hui, j’ai un studio vraiment haut de gamme avec certains des meilleurs équipements du marché.

Ça a donc évolué pour devenir ça, mais c’est aussi parce que, dans le temps, j’étais toujours un petit peu frustré quand nous faisions des albums. Disons que tu es peintre, tu fais ton boulot, tu l’accroches au mur et tout le monde peut le voir tel que tu l’as peint. Quand nous faisions de la musique avant, ce n’était pas exactement comme ça. Nous avions une vision de la musique, une idée, nous voulions tel et tel son de guitare, mais ensuite, ça dépendait du studio, du budget, de plein de choses. Puis l’album sortait et il ne correspondait pas exactement à l’idée de départ, même si ça allait. J’ai donc longtemps eu ce désir de me rapprocher de l’auditeur, en un sens, c’est-à-dire de produire nous-mêmes autant de choses que possible. C’est pourquoi au cours des dix dernières années, j’ai essayé non seulement d’être le guitariste et parolier du groupe, mais aussi d’incorporer ce point de vue de producteur. Je veux également prendre part au processus d’affinage, de traitement et de production des chansons, et expérimenter avec différents sons. Nous avons donc pratiquement produit entièrement nous-mêmes les trois ou quatre derniers albums. J’étais assis dans mon studio ici à faire plein de mix, à essayer différentes choses, etc. C’est très satisfaisant en tant que musicien et ça donne l’impression d’être davantage en phase avec sa vision musicale. Je veux être plus proche de l’auditeur. Je veux que le public qui écoute notre musique ait le sentiment d’en faire partie, de vraiment nous écouter en tant que musiciens et groupe, et pas d’écouter un producteur ou un ingénieur à Hollywood.

« Je trouve très attirant le fait de vivre un peu en dehors de tout, d’être en marge. C’est ce que j’ai toujours fait en tant que personne, y compris à la grande époque du black metal et de la scène de Bergen. Je connaissais la plupart des gars, mais j’ai toujours préféré rester un peu en dehors de cette scène. »

Ça a donc un peu fait effet boule de neige : j’ai commencé très modestement et maintenant, j’ai tout un studio haut de gamme. J’ai aussi fait pas mal d’autres trucs, comme le fait de mixer et masteriser des albums pour d’autres groupes. J’éprouve beaucoup de satisfaction créative là-dedans aussi, en aidant d’autres musiciens et en travaillant avec le son. J’adore le son, pouvoir le bidouiller et faire tout ce qu’on peut faire avec la technologie moderne. C’est très amusant !

Comme c’est ton studio, tu as le temps d’enregistrer et de te concentrer sur la musique, sans avoir à te soucier du budget. Tu as dit que « la pression est différente, mais plus favorable puisque le temps est de ton côté ». J’imagine que quand tu parles de « pression », c’est cette idée de « gravir une montagne ». Dirais-tu qu’une part de pression est toujours nécessaire ?

Encore une très bonne question ! Oui, peut-être. Pour moi, sincèrement, faire de la musique, c’est fondamentalement quelque chose de très égoïste. Quand je fais de la musique, quand je suis assis ici dans mon studio, tout seul, à faire mes trucs, et que j’ai fait une super chanson, j’obtiens une satisfaction extrême et j’en serai encore content deux semaines plus tard. C’est presque comme une drogue [rires]. Je ne suis pas du tout toxicomane, mais ça me donne ce coup de fouet, cette satisfaction, un sentiment hors du commun quand je crée quelque chose. C’est peut-être un peu parce que mon père était architecte. Il est décédé il y quelques années. Bien sûr, il me manque mais je peux encore voir les maisons et bâtiments qu’il a dessinés quand il travaillait. Il reste donc quelque chose de lui. J’ai toujours adoré ce processus de création. J’ai construit ce studio moi-même, avec mes propres mains ; j’aurais pu sans doute embaucher quelqu’un pour le faire, mais j’ai choisi de le faire moi-même parce que j’adore le processus, j’adore créer. Je ne sais pas si j’ai envie de parler de « pression », parce que, honnêtement, je ne ressens pas vraiment de pression de la part de la maison de disques ou des fans. Je me mets ma propre pression, parce que j’ai besoin de cette charge, de cette drogue [rires]. En ce sens, c’est une forme de pression.

Tu avais décrit True North, qui parlait beaucoup de nature, comme un havre de paix, alors que cette fois, tu dis que « l’essence de Fall est la lutte contre la nature ». Est-ce que ça signifie que tu as une relation conflictuelle avec la nature, qu’elle est à la fois un réconfort et une menace ?

Ce n’est pas vraiment contre la nature. Le concept de base, ou en tout cas l’idée que j’avais quand j’ai commencé à travailler sur cet album est que j’ai toujours été fasciné par ce que l’on trouve à la périphérie de la vie, quoi que ça puisse être, que ce soit un lieu, un animal, un être humain qui vit seul en marge de la civilisation. J’ai eu cette idée presque enfantine d’honorer et de saluer tout ce qui encadre la civilisation et nous maintient en sécurité sur cette planète. Il y a tant de choses, tant d’animaux, d’êtres et même d’humains dont on n’entend jamais parler et qui, pourtant, sont très importants pour notre bien-être dans le monde moderne. Par exemple, on sait tous que si les pôles Nord et Sud fondent à cause du changement climatique, on sera confrontés à un sérieux problème dans le monde entier, il sera impossible de vivre dans de nombreux endroits à cause de la montée des eaux, etc. Il s’agit donc de toutes ces choses qui se battent pour nous, parce que, fondamentalement, vivre dans le monde, dans cette biologie, dans cette nature est un combat, bien qu’on fasse aussi partie de la nature.

Ce sont des choses qui m’ont toujours fasciné. Quand j’étais enfant, le dimanche, ma famille n’allait pas à l’église, nous regardions des documentaires sur les animaux, la nature, etc. D’une certaine façon, la nature a été mon église. Je trouve donc de l’inspiration et de la force dans la nature. Et oui, il y a une dualité, bien sûr. On fait partie de la nature, mais à la fois, dès l’instant où l’on naît, la nature fera tout pour nous renvoyer sous terre, avec des maladies, des virus, des bactéries, etc. Il y a toujours cette lutte et cette dualité dans la nature. C’est le cœur de la vie, en un sens. On en revient au contraste de la vie, le jour et la nuit, le blanc et le noir, etc. Ce sont des questions, sous différents angles et différentes approches, que j’ai toujours trouvées très inspirantes et fascinantes. En conséquence, je suppose que j’éprouve le besoin d’écrire là-dessus dans ma musique.

« Si j’avais été peintre, j’aurais principalement peint des montagnes et des forêts nordiques. J’accorde de l’importance à l’environnement dans lequel je vis, dans lequel j’ai grandi, d’où je viens. »

Tu parles de ta fascination pour ce qui est à la périphérie de la vie : considères-tu toi-même parfois vivre à cette périphérie ?

Oui, un peu ! C’est ça le truc, j’ai toujours vécu à la campagne. Tout au long de ma carrière, les gens m’ont dit : « Tu devrais déménager à Oslo. C’est une ville et tout se passe là-bas. Rien ne se passe là où tu vis. » Mais j’ai grandi ici, à la campagne, dans la forêt, c’est là que je me sens bien. Et pour être franc, c’est peut-être justement là que je veux en venir : parfois, on dirait que c’est très important pour les gens de se réunir, d’être ensemble, de construire cette grande civilisation ensemble, de s’entraider, etc. Tout ça est très bien, évidemment, mais je trouve aussi très attirant le fait de vivre un peu en dehors de tout, d’être en marge. C’est ce que j’ai toujours fait en tant que personne, y compris à la grande époque du black metal et de la scène de Bergen. Je connaissais la plupart des gars, mais j’ai toujours préféré rester un peu en dehors de cette scène. Je ne sais pas pourquoi. C’est juste ma personnalité. S’il le fallait, je vivrais parfaitement bien seul, loin dans la forêt ou dans la montagne. Ce n’est pas le cas aujourd’hui parce que j’ai des enfants et que j’ai construit ma vie, mais j’aimerais peut-être le faire un jour. Une chose que j’essaye de dire au travers de ma musique est que si vous voulez vivre seul ou loin à la campagne ou à la montagne, ce n’est pas forcément triste, ennuyeux ou négatif, ça peut aussi être très positif – pour moi, ce serait positif. Peut-être qu’il y a aussi une part de rébellion de ma part contre cette mentalité très moderne comme quoi tout le monde devrait vivre au même endroit, dans de grandes villes. Ça ne me pose pas de problème que des gens le fassent, ils ont le droit de vivre leur vie comme ils l’entendent, bien sûr, mais personnellement, je suis davantage attiré par la solitude et le fait de vivre en marge, en étant dans ma bulle. Je préfère vivre seul, même si, bien sûr, j’ai ma famille et tout. Je ne suis pas quelqu’un de très social et, pour moi, ce n’est pas du tout un problème, car j’adore [rires].

Dans cet album, vous semblez beaucoup regarder vers le haut, vers les « sommets », vers la « lune », vers les « étoiles qui brillent »… Même l’illustration est une vue d’une chute d’eau mais en regardant vers le haut. N’est-ce pas ironique d’avoir un album intitulé Fall quand, de toute évidence, vous semblez aspirer à l’ascension ?

J’imagine que c’est encore cette dualité. Nous avons eu deux ou trois titres de travail pour l’album, mais le titre définitif est toujours la dernière pièce du puzzle. Quand tout est terminé, y compris les photos du groupe, nous nous mettons d’accord sur le titre de l’album, car je pense que c’est très important, ce doit être ce qui amène à l’album ou alors une conclusion, quelque chose comme ça. Cette fois, nous avons opté pour Fall quand nous avons reçu cette illustration. Nous avons eu la chance de travailler avec Eliran Kantor pour celle-ci. Nous avons eu une très bonne dynamique, un très bon dialogue, et il a eu la liberté artistique de faire ce qu’il voulait. En gros, la seule chose que je lui ai dite est que je voulais que l’artwork montre le côté sauvage, indompté, brutal de la nature. Je lui ai aussi dit qu’il devait y avoir quelque chose qui rappelle l’humanité – pas un être humain, pas une tête, pas un corps, mais quelque chose qui rappelle un peu la présence humaine. C’est tout, et quand j’ai reçu l’illustration, je me suis dit que l’album devait s’appeler Fall. Je trouve que ça colle au concept, parce que oui, nous regardons vers le haut, parce que nous cherchons les défis. Si on prend la chanson « Summits », elle parle en gros de trouver son propre sommet dans la vie, son meilleur potentiel, sa meilleure situation, peu importe ce que c’est… Pour certains, ça peut être de devenir le PDG d’une grande entreprise, pour d’autres, ça peut être de gravir une véritable montagne, tout dépend de ce qu’est la vie optimale pour chacun. Et les difficultés auxquelles on est confrontés en faisant ça, c’est cette grande chute d’eau. Quoi qu’on fasse dans la vie, quoi qu’on prévoie, quoi qu’on essaye d’accomplir, il y aura des obstacles sur sa route, il y aura des problèmes, il y aura des difficultés, il y aura des choses qui essaieront de nous entraver, de nous arrêter voire de nous tuer. Encore une fois, cette dualité de la vie est quelque chose que je trouve intéressant. Ceci dit, c’est un thème très classique. On le trouve dans tant de traditions, religions, etc. mais ça reste, pour moi, un champ de pensée très intéressant.

Dirais-tu que pour être en paix avec la nature et la vie en général, il faut accepter les combats qui vont avec ?

Oui. Très souvent, quand j’écris des textes, je me vois à dix ans et même plus jeune, dans la forêt, avec mon couteau. Ayant grandi à la campagne, je ne suis jamais allé à la crèche ou quoi que ce soit de ce genre. Avec les copains, nous passions notre temps dans la forêt, avec nos couteaux, nos bottes, à grimper dans les arbres, à construire des choses, etc. Parfois, j’ai presque une sorte de rapport nostalgique enfantine à la nature. Je trouve la paix, de l’énergie et de la force dans la nature. J’utilise encore la nature comme une thérapie quand je suis stressé, quand la vie est dure ou que je suis frustré par des choses. Je peux sortir par la porte de derrière et marcher dans la forêt. Je le fais très souvent, en sachant que c’est un lieu calme, où je peux être seul, où je peux me rafraîchir les idées, etc. Mais je sais aussi que si je marche un petit peu plus loin, genre deux heures de plus, j’arriverai au sommet d’une montagne qui est très dangereuse et peut théoriquement me tuer. La nature peut être très belle, elle peut procurer un tel bonheur, elle peut être chaleureuse, sympa, ensoleillée, et l’odeur est magnifique lors d’une belle journée d’été, mais – en tout cas en Norvège – ça peut radicalement changer en cinq minutes et la météo peut te tuer en un clin d’œil ! J’ai toujours trouvé cette dualité de la nature très intéressante. Je me souviens de ces expériences quand j’étais enfant, à un autre niveau bien sûr. Tu passes un moment agréable avec les copains dans la forêt à construire une cabane et grimper aux arbres, et tout d’un coup, le soleil disparaît et il fait complètement noir, la pluie commence à tomber, et tu n’es qu’un enfant au milieu de cette vaste forêt, sans savoir quelle direction prendre pour rentrer à la maison. C’est comme avec la nourriture parfois, les gens aiment l’aigre-doux et le sucré-salé parce qu’il y a un contraste.

« Il y a des gens qui choisissent de dire : ‘Même si je suis actuellement en sécurité et que peut-être je pourrais me tuer à gravir cette montagne, il faut que je le fasse.’ Je trouve très intéressant cet état d’esprit qui caractérise l’humanité et cette notion est intrinsèque à notre mentalité musicale. »

A bien des égards, cet album pourrait encore une fois être pris comme un hommage au Nord. Vous avez même un morceau intitulé « Nordic Anthem », qui est l’une des chansons qui sonnent les plus rafraîchissantes et neuves pour Borknagar sur cet album. Comment cette chanson représente-t-elle le Nord, selon toi, en tant qu’hymne ? En l’écoutant, on retrouve un sentiment d’immensité presque cinématographique…

Pour moi, c’est très simplement une chanson qui célèbre la liberté, et notamment la liberté de l’esprit. Depuis le tout début, j’ai toujours associé le groupe à une mentalité de libre pensée. Mon père était un vieux hippie qui écoutait beaucoup de musique et il était à fond dans une libre pensée et avait une profonde philosophie écologique. Ceci m’a bien sûr inspiré dans mon éducation et ma vie. J’ai toujours voulu amener cet esprit de libre pensée dans la musique, de façon à ce que celle-ci soit indépendante et libre. En tant que musicien, je lutte toujours pour créer ma propre bulle, mon propre univers musical qui serait indépendant de toutes les modes, de ce qui est populaire sur le moment, de ce que tout le monde fait cette année et qui aura changé l’année suivante. J’essaye de créer une aventure musicale indépendante de tout ceci. Je ne sais pas si ça répond à ta question… Mais pour moi, « Nordic Anthem » est une affirmation peut-être plus franche et directe de cette idée : « Libérez-vous de toute convention ou pensée politique, religieuse ou autre. Trouvez votre propre chemin dans la vie. Soyez mentalement libres. » Et nous avons combiné ça avec le côté sauvage, libre et ouvert de la nature nordique. C’est une sorte de combinaison artistique. En gros, cette chanson représente la liberté.

Tu avais effectivement décrit le thème de cette chanson comme étant sur le rejet de toute doctrine et le fait d’aller vers « sa propre nature, ce qu’on a à l’intérieur, et trouver la force et la liberté ». C’est intéressant que vous ayez associé ça au Nord : penses-tu que les gens du Nord, comme toi, soient moins domptables et plus anti-autorité, anti-doctrines que les gens dans d’autres parties du monde ?

Non, je ne le pense pas forcément. C’est plus parce que nous venons de Norvège et j’en reviens à une autre notion dont j’ai déjà parlé : l’honnêteté dans la musique. Il faut que ce soit vrai, je ne veux pas faire semblant. Si j’avais été peintre, j’aurais principalement peint des montagnes et des forêts nordiques. J’accorde de l’importance à l’environnement dans lequel je vis, dans lequel j’ai grandi, d’où je viens. Je ne dis pas que c’est mieux que tout ou que nous sommes plus libres, mais c’est ce que je connais et c’est ma manière de m’exprimer. « Nordic Anthem » est peut-être encore plus applicable à des gens dans d’autres pays, car la Norvège, tout comme la France j’imagine, est un pays très libre. On n’est pas confrontés à l’oppression comme les gens en Afghanistan, en Iran, en Irak et ce genre de pays, donc peut-être que cette chanson a plus de sens pour ceux qui vivent dans ces pays, je ne sais pas. En tout cas, c’était notre façon d’essayer de dire : « Peu importe où vous vivez ou d’où vous venez, libérez votre esprit, brisez vos chaînes et trouvez votre propre chemin dans ce monde. »

Dans mes paroles, j’ai toujours préféré poser des questions et faire réfléchir les gens plutôt que de dire des choses spécifiques. Je n’ai pas envie de leur dire ce qu’il convient de faire dans ce monde, que telle est la bonne façon d’agir, de se comporter, de penser, etc. Je suis plus le genre d’artiste à ouvrir une porte, laisser les gens entrer et les laisser trouver leur propre signification dans la musique que nous faisons. Vous pouvez écouter notre musique en fond, en buvant de la bière et en vous amusant, comme avec n’importe quelle musique, mais si vous le souhaitez, vous pouvez aussi vous investir dans notre musique, creuser dedans, car il y a plein de strates. Encore une fois, je fais le parallèle avec la forêt : on peut faire son jogging dans la forêt, mais d’autres fois, on peut vouloir se poser et s’imprégner de ce qui se passe autour de soi, écouter les oiseaux et vivre une expérience plus qualitative. C’est quelque chose que j’ai envie d’accomplir avec ma musique. Nous avons cette dimension permettant d’inviter les gens à prendre part à un voyage musical s’ils ont envie de se poser pour écouter tous les détails, toutes les strates, etc. Encore une fois, on en revient à cette idée de musique humaine. J’essaye de faire de ma musique un miroir de la vie et de l’humanité, à notre manière.

« Je n’ai jamais eu cet esprit de divertissement vis-à-vis de l’industrie musicale. J’ai toujours respecté Kiss en tant que groupe et personnes, et tous ceux qui les aimaient, mais Kiss ne m’a jamais attiré. Je n’en vois pas l’intérêt. Oui, bien sûr, ils ont quelques chansons sympas, des vieux classiques que j’aime beaucoup, absolument, mais tout le spectacle, ces grandes chaussures, les flammes, etc. je ne capte pas, désolé ! Je trouve ça juste stupide ! [Rires] »

On retrouve dans l’album une chanson intitulée « Afar » et il termine sur une autre intitulée « Northward ». Il y a donc cette idée de mouvement, de toujours aller plus loin. Même si le Nord est ton foyer, as-tu l’impression de ne jamais être suffisamment au nord ?

[Rires] Oui, peut-être, parfois. Ma femme vient du nord de la Norvège, donc il nous arrive d’aller encore plus au nord. Encore une fois, ma musique doit ressembler à la vie et je pense que l’un des éléments les plus cruciaux concernant les gens est que l’on marche en avant, pas en arrière, si tu vois ce que je veux dire. C’est dans notre ADN de faire un pas en avant. C’est l’une des choses les plus précieuses concernant l’humanité : on est capables d’évoluer, de progresser, de trouver de meilleures solutions, de planifier, de chercher des choses, d’explorer des choses… On ne retrouve pas ces mêmes notions dans le royaume animal, par exemple. Je trouve ça intéressant d’essayer de comprendre ce qui nous rend différents des animaux, ce qui nous rend humains, et ça, ça en fait partie. Au dix-huitième siècle, [Robert Falcon] Scott et [Roald] Amundsen ont essayé d’atteindre le pôle Sud. Qui les a obligés à le faire ? Je veux dire, comment a-t-on une telle idée au dix-huitième siècle ? Les gens n’avaient pas énormément à manger, la technologie n’était pas très avancée, etc. Malgré tout, les gens voulaient repousser les limites, se dépasser et gravir des montagnes encore plus dangereuses. Pourquoi fait-on ça ? Car la chose la plus prudente à faire dans ce monde, ce n’est pas de gravir une montagne, c’est de faire un feu de camp au pied de celle-ci, manger, s’amuser et peut-être boire une mousse, mais il y a des gens qui choisissent de dire : « Même si je suis actuellement en sécurité et que peut-être je pourrais me tuer à gravir cette montagne, il faut que je le fasse. » Je trouve très intéressant cet état d’esprit qui caractérise l’humanité et cette notion est intrinsèque à notre mentalité musicale. C’est ainsi que j’essaye d’aborder ma musique. Comme je le disais, nous essayons de prendre des risques, de gravir de nouvelles montagnes, des montagnes encore plus abruptes, nous essayons de prendre des décisions musicales un peu « dangereuses », mais très souvent, ça paye !

La fin de la chanson « Summits » est très émotionnelle, avec la façon dont Vortex chante la phrase : « I carry my history bold and serene » (je porte mon histoire, avec audace et sérénité, NdT). A quel point est-ce que ça a été important pour toi de porter ton histoire avec toi, en tant qu’homme et en tant que groupe ?

Je ne pense pas que ce soit une question d’importance, car c’est la base de qui je suis. Je me tiens sur les épaules de mon père et lui se tenait sur les épaules de son propre père. On vient tous de quelque part. J’ai grandi dans cette région. Evidemment, je n’y ai pas vécu toute ma vie, mais quand je suis devenu adulte et que j’ai eu des enfants, nous avons décidé d’y retourner parce que j’ai l’impression que c’est ma place dans ce monde, c’est là que je connais tout, pour ainsi dire. Le truc, c’est qu’il faut se construire sur un socle. C’est aussi quelque chose de très naturel et humain.

J’ai lu que tu écoutais les précédents albums de Borknagar avant d’en écrire un nouveau : as-tu besoin de voir d’où tu viens pour savoir où tu vas ?

Oui, je crois. Ça fait partie de la beauté de la vie mais aussi dans la musique. Tu as ton sac à dos avec ton éducation et tout le reste. Peu importe ce que c’est, certains ont une super éducation, d’autres non, mais ça te façonnera et tu conserves ce sac à dos en avançant. C’est mon analogie pour à la fois la vie et la musique. Pour moi, c’est très important de garder les racines musicales du groupe, mais c’est tout aussi important de faire un pas en avant, gravir une nouvelle montagne, et ainsi de suite. Encore une fois, la dualité entre le passé et le futur est importante. Je suis quelqu’un qui se projette en avant ; je crois, sincèrement, que c’est la manière la plus humaine de se comporter, que ce soit avec la musique, la politique, etc. On est fait pour se projeter en avant et aller plus loin, pas pour traîner à ne rien faire. Donc oui, c’est une mentalité ou une approche très importante pour moi.

Je crois avoir lu aussi que par le passé tu avais de nombreux albums de prêts à l’avance. Est-ce toujours le cas ?

Plus autant qu’avant, je dois l’admettre, mais oui, toujours un petit peu, parce que j’ai fait ça toute ma vie, donc j’écris tout le temps de la musique à un certain niveau. J’ai toujours des riffs. Encore une fois, je me projette toujours en avant. Dans le temps… J’ai encore deux ou trois albums que nous n’avons jamais enregistrés, datant du milieu des années 2000. Je ne suis plus aussi fonceur, peut-être que c’est l’âge [rires]. Je ne peux plus suivre le rythme que j’avais à vingt-cinq ans.

Tu penses que vous pourriez un jour enregistrer certains de ces albums que vous n’avez jamais enregistrés ?

Peut-être, on verra, mais le truc, c’est qu’honnêtement, pour moi, la musique est comme de la viande fraîche. Je ne ressens pas la même excitation, la même implication et le même dévouement avec de vieilles musiques. Nous avons de nombreuses chansons sur mes étagères que nous n’avons jamais sorties ou enregistrées, nous en avons même qui sont mixées et terminées que nous n’avons jamais utilisées. Je ne suis pas très fan de ça, parce que pour moi, la musique doit être fraîche. Je n’aime pas trop manger de la vieille viande [rires].

« L’un de mes tout premiers concerts dans les années 90 avec mon père, c’était Pink Floyd à Oslo. Ce qui m’a fasciné était que David Gilmour était là sur scène à jouer de la guitare en jeans et t-shirt. C’était un mec tout à fait normal qui faisait de la musique incroyable ; pour moi, c’était au-dessus tout. Il peut jouer une seule note et tout le monde est ébloui. Ce genre de qualité musicale, cette brillante simplicité, est ce que je recherche. »

Borknagar a été étiqueté black metal mais, comme tu l’as dit tout à l’heure, vous vous êtes très vite distingués de la scène black metal, et tu as déclaré : « C’est la raison pour laquelle nous avons un nom qui ne signifie rien. C’est aussi pourquoi je n’ai jamais utilisé de corpse paint ou autre chose que nos vrais noms. Ça fait partie de ma grande quête d’honnêteté dans la musique. » Penses-tu que les groupes qui ont utilisé du corpse paint et des pseudonymes ne faisaient pas toujours une musique cent pour cent honnête et avaient des arrière-pensées au-delà de la musique ?

Je ne sais pas, et franchement, je me fiche un peu de ce que font les autres. Je respecte totalement les musiciens dans ces groupes, j’en connais plein qui utilisent encore du corpse paint et s’accrochent à cette tradition du black metal, mais encore une fois, je ne me suis jamais senti comme un entertainer. Quand j’étais jeune, si quelqu’un m’avait dit : « Ton métier sera d’être un entertainer », j’aurais dit : « Va te faire foutre, ça ne m’intéresse pas. » Je n’ai donc jamais vu la musique comme : « Je veux être une rock star, je veux être sur scène et au milieu de tout. » Je n’ai jamais eu ce genre de rêve dans ma jeunesse, mais j’ai toujours été extrêmement passionné par ma musique. C’est pourquoi aujourd’hui, comme je l’ai dit, je me sens plus comme un aventurier musical qu’un musicien qui divertit. Au fil des années, ça a parfois apporté des difficultés, et parfois, ça a été une bonne chose, mais je n’ai jamais fait de compromis avec mes idées musicales. Je n’ai jamais fait quelque chose parce que quelqu’un m’a dit de le faire. J’ai toujours chéri cette liberté musicale comme étant une des grandes vertus du groupe. J’imagine que c’est juste mon approche. Je me vois différemment de la façon dont, je suppose, beaucoup de gens dans l’industrie se voient. Je n’ai jamais eu cet esprit de divertissement vis-à-vis de l’industrie musicale.

Ça peut paraître un peu dur, mais parfois je me suis demandé : « Qu’est-ce qu’il y a d’amusant à regarder un autre gars jouer de la guitare ? C’est comme un singe dans une cage, c’est quoi l’idée ? » Mais bien sûr, j’ai appris au fil des années qu’il y avait une énorme valeur et force unificatrice dans la musique. J’ai appris à aimer tout ceci en vieillissant, parce que c’est un privilège de pouvoir voyager dans le monde entier, jouer pour les gens, les rencontrer, observer la force unificatrice de la musique. C’est magnifique. Je crois juste que ma porte d’entrée dans la musique a été un peu différente de celle de beaucoup de gens. Par exemple, encore une fois, je suis peut-être un peu dur, et j’ai toujours respecté Kiss en tant que groupe et personnes, et tous ceux qui les aimaient, mais Kiss ne m’a jamais attiré. Je n’en vois pas l’intérêt. Oui, bien sûr, ils ont quelques chansons sympas, des vieux classiques que j’aime beaucoup, absolument, mais tout le spectacle, ces grandes chaussures, les flammes, etc., je ne capte pas, désolé ! Je trouve ça juste stupide ! [Rires]

C’est drôle, car quand on regarde l’histoire du hard rock et du metal, le divertissement en est une part importante. Du coup, quelles étaient tes références initiales ?

Mon vaisseau-mère quand il s’agit de musique, c’est Pink Floyd. Et bien sûr, Pink Floyd sont des maîtres du divertissement avec les jeux de lumières et tout. Malgré tout, à mon sens, ils ont un côté humain, très terre à terre. L’un de mes tout premiers concerts dans les années 90 avec mon père, c’était Pink Floyd à Oslo. Ça a eu un énorme effet sur moi, mais ce qui m’a fasciné était que David Gilmour était là sur scène à jouer de la guitare en jeans et t-shirt. C’était un mec tout à fait normal qui faisait de la musique incroyable ; pour moi, c’était au-dessus tout. Ça m’a tellement fasciné. On n’a pas besoin de maquillage, de grandes chaussures, de longues lanières, etc. pour faire de l’effet. Gilmour peut le faire en jouant simplement de sa guitare ; il peut jouer une seule note et tout le monde est ébloui. Ce genre de qualité musicale, cette brillante simplicité, est ce que je recherche. Je suis trop vieux pour me laisser berner par des trucs faciles, une grande scène de spectacle, etc. Si je trouve que la musique ne sonne pas bien ou ne tient pas la route, la quantité de pyrotechnie et d’éléments scéniques n’a pas d’importance. C’est pourquoi, les groupes comme Kiss… Oui, j’aime certaines chansons, mais je ne comprends pas pourquoi on en fait tout un foin. Désolé, je ne veux pas être méchant avec qui que ce soit [rires]. Les gens ont le droit d’écouter ce qu’ils veulent, ça ne me pose aucun problème, mais à titre purement personnel, je ne comprends pas.

Pour revenir à la citation que j’ai mentionnée : comment as-tu pensé au nom Borknagar, vu qu’il ne signifie rien du tout ?

Quand j’ai commencé, j’avais dans l’idée d’avoir un groupe qu’on ne pouvait pas définir, qui serait indépendant. Je dois l’admettre, j’ai quarante-huit ans aujourd’hui et quand je repense à 1994, quand j’avais dix-sept ou dix-huit ans, nombre des choses que j’ai faites et décisions que nous avons prises à l’époque étaient un peu puériles. Je le vois bien maintenant. Je voulais un nom qui donnait le sentiment que nous étions un groupe de metal, mais sans que ça signifie quoi que ce soit. C’était assez important pour moi. Le résultat est ce qu’il est. Je n’ai pas planifié tout ça. Mon plan s’arrêtait à un album et c’est tout.

Concernant le nom du groupe, je me souviens qu’il y a deux choses, deux histoires, deux contes, qui m’ont beaucoup inspiré quand j’étais enfant. L’un était Ronja Røverdatter (Ronya, fille de brigand) d’Astrid Lindgren, une écrivaine suédoise. En gros, ça parle d’une petite fille qui vit dans un château avec son père. Un éclair divise le château, et le bon roi vit d’un côté et le mauvais de l’autre côté. Quand elle grandit, elle doit vivre un certain temps dehors. Elle vivait seule dans la forêt et, elle a dû faire ça parce que c’était le moyen pour elle, dans l’histoire, de devenir adulte. Toute cette histoire m’a énormément inspiré quand j’étais enfant. On en a aussi fait un film dans les années 80. Et le méchant roi dans ce château divisé s’appelait Bork [rires]. Voilà donc d’où vient la première moitié du nom. Ensuite, il y a une célèbre histoire, écossaise je crois, qui parle d’un homme sur une montagne et qui m’a inspiré à l’époque, et la montagne s’appelait Lochnagar (Le Vieil Homme de Lochnagar de King Charles III, NDLR). C’est ainsi que j’ai eu cette idée de Borknagar.

Interview réalisée par téléphone le 2 février 2024 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jørn Veberg.

Site officiel de Borknagar : borknagar.com

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Myrath – Karma https://www.radiometal.com/article/myrath-karma,469576 https://www.radiometal.com/article/myrath-karma,469576#respond Wed, 06 Mar 2024 07:01:22 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469576 Myrath annonce la couleur : toute action ne tombera pas dans l’oubli sans retour de ce qu’elle a potentiellement provoqué. En effet, rien n’arrête les Franco-Tunisiens : après une année 2023 passée sur la route, offrant des concerts spectaculaires agrémentés de désormais traditionnels tours de magie, danseuses orientales, humour et surprises en tout genre, la […]

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Myrath annonce la couleur : toute action ne tombera pas dans l’oubli sans retour de ce qu’elle a potentiellement provoqué. En effet, rien n’arrête les Franco-Tunisiens : après une année 2023 passée sur la route, offrant des concerts spectaculaires agrémentés de désormais traditionnels tours de magie, danseuses orientales, humour et surprises en tout genre, la formation poursuit son ambition avec Karma, un album avec lequel elle capitalise sur ses acquis, tout en se renouvelant par petites touches. Certains partis pris décontenanceront peut-être des fans, notamment par un (très) léger recul des teintes orientales au profit d’autres couleurs qui enrichissent la palette de Myrath, à l’instar des inspirations djent (on pense même aux rythmiques très percussives de Tesseract ou Polyphia) de l’introductif « To The Stars » ou du riffing presque blues rock de « Candles Cry ». Et si les cordes en arabesques et autres ponts orientaux habilement intégrés sont toujours de la partie, un morceau tel qu’« Into The Light » va mettre en valeur des sonorités de cuivres et une élégante partie de piano.

Karma est un album digne d’une bande originale de film, une sorte d’épopée mêlant mythes et hymnes à la confiance en soi, à la responsabilisation, à la résilience et aux combats quotidiens. Des vocalises puissantes, un basse-batterie au jeu aussi efficace et groovy qu’élaboré, une guitare généreuse et des orchestrations homériques, le tout pour porter sur un piédestal des refrains comme écrits pour guider l’auditeur dans son voyage ; Karma rassemble tous les codes d’un grand roman épique accessible au plus grand nombre. Après un début de carrière franchement metal prog et une redéfinition plus commerciale avec Legacy (2016), Myrath semble désormais chercher l’équilibre entre sophistication, grandiloquence et immédiateté, et met tous les atouts de son côté pour entretenir son bon karma !

Clip vidéo de la chanson « Into The Light » :

Clip vidéo de la chanson « Child Of Prophecy » filmé le 13 septembre 2023 à Carthage :

Lyric vidéo de la chanson « Heroes » :

Album Karma, sortie le 8 mars 2024 via earMusic. Disponible à l’achat ici

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Judas Priest et le bouclier de jouvence https://www.radiometal.com/article/judas-priest-et-le-bouclier-de-jouvence,470747 https://www.radiometal.com/article/judas-priest-et-le-bouclier-de-jouvence,470747#comments Mon, 04 Mar 2024 11:31:25 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470747 La contribution de Richie Faulkner à Judas Priest en désormais treize ans et trois albums est impressionnante. Loin de faire de la figuration, et avec tout le respect qui est bien sûr dû à KK Downing, à son héritage et à son dévouement passé, le jeune guitariste a redynamisé les shows de la formation cinquantenaire […]

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La contribution de Richie Faulkner à Judas Priest en désormais treize ans et trois albums est impressionnante. Loin de faire de la figuration, et avec tout le respect qui est bien sûr dû à KK Downing, à son héritage et à son dévouement passé, le jeune guitariste a redynamisé les shows de la formation cinquantenaire et contribué à lui donner un nouveau souffle créatif en studio. La preuve avec un Firepower largement plébiscité par la presse et les fans. Pour Invincible Shield, son implication a pris encore une autre ampleur, ayant presque porté à bout de bras le processus créatif, même s’il était important d’impliquer le plus possible Glenn Tipton, malgré ses capacités diminuées en raison de sa maladie de Parkinson.

C’est donc avec Faulkner que nous nous sommes entretenus pour évoquer le dix-neuvième album de Judas Priest qui ne devrait pas décevoir, offrant une espèce de synthèse qui explore toutes les facettes du groupe, à coups de riffs puissants et de mélodies entêtantes. On y discute également de sa position particulière et de la proximité du producteur Andy Sneap avec le combo, qu’il accompagne à la guitare en live depuis six ans, complétant notre dernier entretien d’il y a quelques mois à l’occasion de la sortie du premier album d’Elegant Weapons.

« C’était important que nous ayons la créativité et l’implication de Glenn, autrement ce n’est pas Judas Priest. […] S’il enregistrait cinq ou dix pour cent d’une chanson, s’il en était content et si telle était sa contribution, alors pour moi, c’est tout ce qu’il avait à faire. Qu’il soit impliqué, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’est tout ce qui comptait. »

Radio Metal : Firepower a eu pas mal de succès. Dans quelle mesure est-ce que ça t’a mis la pression pour Invincible Shiled ? Ou n’es-tu tout simplement pas sensible à la pression ?

Richie Faulkner (guitare) : Non, tu as absolument raison. C’était la première fois que j’avais un album qui plaisait autant et ensuite, il fallait lui donner un successeur. Il est clair que ça élève le niveau, il faut faire quelque chose d’encore meilleur, qui sonne mieux, avec de meilleures chansons, une meilleure écriture, un meilleur jeu, etc. Tout ça te passe par la tête. Il faut faire quelque chose de meilleur, parce que sinon, ça n’a pas d’intérêt. Evidemment, les autres ont souvent vécu ça, avec les merveilleux classiques de la discographie, comme Screaming For Vengeance, British Steel, etc. : il fallait leur donner une suite qui soit au niveau. Ils ont donc connu ça à de nombreuses reprises, mais pour ma part, c’était la première fois que je devais gérer ce genre d’expérience, mais ça m’a poussé à… En fait, je crois que, d’une certaine façon, on le fait quoi qu’on fasse. Après Redeemer Of Souls, tu veux faire quelque chose de meilleur avec Firepower, puis tu veux faire quelque chose de meilleur avec Invincible Shield. La différence est que là, nous passions après un album qui avait été extraordinairement bien reçu, mais ça te pousse d’autant plus à faire mieux. C’est une dynamique saine et excitante.

Pour invincible Shield, vous avez voulu « conserver la même dynamique que Firepower, dans le sens où [vous vous étiez] tous réunis pour jouer les chansons en préproduction avant de les enregistrer », mais évidemment, vous avez « fait face à quelques défis avec l’emploi du temps à cause de la pandémie » et ensuite, vous avez tourné… Au final, êtes-vous parvenus à maintenir cette dynamique malgré les circonstances ? Le processus n’était-il pas un peu décousu ?

Non, ça n’a jamais donné l’impression d’être décousu. Nous avions les chansons depuis un moment, à cause de la pandémie. Nous avons écrit les bases des chansons avant celle-ci, donc nous avons passé beaucoup de temps avec elles. Certaines ont été laissées de côté, d’autres ont résisté au passage du temps. Tu as raison, après la pandémie, il a fallu que nous trouvions du temps au milieu d’un cycle de tournée, mais nous l’avons fait et, évidemment, avec les technologies modernes, on peut facilement enregistrer, sans compter que notre producteur est avec nous sur la route – c’est une position assez unique ! Andy [Sneap] nous accompagne et joue de la guitare avec nous, donc nous pouvions enregistrer des choses comme des parties de basse – parfois, nous le faisions dans des chambres d’hôtel. Evidemment, les producteurs aident à faire ce qu’il faut pour que l’album soit cohésif. Nous ne nous sommes pas réunis tous ensemble pour jouer ou enregistrer les chansons. J’étais avec Ian [Hill] quand il a enregistré certaines parties de basse, ainsi qu’avec Scott [Travis] et avec Rob [Halford]. Nous étions ensemble autant que nous le pouvions, mais Andy et parfois Tom Allom ont vraiment contribué à donner l’impression que c’était une unité cohérente. Chapeau bas à eux !

Comment va Glenn Tipton et quelle a été son implication dans cet album ? Parvient-il à surmonter à la fois sa déconnexion avec la scène et sa maladie pour écrire des chansons avec vous ?

Oui, je pense qu’il va bien. Il a des bons et mauvais jours, comme tu peux l’imaginer concernant quelqu’un atteint de la maladie de Parkinson. C’est important pour nous qu’il soit inclus et je pense que c’est également important pour lui d’être inclus, de faire ce qu’il a fait pendant tant d’années. S’il était dans un bon jour, s’il avait une idée et qu’il pouvait jouer, il le faisait. S’il était dans un mauvais jour et qu’il ne pouvait pas jouer ou enregistrer une partie, j’intervenais. C’est ainsi que nous avons géré ça, mais c’était important que nous ayons la créativité et l’implication de Glenn, autrement ce n’est pas Judas Priest.

Tu penses que c’est lui qui garantit que ça devient un album de Judas Priest ?

C’est intéressant. Evidemment, il y a Rob Halford qui chante dessus et il y a la manière dont Glenn Tipton compose et joue, puis il y a Ian Hill et Scott Travis – Scott est dans le groupe depuis plus de trente ans. Priest a un certain caractère, on sait quel est ce caractère, ça reste le même groupe : ça fait cinquante ans que Rob, Ian et Glenn sont dans le groupe. Mais avec la façon dont Glenn compose, même si ce sont des transitions entre deux parties, il peut faire quelque chose qui est peu orthodoxe et auquel je n’aurais pas pensé. Nous créons donc quelque chose ensemble : il n’aurait pas pensé à un riff que j’amène et je n’aurais pas pensé à la manière dont il l’utilise, et ça crée quelque chose de plus grand que ce que nous aurions fait individuellement. Et je crois que c’est ce qui fait Priest : les petites transformations de Glenn et les petites choses qu’il amène et rendent la chanson pas très orthodoxe. On entend toujours ça dans les albums de Priest. Encore une fois, c’est important, non seulement qu’il soit là, mais aussi qu’il communique ces idées originales et rende le tout un petit peu plus unique.

« Nous voulons créer un album varié. Tu l’écoutes, il t’envoie une mandale en pleine face, puis il se calme et t’emmène ailleurs. C’est la beauté d’un album. »

Evidemment, les parties de twin guitar sont un élément essentiel dans Judas Priest : Glenn a-t-il pu quand même enregistrer des parties et solos avec toi ?

Oui, il en a enregistré quelques-uns. Il a aussi apporté des chansons, dont certaines étaient déjà pas mal développées, comme « Sons Of Thunder » – sur laquelle il joue un solo –, « Escape From Reality » et « Vicious Circle » – je crois qu’il joue aussi un solo sur celle-ci. Comme je l’ai dit, s’il était en mesure de jouer, il le faisait, mais s’il n’était pas en mesure de le faire, je prenais le relais. Je crois que tout le monde comprend ça et est compatissant maintenant par rapport à l’état de santé de Glenn, autant au niveau des tournées qu’en studio. Sa contribution en termes d’enregistrement est difficile à évaluer précisément, mais étant donné ce qu’il affronte, s’il enregistrait cinq ou dix pour cent d’une chanson, s’il en était content et si telle était sa contribution, alors pour moi, c’est tout ce qu’il avait à faire. Qu’il soit impliqué, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’est tout ce qui comptait. Nous voulions donc simplement qu’il soit à l’aise, il n’avait pas à s’inquiéter, s’il ne pouvait pas jouer une partie, je la jouais, et nous avancions comme ça.

Tu as dit que lorsque tu composes une chanson, « c’est généralement le riff d’abord ». Dirais-tu que tout découle de ce riff initial, que c’est le riff qui fait la chanson ?

Le plus souvent, d’après mon expérience, oui. Il y a des exceptions à la règle. Je me souviens d’une fois où Rob est arrivé, il avait passé du temps dans la circulation en venant au studio, et il avait trouvé une idée de parole et de mélodie qui a donné « Bring It On » sur Redeemer Of Souls. Ça a commencé avec ça. Il l’a chanté, nous avons fait des riffs pour aller avec et nous avons créé la chanson à partir de ça. Mais je dirais que quatre-vingt-dix pour cent du temps, ça vient du riff. Tu montres une idée à tout le monde, et ensuite, Rob s’en empare avec une mélodie vocale. L’inverse arrive, mais je crois que la majorité du temps, c’est le riff qui arrive en premier.

Plus généralement, dirais-tu que le riff est ce qui définit le metal ?

Ça en fait partie. Le riff, le style vocal, l’intensité… Il y a plein de choses qui le définissent, mais le riff fait clairement partie de la constitution du metal. J’écoutais « Kill The King » de Rainbow l’autre jour et pour moi, ça c’est du metal, par la façon dont le riff est fait. On peut jouer ça aujourd’hui, avec un son plus heavy, et ça fait une chanson de heavy metal. Donc oui, le riff est tout-puissant ! Et c’est une grande part de ce qui fait que le metal est le metal.

Evidemment, le chant de Rob fait partie du son signature de Judas Priest. Durant le processus, toi et Glenn écrivez une grande partie de la musique, tandis que Rob écrit la plupart des mélodies vocales. Dans quelle mesure son chant et ses paroles influent sur la nature d’une chanson et des riffs ?

Enormément. Tu peux avoir une superbe partie musicale, mais si Rob n’est pas attiré par cette partie vocalement, alors ça n’en vaut pas la peine. C’est mieux de la ranger au placard et de revenir dessus plus tard. Parfois Rob aura des idées immédiates, parfois ça prend du temps pour trouver la bonne combinaison. Quand il tient un truc, quand il est attaché à une idée, qu’il a une mélodie et qu’il est inspiré pour écrire des paroles autour de cette mélodie, c’est là que tout prend forme. Ça peut arriver après que les riffs soient écrits – c’est-à-dire que, si tu as un riff, il trouve une ligne de chant pour aller avec –, et parfois, il a une mélodie ou une phrase… Je me souviens, sur « Crown Of Horns », il avait une mélodie et moi j’avais un riff qui était presque pareil. Nous avons donc changé un peu sa mélodie et nous avons changé un peu le riff pour qu’ils fonctionnent ensemble, et c’est devenu le refrain de la chanson. Ça peut donc fonctionner dans les deux sens. Mais si Rob n’est pas stimulé par une chanson, alors ça peut tout changer.

« Le bouclier invincible c’est notre musique, c’est notre communauté, et ce sera là éternellement. On la défendra contre vents et marrées, car on en est fiers. »

Il y en a pour tout le monde dans cet album : « The Serpent And The King » est très agressive mais aussi groovy dans son refrain, « Crown Of Horns » est très mélodique, probablement la chanson la plus FM de l’album, « Escape From Reality » est plus lente, presque doom à la Black Sabbath, « Giants In The Sky » est plus du côté épique avec son interlude acoustique… Il y a une sorte d’équilibre entre le metal direct et les rebondissements progressifs, la mélodie et l’agressivité, la lenteur et la rapidité… Dans quelle mesure était-ce délibéré d’équilibrer toutes les facettes de Judas Priest dans un seul et même album ?

C’est une bonne question. Tu trouves ce que tu trouves, et là c’est ce que nous avons trouvé, mais nous voulions qu’il y ait cette diversité et une dynamique d’un bout à l’autre de l’album. Priest a toujours eu ce genre de dynamique, en ayant une chanson comme « Touch Of Evil » qui côtoie « Victim Of Changes », « Take These Chains » qui côtoie « Turbo Lover », etc. Elles sont tellement variées, tellement différentes en termes de dynamique. Ça a posé les bases de ce que nous faisons aujourd’hui. Nous voulons créer un album varié. Tu l’écoutes, il t’envoie une mandale en pleine face, puis il se calme et t’emmène ailleurs. C’est la beauté d’un album. Mais tu prends aussi les choses comme elles viennent et tu écris ce qui te paraît convaincant, que ce soit un hymne mid-tempo comme « Crown Of Horns » ou un morceau plus rentre-dedans comme « The Serpent And The King ». Si tu trouves ça bon, tu suis cette dynamique, et à la fin, quand les chansons ont commencé à prendre forme et que tu en as entre dix et quinze, tu regardes ce que tu as, tu les mets dans le bon ordre pour créer une dynamique sur l’ensemble de l’album. Il n’y a pas de véritable ballade sur cet album. « Crown Of Horns » est un hymne mid-tempo. « Escape From Reality » est une chanson lente, mais comme tu l’as dit, c’est plus dans une veine doom à la Black Sabbath. Nous avons fait une vraie ballade, mais ça faisait partie de ces chansons que Rob ne sentait pas en tant que parolier, donc nous l’avons laissée tomber ; peut-être qu’elle ressortira un jour. C’est ainsi que nous procédons, nous faisons avec ce qui vient naturellement, puis nous voyons ce que nous avons et nous les mettons dans le bon ordre.

La dynamique est importante pour l’expérience d’écoute, mais j’imagine que c’est aussi important pour vous, en tant que musiciens, pour varier les plaisirs…

Oui, je crois. Il y a plein d’éléments différents dans la musique de Priest. L’une de mes chansons préférées est « Killing Machine », et une autre est « The Sentinel ». On retrouve cette diversité dans ce que j’aime écouter et jouer. C’est donc important pour nous, en tant que créatifs, de ne pas faire un album monotone, de ne pas faire la même chose du début à la fin, qu’il y ait des pics et des creux. C’est important pour nous, en tant que compositeurs, nous ne voulons pas constamment écrire la même chose en termes de dynamique. Nous voulons varier et vivre des expériences différentes. Tu as donc raison, ça rend l’album plus intéressant à la fois pour l’auditeur et pour nous lorsque nous sommes en train de le créer.

Est-ce qu’il y a une époque du groupe ou un type de chanson dans sa discographie qui t’attire plus ?

C’est une pensée intéressante. Je ne sais pas… Je suis un grand fana des années 80, donc je suis attiré par des choses comme Defenders Of The Faith, peut-être aussi les trucs plus années 90 de Painkiller. Mais encore une fois, ça vient naturellement. Nous ne cherchons jamais à recréer ce genre de chose. La motivation est toujours de créer quelque chose d’unique, mais le caractère de Halford, Tipton, Hill et Travis transparaîtra toujours, surtout dans la composition. Personnellement, j’ai été élevé à la musique de Priest, Maiden, Metallica, Pantera et d’innombrables choses, donc j’y mets aussi mes influences, et Priest en est une, donc ce caractère sera là et avec un peu de chance, ça prendra aussi une direction un petit peu différente et unique.

L’album démarre sur « Panic Attack », qui a également été le premier single et qui est introduit par une partie de clavier et de la batterie électronique. C’est assez surprenant, mais ça peut aussi faire penser à l’album Turbo…

C’était une idée de mélodie que j’avais d’abord à la guitare. Je l’ai ensuite joué sur un clavier et j’ai trouvé que ça sonnait bien ! [Rires] Du coup, pour aller dans cet esprit, j’ai mis de la batterie électronique – genre à la Simmons Drums. Encore une fois, je suis un enfant des années 80, donc c’est ce que j’écoute. Je suis un grand fan de synth wave, de synth pop et ce genre de choses. J’ai trouvé que c’était approprié ! Et je pense que tu as raison, la référence à Turbo a fait que ça convenait à un morceau de Priest. La signature rythmique est légèrement différente – je crois que c’est du sept-huit au début –, mais le synthé renvoie à l’expérience de Turbo, donc j’ai pensé que c’était adéquat de mettre ça en avant en tant qu’idée pour Judas Priest, et ça introduit très bien l’album. C’est aussi un petit peu différent. Généralement, l’album commence sur une autre dynamique, c’est à fond dès le début, à l’instar de Redeemer Of Souls, Firepower ou Painkiller. Là, c’était un petit différent : il y a une montée en puissance, une autre signature rythmique, et ensuite la chanson part en fracas. Encore une fois, c’est la recherche de quelque chose d’un petit peu différent de ce que nous avons fait sur le dernier album ou de ce que nous faisons habituellement. Voilà pourquoi nous avons fait ce choix d’expérience au début de l’album.

« Evidemment, tu as conscience de l’importance d’un groupe tel que Judas Priest. Quand nous sortons quelque chose, tout le monde regarde. Faire partie de ça implique une responsabilité. »

Plus tôt, tu as mentionné Andy Sneap. Ça fait six ans que vous tournez avec lui en tant que guitariste, ce qui signifie qu’il est au plus proche du groupe et qu’il vous connaît sans doute mieux que n’importe quel autre producteur. On dit qu’être un producteur, c’est être à moitié psychologue : penses-tu que sa proximité avec vous l’aide à traiter avec le groupe, et peut-être vos fortes personnalités, en studio ?

Oui, je crois. En dehors de l’aspect technique et du côté ingénieur de l’activité de producteur, je pense que l’aspect personnel est tout aussi important, si ce n’est plus. Pour obtenir des performances de la part de Rob Halford, tu fois le faire d’une façon particulière. Tu ne peux pas y aller en l’attaquant frontalement. Tu dois traiter Rob de manière à obtenir le meilleur de lui. C’est le boulot d’Andy, en plus de l’aspect technique. C’est clairement une facette de son talent. Andy ainsi que Tom Allom – qui a coproduit certains morceaux – sont des maîtres… A cinq heures de l’après-midi, Tom disait : « C’est l’heure du vin ! » Il sortait une bouteille de vin, nous en buvions tous un peu, et ça aidait vraiment à mettre en place une atmosphère où tout le monde se sentait bien et était positif. Et tu as absolument raison, Andy tourne avec nous, donc il a un point de vue unique que peu d’autres producteurs ont. Je sais que Bob Rock a joué avec Metallica avant St. Anger – il a joué de la basse et des concerts avec eux avant de faire cet album –, mais Andy a un aperçu unique de la façon dont le groupe sonne sur scène, donc ça influence probablement ses décisions et lui permet de nous aider à donner la meilleure prestation possible.

Avoir suffisamment d’autorité avec Rob Halford ne doit pas être facile…

Oui, comme tu peux l’imaginer ! Si c’était moi ou toi qui allais là-dedans et lui disais « ce n’est pas assez bon », il dirait : « Putain, mais t’es qui pour me dire ça ?! » Il faut une confiance, il faut un respect, et il faut vraiment qu’il sache que le producteur a un certain palmarès, qui fait que s’il dit que ce n’est pas assez bon, il faut lui faire confiance. Et c’est pareil avec nous tous. Le respect et la confiance, c’est une part importante. Rob respecte Andy ; nous respectons tous Andy et Tom. Quand ils disent : « Tu dois faire une meilleure prise », nous savons que c’est pour le plus grand bien, que ce sera meilleur.

A contrario, est-ce qu’il y a des inconvénients à cette proximité avec le producteur ?

C’est une bonne question. Andy et moi nous parlons tous les jours. Nous parlons de guitares, de choses qui sortent, d’amplis, de musique, etc. Nous sommes actuellement en train de travailler sur une intro pour le show. Andy est un super pote aussi. Je ne sais pas, je ne crois pas qu’il y ait d’inconvénient à avoir cette relation avec un producteur, pas pour l’instant en tout cas. Pour l’instant je n’y vois que du positif !

L’illustration de Firepower et celle de ce nouvel album sont très colorées et flashy ; ça renvoie d’ailleurs à des albums tels que Screaming For Vengeance et Painkiller. Qu’est-ce que ça dit sur là où en est Judas Priest et votre état d’esprit, collectivement, aujourd’hui ?

Tu poses de bonnes questions, mec ! Je me souviens de notre dernière interview et de tes questions qui étaient bien pensées et intéressantes, ce qui est une bouffée d’air frais de nos jours. Concernant l’illustration, c’est difficile à dire. Chacun a ses propres goûts et ses opinions en matière d’art. Quand une idée est proposée, parfois elle semble bonne – si tu vois une œuvre d’art qui reflète l’album –, et parfois pas. Là, c’était emblématique, c’était simple. Les couleurs la rendent vive. La musique de Priest a toujours été vive – comme tu l’as dit, Screaming For Vengeance, Painkiller, Defenders Of The Faith, Turbo, c’est vibrant, ça te fait du bien. Nous voulions quelque chose qui résume l’idée du bouclier invincible, qui est la communauté metal que l’on connaît et aime tous. On se tient derrière notre musique invincible. On la célèbre, on en est fiers. C’est à nous, c’est notre grande déclaration heavy metal que l’on brandit fièrement. C’est ça Invincible Shield, donc l’artwork renvoie à ça. Ça englobe tout. C’est notre musique, c’est notre communauté, et ce sera là éternellement.

« S’ils veulent continuer et faire un autre album, ils le feront. Sinon, c’est tout aussi fantastique. Ça fait maintenant plus de cinquante ans que l’on a Priest, donc ils ne nous doivent rien. »

Aurais-tu d’autres « boucliers invincibles » dans ta vie ?

La famille en est un. L’amour pour ta famille est invincible – la plupart du temps. Je pense qu’on peut appliquer cette idée à différentes choses, que ce soit la famille ou une équipe – si tu fais partie d’une équipe de football. C’est ta communauté, ton groupe, et tu ne cèderas pas. Mais la musique, pour moi, est un bouclier invincible. C’est comme Defenders Of The Faith : on la défendra jusqu’à notre mort – enfin, pas littéralement, mais on la défendra contre vents et marrées, car on en est fiers. Et c’est pareil pour la famille : on la défendra jusqu’au bout et on en est fiers.

Ceci est ton troisième album avec Judas Priest. Ressens-tu le poids de l’héritage du groupe pendant que tu construis ton propre héritage avec lui ? Est-ce contraignant ou impactant d’une quelconque façon ?

Evidemment, tu as conscience de l’importance d’un groupe tel que Judas Priest. Quand nous sortons quelque chose, tout le monde regarde. La communauté qui a adoré le groupe ces cinquante dernières années regarde. Faire partie de ça implique une responsabilité. On t’a demandé de faire partie de Priest, de jouer avec eux et de faire des albums avec eux, donc tu dois te donner à mille pour cent. Tu en as conscience, mais je ne crois pas que tu puisses laisser ça t’affecter négativement. Tu dois respecter l’héritage qui te précède et te donner à fond, comme je l’ai toujours fait. C’est tout ce à quoi tu penses. Et avec un peu de chance, tu fais de ton mieux et c’est bien reçu, et tu avances vers le futur. C’est tout ce que tu peux faire. Tu ne peux pas prédire l’avenir, tu ne peux pas l’affecter. Ça, c’est le boulot des fans, comme avec Firepower : il a été bien reçu et ils l’ont emmené là où ils l’ont emmené, dans les classements par exemple. Je crois que nous avons été dans le top cinq des albums dans le classement du Billboard, ce qui est fantastique – il y avait des albums de hip-hop, de country et de pop, et en plein milieu du top 10, il y avait du metal. Ce sont les fans qui font ça. Nous n’avons aucun contrôle là-dessus. Il faut donc juste se donner à mille pour cent, avoir conscience de ce qui s’est passé avant, pour avancer du mieux possible. C’est ma façon de voir.

Rob Halford a soixante-douze ans et a dit qu’il ne lui « restait plus que deux de ces cycles » d’albums. Y a-t-il une conscience ou une forme d’urgence au sein du groupe à cause de ça ?

Je ne crois pas qu’il y ait d’urgence, mais j’en ai clairement conscience. Quand j’ai rejoint le groupe, c’était pour la tournée d’adieu, donc à ma connaissance, ça allait être terminé. J’ai donc toujours conscience du fait qu’un jour ils raccrocheront les gants. Tant qu’ils peuvent le faire et qu’ils veulent le faire, ils le feront. Dans le cas contraire, pas de problème non plus. A cause de la façon dont j’ai intégré le groupe, c’est sûr que j’en ai conscience, mais je ne crois pas que ça crée une quelconque panique pour faire les choses. S’ils veulent continuer et faire un autre album, ils le feront. Sinon, c’est tout aussi fantastique. Ça fait maintenant plus de cinquante ans que l’on a Priest, donc ils ne nous doivent rien. On verra ce que l’avenir nous réserve !

Il y a trois générations dans le groupe : tu as la quarantaine, Rob, Glenn et Ian ont dépassé les soixante-dix ans, tandis que Scott a la soixantaine. Remarques-tu des différences générationnelles ?

Ils ont évidemment une vaste compréhension de ce qu’ils font, comparés au nouveau gamin. J’arrive et j’ai mes opinions, et eux ont un champ de vision beaucoup plus large, ils ont beaucoup plus d’expérience. Tu ne peux qu’apprendre d’eux. J’apprends et eux sont les professeurs. Donc ça, c’est différent. Leur expérience, leur manière de jouer, leur manière de penser, le fait qu’ils ont fait des choses avant… Je veux dire, ils ont édicté les règles – avec d’autres groupes – de ce style de musique. En dehors de ça, d’un autre côté, nous rions beaucoup. Nous faisons des blagues et nous faisons les idiots ensemble. Il y a donc les deux aspects : nous sommes comme des frangins, mais ce sont aussi des professeurs. On peut tous apprendre de ce qu’ils font et ne font pas. C’est un bel équilibre.

« Quand tu intègres Priest et que tu joues live avec eux, tu dois revêtir ton uniforme de super héros. »

Le cliché voudrait qu’eux soient les sages et toi le téméraire…

Je deviens vieux aussi, donc je ne suis plus aussi téméraire ! Et eux aussi s’éclatent, ils apprécient ce qu’ils font, ils adorent même. Ils sont dévoués à se donner à cent pour cent. Encore une fois, on ne peut qu’apprendre de ça et être inspiré quand on est plus jeune. Ceci dit, j’ai moi aussi une opinion qu’ils n’ont peut-être pas ; peut-être que Rob l’avait quand il a été en dehors du groupe pendant un temps. Je veux dire par là que j’ai l’opinion de quelqu’un d’extérieur regardant à l’intérieur du groupe. Eux n’ont pas ça, car ils ont toujours été proches du groupe, ils ont toujours été le groupe. Du coup, il arrive qu’ils demandent un avis… Je me souviens au tout début, Glenn me demandait mon avis parce que, justement, il disait : « Tu as un avis qu’aucun de nous n’aura, en ayant été en dehors du groupe et maintenant en en faisant partie. » Ça ne peut être qu’une bonne chose si tout le monde a des opinions différentes. Quand nous composons, nous obtenons le meilleur des opinions de chacun et ça crée quelque chose derrière lequel tout le monde s’unit. Je trouve donc que ça aide d’avoir des opinions différentes.

Nous avons parlé à Biff Byford de Saxon, avec qui vous allez bientôt tourner, et à ton sujet, il a dit : « J’avais déjà rencontré Richie quand il jouait dans le groupe de la fille de Steve Harris. Il n’avait pas vraiment la même tête qu’aujourd’hui [rires], avec ce look de dieu du rock qu’il a maintenant. » As-tu dû complètement repenser ton look en rejoignant Priest ? Était-ce obligatoire ? Est-ce que ça faisait partie du « contrat » ?

Je prends ça pour un compliment ! [Rires] On ne m’a jamais dit : « Aie l’air de ça, joue ça, etc. » Je pense que ç’aurait été le cas si j’avais fait quelque chose qu’il ne faut pas ou qui ne correspondait pas à la façon dont les choses devraient être, ils me l’auraient sûrement dit. J’ai été un guitariste blond pendant des années – et évidemment Ken était aussi blond. Je pense que si j’avais changé ça, ça aurait été faux, ça n’aurait pas été moi. On est qui on est. Je savais ce qu’était ce groupe. J’ai été élevé avec leur musique. Jusqu’à présent, j’ai consciemment voulu être moi-même en tant que musicien, c’est-à-dire un mélange de Zakk Wylde, Michael Schencker et Dave Murray. Quand tu rejoins un groupe comme celui-ci, tu dois réfléchir à ce que tu diras musicalement, en tant que guitariste. Mais en termes de look, j’ai la chance d’avoir ce visage, ces cheveux et cette bedaine de buveur de bière… Tu naît avec ça, donc tu ne peux pas y faire grand-chose. Je pense que c’était plus musicalement parlant que je me suis posé la question : « En partant de l’héritage laissé par KK Downing, que vais-je dire ? Il a créé sa propre expression, donc maintenant, que vais-faire pour respecter cette position ? » C’est plus ça que la question du look. Mais j’apprécie le fait qu’on pense que je prends soin de mon look, ça doit être une bonne chose [rires].

D’un autre côté, tu n’as pas le même look, tu ne t’habilles pas pareil, quand tu joues avec Elegant Weapons.

Non. Evidemment, Priest c’est le cuir et les clous. Ça fait partie de la marque, donc c’est important, il faut porter du cuir et des clous. Si je montais sur scène habillé pareil avec Elegant Weapons, ce serait ridicule. Il faut que nous trouvions notre propre image, de la même manière que Priest a trouvé la sienne. Voilà pourquoi. Quand tu intègres Priest et que tu joues live avec eux, tu dois revêtir ton uniforme de super héros, et alors tu fais partie de cette unité. C’est ce qui rend le groupe unique et qui fait qu’il est différent de tout le reste.

Sur un tout autre sujet, ton beau-père n’est autre que George Lynch. Quelle a été ta relation et ton histoire avec sa propre œuvre passée, avec Dokken et Lynch Mob ?

Je n’ai jamais vraiment été attentif à Dokken ou Lynch Mob. Je n’étais pas trop dans ce truc de hair metal à spandex dont, je crois, George a fait partie – j’ai vu des photos de lui en spandex et permanenté dans les années 80. Ça ne m’intéressait pas trop. Je m’intéressais plus à Maiden, Priest, Metallica, Pantera, ce genre de chose. En 1990, j’avais dix ans, donc j’étais adolescent quelques années plus tard, c’était la décennie de Pantera et Painkiller venait de sortir, donc j’écoutais plus ce genre de musique. Et avant ça, c’était UFO, Thin Lizzy, Black Sabbath, Hendrix. Je n’ai jamais vraiment écouté Dokken et Lynch Mob, mais évidemment, je savais qui était George en tant que guitariste et à quel point c’était – et c’est toujours – un musicien fantastique et unique en son genre. Il joue encore de façon assez unique. Quand tu l’entends, tu sais que c’est George. Et c’était l’un des plus grands. Il y avait [Steve] Vai, [Joe] Satriani, Randy Rhoads, George… C’était les maîtres dans les années 80, donc c’était impossible de ne pas le connaître en tant que guitariste, mais je ne m’intéressais pas vraiment à sa musique. Je le lui ai dit, il le sait, il n’y a pas de problème. On s’intéresse tous à des musiques différentes. Mais en tant que guitariste, il est fantastique !

Est-ce que tu parles guitare avec lui parfois ?

Nous ne parlons que de ça ! Nous nous envoyons des listings d’amplis, de guitares, de pédales, etc. Quand il vient à la maison, nous parlons de guitare et nous allons faire les magasins de guitare. Je vis à Nashville et il y a de super magasins de guitare, donc nous allons tout le temps à la chasse aux guitares ! Donc nous ne parlons que de ça, de guitare ainsi que de ma fille et sa petite-fille.

Interview réalisée en visio le 6 février 2024 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos live : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Judas Priest : www.judaspriest.com

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Nombreux sont les groupes qui rêvent de voir leur carrière s’étaler sur plusieurs décennies. Judas Priest a su cultiver la chance de faire durer la sienne sur déjà cinq de celles-ci et, à l’aube d’une tournée mondiale pour défendre son tout nouvel album, le groupe semble d’attaque pour ne pas écourter cette carrière tout de suite. La formation britannique présente Invincible Shield, son dix-neuvième album studio, successeur d’un Firepower salué quasi unanimement par les fans et la critique, mais sorti il y a déjà six ans. L’enjeu : maintenir le niveau et honorer les attentes particulièrement élevées. Le résultat : une œuvre à multi-facettes promettant un voyage à travers le temps et les albums ayant contribué à la légende du Priest, mais arrangée de manière à s’inscrire parfaitement dans la modernité.

Tranchant avec Firepower, plutôt que de démarrer très fort dès les premières notes, le choix a été fait cette fois-ci de valoriser une montée en puissance. « Panic Attack », premier titre et premier single, via son clavier électrifiant et sa batterie électronique, ramène l’auditeur tout droit en 1986 et l’album Turbo, fortement inspiré de sonorités synth-wave. Une entrée en matière osée, mais pas d’inquiétude, le titre s’accélère ensuite, laissant place à un riffing de guitare puissant, au style caractéristique sans qu’il n’ait pris une ride. Rob Halford y place ses vocalises immédiatement reconnaissables, toujours aussi impressionnantes avec leurs notes haut perchées. « The Serpent And The King » enchaîne et passe la seconde en matière d’agressivité. Un refrain groovy qui reste facilement en tête et un break légèrement progressif viennent apporter ce qu’il faut de dynamique. Invincible Shield est plein de petits détails et rebondissements qui entretiennent l’attention. En témoignent les longues parties de solo de l’éponyme ou « Giants In The Sky », dans la lignée épique d’un « Victim Of Changes », en plus concis, qui se voit agrémenté d’un intermède acoustique et contribue à la fraîcheur qui parcourt le disque jusqu’à la fin. Car pas le temps de s’ennuyer : le maître mot est la diversité. Invincible Shield joue avec les tempos, avec un « Devil In Disguise » plus posé mais pas moins explosif et fédérateur et, surtout, le grave « Escape From Reality » qui empiète sur le territoire doom et presque psychédélique de Black Sabbath. Fédérateurs, les plus rock « Gates Of Hell » et « Crown Of Horns » au cœur de l’album le sont indéniablement. Mid-tempo, aux sonorités FM et usant d’un thème faisant un lien presque autobiographique avec l’histoire du chanteur, ce dernier prend un air hymnique et appuie sur un message fort à faire passer.

Rob Halford déclarait lui-même au sujet des trois premiers singles dévoilés : « Ces trois chansons n’ont rien à voir les unes avec les autres. Ce sont trois chansons, mais lorsqu’elles sont reliées au reste du matériel, on obtient, une fois de plus, ce magnifique album qui définit ce que Priest fait et représente en 2024. » C’est là toute la force d’Invincible Shield, qui pioche dans toutes les teintes explorées dans la carrière du groupe, tout en créant un fil rouge grâce à ses éléments clés, que ce soit une voix particulièrement rodée ou les fameuses parties de twin guitar. Un tour de force qui démontre un peu plus que les Anglais ont eu le nez creux en optant pour Richie Faulkner en 2011 en remplacement de celui qu’on aurait cru irremplaçable, KK Downing. Judas Priest ne montre aucun signe de faiblesse, en dépit d’un Glenn Tipton désormais diminué par la maladie de Parkinson. Au contraire, avec l’aide du producteur Andy Sneap, dont la proximité avec le groupe – qu’il accompagne à la guitare sur scène depuis 2018 – est certainement l’un des ingrédients secrets de cette réussite, les forces de chacun des musiciens ont été mises à profit (y compris celles de Tipton qui apporte sa touche essentielle aux compositions et même quelques solos, comme sur « Sons Of Thunder ») et minutieusement assemblées.

Après plus de cinquante ans sur le devant de la scène, Judas Priest fait preuve d’une étonnante vivacité, à l’image de ce bouclier protecteur très coloré qui orne la pochette, symbole du heavy metal et de sa communauté. Formant un équilibre intéressant entre les diverses facettes de sa discographie, il se prête au jeu du renouveau tout en restant fidèle à ce que l’on attend de lui, et parvient à faire vivre son héritage, reprenant les codes clés du passé qu’il peaufine et nettoie de toute forme de poussière. Le Priest semble déterminé à rester un exemple jusqu’au bout…

Clip vidéo de la chanson « The Serpent And The King » :

Clip vidéo de la chanson « Crown Of Horns » : :

Clip vidéo de la chanson « Panic Attack » :

Clip vidéo de la chanson « Trial By Fire » :

Album Invincible Shield, sortie le 8 mars 2024 via Sony Music. Disponible à l’achat ici

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Bruce Dickinson en trois dimensions https://www.radiometal.com/article/bruce-dickinson-en-trois-dimensions,469334 https://www.radiometal.com/article/bruce-dickinson-en-trois-dimensions,469334#comments Fri, 01 Mar 2024 09:59:35 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469334 Cela faisait près de quinze ans que Bruce Dickinson ne s’était plus exprimé en solo ! Il faut dire que le chanteur a été particulièrement occupé avec Iron Maiden, que ce soit les albums – dont deux doubles – ou les tournées, sans compter une tumeur cancéreuse qu’il a dû faire soigner en 2015 et […]

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Cela faisait près de quinze ans que Bruce Dickinson ne s’était plus exprimé en solo ! Il faut dire que le chanteur a été particulièrement occupé avec Iron Maiden, que ce soit les albums – dont deux doubles – ou les tournées, sans compter une tumeur cancéreuse qu’il a dû faire soigner en 2015 et une pandémie en 2020. Ce n’était pourtant pas faute, toutes ces années, de préparer dans son coin un nouvel album, conceptuel qui plus est. Pour preuve, l’un des morceaux prévus pour le successeur de Tyranny Of Souls a fini par atterrir dans The Book Of Souls de la Vierge de Fer, il s’agit de « If Eternity Should Fail »… que l’on retrouve désormais dans The Mandrake Project sous une nouvelle forme et sous le titre légèrement remanié de « Eternity Has Failed ». Car oui, le tant attendu et ambitieux septième album solo de Bruce Dickinson voit enfin le jour. S’il a perdu en cours de route une partie de ses contours conceptuels, il y a gagné toute une dimension visuelle avec des clips élaborés et une série de douze comics sur l’histoire d’un certain Dr Necropolis. Surtout, c’est un album plus théâtral et plus riche que jamais que le frontman propose avec The Mandrake Project, se libérant du carcan de son groupe principal pour ouvrir ses horizons musicaux à des couleurs parfois étonnantes.

C’est un Bruce Dickinson « bondissant » que nous avons retrouvé à Paris, bavard mais sachant garder son calme, comme s’il essayait de canaliser l’énergie débordante qu’il a l’habitude de libérer sur scène, parce qu’évidemment, ça ne se fait pas d’exploser dans une salle d’interview… Reste que la fierté qu’il éprouve pour The Mandrake Project est palpable, comme s’il s’était trouvé un second souffle à l’âge où la plupart des gens partent en retraite. Il nous explique donc la genèse autant de l’album que des comics, et revient sur son sens créatif et ses sources d’inspiration.

« Je ne crois pas aux rock stars. De toute évidence, les créatifs ont des aptitudes, et c’est bien, mais le fait d’avoir une aptitude ne vous rend pas spécial. Ce n’est pas comme si vous étiez au-dessus des autres êtres humains. »

Radio Metal : The Mandrake Project est ton premier album solo en dix-neuf ans. Il était prévu qu’il sorte il y a dix ans, mais depuis, on t’a diagnostiqué un cancer de la gorge, puis il y a eu les tournées mondiales et les enregistrements avec Iron Maiden… Penses-tu qu’il fallait que le monde soit mis à l’arrêt par une pandémie pour que tu puisses enfin terminer cet album ?

Bruce Dickinson (chant) : Je pense que l’album serait sorti plus tôt si on n’avait pas eu la pandémie, mais je ne sais pas s’il aurait été aussi bon. Tout d’abord, durant la pandémie, j’ai créé la série de bandes dessinées et grâce à ça, j’ai libéré l’album de son carcan conceptuel. Je me suis dit qu’il n’était pas nécessaire que ce soit un concept album, que la musique serait l’histoire, que ce ne serait pas un concept au sens littéral, avec un scénario, un narrateur, etc. Je n’avais pas besoin de faire ça, je l’avais avec la bande dessinée. Celle-ci peut se suffire à elle-même, l’album peut se suffire à lui-même, mais les racines des deux sont liées. C’était assez libérateur, parce qu’en 2014, je songeais à faire de cet album un concept album. Je suis content de ne pas l’avoir fait, parce que ça évite d’avoir à se restreindre ; dès que tu penses « concept album », tu as un scénario, une intrigue, etc. Certaines chansons dans l’album remontent probablement à vingt-cinq ans – la dernière, « Sonata (Immortal Beloved) », a vingt-cinq ans, j’avais même oublié que nous l’avions enregistrée !

Cette chanson est d’ailleurs assez intéressante, parce que quatre-vingts pour cent du chant dessus a été improvisé en une prise. Ce n’est pas banal ! Roy était allé voir le film Immortal Beloved, dans lequel Gary Oldman joue le rôle de Beethoven. Il est revenu chez lui inspiré, il est resté éveillé toute la nuit et a créé un morceau instrumental. C’était un truc ambiant de dix minutes. Il me l’a fait écouter en me demandant ce que j’en pensais, j’ai répondu : « C’est assez inhabituel, je ne sais pas trop quoi en faire… Tu sais quoi ? Je suis d’humeur, voyons ce qui se passe si j’ouvre la bouche devant un micro. Ce sera peut-être pourri ou peu importe. » Il se trouve que ma bonne vieille imagination a commencé à s’enflammer. Je me suis imaginé au beau milieu d’une forêt obscure, je regarde autour de moi et je me mets à construire un univers, et en même temps que je vois cet univers, je chante les mots. A mi-chemin, pendant que je faisais ça, je me suis dit : « En fait, ça raconte une histoire ! Je connais cette histoire… C’est la Belle Au Bois Dormant, mais en version sombre. » Ensuite, tu peux remplir cette histoire avec d’autres personnages, et ainsi de suite. Voilà comment est née cette chanson. Nous ne l’avions pas terminée, nous l’avions laissée telle quelle. Quand j’ai refait surface après le Covid-19 et tout, je m’y suis remis. Elle faisait partie d’une liste de chansons que j’écoutais dans la voiture, en conduisant dans Los Angeles. Leana [Dolci], ma petite amie à l’époque qui est désormais mon épouse, était là : « C’est quoi cette chanson ?! » J’ai dit : « Oh, c’est quelque chose que j’ai fait il y a des années. Je ne sais pas trop quoi en faire. Ce n’est pas vraiment une chanson de metal. » Elle était là : « Ça n’a pas d’importance ! Elle est géniale ! Elle est tellement émouvante ! » « Tu trouves ? » « Oui, si tu ne la mets pas dans l’album, je te quitte ! » [Rires] Elle avait parfaitement raison.

Même si certaines chansons de l’album ont été écrites à vingt-cinq ans d’intervalle et d’autres à cinq minutes d’intervalle, toutes semblent s’assembler pour former une histoire ou plutôt un voyage – je décrirais ça comme un voyage musical. Ça a un effet sur les gens. Si on se pose pour écouter l’album en entier, dans l’ordre, au moment où on arrive à la fin, la plupart des gens sont pas mal émus. C’est rare de nos jours de trouver ça dans la musique, donc j’en suis très fier, même si je ne savais pas que c’est l’effet que ça allait produire – ce n’est pas quelque chose qu’on peut fabriquer.

Qu’est-ce que raconte cette chanson finalement ?

Il y a plein de choses dedans. Il y a notamment l’idée que les femmes sont toujours des figures tragiques, parce qu’elles tentent frénétiquement de conserver ce qu’elles pensent être leur beauté. J’en ai parlé avec Leana, je lui disais que les gars ne le vivaient pas de la même manière. Ça ne semble pas juste ! Les femmes ne devraient pas avoir à être considérées comme finies une fois âgées, lorsqu’elles ont perdu leur beauté, etc. A côté de ça, on voit des femmes d’une trentaine d’années courir après des hommes âgés et tu te demandes pourquoi – bon, je dirais cyniquement que c’est souvent une question d’argent. C’est curieux, c’est tragique et ce n’est pas nécessaire, mais c’est un fait, les gens – et notamment les femmes elles-mêmes – ont ce mode de pensée. La chanson raconte donc cette idée d’une version tordue de La Belle Au Bois Dormant. L’homme n’est pas un prince, c’est le roi, et la femme est la reine : pourquoi veut-il lui faire un baiser et la ranimer ? Est-ce parce qu’il l’aime ? Peut-être un peu, mais c’est aussi parce qu’il a besoin d’elle, car sans elle, il n’est plus le roi. Il y a toutes ces motivations et choses différentes dans la chanson. Elles étaient toujours dans un coin de ma tête pendant que je chantais le morceau. Je ne sais pas si c’était clair, mais je pense que quand tu as ce genre de choses qui te passent par la tête et que tu chantes, le radar des gens détecte ta façon de le chanter et ils se disent : « Il se passe quelque chose ici, qu’est-ce que c’est ? » Au final, c’est tragique : « L’amour nous a amenés ici, l’amour nous déchirera. » Ainsi vont les relations amoureuses partout ; j’espère que ce ne sera pas le cas de la mienne, mais on a tous connu des ruptures, et ainsi de suite.

« Je vois la musique en trois dimensions. Quand je chante, je vois quelque chose. Je pourrais décrire un paysage, des montagnes par exemple. Parfois c’est spécifique, parfois ça ne l’est pas vraiment, mais ce n’est certainement pas linéaire. Je suis une personne visuelle. »

Tu étends tes horizons, musicalement, avec The Mandrake Project. Je pense en particulier au côté western de « Resurrection Men » et aux influences orientales de « Fingers In The Wounds ». Dans quelle mesure ça peut être un soulagement pour toi d’écrire de la musique sans avoir à te conformer à une niche ou aux éléments caractéristiques attendus de ton groupe principal ?

C’est la raison pour laquelle je fais ça ! C’est tout le but de faire un album en marge du gros groupe, c’est pour pouvoir faire ce genre de choses. Je ne critique pas Maiden, nous sommes un super groupe, mais nous avons un style très identifiable et il y a des choses qui ne conviendraient pas. En faisant un truc à la Dick Dale, Quentin Tarantino, avec des guitares façon western spaghetti et des bongos, j’étais là : « C’est quoi ce bordel ? » Mais ça fonctionne merveilleusement bien ! Puis tu dis : « Ouais, on va faire un truc à la Quentin Tarantino, avec des bongos, de la guitare surf rock, qu’on enchaînera avec des riffs à la Hawkwind, puis à des guitares stoner super heavy… » Comment ne pas aimer ? Peut-on rassembler tout ça et faire en sorte que ça fonctionne ? Eh bien, nous l’avons fait ! C’est ça le truc avec la musique, on peut penser de façon originale et réunir des éléments inattendus de façon à ce que ça divertisse ton cerveau, tes oreilles, et que tu t’amuses avec.

Pareil pour « Fingers In The Wounds ». J’ai écrit cette chanson, son riff et tout, au piano. Roy l’a traduite à la guitare. Mistheria est arrivé et a mis d’imposantes parties de clavier partout. J’ai dit : « Ouais, j’adore, c’est super. Ce sera une atmosphère qu’on n’a nulle part ailleurs dans l’album, mais faisons quelque chose de différent avec. Peut-on enchaîner sur une section un petit peu dans la veine de ‘Kashmir’ de Led Zeppelin ? » Roy a pris la suite et a mis un rythme au djembé, et Mistheria a donné un coup de main sur la partie orchestrale. Finalement, j’ai dit : « Comment va-t-on sortir de ça ? Pourquoi ne met-on pas un énorme effet de phaser sur l’ensemble, de façon à donner l’impression que tout disparaît dans un trou de vidange, et ensuite, boum, on revient directement à la chanson de départ. » On peut bidouiller des trucs, s’amuser et faire des expériences. Malgré tout, l’effet de phaser n’est pas aussi bon que ce que les gens dans le temps pouvaient faire avec des magnétophones. Il a fallu que nous simulions. J’étais là : « Martin Birch l’a fait sur d’innombrables albums et bon sang, c’était classe ! » Bref, c’était notre tentative, mais c’est clair qu’on peut s’amuser.

Soit dit en passant, le titre de cette chanson fait référence aux stigmates. Je ne suis pas très fan des influenceurs sur internet, donc l’idée était que si Jésus revenait aujourd’hui, il serait sûrement un influenceur sur internet, n’est-ce pas ? Il serait là, comme tous ces influenceurs : « Eh, je peux prouver que je suis Dieu ! Regardez, mettez votre doigt dans les plaies, vous voyez, c’est réel ! » Par conséquent, cette chanson est une sorte de regard cynique sur internet au travers de la crucifixion [rires].

Ceci est ton quatrième album avec Roy Z. Vous formez clairement une bonne équipe de travail. A ce propos tu as dit que tu te fiais à ton instinct, tandis que « pour le contrôle et l’analyse, [tu as] Roy, et c’est à cela que sert un producteur ». Cette complémentarité, ou cet équilibre entre instinct et contrôle, est-elle la clé de la création artistique ?

Ça peut l’être. Je veux dire que dans notre cas, ça l’est. Il y a toujours un équilibre entre le contenu et l’exécution. Je pourrais visualiser une peinture, mais je ne pourrais pas la peindre. Je ne sais pas dessiner. Je suis nul en peinture et en dessin, mais je peux décrire quelque chose et travailler avec quelqu’un pour qu’il le fasse. Normalement, il y a des moments d’inspiration qui se produisent et tu essayes de les capturer, les préserver et les protéger, et ensuite, tu transfères cette inspiration vers quelque chose que d’autres gens peuvent comprendre et qui peut eux-mêmes les inspirer. Car c’est une chose d’être inspiré : « Ah, ce sera génial ! » Mais si tu vas vers quelqu’un en lui disant : « Eh, écoute ça, ça va être génial ! », il sera là : « Ça sonne creux… » Toi, tu peux entendre ce que ça va devenir, mais personne d’autre ne le peut tant que tu ne l’as pas concrétisé. Il m’est si souvent arrivé d’essayer de décrire des choses à des gens et qu’ils me regardent d’un air vide en me disant : « De quoi tu parles ? T’es fou ! » Alors, je dis : « Tu sais quoi ? Laisse-moi faire. » C’est pareil, dans une certaine mesure, avec la bande dessinée. Pour faire un projet de BD sur trois ans, il faut travailler avec une équipe, car il faut le dessinateur, le gars qui fait la couverture, le coloriste, le scénariste, etc. A chaque étape, il y a des moments d’inspiration, et ensuite, il faut faire en sorte que la mécanique du projet fonctionne.

C’est très bien que je chante des chansons, mais ce n’est pas suffisant, il faut que ce soit juste. Il ne peut pas y avoir d’anarchie dans la musique, donc il faut que tu communiques clairement ton inspiration aux gens. Il y a toujours une part de compromis, mais j’essaye d’être aussi excentrique que je peux. Puis, si je suis trop fou, Roy me calmera. Mais je fais pareil avec lui quand il joue de la guitare. S’il fait un solo de guitare, il veut que je sois présent, et je serai là : « Ouais, cette version est meilleure », « Non, refais ça », « Ça, c’est vraiment cool », « Ça, c’est exagéré ». Il agit de la même façon quand je fais le chant, donc c’est cool.

« Je n’ai jamais pigé Superman. J’étais là : ‘Superman, c’est une sainte-nitouche. Pour l’amour de Dieu, prends-la, baise-la ! Allez ! Elle en a envie ! Tu es Superman, vas-y ! C’est quoi le problème ?!’ [Rires] »

« If Eternity Should Fail » était l’un des premiers morceaux à avoir été écrit pour ton album solo (tu as d’ailleurs sorti la version démo sur le single de « Afterglow Of Ragnarok »), mais ensuite, il a été réquisitionné pour Iron Maiden. On le redécouvre désormais, retravaillé, sous le nom « Eternity Has Failed » sur The Mandrake Project. C’est intéressant de voir la différence entre les trois versions ; on voit bien comment il a été « maidenisé » pour The Book Of Souls. Dans quelle mesure est-ce facile ou difficile pour toi d’accepter qu’Iron Maiden « triture » tes chansons et ta vision musicale initiale pour les adapter à son moule, pour ainsi dire ?

Il faut juste l’accepter, autrement tu ne donnerais pas la chanson. Evidemment, ça passera à la moulinette metal de Maiden et le résultat sonnera comme Iron Maiden. On ne s’attendrait pas à donner une chanson aux Rolling Stones et à ne pas l’entendre sonner comme les Rolling Stones. Donc, bien sûr, je savais que c’est ce qui allait arriver quand ils ont pris la chanson. J’étais là : « Ouais, ça ne me pose pas de problème, car je pourrais toujours me réapproprier la chanson » et c’est ce que j’ai fait. D’ailleurs, le fait d’avoir changé son titre, de l’avoir transformé en « Eternity Has Failed », ça fonctionne vraiment bien. Je n’aurais pas pu le faire si je n’avais pas d’abord écrit la BD, pour ensuite me dire que j’allais réintroduire une partie de cette dernière dans la chanson. Le groove est différent. La chanson originale avait été conçue pour être plus à la Black Sabbath, dans une veine à la « Heaven And Hell », et nous sommes retournés là-dessus. Nous avons aussi refait l’intro, parce qu’initialement, c’était fait avec un petit clavier merdique. J’ai d’ailleurs voulu remplacer ça par une vraie trompette de mariachi, comme les cuivres dans un western spaghetti. Nous n’avons pas pu le faire. Roy avait trouvé un extraordinaire flûtiste originaire du Pérou. Il est venu et a fait quelque chose de similaire, mais à la flûte. J’étais là : « Ouah, ouais, ça le fait. » Je veux dire, trompette, flûte… ça reste dans le même esprit. Ça donne l’impression d’être dans le désert ou un endroit bizarre. Nous avons mis quelques percussions aussi pour appuyer l’ambiance, pour que ça nous emmène ailleurs, que ce soit plus atmosphérique. Avec un peu de chance, on peut sentir le désert et entendre les serpents à sonnette partir au loin.

The Mandrake Project est probablement l’album le plus théâtral que tu aies jamais fait, mais le fait est que cet aspect a toujours fait partie de toi. T’es-tu toujours considéré comme étant plus qu’un chanteur et un frontman, mais aussi un conteur voire un acteur ?

Prenons d’abord le dernier mot, acteur : je pense être assez nul en tant qu’acteur. Je me décrirais comme un interprète, ce qui est légèrement différent. Quand je joue, j’essaye de vivre à l’intérieur de la chanson, je l’habite, et ensuite je la laisse sortir de ma bouche. Donc, pour revenir au premier mot, est-ce que je me considère comme un conteur ? Absolument, plus que tout. Quand j’étais en train de faire The Number Of The Beast et que j’avais vingt-deux ou vingt-trois ans, si tu m’avais posé la même question, j’aurais répondu : « Non, non, non, non, je suis un chanteur de rock n’ roll ! » Alors qu’en fait, on est avant tout des conteurs. On est une prise branchée dans le mur, les histoires sortent du mur et elles passent par soi pour atteindre le public. Quand on a fini, on débranche tout et on n’est plus que soi-même. Donc, je ne crois pas aux rock stars. Je sais que des gens y croient, parce qu’ils pensent que les musiciens de rock qui font des choses, jouent sur scène et sont créatifs sont spéciaux. Je ne crois pas vraiment qu’ils le soient. De toute évidence, les créatifs ont des aptitudes, et c’est bien, mais le fait d’avoir une aptitude ne vous rend pas spécial. Ce n’est pas comme si vous étiez au-dessus des autres êtres humains. Non. Si vous avez des aptitudes, vous devriez juste les utiliser. C’est la raison pour laquelle vous les avez. Ne dites pas : « Oh, je suis meilleur que tout le monde. » Non, vous êtes comme tout le monde, mais vous avez ces super aptitudes. Donc utilisez-les, parce que c’est amusant et parce que vous le pouvez, et parce que ça divertit un tas de gens. Vous n’êtes pas meilleur qu’eux, vous êtes comme eux. C’est mon point de vue sur la créativité et tout ça, mais je suis effectivement un conteur et j’ai fini par le comprendre parce que j’ai écrit des romans, j’ai écrit des scénarios, j’ai écrit une autobiographie – c’est une forme de narration –, j’ai fait du spoken word – encore une forme de narration – et je chante et raconte des histoires via des chansons. Même si ce n’est pas une histoire littérale, c’est une histoire musicale, c’est une histoire émotionnelle. C’est quelque chose qui vous transporte d’un endroit ou d’un état mental à un autre. C’est une histoire, un mouvement.

Tu as développé l’histoire de The Mandrake Project au travers de douze bandes dessinées, tu as aussi fait un court métrage pour « Afterglow Of Ragnarok », et évidemment, l’aspect visuel a toujours fait partie intégrante de ton travail au sein d’Iron Maiden. La musique est-elle nécessairement visuelle en plus d’être sonore pour toi ? Associes-tu toujours la musique à des visuels dans ton esprit ?

Oui, parce que c’est ma manière de penser. Si tu étais psychologue et que tu me mettais dans une machine, comme un rat de laboratoire, ce qui en ressortirait est que ma conscience visuelle et spatiale est supérieure à la moyenne. Mes capacités en mathématiques sont moyennes voire moins, ça ne m’intéresse pas vraiment, mais pour ce qui est de voir les choses en trois dimensions… Je vois la musique en trois dimensions, car elle a du son, de la texture, une mesure de temps et une existence, et elle a aussi un contexte. Tout ceci forme les dimensions de la musique. Donc quand je chante, je vois quelque chose. Je pourrais décrire un paysage, des montagnes par exemple. Parfois c’est spécifique, parfois ça ne l’est pas vraiment, mais ce n’est certainement pas linéaire. Donc oui, je suis une personne visuelle. J’adore les visuels. Si je pouvais, je ferais un mini-film pour chaque chanson de l’album, parce que ce serait marrant et que ce serait génial, et parce que quand j’écris des chansons, celles-ci intègrent une histoire. Pour chaque chanson de cet album, il y a une histoire dont je pourrais faire quelque chose, mais bien sûr, le problème auquel on se heurte est qu’il faut payer pour ça.

Je te cite : The Mandrake Project est « essentiellement l’histoire d’un gars qui cherche son identité, Dr Necropolis. C’est un orphelin, c’est un génie, et il déteste ça, et il déteste la vie, mais il est impliqué dans le projet Mandrake. » Quelle part de Bruce Dickinson y a-t-il dans le Dr Necropolis et sa recherche de son identité ? Faire partie d’une grosse machine, très identifiable, comme Iron Maiden, t’a-t-il parfois poussé à te poser des questions sur ta propre identité ?

Je dirais que ce genre de question est antérieur à Iron Maiden. Ça remonte à l’adolescence, quand on se demande : « Bon sang, qui suis-je ? Qui peut me contrôler ? Pourquoi pouvez-vous me contrôler ? De quel droit me contrôlez-vous et me dites-vous quoi faire ? » et ce genre de choses. L’un de mes personnages de comics préférés est le Surfer D’Argent. Il est très énigmatique. Il est constamment en rogne contre le monde en général. Il a été maltraité et on ne sait pas vraiment pourquoi. Il y a donc beaucoup de lui dans Dr Necropolis. A mesure que la bande dessinée avance, on découvre des choses sur le passé des gens et on comprend pourquoi ils sont comme ils sont. Ça vaut pour tous les personnages. Peut-être qu’un ou deux personnages pourraient obtenir un peu de rédemption à un moment donné, mais généralement, non, il n’y a pas d’échappatoire à ce trou merdique, c’est un univers sombre. Je n’ai pas encore vraiment décidé de la fin. J’ai plein d’options possibles.

« Quand je traverse une phase créative, je vide ma vie de toutes les choses qui sont sans aucune importance pour la création, ce qui est difficile à faire. Ça implique d’ignorer tout le monde, les e-mails, les appels téléphoniques, tout, et de rêvasser. »

Quelle a été ta relation aux bandes dessinées au fil des années ?

Quand j’étais gamin, j’avais pour habitude d’aller acheter des comics américains importés. Dedans, tout était mentionné en dollars et il y avait des publicités au milieu qui me faisaient dire : « C’est quoi ce truc ? Je ne peux pas acheter ça dans ce pays ! » Tout était un peu bizarre. J’ai assez vite été attiré par le Surfer D’Argent, Docteur Strange, les Quatre Fantastiques, la Torche Humaine que j’adorais… Je voulais être la Torche Humaine ! J’étais là : « Il peut prendre feu, il peut voler et toutes les filles veulent le sauter. Ouais, je veux être lui ! » Mais j’avais treize ans et j’étais boutonneux. J’ai passé beaucoup de temps à lire des comics anglais. On en avait un qui s’appelait Eagle, c’était plus typé cartoon. Puis il y en avait un baptisé TV21 qui était entièrement basé sur des émissions de marionnettes comme Thunderbirds et Captain Scarlet, et aussi la série Space 1999 – en France, je crois que c’était Cosmos 1999. Bref, c’était ces émissions télé et ces comics [qui m’intéressaient], plus que les comics américains.

Je n’ai jamais pigé Superman. J’étais là : « Superman, c’est une sainte-nitouche. Pour l’amour de Dieu, prends-la, baise-la ! Allez ! Elle en a envie ! Tu es Superman, vas-y ! C’est quoi le problème ?! » [Rires] Wonder Woman est fascinante. Elle ne m’avait jamais vraiment branché, mais plus tard, quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire des comics, j’étais là : « Ouah, Wonder Woman est vraiment subversive ! » C’était SM, bondage et domination féminine. J’étais là : « Ouais ! » Ça, c’était dans les années 1950. Ensuite, bien sûr, le gars s’est fait prendre, ils l’ont retiré du projet et ils ont transformé ça en ce que c’est aujourd’hui, c’est-à-dire une Wonder Woman modèle de vertu. J’aime le fait que les comics aient bouclé la boucle et soient redevenus un peu subversifs. Enfin, Metal Hurlant est super, c’est audacieux. Watchmen était un peu le grand-père qui a vraiment poussé l’idée que les comics n’étaient pas que des comics, qu’ils devaient aussi être pris un peu au sérieux. Je me suis donc inspiré de ça pour The Mandrake Project, la BD, c’était mon aspiration. Quant à savoir si j’ai réussi, ce sera au lecteur de le dire.

La vidéo de la chanson « Afterglow Of Ragnarok » commence avec une citation de William Blake, et il se trouve que Dr Necropolis se rend dans le cimetière de William Blake pour ressusciter son esprit. Déjà avec The Chemical Wedding, tu t’étais inspiré des œuvres de ce célèbre poète et peintre anglais. Que représente William Blake pour toi, d’où te vient cette fascination pour lui ?

La première peinture de Blake que j’ai vue était la pochette d’un album d’Atomic Rooster baptisé Death Walks Behind You. J’ai ouvert la pochette et il y avait le Nabuchodonosor de Blake. Ça représente le roi qui regarde en arrière et est en train de se transformer en bête, il est fou, ça représente la folie. Je ne sais pas quel âge j’avais, genre treize ou quatorze ans. Je ne savais pas que c’était une peinture de William Blake, mais j’étais là : « Ouah ! » Ça m’a vraiment parlé. Et plus tard, j’ai découvert Blake. Enfin, on l’étudie un peu à l’école, mais ce ne sont pas ses poèmes épiques qu’on y étudie, c’est : « Tyger Tyger, burning bright, In the forests of the night; What immortal hand or eye, Could frame thy fearful symmetry? » Alors que le cœur de son œuvre, ce sont les poèmes épiques. J’ai beaucoup lu sur Blake, c’était un homme vraiment extraordinaire. C’était un artiste accompli, un homme qui se fichait absolument de tout excepté la création et l’authenticité de celle-ci, ce qui faisait qu’il foutait en rogne beaucoup de monde et qu’il n’avait pas beaucoup d’argent à la fin de sa vie – pas qu’il s’en souciait. C’était un personnage extraordinaire. Selon moi, il était très certainement impliqué dans des organisations occultes, que ce soit des trucs franc-maçonniques expérimentaux, du rosicrucianisme ou quelque chose dans le genre.

Quand j’ai fait Chemical Wedding, j’ai profondément puisé dans l’œuvre de Blake pour m’inspirer. J’ai emprunté quelques-unes de ses paroles, comme dans la chanson « Chemical Wedding » : « How happy is the human soul? Not enslaved by dull control; Left to dream and roam and play; Shed the guilt of former days. » Puis, à un moment donné, j’ai rajouté des paroles à moi, mais sur le moment d’inspiration, j’ai emprunté ça à William, je suis sûr que ça ne lui pose pas de problème. Puis j’ai imaginé The Mandrake Project, la BD, et je me suis lâché avec les douze épisodes. J’ai dit : « Necropolis est obsédé par le monde des morts, l’occulte et tout, parce que son frère le torture avec une voix d’outre-tombe dans sa tête. Il doit essayer de le retrouver et de le récupérer d’une façon ou d’une autre. Il doit alors accéder au monde des morts. Il doit se trouver un guide. C’est là qu’il ressuscite l’esprit de William Blake dans le cimetière de ce dernier et lui demande l’accès à ce qu’il souhaite. » C’est ce qui se passe dans le premier épisode. Donc Blake arrive et dit : « Allez, qu’est-ce qui se passe ? Bordel, t’es qui toi ? Pourquoi m’as-tu amené ici ? » Curieusement, un journaliste américain m’a demandé : « Pourquoi Jack Nicholson… ? » J’ai dit : « Ce n’est pas Jack Nicholson, c’est William Blake. Il se trouve juste que William Blake ressemble à Jack Nicholson » [rires]. J’adore cette idée très Neil Gaiman de faire parfois descendre les dieux sur terre en tant qu’esprits guides, ou qu’ils apparaissent à l’improviste ; tu es en train de prendre ton thé et tout d’un coup, William Blake apparaît et dit : « Maintenant, écoute-moi mon pote ! » C’est un peu surréaliste, mais c’est ce que permettent les comics.

« Je n’ai pas peur du concept de mourir. Je serais extrêmement déçu ; ça me ferait chier. Pas l’idée d’être mort, mais l’idée du désagrément. Non seulement ça, mais aussi le fait de réaliser que beaucoup de gens m’aiment, que je le mérite ou pas, et que je leur enlèverais quelque chose de précieux. »

Tu as écrit la chanson « Rain On The Graves » en partie dans un cimetière, face à la tombe de William Wordsworth à Lake District. Est-ce ainsi, généralement, que tu puises ton inspiration, dans les lieux que tu visites et au contact des gens – morts ou vivants, dans la réalité, les livres ou les tombes – que tu rencontres ?

Parfois. Il n’y a pas de règle universelle pour savoir quand une idée va te tomber sur la tronche. Quand je traverse une phase créative, j’essaye de me vider l’esprit… non, en fait pas seulement l’esprit, je vide ma vie de toutes les choses qui sont sans aucune importance pour la création, ce qui est difficile à faire. Ça implique d’ignorer tout le monde, les e-mails, les appels téléphoniques, tout, et de rêvasser. Il se peut que rien ne se passe, auquel cas, il ne faut pas s’inquiéter, il faut se lever le lendemain et continuer. Soudain, tu seras dans un endroit totalement inapproprié, comme une salle d’attente à l’aéroport, et tu te diras : « Merde, j’ai une super idée ! » et tu la noteras. C’est tout. Comme je suis en pleine promotion, je sais que je ne vais pas avoir beaucoup d’idées créatives en ce moment, parce que je suis constamment occupé à parler, mais j’étais en train d’écrire avec Tony [Lee] le scénario pour le troisième épisode de The Mandrake Project ; nous étions dans un grand moment où ça bouillonnait, tout l’épisode a été plutôt bien défini. Puis j’étais là : « Ouah, et si – boum ! – pour l’épisode quatre ? » et donc maintenant, pour le quatrième épisode, nous avons des idées qui fusent dans tous les sens. Nous étions inquiets de ne pas avoir assez de matière pour le quatrième épisode. Maintenant, c’est l’inverse, il est plein à craquer. Il y a donc des moments comme ça avec les gens créatifs.

Souvent, le problème quand tu as des idées créatives, c’est de savoir où les mettre. Par exemple, avec « Rain On The Graves », la seule chose que j’ai écrite sur un bout de papier dans ma poche était : « There is rain on the graves » (Il pleut sur les tombes, NdT). C’est tout. Ça n’a pas l’air très dramatique, ça n’a l’air de rien du tout en fait, c’est juste un constat. J’ai pensé : « Il y a quelque chose là-dedans, je vais l’utiliser. Je ne sais pas quand, je ne sais pas où, mais je me souviendrais de cette phrase. » Quand nous avons fait ce morceau, j’ai repensé au cimetière et à William Wordsworth, et au fait qu’il était dans une sorte de cage ; sa tombe est dans une sorte de cage. Je me disais : « Est-ce pour le garder à l’intérieur ? Ou est-ce pour nous empêcher d’entrer ? Je me demande ce qu’il pense, si tant est qu’il pense quelque chose. Est-ce qu’il a regardé ça en se disant : ‘N’est-ce pas absurde ? Pourquoi suis-je ici ?’ » Les cimetières sont parfois des endroits sympas. Je sais qu’un comédien anglais très célèbre, un gars dénommé Frankie Howerd qui était aussi maniaco-dépressif, avait apparemment l’habitude d’aller répéter ses numéros de comédie dans des cimetières. Il s’asseyait et parlait aux pierres tombales pour voir s’il pouvait décrocher un rire [rires]. Les cimetières sont mélancoliques, mais ils sont aussi inspirants. On se sent spécial dans un cimetière, parce qu’on est vivant.

Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que l’inspiration fonctionne. Il n’y a strictement aucune règle. Je veux dire que je pourrais fixer une feuille de papier vierge pendant des années sans rien écrire, puis aller me poser dans un coin dans un Pret A Manger, boire un bol de soupe et me dire : « Ouah, cette idée est géniale ! » en regardant un tas de briques sur le mur d’en face. Mais quand je trouve une idée comme ça, parfois je suis en retard pour autre chose, car il faut que je reste dans l’endroit où je l’ai eue. Si j’ai un rendez-vous, je dis : « Non, ils peuvent attendre. J’ai une idée, il faut que je la laisse respirer un peu. » Et ensuite, je trimballe l’idée avec moi le reste de la journée et rien d’autre ne m’intéresse, ce qui est très frustrant pour les gens qui vivent une vie normale [rires].

C’est intéressant de voir à quel point la thématique de la fin, de la mort et de l’au-delà est très présente dans ce disque. Dans quelle mesure as-tu réfléchi ou médité sur ça au cours de ces dernières années ?

Pas de manière obsessionnelle, mais mon attention est sans arrêt attirée sur le fait que les gens meurent ; des gens de mon âge voire plus jeunes meurent soit de façon inattendue, soit de maladie, soit soudainement, et évidemment, j’ai connu une période, avec la frayeur du cancer, où il était possible que je quitte ce monde. Je viens de me remarier à l’âge de soixante-cinq ans et j’ai envie de vivre suffisamment longtemps pour veiller sur ma femme et diverses autres choses. Je n’ai pas peur du concept de mourir. Je serais extrêmement déçu ; ça me ferait chier. Pas l’idée d’être mort, mais l’idée du désagrément. Non seulement ça, mais aussi le fait de réaliser que beaucoup de gens m’aiment, que je le mérite ou pas, et que je leur enlèverais quelque chose de précieux. Je ne peux pas être morbide à mon égard, mais je peux le mettre dans des chansons. Même s’il y a plein de choses sur la tragédie de l’amour et autre à la fin, j’ai l’impression que les chansons mélancoliques m’ont toujours remonté le moral. Je me suis toujours senti de bonne humeur à la fin, parce que je me dis : « Tu sais quoi ? Si tu es un tel affreux salaud à la fin de cette chanson, alors ma vie n’est pas aussi mauvaise que la tienne ! » [Rires]

Interview réalisée en face à face le 12 janvier 2024 par Tiphaine Lombardelli.
Fiche de questions, retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : John McMurtrie.

Site officiel de Bruce Dickinson : www.themandrakeproject.com

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Tagada Jones – TRNT Best Of 1993-2023 https://www.radiometal.com/article/tagada-jones-trnt-best-of-1993-2023,471583 https://www.radiometal.com/article/tagada-jones-trnt-best-of-1993-2023,471583#respond Fri, 01 Mar 2024 07:31:02 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471583 Niko Jones et sa bande sont une synthèse génétique des Béruriens Noirs, des Sheriff, de Parabellum, de The Exploited, Motörhead et Bad Religion. Les rockers bretons fêtent leurs trente ans en nous balançant quinze titres de leur répertoire réenregistrés avec des arrangements d’instruments à cordes pour certains. Ils proposent également « Le Poignard », un […]

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Niko Jones et sa bande sont une synthèse génétique des Béruriens Noirs, des Sheriff, de Parabellum, de The Exploited, Motörhead et Bad Religion. Les rockers bretons fêtent leurs trente ans en nous balançant quinze titres de leur répertoire réenregistrés avec des arrangements d’instruments à cordes pour certains. Ils proposent également « Le Poignard », un titre inédit tranchant, dont la vidéo « dans ta face » vaut le détour. Ce TRNT est comme un triple uppercut dans la mâchoire (« Manipulé », « Je Suis Démocratie ») et démontre tout le talent des dauphins du rock alternatif français. Influencé par le punk (« Hold Up »), le hardcore (« Le Feu Aux Poudres »), le metal (« Thérapie ») avec des touches indus (« Le Dernier Baril » tabasse toujours autant) et un peu de dub avec un soupçon de Bad Brains (« SOS Dub »), Tagada Jones a cette originalité artistique qui fait du bien. C’est une overdose euphorisante, des paroles engagées et d’actualité sur de la musique qui fait bouger toute notre anatomie (« Nation To Nation » avec cette section rythmique massive et la hargne vocale).

Tagada Jones, ce sont également des mélodies qui restent dans la tête et scotchent de façon addictive mais positive. Le hit « Mort Aux Cons », aux vingt millions de vues cumulées sur YouTube (entre le clip et la vidéo live au Hellfest), en est la preuve musicale vivante. Les premières lignes vocales avec ses « lalala » prennent directement aux tripes, les arrangements de cordes et le lead de violon en écho au solo de La Guiche qui lui succède optimisent le titre. Autre tube, « Combien De Temps Encore », datant de l’album Le Feu Aux Poudres (2006), est revisité et rehaussé mélodiquement notamment par des violons et violoncelles qui se substituent aux lignes initiales de guitares. « Vendredi 13 », l’hommage aux victimes du Bataclan, prend une dimension encore plus mélancolique avec ses barils percutés et la douceur des instruments classiques. Trente ans après, Tagada Jones se hisse à un sommet mature rock friendly, parfaitement sculpté pour nos radios FM ou les plateformes mainstream sans renier ses origines. Le dauphin pourrait devenir roi… Qui sait ?

Clip de la chanson « Le Poignard » :

Album TRNT Best Of 1993-2023, sortie le 1er mars 2024 via At(h)ome. Disponible à l’achat ici

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Scott « Wino » Weinrich : create or die https://www.radiometal.com/article/scott-wino-weinrich-create-or-die,471581 https://www.radiometal.com/article/scott-wino-weinrich-create-or-die,471581#respond Tue, 27 Feb 2024 09:46:52 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471581 « Ce que je voudrais transmettre, c’est ma philosophie personnelle, ‘create or die’ : soit tu crées, soit tu meurs. » C’est ainsi que Scott « Wino » Weinrich résume son parcours, son avenir, bref, sa raison d’être. Vétéran du rock auquel il a dédié sa vie depuis son adolescence, Wino en incarne les principes, […]

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« Ce que je voudrais transmettre, c’est ma philosophie personnelle, ‘create or die’ : soit tu crées, soit tu meurs. » C’est ainsi que Scott « Wino » Weinrich résume son parcours, son avenir, bref, sa raison d’être. Vétéran du rock auquel il a dédié sa vie depuis son adolescence, Wino en incarne les principes, les passions et les excès mieux que personne. Que ce soit avec The Obsessed, Saint Vitus, ou Spirit Caravan, le guitariste a toujours suivi son instinct et sa créativité prolifique, en offrant au passage aux fans de metal en général et de doom en particulier toute une série d’albums incontournables. Gilded Sorrow, le dernier album de The Obsessed, s’inscrit dans cette lignée : brut, sincère, et résolument rock’n’roll.

Et brut, sincère, et résolument rock’n’roll, Wino l’est tout autant. Loquace et spontané, avec sa gouaille inimitable, il ne mâche pas ses mots, qu’ils accusent ou, au contraire, qu’ils expriment sa gratitude, celle d’avoir pu consacrer sa vie à son art et de bénéficier du soutien de ses fans. Si c’est avant tout de Gilded Sorrow et de sa genèse que nous avons parlé pendant ce long entretien, le musicien en a profité pour multiplier les digressions croustillantes et partager ses opinions sur ce qui lui tient à cœur. Au programme, donc : la musique « heavy », le sens de son art, et l’état actuel du monde…

« Je me rendais bien compte que ça faisait un moment que The Obsessed était un trio, que nous avions fait notre retour, que les gens nous avaient vus sous cette forme, et qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure. »

Radio Metal : Sacred a été un retour couronné de succès pour The Obsessed : l’album était à la hauteur de ses prédécesseurs et il a été très bien reçu. Quel était ton état d’esprit lorsque tu as commencé à travailler sur Gilded Sorrow ?

Scott « Wino » Weinrich (chant & guitare) : Il y a eu quelques changements dans le groupe, nous avons deux nouveaux membres : Chris Angleberger à la basse et Jason Taylor à la guitare. C’est la première fois que The Obsessed sort un album vraiment fait pour deux guitares, même s’il y a déjà eu des incarnations du groupe avec deux guitaristes par le passé : ça nous complète vraiment, je trouve. Nous avons travaillé très dur sur cet album et je pense qu’il rend vraiment bien, c’est super d’avoir ces nouveaux membres et ça a été vraiment agréable d’avoir les retours de Jason sur les chansons. Nous pouvons vraiment passer à l’étape supérieure, maintenant. Il y a deux guitares et tout le monde est suffisamment mature pour se rendre compte du potentiel qu’il y a là-dedans : parfois dans les groupes plus jeunes, il y a de la compétition, de l’empressement, ce genre de merde, mais ce n’est pas le cas ici. Tout est là pour que nous puissions prendre notre envol.

Pourquoi ce choix d’avoir un deuxième guitariste, justement ? Comment as-tu rencontré Jason ?

Nous avons tourné ensemble. Il est canadien, il vit à Ontario, et il jouait dans un groupe très chouette, metal, un peu prog, Sierra, qui a fait la première partie de l’un de mes groupes à plusieurs reprises. C’est comme ça que nous avons fait connaissance. J’aime beaucoup son style en tant que guitariste et c’est un mec super. Nous avons parlé de faire quelque chose ensemble pendant des années sans que cela se concrétise, puis il m’a écrit une lettre très chouette où il m’expliquait vouloir jouer dans mon groupe pour jouer ce genre de musique s’il devait choisir une chose à faire pour le reste de sa vie. Donc nous avons prévu de nous voir. Je me rendais bien compte que ça faisait un moment que The Obsessed était un trio, que nous avions fait notre retour, que les gens nous avaient vus sous cette forme, et qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure. En même temps, Jason est vraiment un très bon musicien – Chris aussi, d’ailleurs –, donc les avoir tous les deux, c’est fantastique. Nous avons essayé de nous voir et évidemment, ce putain de gouvernement nous a confinés avec cette histoire de grippe et tout ça, donc ce n’est que cinq ans plus tard que ça a pu se faire. Jason est très familier avec le versant théorique, les tablatures, etc., c’est son domaine. Ce n’est pas le mien du tout, donc c’est une très bonne combinaison.

Apparemment, il a coécrit certaines chansons avec toi ?

Oui. Pour les chansons sur lesquelles nous avons collaboré, c’est la plupart du temps moi qui ai trouvé l’idée générale, puis nous avons passé quelques semaines ensemble avant d’aller en studio où nous nous sommes occupés de la préproduction et avons enregistré les chansons avec une boîte à rythmes. C’est quelque chose que nous avons fait tous les deux : il avait quelques idées, j’avais quelques idées, et à nous deux, nous sommes parvenus à étoffer les morceaux. Nous les avons ensuite communiqués aux autres membres du groupe pour qu’ils puissent apprendre les arrangements (nous vivons tous dans des Etats différents). Ensuite, pour les répétitions, tout le monde vient chez moi. C’est là que nous vivons, travaillons, dormons ; nous faisons tout ensemble, et nous bossons. Et à partir de là, ensuite, nous partons soit en tournée, soit en studio. C’est un peu notre QG. Voilà comment nous nous y prenons.

Et qu’en est-il de Chris ? The Obsessed a eu beaucoup de bassistes différents au fil du temps…

Chris est un mec super. À la base, il est guitariste : c’est ce qu’il faisait dans son propre groupe, Tranquilizer, et dans d’autres. Il aime beaucoup AC/DC, ce genre de trucs, il est aussi dans un tribute band à Mötley Crüe… Chris est un mec très chouette, un vrai showman, et c’est exactement ce qu’il nous fallait de ce côté de la scène. Sa manière de bouger me prend toujours par surprise, et après il nous dit des choses comme : « Ce n’était pas une pirouette mais un tournoiement » [rires]… Il prend son look et sa manière de se présenter très au sérieux, c’est un entertainer et un bon musicien. Ça complète bien le reste du groupe. Il vit en Floride et vient en voiture lorsque nous répétons.

« La police de l’immigration allemande a été très cool avec moi à partir du moment qu’ils ont compris que j’avais fait quelque chose avec Lemmy. »

Entre-temps, Dave Sherman, qui était à la basse sur Sacred, est mort. Il jouait aussi dans Spirit Caravan : quels sont tes souvenirs de lui ? Qu’a-t-il apporté à ta musique ?

Dave était lui aussi une personne formidable et un bon musicien. Après ma débâcle avec une grosse maison de disques, Colombia, en Californie du Sud, j’étais vraiment abattu, je n’avais plus vraiment envie de jouer de la musique. C’est l’enthousiasme de Dave et Gary [Isom] qui m’a sorti de cette déprime. Nous avons commencé à jouer ensemble, et c’est ça qui est devenu Spirit Caravan. Dave, Gary et moi nous entendions vraiment bien et nous avons eu une chouette carrière avec Spirit Caravan, c’était vraiment notre groupe à tous les trois jusqu’à ce que nous splittions pour toutes sortes de raisons, personnelles pour la plupart – disons que nous n’étions pas tous d’accord à propos de la manière de nous y prendre, certains ne le prenaient pas aussi au sérieux que je pensais qu’ils le feraient. Ensuite, nous avons remis sur pied The Obsessed, et Sherman voulait vraiment en faire partie, même si je ne le lui avais pas demandé. Il a débarqué quand nous avons commencé à répéter et est un peu parti du principe qu’il était dans le groupe. Nous avons essayé, mais ça n’a pas vraiment marché. Sacred est la dernière chose que nous avons faite ensemble. Bref, il n’y avait rien de personnel là-dedans, mais la musique de The Obsessed ne fonctionnait pas vraiment avec Dave. Hélas, je crois que ça l’a un peu attristé. Mais avec Spirit Caravan, nous avons fait un bon bout de chemin ensemble, nous avons écrit de chouettes chansons ensemble, il a apporté de super riffs et même des chansons entières au groupe… Nous travaillions sur les chansons ensemble et avons beaucoup appris l’un de l’autre ; j’ai beaucoup appris de lui, et pas seulement musicalement. Enfin, ça lui a fichu un coup, mais ensuite il a continué avec Earthride. Il s’est investi dans ses propres projets pendant plusieurs années, mais hélas il a sombré dans une grave dépression et fini par se suicider. C’est vraiment très triste.

Sacred est sorti il y a sept ans. Ce n’est pas si long pour The Obsessed, mais c’est quand même une pause conséquente. À quel moment vous êtes-vous mis à travailler sur Gilded Sorrow ? Est-ce que son élaboration a été compliquée ?

Chacune des chansons de Gilded Sorrow a sa propre histoire, ce qui est assez marrant, et certaines d’entre elles sont très anciennes, comme « Realize A Dream », par exemple. « Realize A Dream » est l’une des toutes premières chansons que j’ai écrites il y a bien longtemps, avant même que je sois dans un groupe. Un ami avait amené chez moi un clavier avec une cabine Leslie, et après son départ, je me suis rendu compte que je pouvais brancher ma guitare à son haut-parleur rotatif : c’est comme ça que j’ai trouvé le riff de « Realize A Dream ». Je devais avoir quinze ans, à l’époque. Ensuite, Dale Flood du groupe Unorthodox en a fait une reprise. Comme je te le disais, nous avons rassemblé nos idées et nous sommes occupés des arrangements ensemble avec Jason dans son home studio par intermittence sur à peu près trois mois, puis nous avons répété tout ça tous ensemble pendant trois semaines. Ensuite, nous avons enregistré. Ça s’est très bien passé, une fois que nous nous sommes réunis, c’est allé vite. Il faut dire que les autres membres du groupe avaient pu se préparer avec les enregistrements que Jason et moi avions faits, ils n’ont pas eu à apprendre sur le tas. Dans un monde idéal – mon monde idéal, en tout cas – nous aurions pu jouer ces nouvelles chansons en tournée avant de les enregistrer. Le live permet de faire des ajustements, de trouver la meilleure façon de chanter certains passages, de rectifier ce qui coince, mais c’est un luxe que nous n’avons pas toujours. Parfois, tu passes directement de la salle de répèt au studio : c’est ce que nous avons fait pour Gilded Sorrow. Le résultat est très bien, mais ça veut dire que nous allons avoir besoin de répéter un peu plus avant de partir en tournée. Quoi qu’il en soit, je pense que ces chansons ont bien été retranscrites sur l’album. Et la prochaine fois, nous en ferons même un clip, ce qui est excitant !

Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?

Je ne peux pas en dire grand-chose parce que je ne veux pas vendre la mèche, mais ce sera à moitié du live et à moitié du studio. C’est ma femme qui s’en occupe, c’est elle aussi qui a réalisé le documentaire qui m’est consacré [Wino : The Documentary, sorti en mai 2023]. Nous avons hâte – je ne veux pas trop en parler, mais ce sera pour l’un des singles, et ce sera vraiment cool.

Vous avez à nouveau travaillé avec Frank Marchand pour la production. Tu dis dans le communiqué de presse que « ça se passe de mieux en mieux ». Comment travaillez-vous ensemble tous les deux ?

Nous travaillons ensemble depuis longtemps : il est aussi ingénieur du son pour les concerts et comme il a très bonne réputation, je l’ai embauché pour qu’il vienne sur la route avec nous, et il s’occupe de tout : il fait le manager, l’ingé son, le chauffeur… Je le connais depuis très longtemps, mais je n’avais jamais vraiment travaillé avec lui avant que nous lui demandions de s’occuper de Sacred. Lorsque nous travaillions sur cet album, c’est un ami commun qui m’a dit que je devrais bosser avec Frank pour cet album. C’était un très bon conseil : c’est très agréable de travailler avec Frank, il sait faire en sorte que l’artiste donne le meilleur de lui-même sans l’énerver, ce qui est très important. Il a ses moments, comme nous tous, ça arrive à tout le monde d’être un peu à cran en studio, mais nous avons toujours fini par nous mettre d’accord, et il a toujours été capable de faire de très bons albums. Frank ne se laisse pas emmerder, il ne se laisse pas impressionner non plus, donc c’est parfait. Il se débrouille aussi bien dans le domaine numérique que dans le domaine analogique : il doit avoir cinquante caisses claires, c’est une véritable orgie de Les Paul dans son studio… Il a tout le matos qu’il faut et de super instruments : à mes yeux, c’est une combinaison qui en général donne des enregistrements fantastiques.

« Pour moi, ‘heavy’, c’est ce qui t’inspire de la passion, ce qui te touche de manière viscérale, te prend aux tripes. »

Sacred est sorti sur Relapse, cette fois-ci Gilded Sorrow sort sur Ripple Music. Pourquoi ce changement ?

Je ne crois pas que nous avons vendu assez de disques pour Relapse. Pour être honnête avec toi, notre contrat avec Relapse était cool et ce sont des gens formidables. Mais c’est vrai que nous étions un peu des intrus, nous avons un côté un peu rock traditionnel par rapport à leurs autres groupes. Et puis à cette époque, j’avais encore des problèmes pour entrer en Europe. Je ne veux pas m’attarder là-dessus, mais j’ai été banni d’Europe pour cinq ans. Ce n’est plus le cas, ça fait cinq ans que c’est terminé. Mais la Norvège, d’où cette interdiction a été établie, ne m’a vraiment pas facilité la vie : les bureaucrates du système judiciaire ont fait traîner les choses en remplissant les papiers trop tard intentionnellement, ces enfoirés, pour que l’interdiction soit effective pendant plus que cinq ans. Personne ne savait trop ce qu’il se passait, ils ne m’ont pas tenu informé et mon avocat n’était au courant de rien. Nous nous disions : « Est-ce que l’interdiction tient toujours ? Comment ça se fait ? »

J’ai pris un vol pour l’Allemagne pour voir comment ça allait se passer. Nous avons booké quelques concerts, je me suis tapé un vol de dix heures pour y aller, un cauchemar, et une fois sur place, j’ai été incarcéré pendant dix autres heures, quelque chose comme ça, le temps qu’ils comprennent de quoi il en retournait. La police de l’immigration allemande a été très cool avec moi à partir du moment qu’ils ont compris que j’avais fait quelque chose avec Lemmy. J’ai d’abord vu ma photo dans la base de données d’Interpol : quand j’ai vu quelle photo ils avaient utilisée, où j’ai l’air complètement dingue, je me suis dit : « Oh non ! », mais ensuite est ressortie cette photo de Probot et ils ont pu voir que j’avais fait quelque chose avec Lemmy et [Dave] Grohl. À partir de là, tout s’est bien passé, ils ont été très sympas, mais nous ne savions toujours pas où était le problème, quand prenait fin l’interdiction exactement, etc. Finalement, c’est en passant par l’Islande pour jouer au Royaume-Uni qu’une dame très gentille qui était à la tête du service des douanes islandais a pu m’expliquer ce qu’il se passait. C’est à ce moment-là que j’ai appris que les papiers avaient été remplis en retard en Norvège et que ça avait prolongé l’interdiction, ce qui est complètement dégueulasse.

Bref, en tout cas, le fait de jouer en Europe faisait partie de notre deal avec Relapse, et je croyais pouvoir le faire ; en théorie, j’aurais dû pouvoir le faire, mais avec toutes ces conneries juridiques, ça n’a pas été possible. Ça a sans doute joué dans le fait que Relapse n’a pas continué avec nous. Mais ce n’est pas grave, nous avons fait ce que nous avions à faire sur Relapse. Todd [Severin] de Ripple et moi nous entendons très bien, c’est lui qui a sorti mon dernier album solo Forever Gone. Il a fait un travail fantastique, j’aime beaucoup travailler avec Claire [Bernadet, attachée de presse]… Je suis très heureux que nous soyons où nous sommes avec Ripple.

Tu as déclaré que Gilded Sorrow est la chose la plus heavy que tu aies jamais faite, ce qui n’est pas rien venant de toi. Qu’est-ce que tu entends par là ? Qu’est-ce que ça veut dire, « heavy », pour toi ?

C’est une très bonne question. Nous l’avons d’ailleurs posée à tous ceux qui ont participé au documentaire dont je parlais ; nous avons demandé à tout le monde ce que « heavy » veut dire selon eux. Je pense que « heavy », ça ne veut pas nécessairement dire super grave, super fort, juste un riff heavy qui se répète encore et encore. Pour moi, « heavy », c’est ce qui t’inspire de la passion, ce qui te touche de manière viscérale, te prend aux tripes. À mes yeux, Joy Division est un groupe heavy en raison de l’émotion qu’ils transmettent. « Heavy », c’est l’émotion, la passion, quelque chose qui me rappelle ce sentiment unique que j’ai ressenti la première fois que j’ai entendu [Black] Sabbath, que j’ai parfois lorsque je rentre dans une salle pendant les balances et que quelqu’un tape sur la caisse claire, ce moment où tu te dis : « Ça y est, c’est parti, c’est ça, la musique qu’on joue. » Ça me donne des frissons… C’est ça que ça veut dire, « heavy », pour moi. En ce qui concerne Gilded Sorrow, peut-être que j’ai dit ça en raison de son sujet, mais aussi du son super gras qu’il a. Que tu l’écoutes au casque, ou sur une bonne chaîne hi-fi analogique comme celle que j’ai, ou même dans ta voiture si elle a une bonne sono, ce disque est putain de heavy, je trouve.

« Chaque jour, on réalise un rêve – peut-être que je vais sortir de chez moi et trouver un diamant dans mon jardin, qui sait ! La question, c’est d’en avoir suffisamment envie. »

Est-ce que ce que tu considères comme heavy a changé depuis le début de ta carrière ? Entre-temps, il y a eu une vraie course à la lourdeur dans le metal…

Oui, et puis tout est vraiment putain de pesant de nos jours… Il suffit que tu sortes de chez toi. La France a été en feu toute l’année, les États-Unis sont complètement cul par-dessus tête. Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe et cette confusion fait justement partie de tout ça. Toutes ces situations actuelles sont si lourdes parce qu’il y a une petite minorité de gens qui ont tout l’argent et qui essayent de tous nous tuer. C’est vraiment pesant. Mais cela dit, en ce qui concerne la musique, mon opinion n’a jamais vraiment changé. Slayer, par exemple, est putain de heavy ; ils jouent vite et de manière chaotique, mais certains de leurs morceaux sont très lourds, je pense à l’intro de « South Of Heaven », par exemple. Ça me plaît plus que Thin Lizzy – non pas que j’aime Slayer tant que ça, ou Thin Lizzy d’ailleurs, mais certains de leurs trucs me plaisent beaucoup. Tu vois ce que je veux dire : ce qui est important, c’est l’émotion, les sensations que le son ou les circonstances provoquent.

Le titre de l’album, Gilded Sorrow [chagrin doré] met l’accent sur la tristesse, mais il y a beaucoup d’émotions différentes dans cet album. Est-ce que tu pourrais parler de ce choix de titre ?

Les paroles de la chanson « Gilded Sorrow » parlent en gros d’un humain, ou peut-être un demi-dieu, qui est amoureux d’un ange déchu. C’est une histoire qui évoque l’émotion que le narrateur ressent pour cet autre personnage. Le titre en lui-même est un peu paradoxal : « doré », c’est dans le sens où un ange que tu as acheté dans un magasin finit par s’écailler, la couche dorée disparaît parce qu’il était de mauvaise qualité, quelque chose comme ça. C’est comme la vie : d’un côté, la vie est en or, mais elle a un envers. Toutes les villes ont une face cachée plus sombre, et c’est sans doute là que nous irons jouer, si tu vois ce que je veux dire [petits rires]. À Paris par exemple, tu as d’un côté cette face très belle, avec la tour Eiffel, etc., et de l’autre, l’envers du décor, les bons vieux quartiers mal famés. Gilded Sorrow est un paradoxe, ça parle du fait que la vie est belle, mais qu’elle a aussi un aspect un peu clochard, « vagabundo ».

Plus tôt, nous parlions de « Realize A Dream », qui parle de la destinée et qui a justement eu un destin très particulier. Est-ce que ce genre de coïncidence a une signification à tes yeux ?

C’est incroyable. Je crois qu’on peut vraiment parler de… Je ne sais pas si j’utiliserais le mot « destinée », car comme je le dis dans le documentaire, c’est nous qui pouvons créer notre propre réalité, en tout cas jusqu’à un certain point. Mais dans ce cas-là, ça a vraiment été incroyable comme coïncidence : Frank a été ingénieur du son pour Unorthodox il y a des années – Dale m’avait demandé s’ils pouvaient enregistrer « Realize A Dream » et j’avais accepté. La chanson n’était pas achevée comme elle l’est sur Gilded Sorrow, mais la base, le squelette était déjà là. C’est pour cette raison que sur la version d’Unorthodox, Dale chante le couplet deux fois : parce qu’il n’y en avait qu’un, à l’époque. En tout cas, Frank se souvenait avoir enregistré cette chanson après tout ce temps, et vingt ans plus tard, alors que nous venions enregistrer Gilded Sorrow et que nous parlions des chansons qu’il y aura sur l’album, il nous a dit : « Vous devriez peut-être enregistrer ‘Realize A Dream’, cette chanson d’Unorthodox. » J’ai tout de suite fait le rapprochement, je lui ai répondu : « On en parle justement, c’est une de mes chansons que Dale a enregistrées il y a vingt ans ! » C’était vraiment unique, comme moment, une sorte de sérendipité vraiment particulière. Pour moi, ce n’est rien de moins qu’une forme de magie. J’adore ça, et puis ça peut arriver à tout moment.

« Realize A Dream » a pour moi la même signification maintenant qu’elle avait à l’époque. Je réalise mon rêve en ce moment même : je parle avec toi, cette interview va être publiée sur un média français… C’est formidable, c’est vraiment un rêve qui se réalise. Nous allons jouer en Amérique du Sud dans quelque temps (nous devions le faire plus tôt, mais le gouvernement nous a confinés, etc.) : ça aussi, c’est un rêve qui se réalise. C’est ça qui me donne mon estime de moi, qui me fait me sentir vraiment putain de bien. Chaque jour, on réalise un rêve – peut-être que je vais sortir de chez moi et trouver un diamant dans mon jardin, qui sait ! La question, c’est d’en avoir suffisamment envie. Est-ce que tu as vraiment faim ? Parfois, les gens me disent : « Il y a cette super salle de répèt’, nous aimerions y aller mais ce n’est pas dans nos moyens… » Il ne faut pas dire ça ! Tu trouves le fric d’une manière ou d’une autre, et tu y vas : c’est ça, avoir la dalle.

« Si un jour je suis absolument content de quelque chose à cent pour cent, c’est qu’il y a un souci [petit rire]. »

Je me demandais justement comment c’était de chanter ces paroles que tu as écrites il y a si longtemps…

D’une certaine façon, je ne l’ai pas encore fait puisque cette chanson n’a jamais été jouée en live. Dans trois semaines, quand les mecs viendront chez moi pour répéter, nous allons l’inclure, et ce sera la première fois que je la jouerai et chanterai depuis le studio. Je ne l’ai jamais… Attends, en fait si : Dave Sherman et moi l’avons jouée en acoustique en première partie de Clutch il y a une quinzaine d’années. Mais tu vois ce que je veux dire : je ne l’ai jamais vraiment chantée dans sa version actuelle, et j’ai hâte de le faire. Ça aussi, c’est un rêve qui se réalise.

Est-ce que tu considères que la version live est la version ultime d’une chanson ?

Oui, mais aussi la version enregistrée, en fait. Pour « Realize A Dream », c’est Jason qui a créé l’intro du morceau, et après avoir enregistré la voix, tout en dernier, j’ai eu l’idée de placer le premier couplet dans l’intro, et ça a fonctionné à la perfection. Nous avons un peu expérimenté en studio, et maintenant, c’est ça qu’est devenue la chanson. Maintenant, c’est du concret. J’en suis très content, c’est vraiment chouette de pouvoir sortir une chanson d’autrefois que personne n’avait entendue jusqu’à maintenant. C’est la même chose pour « Yen Sleep », l’avant-dernière chanson (la dernière avec des paroles) : celle-là, c’est une vieille chanson dont nous avions fait une demo à l’époque de The Obsessed où Guy Pinhas était à la basse – c’est un Français, celui-là, j’en profite pour lui dire d’aller se faire foutre – et elle a fini sur Incarnate, le disque sorti par Southern Lord. Quand Jadd Shickler du label américain Blues Funeral m’a demandé si je voudrais lui donner les droits d’Incarnate, j’ai accepté, mais à la condition qu’il y ait un addendum au contrat stipulant que je réenregistrais « Yen Sleep ». Je trouve que c’est l’une de mes meilleures chansons, l’une des plus lourdes, elle me tient vraiment à cœur, donc je voulais vraiment la réenregistrer comme il faut. Il a accepté, et c’est pour cette raison qu’elle est aussi sur Gilded Sorrow. Je trouve que nous avons fait un super boulot, que mes camarades ont vraiment bien travaillé. Une fois l’enregistrement fait, je n’étais pas complètement satisfait, donc à la toute fin de la session, j’y suis retourné : j’ai refait le solo, et c’est seulement à ce moment-là que j’ai dit : « C’est bon, on peut la sortir. » Si un jour je suis absolument content de quelque chose à cent pour cent, c’est qu’il y a un souci [petit rire].

Il y a quelques années, The Obsessed a sorti un live d’un concert des années 1980, ainsi que quelques enregistrements de cette période-là, Concrete Cancer. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?

Notre contrat avec Relapse comprenait Sacred, mais aussi les droits de notre premier album (le violet) et de démos. Nous voulions vraiment leur donner tout ce dont ils auraient besoin pour pouvoir offrir une version deluxe vraiment chouette. J’ai donc regardé ce que j’avais et leur ai donné toutes les démos que nous avions enregistrées et qui me semblaient de suffisamment bonne qualité. Pour être tout à fait honnête, si l’un de mes camarades me disait qu’il avait envie de jouer « Concrete Cancer » lors de notre prochaine tournée, je pense que j’accepterais parce que j’adore cette chanson, elle a toujours beaucoup de puissance. Nous avons aussi sorti The Big Dipper, un concert qui lui aussi date d’il y a longtemps. La production est un peu bizarre si tu ne l’écoutes pas à fond, mais la raison pour laquelle je l’ai sorti malgré cela, c’est que c’était le dernier concert de ce line-up, avant que notre batteur entre en école d’art. C’était un concert vraiment unique : cette setlist et ces chansons forment un instantané très précis de ce qu’était The Obsessed à l’époque. Après, il y a eu beaucoup de changements dans ma vie, ça marque donc la fin d’une époque avant que nous passions à autre chose. Toutes ces chansons ont une signification particulière pour moi, je les trouve vraiment intemporelles. À chaque fois que nous nous voyons, les autres membres du groupe me demandent de jouer ces vieilles chansons plus rapides qui datent de l’époque punk, comme « Sittin On A Grave » par exemple. Peut-être que vous verrez un peu plus de ça à l’avenir, mais si c’est le cas, il faudra vraiment que ce soit réenregistré bien mieux et que le son soit à la hauteur. Je ne vais pas sortir des trucs de qualité médiocre juste pour me faire de l’argent.

Revenons au nouvel album : « Stoned Back To The Bomb Age » tient son titre d’une citation qui date de l’époque de George W. Bush…

Je vais expliquer ça plus clairement. Lorsque l’Amérique a envahi l’Afghanistan… Nous avions des personnes vraiment mauvaises au pouvoir à cette époque-là. C’est toujours le cas d’ailleurs, elles portent juste une couleur différente, c’est un autre genre, mais c’est toujours la même chose. Nous avons été gouvernés par des cartels depuis l’époque de Kennedy. Je déteste ces putains de gouvernements – à l’époque où George Bush était au pouvoir, je m’occupais de mes enfants, donc j’avais beaucoup de temps à tuer. Je passais beaucoup de temps dans ma voiture ou chez moi et j’écoutais beaucoup la radio. Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, y donnait régulièrement des nouvelles de ce qui se passait sur le front. Et je ne suis pas pour la guerre, mais j’aimais bien écouter ça, parfois j’ai l’impression d’être un guerrier réincarné ou quelque chose de ce genre, tout ça me fascine vraiment, même si je trouve que ce n’est pas bien. Un jour, j’écoutais ce bulletin d’information et ce n’était pas Rumsfeld qui parlait, mais Richard Armitage, son suppléant. Il a dit : « Si le Pakistan s’implique dans cette guerre, on les bombardera jusqu’à ce qu’ils retournent à l’âge de pierre [we’ll bomb them back to the stone age]. » J’ai trouvé ça incroyablement brutal. Ça sonnait comme un bon mot qu’il avait prévu à l’avance – j’ai trouvé ça vraiment dingue et violent, ça m’a vraiment marqué.

« L’objectif, c’est toujours de faire de la musique qui enrichit la vie des gens, et tu n’enrichis pas la vie des gens avec des trucs négatifs. les gens nous décrivent comme un groupe de doom metal, mais moi, je nous vois comme un groupe de hope metal. »

Quelques années plus tard, j’étais en train de m’amuser avec une petite mélodie quand j’ai eu l’idée de renverser ce slogan : « stoned back to the bomb age » [petit rire]. Ce qui est marrant, c’est que nous nous sommes dit que nous allions fouiller dans les archives de la radio pour retrouver la citation originale et l’inclure dans la chanson, mais nous ne l’avons pas trouvée. Par contre, nous avons trouvé un autre suppléant du secrétaire à la Défense bien plus ancien qui disait la même chose ! Donc Armitage lui a juste piqué son idée [rires]. Je trouve ça vraiment putain de drôle. Enfin, c’est comme ça que cette chanson est née. Je me suis juste dit que j’allais retourner cette citation que j’avais toujours en tête après tout ce temps, et que j’allais en faire une chanson vraiment heavy avec une touche d’humour – peut-être pas d’humour, mais d’ironie, disons.

Tu t’inspires manifestement du monde qui t’entoure, et comme tu le disais plus tôt, en ce moment, tout semble plutôt sinistre. Lors de notre dernière discussion, tu disais que tu espérais que Sacred soulagerait un peu ses auditeurs, les aiderait à aller mieux, à garder le cap. Est-ce que tu as toujours ça à l’esprit quand tu écris ? Est-ce que tu essaies toujours d’avoir un impact à ce niveau-là ?

Toujours, c’est toujours ça, l’objectif, et c’est aussi comme ça que les gens le perçoivent. Mon objectif n’est absolument jamais de faire que les gens se sentent tristes, ni de créer des dissensions ou des querelles. L’objectif, c’est toujours de faire de la musique qui enrichit la vie des gens, et tu n’enrichis pas la vie des gens avec des trucs négatifs. Si tu es un fervent sataniste qui adore regarder des gens ou même des enfants se faire tuer, bon, je ne crois pas que tu pourras m’apporter grand-chose d’inspirant. C’est complètement l’opposé. Comme je le dis dans le documentaire : les gens nous décrivent comme un groupe de doom metal [metal fataliste], mais moi, je nous vois comme un groupe de hope metal [metal plein d’espoir]. Pourquoi je me lèverais le matin, sinon ? Je trouve que j’ai une attitude plutôt positive dans l’ensemble, même si on m’appelle « Docteur Doom » et que parfois les gens qui m’entourent sont un peu inquiets et trouvent que je m’intéresse trop à ce qui se passe dans le monde. Et je les comprends, je ne veux pas faire déprimer qui que ce soit, je veux juste rester un peu sur mes gardes. C’est important pour moi de savoir ce qu’il se passe – qui sait, un jour, il faudra peut-être que je sois en mesure de pouvoir prendre la poudre d’escampette rapidement. Pour le moment, la liberté d’expression existe : il faut que nous l’utilisions pour la défendre avant qu’elle nous soit ôtée.

Beaucoup des chansons que j’écris sont très personnelles, d’autres parlent des gens qui sont dans ma vie… Parfois, elles parlent seulement d’un sentiment que j’ai – peut-être de personnes en particulier, parfois de mes relations avec elles. Parfois, elles évoquent avec beaucoup de précision une personne que j’aime, ou qui m’a touché d’une manière ou d’une autre. Et parfois, c’est plus ambigu, mais c’est toujours une sorte de commentaire sur la vie en général. Mes chansons parlent de mes croyances personnelles, et mes croyances personnelles, c’est que je veux le meilleur pour le monde dans son ensemble. Je veux que les gens soient heureux, qu’ils puissent s’exprimer, je crois dans le commerce tant qu’il est équitable, mais avec toute la merde qu’il y a en ce moment… En gros, une minorité de gens a tout le fric et en veut encore plus – ils veulent tout, parce qu’ils pensent qu’ils sont mieux que nous. Ils pensent que comme ils ont tout cet argent, ils peuvent prendre des décisions qui impactent le monde entier. Et pour être honnête, je pense qu’une telle richesse, qu’un pouvoir illimité, ça crée une sorte de perversion. Tu entends souvent dire que ces gens super riches qui peuvent avoir tout ce qu’ils veulent ont des appétits sexuels particulièrement tordus et étranges, par exemple. Il y a plein de philosophes qui l’ont dit avant moi, et avec plus d’éloquence : en gros, le pouvoir absolu finit par corrompre absolument. Les choses vont dans cette direction, mais nous allons le combattre du mieux que nous pouvons. Nous allons en parler, et s’il le faut, nous battre.

Je trouve les Européens très inspirants de ce point de vue-là, les Français notamment : vous tenez tête à votre gouvernement ! Quand il vous étrangle, bordel, vous descendez dans la rue ! Peut-être que des trucs sont cassés, peut-être qu’il y a des tirs, mais je trouve ça vraiment inspirant : il devrait y avoir un rapport de pouvoir équilibré entre le gouvernement et le peuple. En ce moment, ce n’est pas équilibré du tout, et ça va de pire en pire. J’ai l’impression que les gens commencent à se réveiller, je vois les gens devenir plus éveillés autour de moi (plus éveillés, pas « woke » [petits rires]), mieux informés sur ce que le gouvernement devrait faire. C’est ce que j’espère, en tout cas, il est temps, parce que tout va très vite, désormais. Je suis content d’avoir cette opportunité de faire entendre ma petite voix et de donner mon petit avis, parce que c’est tout ce que j’ai et je trouve ça vraiment important.

« Je trouve les Européens très inspirants, les Français notamment : vous tenez tête à votre gouvernement ! Quand il vous étrangle, bordel, vous descendez dans la rue ! Peut-être que des trucs sont cassés, peut-être qu’il y a des tirs, mais je trouve ça vraiment inspirant : il devrait y avoir un rapport de pouvoir équilibré entre le gouvernement et le peuple. »

Tu en as déjà un peu parlé : un documentaire sur toi est sorti récemment. Il a été réalisé par ta compagne Sharlee Patches. Je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir, mais qu’est-ce que tu peux nous en dire ?

Je trouve que c’est une description plutôt exacte de ma carrière. Il est vraiment cool : il part du fait que j’avais besoin d’aller au Texas pour qu’un ami fasse un truc sur mesure pour ma moto – j’ai une vieille Harley, un chopper très chouette, et j’ai rencontré ce mec au Texas parce que lui aussi est fan de musique. Avec Scott Kelly, on avait fait une tournée acoustique à l’occasion d’un split que nous avions fait pour Volcom il y a un bail, et nous nous étions retrouvés à Austin, au Texas. Un mec est venu me parler, il était très branché moto et avait beaucoup de choses intéressantes à dire. Nous avons parlé de son amour de la musique, de moto, et puis au fil des ans, il est venu nous voir à chaque fois que l’un de mes groupes passait par là, et nous sommes devenus amis. Donc nous avons parlé du fait qu’il pourrait faire quelque chose pour ma moto. Et puis j’aime beaucoup le Texas, donc nous avons prévu d’y aller. C’est là que Sharlee a eu cette idée : « Et si on utilisait cette opportunité pour en faire un documentaire ? Puisqu’on va aller de la côte est au Texas, on pourrait en profiter pour s’arrêter chez tes amis à l’aller et au retour pour les interviewer… » Nous avions déjà cette idée de documentaire auparavant, mais c’est comme ça qu’elle a vraiment pris forme. Nous avons pu interviewer plein de gens très chouettes : Weedeater, Pentagram, Phil de Pantera, Jimmy Bower, même ce putain d’Henry [Rollins]… Ça a été vraiment très cool. Je trouve que ça représente bien ma carrière. Et puis tout le monde aimerait que la personne avec qui il partage sa vie fasse un documentaire sur lui, non ? [Petits rires] Je trouve le résultat très juste, nous n’avons pas pris de gants ni essayé d’arrondir les angles ou d’adoucir quoi que ce soit : c’est sans concession, toujours brut de décoffrage.

Justement : tu dis souvent que l’art, c’est ta façon de vivre, et tu incarnes vraiment le rock comme style de vie. Tu mentionnais Lemmy en début d’interview : tu es un peu le même genre de personnage. Après des décennies à vivre de cette façon, est-ce que tu aurais des choses que tu as apprises au fil du temps à transmettre ?

Ce que je voudrais transmettre, c’est ma philosophie personnelle, « Create or Die » : soit tu crées, soit tu meurs. J’ai eu le luxe de pouvoir galérer dans l’industrie musicale – et elle ne m’a pas facilité la vie, c’est le moins qu’on puisse dire ; je n’ai pas d’argent sur mon compte en banque, pas de piscine ou de voiture de sport. Les gens me disent que je suis une rockstar, peu importe : ça dépend de ce que tu entends par là. Personnellement, pendant le confinement, j’ai pu vendre mes peintures, c’est ça qui m’a permis de tenir bon. Je ne me considère pas vraiment… J’aime peindre, dessiner, faire des sculptures bizarres. Mon art est assez bizarre, je trouve ; il est parfois décrit comme primitif et je suis plutôt d’accord. En tout cas, je me considère comme chanceux parce que pour moi, c’est une bénédiction, j’ai beaucoup de gratitude par rapport à ça : j’ai la chance de pouvoir créer. C’est ma raison de vivre : la création ou la mort. C’est un ami à moi qui a trouvé ce slogan. Il est artiste, pas musicien, et vraiment cool. Ça m’a tellement plu que je lui ai demandé si je pouvais l’utiliser. J’ai fait un tableau d’un crâne qui porte un béret français et qui a un pinceau et une palette, et j’y ai écrit « Create or Die ». À mes yeux, ces peintres français incarnent vraiment bien cette philosophie. En tout cas, c’est ça, ma façon de vivre : « Create or Die », tout simplement.

Qu’est-ce qui attend The Obsessed dans les mois à venir ? Est-ce que tu penses déjà à écrire à nouveau ? Ce line-up est stable ?

Je pense, oui ; je pense que ce line-up est stable et puis je vais aussi faire un autre album acoustique. The Obsessed, c’est mon bébé, mais si j’ai un peu de temps libre, je fais des concerts acoustiques. J’adore faire ça, et puis j’ai suffisamment de chansons acoustiques prêtes pour en faire un album, donc dès que Todd de Ripple sera prêt, je me mettrai à un autre album acoustique. Je n’en ai jamais fini : j’ai toujours un prochain album ou une prochaine tournée qui se profile. C’est ça, ma raison d’être.

Est-ce que The Obsessed a une tournée de prévue, justement ?

Nous allons tourner, oui, nous allons aller en France… Un peu partout, à vrai dire. Et peut-être que je vous verrai bientôt, en fait, parce que nous allons commencer en Italie, et ensuite nous passerons sans doute les Alpes… En tout cas, nous ferons une tournée en Europe et nous allons bien nous amuser. Je veux pouvoir saluer tous ceux qui écoutent notre musique parce que c’est ça qui est important. Je suis d’ailleurs reconnaissant que tu me donnes l’occasion de diffuser le message.

OK, je vais donc te laisser le dernier mot !

Merci, c’était une super interview. Je voudrais juste rappeler que nous jouons notre musique pour que les gens se sentent mieux, pour apporter un peu de lumière. Je voudrais voir le plus de monde possible cette fois-ci, nous avons vraiment besoin de soutien. Venez nous voir, passez nous dire bonjour, amenez vos disques, je signerai tout ce que vous voulez ! Encore une fois, merci beaucoup.

Interview réalisée en visio le 1er février 2024 par Chloé Perrin.
Retranscription & traduction : Chloé Perrin.
Photos : Jessy Lotti (2 & 7).

Site officiel de The Obsessed : www.theobsessedofficial.net

Acheter l’album Gilded Sorrow.

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Bruce Dickinson – The Mandrake Project https://www.radiometal.com/article/bruce-dickinson-the-mandrake-project,471616 https://www.radiometal.com/article/bruce-dickinson-the-mandrake-project,471616#comments Mon, 26 Feb 2024 16:08:20 +0000 https://www.radiometal.com/?p=471616 Voilà dix ans qu’il se faisait attendre, et il est enfin là ! The Mandrake Project, premier album solo de Bruce Dickinson depuis Tyranny Of Souls (2005), a fini par sortir du stade de projet pour arriver à nos oreilles. Certaines des dix compositions auront même mis vingt-cinq ans à voir le jour ! Il […]

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Voilà dix ans qu’il se faisait attendre, et il est enfin là ! The Mandrake Project, premier album solo de Bruce Dickinson depuis Tyranny Of Souls (2005), a fini par sortir du stade de projet pour arriver à nos oreilles. Certaines des dix compositions auront même mis vingt-cinq ans à voir le jour ! Il faut dire qu’entre les tournées et les albums avec Iron Maiden, la pandémie de Covid-19 et les soucis de santé du chanteur, la création de cet opus n’a pas été de tout repos. Disons-le d’emblée, le résultat, comme un bon vin ayant mûri avec l’âge, n’en est pas moins exquis.

Dickinson a misé sur l’ambiance avec des riffs et arrangements qui jouent avec les crescendos. On notera également que sa voix se fait moins criarde, vraisemblablement marquée par les usages du temps, tout en appuyant sa fibre théâtrale. Le ton est donné dès l’introduction d’« Afterglow Of Ragnarok », avec un riffing ténébreux et lourd qui se répète en boucle, comme une ritournelle qui s’ancre dans les esprits. Avec une vraie diversité dans les mélodies, Dickinson, près de cinquante ans de carrière, arrive encore à marquer grâce à des titres coups de poing et terriblement accrocheurs. La seconde chanson le confirme : « Many Doors To Hell » – et son intro qui rappelle le « Rock You Like A Hurricane » des Scorpions – est un bon rock entraînant ; un pont ralentissant le rythme et parcouru par un trémolo de guitare vient apporter un peu de sensualité et de dynamique au morceau : l’art de varier les plaisirs.

Et le moins qu’on puisse dire est que les plaisirs seront variés tout au long de ce Mandrake Project, Dickinson ayant visiblement profité de cette escapade solo pour expérimenter avec de nouvelles couleurs et atmosphères, s’écartant du carcan de son groupe principal. C’est ainsi que « Rain On The Grave » associe des tonalités blues rock à des sonorités d’épouvante (rires diaboliques compris) comme pourrait le faire Alice Cooper. Le chanteur ayant toujours associé sa musique à une dimension visuelle, il va ici au bout de sa démarche : jamais celle-ci n’aura été aussi cinématographique. « Resurrection Men » et « Fingers In The Wounds » en sont la meilleure démonstration. Le premier semble tout droit sorti d’une B.O. de western spaghetti : tension et ambiance de désolation portées par une basse qui gronde et des accords de guitare acoustique, avant de partir en cavalcade. On s’imagine aisément à dos de cheval au galop, traversant le Far West pour reconquérir une liberté perdue. Il est facile d’y voir une métaphore sur une liberté artistique retrouvée et assumée, d’autant que l’artiste se plaît à surprendre, comme en atteste cette virée en contrée sabbathienne en plein cœur du morceau… C’est ensuite au Moyen-Orient que le second nous emmène lors d’un break que n’auraient pas renié les Tunisiens de Myrath, après une première partie faite d’alternances entre acoustique et symphonique.

Dépaysement garanti… qui se poursuit avec les notes exotiques et mystiques de flûte qui accompagnent l’a cappella en intro d’« Eternity Has Failed » – relecture d’« If Eternity Should Fail » présent sur The Book Of Souls d’Iron Maiden (2015), que l’on redécouvre dans une veine plus proche du « Heaven And Hell » de Black Sabbath. Influence récurrente dans l’album, du fait des éléments flirtant avec le doom et des teintes mélancoliques (la ballade lancinante « Face In The Mirror » où le piano se marie harmonieusement à la guitare acoustique), mais pas unique, puisqu’un titre tel que « Mistress Of Mercy » propose de longues plages de solo psychédélique. Le progressif et dramatique « Shadows Of The Gods » revêt même une essence quasi pink floydienne, évoquant l’intensité émotionnelle d’un « Comfortably Numb », qu’il conjugue avec un naturel déconcertant à une section centrale plus musclée aux relents légèrement hardcore. Quand on parlait de surprendre… De Pink Floyd (leads gilmouriens et nappes de mellotron notamment) et de mélancolie, voire de tristesse, il est également question sur les près de dix minutes du conclusif « Sonata (Immortal Beloved) », où Dickinson explore les profondeurs de son imagination pour livrer une performance vocale puissante, captant l’auditeur dans un tourbillon de sombres réflexions, jusqu’à faire hurler le désespoir à coups de « save me now ».

Les longues années de conception de The Mandrake Project ont de toute évidence été mises à profit, non seulement pour repenser le projet en l’accompagnant d’une série de comics et de clips élaborés, mais aussi pour approfondir et étendre les horizons musicaux de l’artiste au-delà de ce qu’il avait pu proposer jusqu’à ce jour. Bruce Dickinson s’éloigne un peu plus du heavy metal codifié d’Iron Maiden, même si la patte du groupe qu’il a contribué à façonner n’est jamais totalement effacée, notamment sur les refrains chantants dont il a le secret. De quoi apporter un peu de fraîcheur sans totalement dérouter et offrir un véritable voyage sonore créatif, évocateur d’images et émouvant.

Clip vidéo de la chanson « Rain On The Graves » :

Clip vidéo de la chanson « Afterglow Of Ragnarok » :

Album The Mandrake Project, sortie le 1er mars 2024 via BMG. Disponible à l’achat ici

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Blind Channel : « Les frontières entre les genres sont barbantes ! » https://www.radiometal.com/article/blind-channel-les-frontieres-entre-les-genres-sont-barbantes,469799 https://www.radiometal.com/article/blind-channel-les-frontieres-entre-les-genres-sont-barbantes,469799#comments Sun, 25 Feb 2024 17:30:28 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469799 Blind Channel aura-t-il, à court terme, un succès aussi important qu’Electric Callboy avec qui il a tourné par le passé ? C’est en tout cas ce que l’on peut souhaiter au groupe finlandais. Ce dernier sort son cinquième album, EXIT EMOTIONS, le vendredi 1er mars. Un disque dont la musique déjantée plaira aux fans de […]

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Blind Channel aura-t-il, à court terme, un succès aussi important qu’Electric Callboy avec qui il a tourné par le passé ? C’est en tout cas ce que l’on peut souhaiter au groupe finlandais. Ce dernier sort son cinquième album, EXIT EMOTIONS, le vendredi 1er mars. Un disque dont la musique déjantée plaira aux fans de la formation allemande précitée comme aux amateurs de la scène nu metal au sens large. Avec EXIT EMOTIONS, un album qui intervient trois ans après le passage de Blind Channel à l’Eurovision (qui l’avait propulsé sur la scène internationale), les Finlandais passent un cap en termes de compositions et proposent une usine à tubes savamment concocté pour l’auditeur qui aime le mélange des genres !

Au cours de cet entretien, les deux chanteurs Niko Moilanen et Joel Hokka reviennent sur l’histoire tumultueuse de la formation qui a dû se battre contre la mentalité finlandaise pour avancer. Il est donc question d’ambition, de persévérance et de discipline. Car en sortant un album tous les deux ans depuis Revolutions en 2016, Blind Channel montre que l’un des atouts pour percer dans l’industrie de la musique est, entres autres, d’avoir une ligne directrice affirmée.

« Tout le projet du groupe est basé sur l’ambition et le fait de défier de ceux qui disent non. »

Radio Metal : Depuis le début de votre carrière, avez-vous le sentiment d’avoir beaucoup d’ambition avec Blind Channel ? Trouvez-vous que ce mot, ambition, définisse le mieux ce qu’est ce projet pour vous ?

Niko Moilanen (chant) : Sans aucun doute. C’est grâce à cela que nous avons tous commencé : l’ambition. J’utiliserais même le mot « défi ». Toute notre carrière est basée sur le fait que nous venons d’une petite ville du nord de la Finlande, où tout le monde disait qu’on ne pouvait pas monter un groupe de rock et faire le tour du monde, que c’était impossible. Nous étions là : « Regardez-nous ! » Tout le projet du groupe est basé sur l’ambition et le fait de défier de ceux qui disent non.

Comprenez-vous pourquoi il y a eu cette sorte de mépris en Finlande ?

Joel Hokka (chant) : Je pense que c’est parce que tous les Finlandais sont jaloux de tout. Par exemple, si la Suède gagne un match de hockey, on sera très jaloux. C’est la première raison pour laquelle les Finlandais n’apprécient pas que quelqu’un d’autre réussisse. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles les gens n’ont pas cru en nous dès le départ.

C’est donc une question de mentalité ?

Niko : Nous ne sommes pas originaires d’Helsinki même. Nous y vivons aujourd’hui, mais nous avons débuté dans une petite ville appelée Oulu, au nord de la Finlande, où les hivers sont sombres et froids, et les étés lumineux et froids aussi [rires]. La mentalité finlandaise est à double tranchant. Les Finlandais sont très humbles. Nous sommes restés humbles même lorsque nous avons connu un grand succès en Finlande et en Europe, et un peu aux Etats-Unis. Les choses se passent très bien, mais nous gardons toujours les pieds sur terre. Nous avons une bonne conscience professionnelle, nous travaillons comme des fous. En même temps, je pense que ce n’est pas très finlandais de dire ses rêves à voix haute. Si vous avez un rêve, vous en rêvez seul dans votre lit. Et lorsque quelqu’un dit : « Je rêve de monter un groupe et de jouer partout dans le monde » et qu’il le fait, les gens n’aiment pas ça. Ce n’est pas du tout naturel pour les Finlandais.

Joel : Je suppose qu’il s’agit aussi d’une sorte de traumatisme de guerre, de la Seconde Guerre mondiale. On pensait qu’on devait être très humbles vis-à-vis des autres et qu’on devait se comporter comme les personnes les plus humbles de la planète. C’est la raison profonde de tout ce qui arrive. Mais comme Niko l’a dit, nous sommes originaires de la partie nord du pays, donc l’esprit est très finlandais là-haut.

En ce qui concerne l’aspect musical, au début de votre carrière, les gens de l’industrie voulaient-ils que vous chantiez en finnois et avez-vous dit : « Non, nous voulons être populaires, donc nous devons parler en anglais aux gens » ? Ça s’est passé comme cela ?

Niko : Absolument. Quand nous avons commencé, nous voulions tourner, faire des concerts en dehors de la Finlande, comme en Europe et aux États-Unis, dans le monde entier. Il était donc naturel pour nous de commencer à écrire des chansons en anglais, c’est ce que nous avons toujours fait. Et toutes nos influences, tous les groupes que nous avons écoutés en grandissant, sur lesquelles nous avons appris à jouer, à chanter, à composer, se produisaient en anglais. Nous avons pensé que l’anglais était la meilleure langue pour écrire sur nos émotions. C’est beaucoup plus facile. Nous avons essayé d’écrire des chansons en finnois, mais c’est vraiment difficile. L’anglais est une langue plus naturelle pour nos émotions.

Avez-vous créé l’expression « violent pop » pour définir votre propre musique ou est-elle venue de l’industrie musicale ?

Joel : Il s’agit plutôt d’une marque de fabrique. Nous aimons l’appeler ainsi parce que nous ne voulons pas être un autre groupe de rock alternatif ou de metalcore. Nous avons pensé que la violent pop était le meilleur moyen de décrire ce que nous faisons. Nous voulons avoir un son mainstream, mais aussi metal. Je suppose que c’est la nouvelle manière, dans les années 2020, d’appeler le nu-metal, ou n’importe quel genre hybride que vous avez à l’esprit.

« Nous ne voulons pas être un autre groupe de rock alternatif ou de metalcore. Nous avons pensé que la violent pop était le meilleur moyen de décrire ce que nous faisons. Nous voulons avoir un son mainstream, mais aussi metal. »

Niko : Lorsque nous avons commencé il y a plus de dix ans, nous avons envoyé nos démos aux stations de radio locales du nord de la Finlande et nous avons commencé à décrire notre musique. Il y a tellement d’influences, tellement de choses qui se passent. C’est du rock alternatif, mais c’est une façon assez ennuyeuse de décrire notre musique. Le nu-metal n’était plus à la mode en 2013, on avait passé la vague, et nous avions l’impression d’arriver en retard. Evidemment, nous adorons le nu-metal, il y a des influences nu-metal, certaines de nos chansons sont du nu-metal, mais nous voulions quelque chose de concret et d’accrocheur. C’est pourquoi nous avons eu l’idée de faire de la violent pop. Si quelqu’un demande quel genre de musique joue Blind Channel, c’est plus facile de dire que c’est de la violent pop.

Depuis le début du groupe, l’objectif était-il de mélanger toutes ces influences musicales ?

Pas toutes, mais celles que nous aimons.

Joel : Nous voulions capturer la pop et le metal dans un même groupe.

Niko : Nous ne serions pas un groupe sans Linkin Park. C’est notre amour pour Linkin Park qui nous a réunis. Aujourd’hui, nous adorons Bring Me the Horizon. Ce que ces groupes ont en commun, c’est qu’ils sont très audacieux dans l’écriture des chansons et dans leur production. Ils n’ont pas peur des limites de genre, qui sont ennuyeuses. Ce sont des précurseurs. Ils font du metal, du rock, mais ils s’intéressent beaucoup à ce qui se passe sur la scène musicale grand public. Nous nous y intéressons aussi, nous avons toujours écouté ce qui se passait sur la scène pop. Nous adorons la pop et les refrains accrocheurs. Nous essayons donc de prendre des éléments de cette scène et de les mélanger à notre propre son rock/metal. C’est aussi ce que font ces groupes. Les frontières entre les genres sont barbantes !

Vous avez parlé de Bring Me the Horizon. Pour le nouvel album, vous avez travaillé avec des gens qui avaient l’habitude de collaborer avec ce genre de groupes. Pensez-vous que c’est une nouvelle étape pour Blind Channel d’avoir cet aspect technique ?

Joel : Nous sommes très honorés de travailler avec Dan Lancaster et Zakk Cervini, et tous ces grands noms des États-Unis et du Royaume-Uni. Cela représente beaucoup pour nous. A la fois, nous savons aussi que ce sont simplement d’autres gens qui font quelque chose dans l’industrie de la musique. Nous ne sommes donc pas des fanboys. Nous sommes plutôt du genre : « Allons-y, faisons ce disque ! »

Vous mélangez beaucoup de styles musicaux différents : le metal, le rock alternatif et un peu de hip-hop. Avez-vous l’impression que le public aime tous ces styles et qu’il est composé de personnes de différents genres et de différentes sphères de la communauté metal ?

Niko : Ce que les gens aiment chez Blind Channel, semble-t-il, c’est que nous sommes pleins de surprises. Nous évoluons sans cesse. Nous nous améliorons sans cesse. Ce n’est pas nécessairement que nous voulons faire différents types de chansons, différents types d’albums. Nous voulons que toutes nos chansons et tous nos albums sonnent comme Blind Channel. Au cours des trois premiers albums que nous avons réalisés, nous avons trouvé le son et l’essence de Blind Channel. Après cela, tout le reste n’est qu’expérimentation. Nous n’essayons pas seulement de surprendre le public, les médias ou les critiques, nous essayons de nous surprendre nous-mêmes. C’est ce que nous avons toujours essayé de faire et ce que nous allons continuer à faire. Je pense que c’est ce que le public aime chez Blind Channel. Lorsque nous sortons de nouveaux singles ou de nouveaux albums, vous ne savez jamais ce qui vous attend.

Est-ce que les six membres du groupe participent à la composition ? Comment se déroule la création de morceaux pour Blind Channel ?

Joel : Ce sont surtout quatre ou cinq membres du groupe qui écrivent des chansons, ce n’est pas tout le monde. Pour les médias, on peut dire que c’est tout le groupe. Certains d’entre nous ont une idée pour une chanson : par exemple, si j’ai un riff ou si Niko a des paroles, nous commençons à nous amuser autour de cette idée. Ensuite, la chanson commence à prendre forme. Cela prend du temps pour pas mal de chansons. C’est comme un ring de boxe où cinq ou six personnes balancent des idées.

Niko : Parfois, c’est assez chaotique. Nous ne sommes pas en train de boire du thé et de faire du yoga [rires], c’est plus comme un match de boxe, c’est très chaotique. Aleksi [Kaunisvesi], notre DJ et percussionniste, s’occupe de la production. Lorsque nous préparons un nouvel album, il est le dernier à quitter le studio. C’est lui qui reste là toute la nuit et qui termine la production. Joonas [Porko] s’occupe des arrangements. Il a tellement d’idées que nous devons parfois lui dire de se calmer ! Je m’occupe principalement des paroles.

« L’Eurovision était un détour pour nous. Nous avions besoin de faire cela pour conclure un gros contrat pour faire ces albums. C’est une partie importante de notre histoire, mais à la fois, ce n’est qu’une partie de notre histoire. »

Depuis le début, vous avez un rythme fou de sorties. Vous n’arrêtez pas de composer ? Vous composez tout le temps, dans le sens où les idées n’arrêtent pas de venir ?

Joel : Tout à fait. Par exemple, nous sommes actuellement en studio. Même si Exit Emotions vient de sortir, nous travaillons déjà sur de nouveaux morceaux. Nous sommes constamment en train de travailler. C’est maintenant que nous avons l’élan du groupe, nous devons l’entretenir et tout donner.

Niko : Il est impossible de faire comme si c’était un travail normal : « Ces mois-là, nous allons écrire des chansons, et ces mois-là, nous allons faire des tournées. » Tout se passe en même temps, du moins dans nos têtes. Faire ce travail, c’est comme une thérapie. Les concerts que nous donnons, lorsque nous crions à pleins poumons, sont très thérapeutiques, tout comme l’écriture des chansons. Je ne pense pas que nous ayons de meilleurs moyens d’exprimer nos émotions. Nous avons besoin de les extérioriser et c’est pourquoi nous écrivons toujours quand nous en avons le temps.

Vous avez tourné avec Electric Callboy par le passé. Sont-ils un très bon exemple de ce genre de mélange entre musique et succès ? Pour vous, peut-on dire que c’est un modèle ?

Joel : Je pense que dans l’industrie musicale moderne, c’est un bon exemple. Ils ont le vent en poupe sur les réseaux sociaux, ce qui est important de nos jours. On ne peut pas avoir du succès dans la musique sans avoir du succès sur les réseaux, et c’est ce qu’ils ont. Ils ont tout ce qu’il faut pour faire le buzz. Ils ont le look, les chansons, les mélodies, et tout fonctionne parfaitement. C’est un bon exemple pour nous. De plus, c’est un groupe européen qui explose en Amérique, en Australie et dans tous les territoires possibles. Ce sont aussi des amis, donc nous les admirons, et nous espérons pouvoir tourner avec eux en Amérique et partout ailleurs à l’avenir.

C’est amusant parce que je vous ai lu dire que le public allemand était particulièrement déchaîné, et Electric Callboy vient aussi d’Allemagne. Pourquoi les Allemands aiment-ils autant s’amuser ?

Niko : Je ne sais pas trop. Depuis le début, l’Allemagne nous a accueillis à bras ouverts. Ils ont été l’une des premières communautés de fans que nous avons eues. Ils semblent apprécier notre musique. Peut-être que les Allemands sont semblables à nous, les Finlandais : ils aiment faire la fête, boire de la bière, s’amuser et ils semblent aimer de la bonne musique…

Joel : De la musique sombre et énergique. Ce sont des points clés très importants pour le public et la musique allemands, ainsi que pour les groupes finlandais. Je pense que cela fait partie de la nature de chacun d’entre nous, d’avoir en nous des fêtards introvertis. En ce qui concerne la France, la dernière fois que nous y avons joué, c’était à Paris. Nous avons joué avec Electric Callboy devant quatre mille personnes. C’était l’un des meilleurs concerts de la tournée, donc nous sommes impatients de revenir dans votre pays.

Vous avez fait des millions de streams sur Spotify. Mettez-vous ce type de promotion au même niveau que l’Eurovision ou bien ce dernier a-t-il été plus important ?

Niko : Spotify est important surtout parce que les répercussions se voient tous les jours [rires]. Certaines personnes nous connaissent peut-être grâce à l’Eurovision, mais il y a aussi beaucoup d’autres choses que nous avons faites pour augmenter le nombre de streams et inciter les gens à venir à nos concerts. Il s’est passé tellement de choses intéressantes ces deux dernières années. L’Eurovision était plutôt un détour pour nous. Nous avions besoin de faire cela pour conclure un gros contrat pour faire ces albums. Nous avons conclu ce contrat et après cela, nous avons sorti un album, fait trois tournées en Amérique, six en Europe, un tas de festivals, et ce n’est pas fini. Beaucoup de choses se passent en ce moment. Les chiffres que vous voyez aujourd’hui correspondent à la réalité dans laquelle nous sommes aujourd’hui. L’Eurovision est une partie importante de notre histoire, mais à la fois, ce n’est qu’une partie de notre histoire.

« Même lorsque nous avons commencé à composer, nous pensions déjà à la façon dont nous jouerions ceci en concert. Exit Emotions n’est pas un album à écouter, c’est un album à vivre. »

En ce qui concerne l’audience des streams, quels sont les pays qui suivent le plus Blind Channel ?

Joel : Le pays numéro un sur Spotify est l’Allemagne en ce moment, puis l’Amérique et la Finlande. Ensuite, il y a la France, l’Italie, l’Espagne, le Japon, tous ces grands pays avec beaucoup de monde. L’Allemagne est clairement le numéro un. Je pense que la deuxième grande percée du groupe aura lieu en Allemagne, dans deux ou trois ans, ou peut-être avec cet album, nous ne le savons pas encore. J’ai l’intuition que quelque chose d’énorme va se produire en Europe centrale et en Allemagne. Peut-être aussi en France !

Aleksi a rejoint le groupe il y a quelques années. Était-ce une étape importante pour les concerts et la manière de produire un album, avec les sonorités plus électroniques ?

Niko : Lorsque Aleksi nous a rejoints, c’était une période étrange pour le groupe. D’abord, c’était sombre : le Covid est arrivé, tous nos concerts ont été annulés. Nous avons dû nous poser et sortir des sentiers battus, et je pense que nous y avons trouvé Aleksi. Il nous a rejoints, nous avons écrit « Dark Side », puis nous avons fait le quatrième album dans son intégralité comme les précédents. Nous l’avons fait rien qu’avec le groupe, à six, parce qu’ayant un nouveau membre, nous avions besoin de développer notre nouvelle alchimie. La tournée a débuté et nous sommes devenus très proches d’Aleksi. C’est un travailleur acharné, un membre à plein temps du groupe et un grand ami. Comme je l’ai dit, nous avons fait l’album précédent seulement avec le groupe, dans une pièce, juste pour pratiquer l’alchimie et trouver de nouvelles façons sympas d’écrire des chansons, mais c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous étendre un peu avec cet album, Exit Emotions. Nous avons donc voulu inclure d’autres personnes dans le processus d’écriture, simplement pour nous assurer que nous n’étions pas enfermés dans nos propres schémas. Nous voulons continuer à évoluer et à nous améliorer dans ce que nous faisons.

Vous avez sorti plusieurs singles et clips depuis quelques mois. Que pensez-vous des retours du public ? Êtes-vous satisfaits ?

Joel : Cela s’est très bien passé. « Deadzone » marche très bien aux États-Unis. Cela fait deux mois qu’il est dans le classement radio du Billboard. C’est historique pour nous d’en arriver là avec les diffusions radio. Avec « Flatline », « Die Another Day » et « Happy Doomsday » nous avons aussi gagné beaucoup de nouveaux fans et avons été ajoutés à de nombreuses playlists. Je pense que, parmi les nouveaux singles, « Deadzone » est celui qui marche le mieux. Nous en sommes heureux et nous sommes impatients de sortir l’album.

En ce moment, vous êtes en studio, mais êtes-vous plus impatients de sortir l’album, de partir en tournée ou les deux à la fois ?

Niko : [Rires] Bien sûr, c’est cool de sortir l’album et de voir comment les gens l’accueillent, les chansons qu’ils aiment, quelles sont leurs préférées, etc. mais je pense que nous sommes tous impatients de partir en tournée, car nous avons écrit cet album pour les concerts. Il faut savoir qu’après la sortie du quatrième album, nous avons donné plus de deux cents concerts, nous avons été en tournée pendant deux ans. On peut vraiment entendre sur le nouvel album que c’est le premier que nous avons peaufiné dans une perspective live. Même lorsque nous avons commencé à composer, nous pensions déjà à la façon dont nous jouerions ceci en concert. Exit Emotions n’est pas un album à écouter, c’est un album à vivre. En tournée, on reçoit immédiatement les réactions du public, des fans, des auditeurs, sur leur appréciation des chansons. Ces morceaux prennent une nouvelle vie lorsque vous montez sur scène et que vous les interprétez. Nous sommes donc tous impatients de partir en tournée.

Avec l’expérience des festivals que vous avez eue par le passé, et en particulier les vrais festivals metal, avez-vous vu que vous touchiez un nouveau public sur les réseaux sociaux ?

Joel : Oui, c’est certain. Si vous jouez devant un public plus large, vous pouvez voir le pic sur les réseaux. Par exemple, nous avons joué en Allemagne avec Electric Callboy, à Hambourg, et il y avait environ onze mille personnes. Nous avons eu entre six cents et mille followers de plus après le concert. On voit le pic après le concert, mais il faut aussi répéter cela tous les soirs, nuit après nuit. Il n’y a pas de raccourci.

Vous voulez ajouter quelque chose pour le public français ?

Niko : Nous sommes impatients de vous voir. Je ne me souviens pas du nom de la salle, mais j’ai entendu dire que nous allions jouer dans une salle légendaire !

Joel : Nous sommes impatients de venir ! Écoutez l’album quand il sortira, achetez vos billets et venez vivre Exit Emotions avec nous. On se voit là-bas !

Interview réalisée en visio le 24 janvier par Amaury Blanc.
Retranscription & traduction : Marine Boutard.
Photos : Natalie Pastakeda.

Site officiel de Blind Channel : www.blindchannelofficial.com

Acheter l’album EXIT EMOTIONS.

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Borknagar – Fall https://www.radiometal.com/article/borknagar-fall,470480 https://www.radiometal.com/article/borknagar-fall,470480#respond Fri, 23 Feb 2024 17:36:47 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470480 Borknagar a émergé, voilà maintenant trois décennies, en tant que projet black metal, mais a toujours eu la volonté de mêler les genres. Dès le premier album, des passages de pure musique folk donnaient la réplique à des assauts impitoyables. Une recette qui ne prend guère de rides, d’autant plus que la formation n’a de […]

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Borknagar a émergé, voilà maintenant trois décennies, en tant que projet black metal, mais a toujours eu la volonté de mêler les genres. Dès le premier album, des passages de pure musique folk donnaient la réplique à des assauts impitoyables. Une recette qui ne prend guère de rides, d’autant plus que la formation n’a de cesse de l’actualiser. Imagerie, paroles et même interviews : les montagnes sont incontournables dans la discographie bien fournie du groupe. C’est pour l’infatigable meneur Øystein G. Brun une allégorie de la musique elle-même, et d’une progression au gré de sommets toujours plus élevés. Si Borknagar a de tout temps chanté les louanges de la nature, Fall met en lumière une dualité forte, nous rappelant que vivre est avant tout une lutte, et que la Terre fera tout pour nous rappeler à elle, réduits en poussière. Cette fatalité fait partie intégrante du double sens du titre de l’album, qui renvoie simultanément à l’automne et au concept plus brut de chute. Une chute contre laquelle la meilleure défense est peut-être d’apprécier ce qui se situe « à la périphérie de la vie » – ce qui est essentiel et pourtant si facile à manquer.

De tous les sons qui composent Fall, le plus indescriptible est celui qui ouvre le bal : une sorte de corne de brume s’envolant des profondeurs vers les cieux, à la fois moderne et sauvage, qui, bien que fugace, résume assez bien le propos de ce disque qui se veut « monumental » mais aussi « électrique ». Tout est dit en à peine trois secondes. Le chant black sacrifie une partie de son intelligibilité pour se faire aussi rude que l’hiver. Il y a là comme des rôles de « bon » et de « mauvais » personnage. Cependant, plutôt que de sommairement s’opposer, ils règlent leurs différends par un fructueux dialogue, telles deux facettes de la nature. Certains redouteront les larges périodes entièrement en chant clair, mais Borknagar semble s’épanouir plus que jamais lorsque le blizzard ménage ces angles morts. Fall présente quelques senteurs plus chaudes ou couleurs ocres. Le néo-folk y contribue, avec en outre des chœurs du plus bel effet. Cette alchimie constitue des festivités auxquelles on rêverait de se joindre en apportant encore davantage d’instruments et de voix.

Borknagar est de plus en plus friand de mélodies, mais pas question de nous servir des tubes de l’été – ou de l’automne, en l’occurrence : tout ce qui s’éloigne un peu trop de l’esprit progressif est rappelé à l’ordre et suivi d’un contre-pied. Entraînant mais farouche, Fall exploite au maximum cette ambivalence (« Nordic Anthem »). Les lignes vocales, alambiquées à souhait (« Northward »), sonnent fréquemment comme des odes au ralliement, une exhortation poussant à emplir tous nos sens avec les merveilles de la nature. Des harmonies de voix étroitement ficelées achèvent de composer ce front imperméable, qui n’a de cesse d’avancer à travers les terrains même les plus accidentés. « Moon » est à certains égards le titre le plus « prog » de l’album, mais (paradoxalement ?) aussi un « hit » en puissance. Les membres y font, un à un, sauter les crans de sûreté ; quelques-uns des rares solos de l’album fédéreront ensuite tout ce beau monde, avec des transitions qui conservent – et amplifient même – l’élan acquis. Nous voilà propulsés à un train d’enfer sur un traîneau, épousant des bosses à la géométrie tout sauf aléatoire – une course à travers quelques-uns des airs les plus mémorables et addictifs que le groupe ait produits ces dernières années. Côté batterie, dur pour Bjørn Rønnow de passer derrière Baard Kolstad (Leprous), même avec True North (2019) en guise de mise en jambes. À défaut d’être extrêmement inventif, l’interprète a le mérite de tenir une cadence haletante et a bénéficié de sessions d’enregistrement dans un studio dédié, sous la houlette du producteur Marius Strand. En résulte un son irradiant les pistes comme les cercles concentriques éclosant lorsqu’une pierre coule à pic, et ce dans le calme comme au cœur des tempêtes.

Sans être à proprement parler inégal, Fall comporte quelques titres qui, en tranchant avec les habitudes ou simplement en mettant les bouchées doubles, accaparent l’attention. « Unraveling », plein d’emphase, est très volontaire dans son exécution, mais dans des proportions ne lui nuisant pas. De même, « The Wild Lingers » tout en élégance, possède quelque chose de quasi régalien, malgré la dignité dont il est empreint. À l’inverse, « Afar » ou « Stars Ablaze » peuvent faire l’effet d’un même plat servi à plusieurs reprises, mais orné de différentes sauces (ou l’inverse, selon le ressenti de chacun). Ces titres discrets n’en restent pas moins propres et profonds plutôt qu’anecdotiques. Malgré les changements de line-up, Øystein G. Brun et son escouade régissent un territoire bien marqué et maîtrisé, avec une cohérence dans le propos et une évolution savamment préméditée. Borknagar, selon ses propres termes, enchaîne les « vagues » et tisse ainsi sa longue carrière. Force est de constater que les récifs sont encore loin.

Clip vidéo de la chanson « The Wild Lingers » :

Clip vidéo de la chanson « Moon » :

Clip vidéo de la chanson « Nordic Anthem » :

Clip vidéo de la chanson « Summits » réalisé par Wanderley Perna :

Album Fall, sortie le 23 février via Century Media Records. Disponible à l’achat ici

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Amaranthe catalyse le positif https://www.radiometal.com/article/amaranthe-catalyse-le-positif,469865 https://www.radiometal.com/article/amaranthe-catalyse-le-positif,469865#respond Wed, 21 Feb 2024 06:21:02 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469865 Trois ans et demi après la sortie de leur dernier album Manifest, les Suédois d’Amaranthe reviennent avec The Catalyst, une œuvre sortie tout droit d’une période d’introspection personnelle, sociétale et créative. En effet, suite au départ du growler Henrik Englund en 2022 qui a pu faire peur aussi bien aux fans qu’aux musiciens, le groupe […]

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Trois ans et demi après la sortie de leur dernier album Manifest, les Suédois d’Amaranthe reviennent avec The Catalyst, une œuvre sortie tout droit d’une période d’introspection personnelle, sociétale et créative. En effet, suite au départ du growler Henrik Englund en 2022 qui a pu faire peur aussi bien aux fans qu’aux musiciens, le groupe a su retomber sur ses pattes en trouvant un remplaçant de taille en la personne de Mikael Sehlin, ami de longue date de la formation. Son trio de chanteurs renouvelé, Amaranthe a su tirer profit de ce nouvel élan pour élargir ses frontières, tout en respectant les codes qui lui sont reconnaissables.

The Catalyst s’inscrit bien dans la société moderne actuelle, via une philosophie à la fois dénonciatrice et positive. Le groupe dévoile un de leurs albums les plus complets et diversifiés à ce jour, usant d’inspirations et d’influences issues de diverses cultures et genres musicaux. Pour The Catalyst, Amaranthe a osé tenter de nouvelles choses et ne plus se cacher derrière des métaphores. Nous en avons discuté avec Olof Mörck, guitariste, membre fondateur et co-compositeur du groupe, qui n’a aucun mal à évoquer des souvenirs depuis le début de sa carrière jusqu’à ceux de son enfance et n’hésite pas à rentrer plus en détail dans l’aspect psychique de la vie d’un artiste, qu’elle soit quotidienne ou lors d’une tournée.

« Lorsque nous avons sorti notre premier single, ‘Hunger’, des gens dans la scène metal ont commencé à être très conservateurs voire protecteurs, ils disaient : ‘Ok, c’est la fin du metal. Le metal est mort maintenant, Amaranthe l’a tué avec cette chanson’ [rires]. Nous en rigolions et ne prenions pas ça très au sérieux à l’époque. »

Radio Metal : Tu as déclaré qu’après avoir enregistré Manifest – entre mars et mai 2020 –, tu as eu beaucoup de temps – vous n’avez vraiment repris la tournée qu’au milieu de l’année 2022. L’une des choses que tu as faites pendant ce temps, c’est beaucoup d’« introspection ». Penses-tu en avoir eu besoin à ce moment-là ? As-tu obtenu des réponses sur toi-même dans ces moments-là ?

Olof Mörck (guitare) : Très intéressant ! Je pense que oui, absolument. Après la toute première sortie d’Amaranthe, qui était le single « Hunger », nous sommes vite partis en tournée et nous n’avons pratiquement jamais arrêté, puis un nouvel album est sorti et nous sommes repartis en tournée, et ainsi de suite. C’était très excitant, car j’étais enfin dans un groupe qui commençait à prendre de l’ampleur et à avoir du succès, c’en est même devenu mon travail. J’ai rencontré des milliers de personnes géniales et j’ai pu faire des concerts que je n’aurais jamais imaginé faire. Tout ceci était évidemment extraordinaire, mais dès que la pandémie a frappé, nous avons terminé l’enregistrement de Manifest et nous en avons assuré la promotion via des interviews, comme maintenant, puis à la fin de l’année 2020, soudainement, nous nous sommes retrouvés complètement sans travail. Pour être tout à fait honnête, grâce à Spotify, nous n’avons pas eu à nous inquiéter pour nos finances personnelles ou quoi que ce soit du genre, ce qui a été un grand soulagement. Mais voici la réponse à cette question très intéressante : quand tu as été distrait pendant aussi longtemps et que tu es devenu en quelque sorte accro au fait de jouer de gros concerts, d’avoir un travail pour lequel les gens t’applaudissent tous les jours, ce qui est fantastique, c’est facile de prendre tout ça pour acquis. Je pense que la question intéressante est : comment ça affecte-t-il ta psyché ? Comment vas-tu maintenant gérer la solitude ?

La première chose que j’ai réalisée est que j’avais désormais beaucoup de temps à ma disposition et que je ne devais pas commencer directement à travailler sur un nouvel album, mais alors qu’est-ce que je ferais à la place ? Ce que j’ai fait est que je me suis lancé dans plein d’autres activités créatives. J’ai peint des tableaux – ce que je n’avais pas fait en vingt ans. J’ai construit et peint des petits modèles en plastique de Star Wars. A tout ça s’ajoutait le fait de passer du temps avec ma femme. Nous avons même pris un chien en pleine pandémie, bien que ce soit déjà prévu avant celle-ci, donc j’ai pu passer beaucoup de temps avec eux. C’était le plus important, mais évidemment on ne pouvait pas voyager, ni aller au restaurant et faire toutes ces choses normales. Je ne vais pas trop me plaindre parce que, comparé à d’autres personnes, j’étais bien loti durant la pandémie. Ce que j’ai réalisé après six, sept ou huit mois est que j’aimais bien ça aussi. C’était une forme d’introspection très simple, mais je pense qu’en fin de compte, la question – sans vouloir être trop philosophique – est de savoir si tu te sens bien à l’idée de passer une grande partie de ton temps avec toi-même comme seule compagnie. Je pense que ma réponse était oui, car j’aime bien être un nerd, lire mes livres, cuisiner à la maison, etc. Après, évidemment, après sept ou huit mois, nous avons commencé à devenir agités et c’est là que nous nous sommes mis à faire des ébauches de petites idées pour The Catalyst.

A propos d’introspection, l’une des conséquences de la pandémie est qu’Henrik [Englund] a quitté le groupe. Il a déclaré qu’« après deux ans à la maison à cause du corona », il a « commencé à rêver de quelque chose de différent, quelque chose de plus important, et aussi de ne pas passer plus de temps loin de [ses] enfants. Pour plusieurs raisons [il a] aussi doucement arrêté d’apprécier la vie sur la route avec Amaranthe. » As-tu personnellement déjà eu ce genre d’inquiétude ? N’as-tu jamais été lassé par la vie sur la route ? Ton mode de vie a-t-il même déjà été remis en question en étant membre d’un groupe de grande renommée qui part régulièrement en tournée ?

Je dirais que c’est toujours un peu un challenge. Par exemple, nous étions récemment en tournée aux US. Tu es dans un fuseau horaire différent de celui de ta famille et de tes amis à la maison, et tu travailles beaucoup, vu que je gère pas mal tout l’administratif, à discuter avec l’équipe, à organiser beaucoup de choses, etc. Je deviens très occupé et je n’ai que peu d’heures durant lesquelles je suis éveillé en même temps que ma famille. Dans mon cas, ma femme joue dans un groupe allemand nommé Haggard qui est assez gros, donc elle comprend ce que c’est que d’être en tournée. Je pense qu’il n’est pas nécessaire que ça fonctionne ainsi dans une relation quand quelqu’un part en tournée, mais ça aide beaucoup. Maintenant, elle est très concentrée sur ses études et son monde universitaire, donc elle ne voyage plus autant, mais elle est quand même très occupée. Disons, par exemple, que je n’ai pas plus de quelques minutes par jour pour lui parler – de temps en temps, pas toujours –, elle comprend que ce n’est pas parce que je suis contrarié ou que je suis en train de courir à faire des trucs stupides, de faire la fête ou quoi que ce soit de ce genre. C’est juste la nature même de ce boulot quand on est sur la route, parfois on est extrêmement occupé, et parfois on a huit heures d’affilée durant lesquelles on ne fait rien.

Ceci dit, je ne crois pas que ç’ait jamais été une préoccupation majeure pour moi. C’est juste que tous les jobs ont leurs défis spécifiques. Quand je compare les hauts et les bas, pour moi ça ressemble à ça [il montre un grand écart entre ses deux mains, l’une est très haute et l’autre basse] : les hauts sont vraiment énormes, mais je sais que ce n’est pas pareil pour tout le monde et ce mode de vie, le fait d’être en tournée, de beaucoup voyager, de prendre l’avion tous les deux jours, ce n’est pas pour tout le monde. Je pense que beaucoup de gens pensent qu’ils adoreraient, mais au final, tous n’apprécieraient pas.

« Nous gardons un esprit ouvert. A la fois, il faut aussi s’imposer des limites très sévères, car, même si ça ne sonne pas très bien quand on le dit, c’est ce que font tous les grands groupes. »

Le remplacement d’Henrik, Mikael Sehlin, avait tourné avec vous en 2015. Était-ce une évidence de lui demander de rejoindre le groupe ou avez-vous envisagé d’autres chanteurs ?

Nous avions plusieurs idées différentes, mais nous nous sommes rendu compte que, pour trouver quelqu’un qui a à peu près le même âge que nous, qui a l’expérience professionnelle des grandes scènes comme celle du Wacken, qui n’est pas actuellement engagé dans un gros groupe, qui est un super growler et, surtout, qui est une bonne personne qui s’intègrerait bien au groupe… Il n’y a que très peu de personnes dans le monde qui pourront répondre à tous ces critères au niveau que nous souhaitions. Ce qui s’est passé en 2016 – ou peut-être était-ce en 2017 – est que Mikael a eu un enfant, donc il s’est un peu éloigné de l’industrie de la musique pendant quelques années. Au moment où nous devions entrer en studio pour enregistrer The Catalyst, nous n’avions toujours pas de chanteur attitré. Nous avions quelques idées de secours qui étaient vraiment très bonnes et que je garderai probablement secrètes pour toujours [petits rires], mais quand Mikael est réapparu sur Facebook et qu’il a commencé à y écrire – de manière complètement déconnectée du fait que nous étions en train d’enregistrer un album – qu’il voulait revenir dans l’industrie de la musique et travailler comme ingénieur de mixage pour des groupes, nous nous sommes dit que s’il avait le temps pour ça et qu’il voulait faire toutes ces choses, alors c’était le gars idéal pour nous, car nous savions comment ses growls sonnaient et nous le connaissions en tant que personne, car nous avions déjà passé un mois dans un tour bus ensemble – certes, il y a longtemps, mais on apprend beaucoup d’une personne quand on passe un mois entier dans un tour bus avec elle. Je lui ai donc écrit : « Mec, appelle-moi demain, parce que j’aimerais discuter de quelque chose avec toi. » Il m’a appelé le lendemain. Il était très excité car il savait exactement ce que j’allais lui demander [rires]. Il était là : « D’accord, Amaranthe n’a pas encore trouvé de chanteur, j’en suis un et Olof veut me parler. » Dès la première phrase que j’ai prononcée, il était très enthousiaste.

Comment le trio de chanteurs du groupe fonctionne-t-il maintenant ? Je veux dire, d’un côté ça fait six ans que Nils [Molin] est avec vous, donc je suppose que lui et Elize [Ryd] ont eu le temps d’être habitués l’un à l’autre. D’un autre côté, Mikael est tout frais, même s’il a chanté avec le groupe il y a quelques années… Comment se sont déroulées les interactions avec les trois cette fois-ci et comment s’est déroulée l’intégration de Mikael ?

Ça a été une courte et très intéressante aventure. Mikael n’est dans le groupe et n’a commencé à enregistrer l’album qu’il y a neuf ou huit mois, il a commencé à faire des concerts et à tourner avec le groupe il y a peut-être sept mois. Evidemment, c’est tout nouveau et tout frais pour nous. Lorsqu’il a fait son premier concert en Espagne, il avait regardé beaucoup de vidéos YouTube et avait déjà vu plusieurs fois le groupe en concert, il avait donc une bonne idée de ce qu’il était censé faire, mais il est clair qu’Henrik proposait plein de détails dont les deux autres chanteurs avaient l’habitude. Tout d’un coup, il y a une nouvelle personne qui bouge différemment et se tient dans des positions différentes, et lorsque tu as trois chanteurs, il y a une grande part de chorégraphie à prendre en compte, parce que si tu les jettes comme ça sur scène en leur disant de prendre les positions qu’ils veulent, ils vont se rentrer dedans à un moment ou un autre ! Mais il a rapidement attrapé le coup. Elize et Nils ont été très nets sur ce qu’ils voulaient, pas de manière dure mais de manière hyper claire. Au lieu de lui dire qu’il était le meilleur de tous les temps, ils lui disaient : « Nous avons besoin que tu fasses ci et ça » et il répondait qu’il allait y réfléchir. Je pense que c’est seulement après deux shows durant la saison des festivals estivaux qu’il a maîtrisé ça, car il apprend vite et n’a pas un gros ego. Il a juste besoin parfois de prendre un peu de recul pour comprendre ce qu’il doit faire et comment il doit le faire. Jusqu’à présent, tout s’est passé sans heurt. Evidemment, lorsque tu travailles avec trois aussi bons chanteurs, ils vont toujours avoir leurs opinions, ils vont toujours avoir cette… Ils sont un peu en compétition pour la même chose, mais la façon dont ce trio fonctionne est qu’ils visent tous un objectif commun, au lieu de viser leur propre objectif.

Le communiqué de presse indique qu’après avoir eu beaucoup de temps pour réfléchir mais aussi pour composer de la musique, tu as « adopté un nouvel état d’esprit créatif libéré ». Penses-tu que vous vous imposiez auparavant des limites créatives ? Je veux dire que je n’ai pas eu l’impression que le groupe se restreignait autant sur les albums précédents, alors quelles sont les barrières que vous avez fait tomber avec The Catalyst ?

Nous avons toujours été un groupe ayant un tas d’influences différentes. Nous avions déjà introduit plein d’éléments quand nous avons écrit les premières chansons en 2008, nous avions mis plein d’éléments qui ne vont pas normalement dans le metal et que certaines personnes pensaient ne vraiment pas devoir aller dans le metal, mais nous étions vraiment excités à l’idée de garder un esprit ouvert. Lorsque nous avons sorti notre premier single, « Hunger », des gens dans la scène metal ont commencé à être très conservateurs voire protecteurs, ils disaient : « Ok, c’est la fin du metal. Le metal est mort maintenant, Amaranthe l’a tué avec cette chanson » [rires]. Nous en rigolions et ne prenions pas ça très au sérieux à l’époque. Après les deux premiers albums, Elize et moi avons passé beaucoup de temps à essayer de réinventer le concept du groupe avec l’album Massive Addictive il y a dix ans – c’est un autre exemple de cette idée consistant à garder constamment un esprit ouvert.

A la fois, ce qu’il faut aussi faire, c’est s’imposer des limites très sévères, car, même si ça ne sonne pas très bien quand on le dit, c’est ce que font tous les grands groupes. Prenons l’exemple de Within Temptation ou de Nightwish, ils se développent et réinventent leur son constamment, mais sans partir dans une direction complètement différente, ils ne se détournent pas radicalement du chemin qu’ils sont censés emprunter, et ils le font très bien et avec succès. Nous travaillons un peu de la même manière. Amaranthe est connu pour ses trois chanteurs, des claviers électroniques, des chansons courtes, rapides et intenses, des refrains très accrocheurs, etc. Amaranthe est connu pour tous ces éléments et pour être un groupe très moderne. Ça implique de s’imposer des limites positives avec lesquelles on est à l’aise et on aime travailler, mais comme avec toutes les limites, c’est toujours amusant de les repousser un peu, de relâcher les contraintes et d’essayer de redéfinir ce qui pourrait entrer dans une chanson d’Amaranthe.

« Le plus difficile, au bout du compte, est de s’imposer des limites pour ne pas devenir complètement fou. C’est toujours plus facile de mettre plus d’influences, plus de longueurs, plus de détails, etc. La vraie difficulté est toujours de décider ce qui doit rester et ce qui ne doit pas rester. »

C’est arrivé assez tôt lorsque nous étions en train de travailler sur le premier single « Damnation Flame ». Nous n’avions jamais vraiment fait de chansons de metal symphonique à tempo élevé, car nous ne pensions pas être un groupe de metal symphonique et nous essayions de nous distinguer clairement de Nightwish, Within Temptation et ce genre de groupes – vu que nous avions une chanteuse, les gens pouvaient très souvent faire le lien, en se disant : « D’accord, c’est un groupe de metal symphonique. » Mais après six albums, en travaillant sur le septième, nous nous sommes dit que nous pouvions introduire certains de ces éléments et voir comment nous pouvions le faire de manière totalement différente d’un groupe comme Nightwish, par exemple. C’est venu spontanément. J’avais cette idée de riff d’ouverture pour « Damnation Flame », Elize a chanté un peu sur le morceau et je me suis dit : « Ouah, il faut que ça aille dans une direction symphonique. Ça va être vraiment intéressant. Voyons où ça nous mène. » Au lieu de dire : « Non, on ne devrait pas faire ça », nous nous sommes dit : « On a le temps maintenant d’essayer, donc voyons comment ça marche. » Ça a abouti à un album très varié et très honnête, parce qu’il présente une bonne partie de nos idées initiales.

Justement, comment avez-vous abordé cette couche orchestrale en plus du groupe de metal et des sons électroniques ? Je veux dire que ça fait beaucoup d’éléments avec lesquels jongler…

J’imagine qu’il s’agit de travailler avec l’inspiration que tu reçois et ensuite de prendre la décision : « Est-ce que ça a sa place ? » Je pense que pour Elize et moi, qui aimons plein de genres et de styles de musique – et c’est pareil pour tout le groupe –, il est facile d’être excité par quelque chose et de penser : « Ok, je devrais mettre ça aussi dans la chanson. » Mais heureusement, comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons une base très reconnaissable dans notre façon d’écrire nos chansons, donc si on arrange ça à la manière d’Amaranthe, ce sera toujours assez reconnaissable. A savoir si c’est difficile de jongler avec tous ces éléments, je pense que c’est plutôt l’inverse. Le plus difficile, au bout du compte, est de s’imposer des limites pour ne pas devenir complètement fou. Par exemple, j’adore écrire des chansons très longues, et avec mon autre groupe, Dragonland, nous avons écrit des chansons de quatorze minutes et j’ai eu beaucoup de plaisir à le faire, car ça laisse le temps de développer les thèmes et d’aller plus en profondeur dans la chanson, mais à chaque fois que j’ai essayé d’écrire une chanson plus longue avec Amaranthe, elle perdait un peu de son identité et de son intensité. Pour être honnête, je trouve que c’est toujours plus facile de mettre plus d’influences, plus de longueurs, plus de détails, etc. La vraie difficulté est toujours de décider ce qui doit rester et ce qui ne doit pas rester. Je pense aussi qu’au final, nous faisons toujours confiance à nos intuitions. Elize et moi avons l’habitude de dire que notre subconscient est presque comme un être extérieur qui nous dit où nous devons aller, et si nous faisons confiance à cette voix intérieure, elle nous mène généralement dans la bonne direction.

Le mélange de sons électroniques et de refrains pop hyper accrocheurs n’était pas très populaire dans la musique heavy lorsque vous avez formé le groupe et même avant. Considères-tu Amaranthe comme un précurseur et un pionnier ?

Peut-être, mais c’est très difficile pour moi de le dire, parce que j’ai toujours été à l’intérieur du système et, en tant que co-compositeur avec Elize, ce serait assez présomptueux si je disais que personne ne le faisait quand nous sommes arrivés avec ça et qu’il y a maintenant plein de groupes qui le font. Il peut y avoir – et il y a – un certain nombre de raisons qui l’expliquent. Je pense qu’on pouvait voir dès la fin des années 2000 que le genre se dirigeait un peu dans cette direction et nous n’étions pas les seuls à introduire des éléments pop dans nos chansons. C’était quelque chose qui se faisait déjà et nous avons rendu hommage à ces groupes. Je pourrais mentionner Sonic Syndicate, ils ont sorti des albums environ deux ans avant notre formation et même si les deux groupes ne sont pas vraiment semblables, il est facile de relever certaines similarités. Je n’écoutais pas vraiment Sonic Syndicate à l’époque, c’était plus une indication que le genre s’ouvrait l’esprit collectivement et qu’il s’orientait dans un tas de directions en même temps. Il y avait aussi beaucoup de nouveaux groupes qui étaient vraiment brutaux pour l’époque – Behemoth commençait à prendre de l’ampleur et Arch Enemy commençait vraiment à décoller, même si ça faisait un moment que le groupe existait.

Beaucoup de choses se passaient en même temps et nous nous rendions compte que nous étions vraiment à l’aise avec cette musique mélodique aux refrains très accrocheurs. Nous avions la sensation que c’était quelque chose de nécessaire pour la vitalité de la scène metal. Ensuite, quand nous avons pris de l’ampleur et rencontré un certain niveau de succès, d’autres groupes sont arrivés et, sans chercher à sonner comme Amaranthe, se sont dit : « D’accord, Amaranthe a des mélodies et de gros refrains, ça semble plutôt bien fonctionner pour eux, donc apparemment, on peut faire pareil. » C’est probablement la façon dont j’aborderais la question : je pense que nous faisions partie d’un mouvement qui a montré que la musique mélodique, accrocheuse et exaltante était possible dans la scène metal.

« La plupart des processus de changement sont une longue chaîne et séquence d’évènements, mais ce que j’aime à propos de ce concept de catalyseur, c’est qu’il y a généralement un déclencheur quelque part. Par exemple, le fait d’écouter Metallica à environ six ans en a été un pour moi. »

L’une des évolutions notables de cet album est l’accent mis sur le rôle de la guitare lead : cela fait-il partie du processus de « libération » que vous avez vécu avec The Catalyst ?

C’est une question très intéressante, je n’y avais même pas pensé. Oui, peut-être ! Ça fait partie de ces choses auxquelles j’essaie de ne pas trop réfléchir. On en revient au subconscient : la chanson va en quelque sorte me dire si, premièrement, elle veut ou a besoin d’un solo de guitare et, si c’est le cas, quel type de solo ce doit être et comment je devrais aborder sa composition. Plus que d’être une part d’un processus de libération, vu que ces chansons sont peut-être parmi les plus ouvertes d’esprit que nous avons jamais écrites – en tout cas, c’est le sentiment que j’en ai –, ça aura forcément une influence sur le type de solo de guitare qui ira dessus. L’exemple parfait est la chanson « Liberated ». Ce solo de guitare n’a pas mis longtemps à être composé et n’a pas nécessité beaucoup de réflexion. J’ai simplement fait défiler le morceau, lancé l’enregistrement, joué quelques prises et j’étais content du rendu. Il est assez technique, mais il est aussi un petit peu sale. Oui, il y a ce côté libérateur et c’est exactement ce dont la chanson m’a dit avoir besoin, et ça vaut pour tout l’album.

Tu as déclaré que l’album contenait de la musique folklorique irlandaise. Je ne suis pas sûre de les avoir entendues. Dans quelle chanson ça se trouve et comment en êtes-vous arrivés à avoir ce type d’influence inhabituel pour Amaranthe ?

La chanson dont je parle est « Breaking The Waves » et il n’est absolument pas évident qu’elle ait ce genre de… Malgré ce que j’ai pu dire auparavant, c’est probablement plus proche de la musique folklorique écossaise. Ceci dit, quand on pense à la musique folklorique écossaise, on pense à de la cornemuse, à des violons et à des mandolines, mais en fait, tout dépend de la façon dont on arrange les choses. Ce que nous avons fait sur « Breaking The Waves », c’est qu’Elize a trouvé une ligne de chant pour le couplet, et la façon dont elle le chantait – sans vouloir être trop technique – il m’a paru évident que je devais garder la même note de basse tout au long du couplet. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait très souvent en musique, en général on veut changer les accords pour construire la chanson, à moins d’écrire une chanson de hip-hop ou quelque chose comme ça. La façon dont je l’ai abordée avec nos claviers très modernes, nos guitares électriques et tout le reste, a été de l’arranger exactement comme on l’aurait fait pour une chanson folk écossaise. C’était une inspiration majeure pour l’ensemble de la chanson, mais nous n’avons pas utilisé le moindre instrument écossais, donc ce n’est pas facile à entendre.

Ce que nous avons fait, pour rendre un petit hommage à ce style, c’est deux versions acoustiques de deux chansons de l’album, pour des bonus sur l’édition spéciale. L’une est « Insatiable » et l’autre « Breaking The Waves », et cette dernière a été arrangée comme si c’était une chanson folklorique écossaise. C’est pour montrer aux gens d’où vient l’inspiration et à quoi ça aurait ressemblé si nous avions écrit une chanson folklorique écossaise, parce que toutes les notes, tous les accords, tout est presque exactement comme dans la version de l’album, sauf qu’arrangé avec d’autres instruments de musique, ça sonne comme un tout autre genre musical. Nous avons fait la même chose avec « Insatiable » en version soft jazz latino, parce qu’il y a aussi un peu de ça ; c’est encore plus difficile à expliquer. Il faut écouter ces versions pour comprendre ce que nous essayons de dire avec. Nous avons travaillé avec un vrai joueur de cornemuse, ma femme a joué du flûtiau irlandais et des flûtes écossaises, j’ai joué de la guitare acoustique et des tambours. C’était très excitant de travailler là-dessus !

Sur le plan thématique, tu as déclaré que « parfois, il y a des moments décisifs dans sa vie, et ils peuvent tout changer. Il s’agit d’une prise de conscience. […] C’est un catalyseur qui nous réveille vraiment et nous fait dire : ‘Merde, qu’ai-je fait pendant tout ce temps ?’ » Te souviens-tu d’un tel moment catalyseur dans ta vie personnelle ou artistique ?

Tout à fait. Je pense que, si on y réfléchit un instant, tout le monde peut se souvenir quand il est entré dans un moment décisif de sa vie. Evidemment, la plupart des processus de changement sont une longue chaîne et séquence d’évènements, mais ce que j’aime à propos de ce concept de catalyseur, c’est qu’il y a généralement un déclencheur quelque part. Par exemple, le fait d’écouter Metallica à environ six ans en a été un pour moi. J’ai trouvé incroyable ce style de musique heavy que je n’avais jamais entendu avant. Dans ma tête, je me disais déjà qu’il fallait un jour que je monte un groupe. C’était la première étape. Par la suite, j’ai effectivement monté un groupe, ou plutôt j’en ai rejoint un, Dragonland, mais on connaît tous une période dans sa vie durant laquelle on doit choisir une direction. Je venais de terminer le lycée et je voulais vraiment faire de la musique, c’était sûr à cent pour cent, mais je me demandais si je devais aussi faire des études pour quelque chose de totalement différent ou si je devais juste me lancer à fond, tête baissée dans la musique.

« Nous sommes un groupe qui joue constamment sur les contrastes, entre ombre et lumière, heavy et pop, les growls et le chant d’Elize, etc., donc en creusant des sujets plus graves, ce que nous avons trouvé très intéressant était que nous pouvions quand même chanter et en parler d’une manière positive. »

Ce que j’ai fait, c’est que j’ai postulé pour une école de droit où j’ai été accepté. J’étais convaincu que j’allais jongler entre les deux, que j’allais écrire des chansons de heavy metal et aller en école de droit, j’étais sûr d’en être capable. C’était un grand projet, bien sûr, mais quelques semaines plus tard, nous sommes allés au Japon avec Dragonland. J’avais vingt ans à l’époque, c’était la première fois que j’allais à l’étranger et que je faisais un grand concert en tête d’affiche devant trois mille personnes. Je suis rentré à la maison et j’ai dit : « Au diable les études de droit ! Ce n’est pas ce que vais faire. Ceci est la chose la plus extraordinaire que j’ai jamais faite, c’est ma véritable vocation. Je vais définitivement m’engager à cent pour cent dans cette direction. » Je pourrais évidemment continuer en disant que le moment catalyseur suivant était ma rencontre avec Elize et le fait de commencer à écrire de la musique avec elle, puis la musique est sortie… Il y a tous ces moments durant lesquels une relativement petite chose se produit et conduit à un changement dans sa vie.

Le titre de l’album s’appuie aussi sur des thèmes tels que le changement climatique et la surconsommation. Le groupe semble avoir mûri et vouloir parler de sujets qui sont importants pour ses membres, en utilisant moins de métaphores. S’agit-il d’un changement radical dans la philosophie du groupe ou peut-être d’une suite logique de ce qui a été commencé avec Manifest il y a trois ans ?

C’est clairement une continuation de ce que nous avions amené avec Manifest. Nous sommes un groupe qui joue constamment sur les contrastes, entre ombre et lumière, heavy et pop, les growls et le chant d’Elize, etc., donc en creusant des sujets plus graves, ce que nous avons trouvé très intéressant était que nous pouvions quand même chanter et en parler d’une manière positive. Il est évident que le changement climatique n’a rien de positif, mais si tu y réfléchis plus d’une minute, il y a toutes ces réunions sur le sujet qui ne débouchent pas toujours sur de grandes choses, mais elles font réfléchir beaucoup de gens. On voit un tas de produits écologiques dans les magasins, et même si je suis tout à fait conscient que c’est loin d’être suffisant, on prend rarement le temps de se dire que ça a éveillé des pensées chez des milliards d’êtres humains. Tout le monde n’a pas la possibilité ou, disons, le luxe d’y penser parce qu’ils se battent pour survivre au quotidien, mais dans le monde occidental, avec le reste du monde, on s’est rallié à cette cause. Si tu ne trouves pas que c’est une belle chose, c’est que tu n’y penses probablement pas de la bonne façon, parce qu’on est confronté à quelque chose de vraiment terrible, mais ça a rassemblé les humains. Sans vouloir être trop philosophique, lorsqu’on est face à l’adversité, collectivement en tant qu’espèce, on a tendance à relever les défis d’une manière assez impressionnante.

Je pense que, même si tu prends le sujet le plus sombre, il peut toujours être transformé en contraste, appelons ça la lumière au bout du tunnel, et c’est un peu la façon dont nous abordons les paroles. C’est-à-dire qu’il n’y a rien de bon dans ces mauvaises choses qui arrivent, mais elles ont de bonnes conséquences, ce qui n’est pas pareil. Pour prendre un exemple concret, tu as « Insatiable » qui est une chanson qui parle littéralement de surconsommation et des conséquences qui en découlent. En même temps, si on n’écoute pas les paroles, on peut penser que c’est une chanson festive, qui parle de sortir le samedi soir et de s’amuser. C’est exactement le genre de truc cool que nous avons réalisé avec Manifest : on peut toujours faire ces chansons festives en leur donnant une thématique plus grave. Ça a toujours beaucoup de sens et ça apporte cette part intéressante de contraste et une nouvelle dimension.

Ce contraste, on le retrouve en effet dans les paroles, dans la musique et même dans les clips qui ont récemment été révélés, à la fois dans l’histoire et dans l’aspect visuel…

C’est sûr. L’une des raisons pour lesquelles nous adorons aborder ce genre de sujets est que, en tant que musicien, artiste et compositeur, ta vie est remplie du plus gros contraste imaginable. Ça vaut évidemment pour n’importe quel être humain, mais particulièrement pour nous, car ça peut aller de très intense – tu es en tournée, tu es constamment entouré de gens, c’est très bruyant, tu fais toi-même beaucoup de bruit quand tu es sur scène, etc. – à très calme quand tu rentres chez toi. Même si tu es avec ta famille, c’est le retour à la vie normale, tu n’obtiens aucun applaudissement lorsque tu fais des choses simples comme quand tu es sur scène ; ça peut te perturber un peu, quand personne n’est là pour t’applaudir parce que tu as fait la vaisselle – malheureusement, car ce serait sympa ! [Rires] Évidemment, nous sommes souvent confrontés à des contrastes dans notre vie quotidienne, ce qui est probablement l’une des raisons pour lesquelles nous trouvons qu’il est très intéressant d’aborder ces sujets ainsi.

« En tant que musicien, artiste et compositeur, ta vie est remplie du plus gros contraste imaginable. Ça peut aller de très intense à très calme quand tu rentres chez toi, où tu n’obtiens aucun applaudissement lorsque tu fais des choses simples comme quand tu es sur scène ; ça peut te perturber un peu, quand personne n’est là pour t’applaudir parce que tu as fait la vaisselle [rires]. »

A titre personnel, j’adore ces contrastes ; je trouve aussi que c’est très sain pour son cerveau. D’un point de vue professionnel, j’ai deux vies différentes. D’une part, je me pose souvent dans ce studio pour écrire de la musique, jouer des claviers et créer des choses, je m’occupe également beaucoup de l’administration du groupe et de l’envoi d’e-mails, ce genre de choses ennuyeuses. D’autre part, je pars en tournée, je monte sur scène et j’interprète la musique que j’ai passé beaucoup de temps à écrire. J’aime ces deux aspects. Peut-être que, d’une certaine manière, je me considère plus comme un compositeur que comme un artiste et un musicien, mais j’ai toujours voulu être un artiste et un musicien sur scène, j’adore ça, c’est vraiment un sentiment incroyable, mais ce qui est cool, c’est qu’il y a toujours ce va-et-vient entre les deux styles de travail, ce qui maintient l’intérêt. Je pense que ça se reflète aussi dans notre musique.

Chaque chanson parle du changement sous un angle différent. En fait, beaucoup de gens ont peur du changement, ça les stresse. Qu’en est-il pour toi ? Es-tu du genre à accepter le changement ou à être optimiste à son sujet ?

Je dirais que dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, le changement fait peur. Même si tu le vois totalement comme étant positif, la conséquence de ce changement va quand même t’effrayer. C’est comme ça qu’on fonctionne en tant qu’êtres humains et en tant qu’espèce : quand il y a un quelconque changement, on se méfie. Quand quelqu’un avec une couleur de peau différente arrive dans le quartier et que ça provoque un changement, les gens se méfient. C’est vraiment stupide, mais au bout du compte, on est programmés pour penser ainsi, car durant les dix ou cent mille dernières années, il a été très difficile de survivre en tant qu’être humain et quand tu atteignais l’âge de trente ans, tu faisais partie de la minorité qui a bien vécu. Ton cerveau te dit donc : « Peu importe ce que tu fais, ne le change pas parce que ça semble fonctionner ! » Il s’agit essentiellement d’une stratégie de survie du cerveau primaire, maintenant qu’on essaye de s’adapter à cette société infiniment complexe, avec des villes de millions de personnes. Il nous sera toujours difficile de faire face à ce genre de choses, car on faisait également partie d’une tribu. Disons que tu vas au bureau pour travailler, que vous êtes trente personnes dans ce bureau et qu’un jour tu décides de démissionner, parce que tu peux avoir un meilleur salaire ailleurs ou un travail plus sympa. Tout d’un coup ta tribu entière change et bien que ça peut t’enthousiasmer et te rendre optimiste, ton cerveau pensera toujours que c’est effrayant.

Je suis à cent pour cent pareil. A chaque fois que quelque chose change dans le groupe… Juste pour prendre un exemple concret, quand Henrik est parti, ce genre de choses n’est pas facile à gérer ; pour être tout à fait honnête, c’est même très difficile à gérer. Je pense que ça vaut pour tout être humain. C’est aussi le fait que lorsque tu as construit quelque chose comme Amaranthe, par exemple, comme nous l’avons fait pendant les quinze dernières années, tu as toujours peur qu’un changement puisse l’emmener dans une direction que tu n’aimes plus, que ça détruise le groupe, que quelque chose parte à vau-l’eau… Ça peut être vraiment effrayant. A la fois, pour citer Yoda, tu devrais entraîner ton esprit à lâcher prise. Ce n’est pas simple et je ne dis pas du tout que je suis doué pour ça, parce que je ne le suis probablement pas, mais c’est quelque chose dont j’essaie d’être conscient, auquel j’essaie de souvent penser : « D’accord, il y a ce grand changement qui arrive, mais jusqu’à présent, chaque changement que nous avons eu s’est transformé en quelque chose de très bon. » C’est pareil dans ma vie personnelle : des relations se sont terminées, mais ma femme est arrivée à la place, ce qui a été un changement fantastique pour le meilleur, puis nous nous sommes mariés et tout le reste. C’est pourquoi j’ai trouvé que le changement et les moments décisifs où celui-ci se déclenche étaient un sujet si intéressant à traiter dans The Catalyst.

L’album se termine par la reprise de « Fading Like A Flower » de Roxette. Qu’est-ce que ce groupe, et peut-être cette chanson en particulier, représente pour toi et qu’est-ce qui t’a donné envie de la reprendre ?

Tout d’abord, Roxette est évidemment un groupe que tous les Suédois ont beaucoup entendu dans les années 80. Cette chanson en particulier passait sur toutes les radios et ma sœur l’écoutait sur cassette à l’époque, tout comme ABBA, Ace Of Base ou E-Type ; ça fait partie de l’ADN suédois d’être exposé à toute cette musique suédoise ayant ce type de sensibilité. Elize et moi, en tant que compositeurs, avons toujours été inspirés par Roxette. Nous ne nous disons pas forcément : « Inspirons-nous de telle chanson », mais ça fait partie de notre colonne vertébrale, de notre ADN. A l’époque où nous voyagions pour tourner les vidéos de Manifest, comme nous ne pouvions pas prendre l’avion, nous avons passé beaucoup de temps à rouler en van. A ce moment-là, le groupe discutait beaucoup du fait qu’il serait intéressant d’aller en studio, non pas pour enregistrer un nouvel album, mais pour enregistrer quelques reprises ici et là. Nous avons donc commencé à lancer des idées de chansons. Finalement, nous ne l’avons pas fait, car à la place, nous avons commencé à travailler sur le nouvel album. L’une des suggestions de plusieurs membres du groupe était « Fading Like A Flower ». Ce n’était même pas ma propre suggestion, mais j’ai tout de suite été enthousiaste, car je trouve que c’est vraiment une super chanson.

« Dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, le changement fait peur. Même si tu le vois totalement comme étant positif, la conséquence de ce changement va quand même t’effrayer. Ton cerveau te dit : ‘Peu importe ce que tu fais, ne le change pas parce que ça semble fonctionner !’ Il s’agit essentiellement d’une stratégie de survie du cerveau primaire. »

Elle rappelle aussi l’approche d’écriture d’Amaranthe parce qu’elle a des parties plus sombres dans sa première moitié et ensuite, on arrive sur un refrain très exaltant. Au moment où j’ai écrit l’album avec Elize, nous n’avions même pas décidé que nous allions y mettre « Fading Like A Flower », mais si l’on compare cette chanson et « The Catalyst », je peux voir qu’il y a beaucoup de similitudes dans la façon de penser, même si c’est assez différent en termes de composition. C’est aussi sympa de rendre hommage à un groupe qui vient de la petite Suède ; ils viennent de trois kilomètres au sud d’ici, à Halmstad, une toute petite ville que personne ne connaît. Ils sont allés jusqu’à New York, leur musique est présente dans le film Pretty Woman… Dès cette époque, ils nous ont montré que c’était possible de chanter en anglais, de faire des chansons qui déchirent et de devenir une popstar ! C’est cool de leur rendre hommage pour ça.

La sortie de l’album coïncide avec le début de votre tournée en double tête d’affiche avec Dragonforce en Europe. Est-ce compliqué de gérer la promotion et l’organisation d’une grande tournée comme celle-ci en même temps ? Qu’est-ce qui est différent à propos d’une tournée en double tête d’affiche ?

Évidemment, il y a beaucoup de travail, comme faire de la promotion et parler à des gens sympas comme toi. Dans le même temps, demain, je vais me poser pour faire une intro pour le show. Il y a donc un peu de va-et-vient entre différentes choses, mais comme je l’ai dit plus tôt, c’est ainsi que j’aime que ça se passe. Je dois aussi souligner que nous travaillons avec des gens fantastiques, comme Nuclear Blast, qui organisent le planning de la promotion. Je trouve qu’ils font du super boulot en organisant tout pour que ce soit le bon type d’interviews et qu’elles aient lieu quand elles doivent avoir lieu. Je leur donne plusieurs heures de disponibilité et je n’ai pas besoin de planifier les choses pour penser à parler aux journalistes. Pour la tournée, c’est pareil, nous avons un super management et un tour manager qui s’occupe de tout le travail préparatoire. C’est un peu un travail ennuyeux, mais ça peut être intéressant de parler de ce qui se passe en coulisses, parce que pour qu’une tournée comme celle avec Amaranthe et Dragonforce ait lieu, c’est évidemment beaucoup de travail et si les choses tournent mal, il y aura toujours quelqu’un à blâmer et c’est vraiment bien d’être à l’abri des reproches, de savoir que ce n’est pas soi qui a organisé tout ça.

Pour faire court, nous travaillons avec des gens vraiment fantastiques et ça va être très excitant de faire cette tournée. Nous l’avons en quelque sorte déjà faite aux Etats-Unis, sauf que, comme tu l’as mentionné, c’est une tournée en co-tête d’affiche, ce qui veut dire que nous jouons des setlists égales et que nous passons derniers sur des soirées différentes dans diverses parties de l’Europe, un peu en fonction du succès du groupe [à un endroit donné], c’est un peu difficile à dire. Dragonforce est légendaire grâce à Guitar Hero et il a sorti six albums depuis cette époque, mais il y a quand même des régions en Europe où nous sommes très populaires, donc nous allons clore les concerts là-bas par exemple. En ce qui concerne l’ambition générale de cette tournée en double tête d’affiche, lorsque nous étions partis en tournée avec Dragonforce, ils mettaient leur matériel sur scène et nous devions nous contenter de l’espace restant, ce qui est tout à fait normal car ils étaient la tête d’affiche, mais maintenant que nous sommes en co-tête d’affiche, nous nous laissons mutuellement des scènes vides et nous faisons nos productions respective, la nôtre étant de loin la plus ambitieuse que nous ayons jamais faite pour un concert d’Amaranthe, donc ce sera vraiment excitant aussi !

Tu as mentionné plusieurs fois Dragonland, le groupe dans lequel tu joues également de la guitare. Dragonland a sorti un album en octobre 2022 – le premier en onze ans – et est parti en tournée pour quelques dates en 2023, mais avec Stuart Docherty comme remplaçant ; dirais-tu que ça s’est produit pour des raisons pratiques et à cause de l’énorme quantité de travail qu’exige Amaranthe ? Dirais-tu que tu dois donner la priorité à Amaranthe, qui prend de plus en plus d’ampleur au fil des ans ?

Oui, c’est la conséquence malheureuse et c’est aussi une conversation que nous avons eue avec les gars de Dragonland à l’époque, il y a déjà quinze ans, parce qu’ils avaient d’autres boulots à côté. Par exemple, Elias [Holmlid], mon partenaire de composition et claviériste, travaille chez EA, la société de jeux vidéo, et il fait un travail formidable pour eux, donc c’est un super boulot et je comprends tout à fait que c’est la direction qu’il veut prendre, parce que c’est ce que son cœur lui dicte. Personnellement, je ne voulais pas avoir un groupe à côté et un autre travail principal, je voulais faire de la musique à plein temps, alors j’ai continué à essayer de voir comment franchir cette étape, parce que ce n’est bien sûr pas la plus facile à franchir. Tu dois écrire de la bonne musique et les gens doivent l’aimer, ce qui est la partie difficile [rires]. Nous avons donc commencé Amaranthe en 2008 et relativement tôt, dès les deux premières années, nous pouvions voir que le groupe allait dans la bonne direction. Il prenait déjà de l’ampleur avant même la sortie du premier album.

« J’ai commencé à prendre des cours de violon à l’âge de douze ou treize ans, ce qui est malheureusement un peu trop tard si on veut devenir violoniste professionnel. J’ai investi beaucoup de temps pour essayer de compenser le fait que j’avais commencé si tard. »

Nous avons eu une autre discussion [avec Dragonland] et j’ai dit que si tout se passait bien, je n’aurais probablement plus beaucoup de temps pour jouer et travailler eux. J’ai aussi été très clair sur le fait que, quelle que soit la durée pendant laquelle je serais autorisé à rester dans le groupe, [je resterais]. Après toutes ces années, nous sommes tous de très bons amis et ils ont dit : « Non, mec, ne t’inquiète pas pour ça, quelle que soit la forme sous laquelle tu pourras contribuer au groupe, nous serons ravis que tu joues sur les albums – ce qui est ce qui me prend le moins de temps – et si tu veux écrire de la musique, tu es le bienvenu. » Il leur a fallu un peu de temps pour trouver un remplaçant plus permanent. Comme j’étais pas mal impliqué dans Amaranthe, j’ai fait mon dernier concert avec eux peut-être en 2016 ou 2017 ; ça collait bien avec mon emploi du temps, donc j’ai pu aller jouer au Prog Power aux États-Unis (en 2015, NDLR), et c’était très amusant. En ce qui me concerne, pour les concerts, Doc est le guitariste principal par rapport à moi, mais je lui ai aussi parlé du fait que si je voulais faire un concert à un moment donné, je serais autorisé à le faire. Il s’agit juste de voir ce qui se passera.

Dragonland est un groupe de power metal, qui est un genre de metal différent d’Amaranthe ; en tant que guitariste et claviériste, est-ce stimulant de jouer des styles aussi divers ? Tu as parlé de chansons de quatorze minutes, qu’est-ce que ça t’apporte de jouer des styles aussi différents ?

Ça rend les choses très intéressantes, car il y a évidemment des similitudes dans le sens où la musique de Dragonland est très mélodique, accrocheuse et à la fois heavy, contrastée, etc. En même temps, on me demande parfois s’il y a des idées que j’ai initialement écrites pour Dragonland et qui ont fini plus tard dans Amaranthe, et ce n’est absolument pas le cas. Quand je commence à travailler sur un projet, que ce soit un album d’Amarante ou de Dragonland, si j’écris quelque chose, ce sera écrit pour une formation de musiciens très spécifique, pour un objectif très spécifique et pour un type de dynamique très spécifique lié au groupe. Un bon exemple est que la même année où nous avons sorti le premier album d’Amaranthe, nous avons aussi sorti l’avant-dernier album de Dragonland ; il s’agissait d’un concept fantastique, j’ai donc écrit une histoire qui m’enthousiasmait beaucoup, plus du point de vue d’un auteur que d’un musicien, puis nous avons pris toutes ces idées narratives et Elias et moi les avons progressivement transformées en chansons. Plus tard, j’ai travaillé sur le livret du disque et sur de petites parties de la pochette. Nous avons aussi eu des invités extraordinaires qui se sont joints à nous sur l’album. J’écoute encore cet album de temps en temps et je le considère toujours comme l’un des moments dont je suis le plus fier dans ma carrière, parce qu’il a nécessité énormément de travail, et même s’il n’a pas eu la même exposition qu’un album d’Amaranthe, ça n’a pas vraiment d’importance pour moi, parce que je peux toujours revenir à cet album et en être très fier. Assez souvent, lorsque je donnais des concerts avec Amaranthe, des gens venaient me dire : « Cet album a beaucoup compté pour moi et j’aime beaucoup l’écouter. » Il remplit donc parfaitement son rôle. C’est ce que je fais pour tous mes projets, je me demande : « En quoi ceci est différent des autres choses que je fais et comment veux-je transmettre ces émotions et ces idées en musique ? »

Tu as également joué du violon dans Dragonland. Quelle est ton histoire avec cet instrument ?

Peu de personnes le savent, en fait ! [Rires] Pour faire court, ma sœur a commencé à jouer du violon à l’âge de cinq ou six ans et je voulais faire exactement pareil parce que j’aimais vraiment l’idée de cet instrument, il est très beau. Ma sœur a galéré avec le violon parce que ce n’est pas comme au piano où on peut avoir six ans, s’asseoir devant, appuyer sur différentes touches et ça va bien sonner. Le violon va sonner horriblement mal pendant les premières années de pratique jusqu’à ce que ça commence à sonner un petit peu mieux. Ma sœur pleurait, elle détestait ça. Je demandais à mes parents : « Puis-je jouer du violon ? » Et ils disaient : « Non, regarde ta sœur, c’est la pire chose qu’elle ait jamais faite ! » [Rires] Je n’ai pas vraiment pu jouer du violon, ce qui était triste. Quand je me suis mis à jouer de la guitare plus sérieusement, disons à l’âge de douze ans, quelque chose comme ça, je m’entraînais beaucoup et je pense que ça a montré à mes parents que j’étais très sérieux vis-à-vis de la musique. Je lisais beaucoup de théorie musicale, ce n’était pas juste un truc amusant pour un adolescent ou un enfant, c’était quelque chose que je voulais vraiment faire. J’ai donc pu commencer à prendre des cours de violon à l’âge de douze ou treize ans, ce qui est malheureusement un peu trop tard si on veut devenir violoniste professionnel, mais on peut quand même devenir très bon – et je ne dis pas que je le suis, mais j’ai investi beaucoup de temps pour essayer de compenser le fait que j’avais commencé si tard. Sans entrer dans les détails, c’est lié au fait que le corps doit grandir avec l’instrument, il faut y consacrer de très nombreuses heures de pratique. J’ai continué à m’entraîner. Je ne joue plus autant, mais c’est quelque chose que j’aime toujours faire. J’ai mentionné le concert au Prog Power : c’était la première et la seule fois où joué du violon sur scène. C’était une sensation incroyable. Mais c’est surtout quelque chose que je fais pour mon propre plaisir. Je sors des partitions de Mozart ou de Vivaldi et je joue comme on lirait un livre.

Interview réalisée par téléphone le 17 janvier 2024 par Mathilde Beylacq.
Retranscription & traduction : Mathilde Beylacq.

Site officiel d’Amaranthe : www.amaranthe.se

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Mick Mars – The Other Side Of Mars https://www.radiometal.com/article/mick-mars-the-other-side-of-mars,470020 https://www.radiometal.com/article/mick-mars-the-other-side-of-mars,470020#comments Tue, 20 Feb 2024 17:09:33 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470020 Le guitariste légendaire, l’auteur de riffs mythiques de Mötley Crüe, Mick Mars, soixante-douze ans, sort son premier et tant attendu album solo. Au titre inconscient sur le plan psychanalytique, l’autre côté de Mars dévoile une jolie versatilité artistique, produite par son ami de longue date, Michael Wagener, sorti de sa retraite pour l’occasion. Epaulé à […]

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Le guitariste légendaire, l’auteur de riffs mythiques de Mötley Crüe, Mick Mars, soixante-douze ans, sort son premier et tant attendu album solo. Au titre inconscient sur le plan psychanalytique, l’autre côté de Mars dévoile une jolie versatilité artistique, produite par son ami de longue date, Michael Wagener, sorti de sa retraite pour l’occasion. Epaulé à la composition par Paul Taylor (claviers, ex-Winger), Mars a engagé Jacob Bunton et Brion Gamboa (sur deux titres) au chant, Ray Luzier (Korn) à la batterie et Chris Collier à la basse. Ce dernier est également responsable du mix particulièrement punchy et moderne ; le premier single dévoilé, « Loyal To The Lie », lourd et rentre-dedans rythmiquement, avec son refrain très mélodique, en est le parfait témoignage. « Right Side Of Wrong », le second extrait, rappelle le Mötley Crüe de l’époque John Corabi, avec ce riff pachydermique croisé à du Stone Temple Pilots, tandis que le troisième, « Undone », est une power ballade musclée où Gamboa, de son timbre plus sombre, apporte une autre couleur mélodique.

Mars, en maître du riff, laisse sa guitare s’exprimer avec des notes simples, un toucher ciblé et un son massif. Il revisite de façon assez inattendue la fibre d’un Alice In Chains (« Broken On The Inside » au refrain bulldozer et au final mélodique qui se désintègre) ou le heavy rock avec des arrangements mêlant modernité et héritage des années 80 (« Ready To Roll », « Ain’t Going Back »). « Killing Breed » (chanté par Gamboa) opte carrément pour un tempo assommant, presque doom. Le mid-tempo mélancolique « Alone » et le piano-voix « Memories », et ses arrangements de cordes, font office de ballade de rigueur. C’est l’instrumental hard-bluesy « LA Noir » qui clôt les hostilités. Le guitariste y fait chanter sa Fender à coups de sonorités seventies, en écho au « Bittersuite » de l’EP Quaternarty. The Other Side Of Mars ? Tout le talent de Mick Mars résumé en dix titres très contemporains. L’album que Mötley Crüe aurait dû sortir pour son retour ? Peut-être bien…

Clip vidéo de la chanson « Undone » :

Clip vidéo de la chanson « Right Side of Wrong » :

Clip vidéo de la chanson « Loyal To The Lie » :

Album The Other Side Of Mars, sortie le 23 février 2024 via 313 LLC. Disponible à l’achat ici

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Hysteria : hérétique et organique https://www.radiometal.com/article/hysteria-heretique-et-organique,470290 https://www.radiometal.com/article/hysteria-heretique-et-organique,470290#respond Mon, 19 Feb 2024 16:51:23 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470290 Voilà plus de vingt ans qu’Hysteria évolue dans la sphère extrême lyonnaise, se produisant principalement dans les salles obscures de la région pour proposer sa contribution à la musique qu’il chérit ! Démarrant sur une base plutôt axée vers le brutal death metal, la formation bientôt trentenaire a évolué au fil de ses écoutes personnelles […]

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Voilà plus de vingt ans qu’Hysteria évolue dans la sphère extrême lyonnaise, se produisant principalement dans les salles obscures de la région pour proposer sa contribution à la musique qu’il chérit ! Démarrant sur une base plutôt axée vers le brutal death metal, la formation bientôt trentenaire a évolué au fil de ses écoutes personnelles pour s’affiner vers un blackened death mélodique aux atmosphères plus mélancoliques. Mais malgré son âge et son line-up solide, Hysteria n’a jamais cherché à devenir la future tête d’affiche des festivals… Le quatuor se fait simplement plaisir, sans prétention aucune, mais il le fait avec passion et sérieux. C’est donc cette philosophie qui guidera son évolution l’amenant jusqu’à ce quatrième album, Heretic, Sadistic And Sexual Ecstasy… Ce nouvel opus présente un véritable effort de production, développe davantage ses affinités avec le black metal, et pourrait bien attirer les oreilles des amateurs du genre même bien au-delà de nos frontières…

Retour au fief du groupe où tout se déroule depuis 1996, à la capitale des Gaules. Si Hysteria a vu plusieurs petites salles mettre la clé sous la porte dans sa ville, il a toujours bien été accueilli dans le désormais incontournable Rock’n’Eat. Preuve de l’aura du groupe sur son territoire, le public a assurément répondu présent à l’occasion de la release party du nouvel album, avec un ‘Rock’ des grands soirs, bien plein pour une soirée prix libre. Nous nous sommes rendus sur place quelques heures avant la messe pour réaliser un entretien dans les loges de la salle avec ses murs couleur rouge sang. Le décor est donc idéal pour discuter avec les quatre musiciens et amis d’enfance, Xavier Chautard, Jérôme Christophe, Sylvain Ostengo et Adrien Desmonceaux, avec qui nous avons parlé de la composition du nouvel opus, de ses thématiques viscérales et blasphématoires, mais aussi de la scène locale et de leur ouverture pour le co-plateau Dissection et Watain vingt ans auparavant…

« Nous voulions faire du bourrin, mais nous voulions mélanger la mélodie ou la mélancolie au côté brutal. Aujourd’hui, je pense que c’est ce qui fait un peu l’identité d’Hysteria. »

Radio Metal : Vous êtes reconnus à l’échelle locale dans la scène death metal lyonnaise, au même titre qu’un Destinity, vous avez bientôt trente ans d’existence, vous n’avez connu qu’un seul changement de line-up avec le départ de Thibault Fontaine à la basse et l’intégration d’Adrien Desmonceaux en 2018, qui était un ami de longue date. Pourtant, il y a quand même pas mal d’années qui séparent vos sorties. Quelle a été votre vision d’Hysteria et quel est votre rapport au groupe ?

Xavier Chautard (batterie) : Nous n’avons pas du tout une vision professionnelle. C’est plutôt une histoire d’amitié qui dure depuis vingt-huit ans. Ça fait maintenant presque six ans qu’Adrien est dans le groupe. Nous ne voulons pas du tout nous professionnaliser, parce que clairement, ce que nous en pensons est que plus tu vas te professionnaliser, plus tu auras de deadlines, des choses à fournir, or comme tu l’as remarqué, nous sommes de grosses feignasses ! [Rires] Nous sortons des CD tous les cinq ou sept ans, sans aucune pression et nous avançons comme nous avançons.

Tu as fait partie de groupes qui avaient une vocation quasi pro – Aorlhac, par exemple, qui, je pense, n’avait pas la même vision sur ce sujet. Du coup, même quand vous étiez jeunes, vous n’avez jamais eu ce fantasme par rapport à Hysteria ?

Non, pas du tout, parce que c’est allé assez vite : mes collègues ont eu des enfants et nous avons tous des boulots à responsabilités. Jérôme est responsable qualité, Sylvain est responsable achat, Adrien est forgeron à son compte et moi, je suis responsable logistique. Nous avons donc des boulots qui nous ramènent la tune qu’il nous faut pour vivre et nous pensons clairement que la musique, surtout en 2024, ne nous rapporterait pas du tout ça.

Jérôme Christophe (guitare) : Quand nous étions jeunes, il faut savoir que nous étions dans les mêmes collèges, nous sommes allés dans les mêmes lycées, donc nous avons eu presque les mêmes diplômes. Nous allions à l’école et nous faisions le groupe. Quand nous partions dans notre vocation professionnelle, nous avions le groupe en parallèle. Nous avions les pieds sur terre, nous savions que, pour en vivre, il n’y avait pas de la place pour tout le monde. Après, nous avons essayé de jouer au mieux que nous pouvions. Au début, c’était plus comme ça, en jouant un peu, puis nous avons dit que nous aimions bien, que voulions faire des concerts, et puis que nous pouvions enregistrer. Nous avons mis notre pierre à l’édifice comme ça. Après, c’est un gros investissement. On voit Xavier qui a joué dans trois groupes… Nous ne voulons pas forcément tous cette vie-là. Si ça s’était présenté, nous ne savons pas comment nous aurions réagi. Comme je le disais, nous sommes des potes de troisième, et même si Adrien est arrivé plus tard, ça faisait longtemps que nous le connaissions. Nous sommes une bande de potes qui a écouté de la musique, qui a été fan des Sepultura, Metallica, etc. et qui, un jour, a dit : « Eh, nous aussi on veut essayer ! » et nous avons fait ça dans les garages, comme tout le monde.

Même si vous dites que vous êtes des « feignasses » et que c’est une aventure de potes, vous faites quand même les choses assez sérieusement, avec certaines exigences, car il y a une qualité de composition, de production, etc.

Sylvain Ostengo (chant & guitare) : C’est clairement une aventure sérieuse, mais nous ne nous prenons pas la tête, nous ne nous mettons pas de défis, nous ne nous donnons pas des objectifs à sortir un album tous les deux ans. Ça vient comme ça vient. Nous prenons notre temps à composer et nous avançons comme ça, mais globalement, nous le faisons quand même sérieusement. Effectivement, le mot « feignasse » est peut-être un petit peu fort, mais disons que nous prenons notre temps, nous composons, nous peaufinons, nous avançons, et ça doit sortir quand ça doit sortir, sans pression.

Justement, comment se passe la composition chez Hysteria ? Est-ce que c’est collectif ou est-ce que vous avez un membre qui compose la majorité des titres ?

Sur les derniers albums, globalement, je crée la base, le squelette, les fondations des morceaux. J’arrive avec une maquette assez bien établie. Ensuite, nous peaufinons et faisons les arrangements en répétition. Nous en discutons, s’il y a des choses qui ne marchent pas, nous éliminons ; s’il y a des choses qui marchent, nous gardons. Quand je fais la structure, c’est vraiment avec les instruments de base, c’est-à-dire guitare et batterie, nous peaufinons ça en répétition, et ensuite Xavier écrit les paroles, et avec celles-ci, nous remanipulons un peu des riffs et ce genre de choses.

Vous avez quatre albums et deux EP à votre actif. Même si chaque album sonne différemment, on remarque que la constance chez Hysteria, c’est une ligne mélodique dans les guitares avec un ensemble assez brutal. Comment définissez-vous le son et la singularité d’Hysteria ?

Si on part du premier album, Haunted By Words Of Gods, nous avons quand même beaucoup évolué. A l’époque de Haunted, nous étions plus death, plus brutal. Avec le temps, nous avons un peu orienté notre style vers une tendance plus black, comme sur le dernier album, notamment grâce à l’arrivée d’Adrien. C’est aussi lié à nos écoutes, forcément, il y a tout un environnement qui a créé tout ça. Après, nous avons toujours aimé ce côté un petit peu mélodique. Nous voulions faire du bourrin, mais nous voulions mélanger la mélodie ou la mélancolie au côté brutal. Aujourd’hui, je pense que c’est ce qui fait un peu l’identité d’Hysteria. Quand on écoute le dernier album, on voit que l’ambiance est vraiment différente du premier.

« Quand nous étions ados, nous attendions la sortie de Once Upon The Cross de Deicide, nous ouvrions le CD, nous voyions la pochette à l’intérieur avec le Christ qui était tout ouvert sur une table d’opération, c’est censuré et nous aimons ce genre de truc. »

Ce dernier album s’intitule Heretic, Sadistic And Sexual Ecstasy… Vous êtes entrés en studio en avril 2023. Quand a commencé l’écriture de cet album ?

Je crois que les deux premiers morceaux, « Armageddon Must Come » et « Vortex Of Confusion », sont venus juste avant le Covid-19. J’avoue que pendant le Covid-19, nous aurions peut-être pu en profiter pour composer, mais ça n’a pas marché. Je pense qu’il y avait le phénomène d’être chacun chez soi, or nous aimons bien l’esprit de groupe, de nous retrouver, etc., donc c’était un peu frustrant pour la composition. Personnellement, je ne l’ai pas fait, je n’avais pas le goût à ça.

Jérôme : Nous avons dû faire le mini From The Abyss… To The Flesh en 2019 après l’arrivée d’Adrien ; nous voulions avoir quelque chose avec le chant d’Adrien et le nouveau style s’orientait déjà vers quelque chose d’un peu plus black. Nous avons démarché pour des concerts juste après, et ensuite c’est reparti un peu dans la composition, comme tous les groupes. Par exemple, en ce moment, nous démarchons l’album, mais il y a zéro nouvelle compo pour l’instant, ce sera plus tard. Ça fonctionne par phases.

On a l’impression que les lignes mélodiques sont plus soignées et dirigées pour développer une certaine atmosphère, plus que pour être dans l’efficacité et le côté « riffs tranchants » que les précédents albums…

Sylvain : L’idée que j’ai eue sur ce dernier album était de vraiment poser des riffs et de créer une ambiance, une atmosphère. Je pense que c’est ce qu’on retrouve, avec des riffs qui tournent un peu plus en boucle, on a le temps de rentrer dedans. L’idée n’était pas d’envoyer des riffs les uns derrière les autres, en enchaînant basiquement, mais de créer cette atmosphère mélancolique, un peu pesante, avec ce côté black qu’on retrouve dans le style. Comme je disais, c’est aussi beaucoup lié à l’apport d’Adrien. Il faut savoir que sur le dernier album, globalement, nous sommes quasi à cinquante-cinquante au niveau du chant, alors que sur les albums précédents, je faisais quatre-vingt-dix pour cent du chant et dix pour cent, c’était du backing. Aujourd’hui, nous sommes deux chanteurs. Nous avons pas mal travaillé sur cet album sur des passages de voix à deux, ce qui a obligé à faire des tours de riffs et de vraiment poser les bases. Pour l’instant, l’album est plutôt bien accueilli et nous sommes très satisfaits du résultat.

On retrouve un sample sur la chanson éponyme de l’album, ce qui contribue aussi à cette ambiance un peu malsaine…

Sylvain : Oui, c’était une idée que nous avions. C’est le titre de l’album, avec les paroles qui vont avec, donc nous voulions créer cette ambiance au milieu. Je ne sais pas si les gens le perçoivent, mais ça représente un petit peu une scène de viol qui finit… Bref, l’idée était de poser un sample au milieu et de repartir avec un riff qui enchaîne derrière. Je trouve que ça marche bien !

Une autre évolution notable est au niveau de la production. L’album a été confié à l’ingénieur du son Thibault Bernard, qui est connu dans le milieu lyonnais (il travaille notamment avec Celeste). Vous aviez la volonté d’une production plus « clean », sans pour autant être trop lisse ?

Xavier : Je ne dirais pas spécialement « clean ». Nous avions envie d’un son plus organique, ce qui se ressent beaucoup sur la batterie, puisque sur les trois dernières productions nous avions enregistré avec une batterie électronique et des cymbales, ce qui faisait que nous avions un son ultra synthétique. Cette fois, nous voulions avoir une vraie batterie acoustique et donner de la couleur à ce CD. Je pense que c’est là que Thibault a été super fort. A la base, ce n’est pas du tout le son que nous voulions, je voulais autre chose niveau son de batterie, mais petit à petit, il a réussi à nous orienter vers un son de batterie très naturel. Pour les guitares, nous n’avons pas eu spécialement de choses à redire sur l’enregistrement. Avec la basse, nous avons eu quelques soucis, parce que Thibault est beaucoup plus dans les basses bien modernes, or pour nous, ça ne passait pas. Nous ne voulions pas que cette basse soit claquante. Nous voulions garder une basse plus ronde. Autrement, il a eu carte blanche et ça s’est passé super bien.

Sylvain : Nous avons aussi voulu passer un cap en faisant appel à Thibault. Jusqu’à présent, nous avions un ingé son qui était notre pote. Nous faisions notre petite salade entre nous. Avec Thibault, le but était vraiment de faire un gros son, un « vrai » album. Pour nous, ça a aussi été compliqué, car ça a été une démarche studio dont nous n’avions pas forcément l’habitude. En tout cas, le résultat est super, Thibault est un mec super. C’était un peu dans la douleur, mais ça s’est bien passé [rires].

« Il y a des titres qui parlent beaucoup, pas de la fin du monde, mais de l’évolution de la société, du monde en ce moment, mais ça ne veut pas dire pour autant que nous sommes des conquéreurs de l’apocalypse, pas du tout. Notre vision du monde est ce qu’elle est, mais nous ne passons pas notre vie à en parler. »

Xavier : Une chose que nous avons oublié de souligner est que le choix du studio a aussi été fait de cette façon : il y avait quelques studios où nous voulions aller et, en écoutant leurs prods, nous nous sommes rendu compte qu’il y en a certains qui te font leur son, et tous les groupes qui en sortent ont un peu le même son. Je ne citerai pas les studios que nous envisagions, mais nous nous sommes dit : « Ils font du black mais ils ont le même son que sur du heavy ou autre ! » Alors que quand tu écoutes les productions de Thibault Bernard, il n’y en a pas deux qui sonnent pareil. Autant Dépérir sonne très black metal old school, autant il peut faire un live de Benighted qui va sonner ultra death metal moderne, autant il peut faire un truc hardcore à la Kamizol-K, et puis il enregistre pas mal de styles, donc ça l’aide pas mal dans sa démarche.

Vous disiez que vos goûts avaient évolué en matière de metal avec le temps. Est-ce que vous aviez des « albums références » pour travailler cet album ?

Jérôme : Nous n’écoutons pas tous la même chose, donc c’est vraiment l’inspiration du moment par rapport à ce que nous écoutons. Personnellement, je suis le plus soft, j’écoute du heavy, des shredder, beaucoup de scandinave, mais aussi du gros death. Mes deux compères là-bas sont plus black, plus ambiance. Après, ça dépendra surtout de ce que Sylvain va écouter. Moi, je compose plus sur les solos, donc ils ne sont pas du tout black, c’est plus mélodieux.

Xavier : Au grand désespoir d’Adrien [rires].

Sylvain : Honnêtement, il n’y a pas de CD type. J’avoue qu’aujourd’hui, nous avons des playlists, nous écoutons tellement de groupes… Je n’ai pas d’influence particulière.

Adrien Desmonceaux (basse) : Au niveau de cet esprit des riffs qui se posent et posent une ambiance, il y a le groupe Fluisteraars que je trouve assez magistral, qui est vraiment dans cet esprit de riffs qui s’installe, qui dure et qui évolue, et que j’arrive à retrouver un petit peu sur le dernier album d’Hysteria. Après, c’est une vision qui m’est très personnelle et qui n’est pas forcément partagée par les autres membres du groupe.

Vous parliez du côté organique… Diriez-vous être nostalgiques de la scène black/death de fin 90 et début 2000 ?

Sylvain : Nostalgiques, non, pas forcément. C’est bizarre parce que ça fait plusieurs fois que les gens nous font la remarque qu’il y a un peu ce côté old school, black/death des années 90. Je ne le ressens pas forcément. Il n’y a pas de nostalgie. Je trouve ça limite plutôt moderne comme approche. Nous avons plutôt la volonté d’avancer que de rester dans le passé, ce n’est pas du tout la thématique de l’album.

L’album porte le nom de la troisième chanson « Heretic, Sadistic And Sexual Ecstasy ». Pourquoi est-ce ce titre que vous avez choisi pour cet album ?

Xavier : Parce que nous voulions un titre qui choque ! [Rires] Et nous voulions une pochette qui choque, parce que nous nous rendons compte, en général, que ça dérange aujourd’hui. Quand nous étions ados, nous attendions la sortie de Once Upon The Cross de Deicide, nous ouvrions le CD, nous voyions la pochette à l’intérieur avec le Christ qui était tout ouvert sur une table d’opération, c’est censuré et nous aimons ce genre de truc. Nous aimons vraiment que ça parle de nous et que le titre soit évocateur.

Evidemment, il donne des indications sur le côté viscéral et blasphématoire de vos thématiques. Est-ce vraiment ce que vous cherchez à explorer thématiquement ou est-ce pour donner un décor malsain à l’ensemble ?

C’est pour donner un décor assez malsain à l’ensemble, oui, tout simplement. Les paroles qui sont écrites, ce sont clairement des délires. Il y a des titres qui parlent beaucoup, pas de la fin du monde, mais de l’évolution de la société, du monde en ce moment, mais ça ne veut pas dire pour autant que nous sommes des conquéreurs de l’apocalypse, pas du tout. Notre vision du monde est ce qu’elle est, mais nous ne passons pas notre vie à en parler. Justement, nous essayons de ne pas en parler, de nous voir et de passer de bons moments ensemble.

Derrière cette idée du blasphème et du vice, il y a donc un côté « amusement à la provocation », folklore, ou bien est-ce qu’il y a une dénonciation, par exemple, du puritanisme, ou est-ce un mix des deux, un peu comme un Behemoth ?

C’est clairement un mix des deux, sans prise de tête, sans avoir de message à faire passer, car nous n’en avons pas à faire passer dans cet album. Nous sommes tous athées et apolitiques. Après, si les gens y retrouvent des choses, très bien. S’ils s’y retrouvent eux-mêmes, c’est bien.

« A l’époque, ce qui était cool, c’est qu’il y avait des associations sur Lyon qui géraient un peu tous ces concerts et elles avaient la capacité de faire ouvrir avec des groupes locaux de la scène lyonnaise, ce qui, aujourd’hui, est très compliqué sur ce genre de tournée. Si vous faites jouer Behemoth et Watain, à mon avis ceux qui ouvriront, ce ne sera jamais un groupe local. »

C’est le troisième album que vous confiez à Seth Siro Anton de SepticFlesh pour l’artwork. Lui avez-vous donné des consignes particulières ?

Jérôme : C’est Xavier qui écrit les paroles, donc il a des idées visuelles qui collent avec celles-ci. Il lui a donné pas mal de directives, sur des pieuvres, un bouc… Nous lui avons aussi donné le titre de l’album, les paroles auxquelles il faisait référence pour qu’il crée tout cet artwork. Après, nous lui donnons des thèmes, nous ne lui disons pas ce que nous voulons exactement, de toute façon, ça ne marche pas comme ça avec lui. Tu ne vois rien, pas de prod, pas de maquette. Quand il te fait la maquette, tu as quatre ou cinq versions différentes, mais toujours sur le même thème. A ce moment-là, Xavier a recommuniqué, parce qu’il y a des choses que nous voulions et que nous ne retrouvions pas. Nous avons donc réinsisté. Nous avons pu l’amener dans ses derniers retranchements, mais il y a des choses qui, en tant qu’artiste, n’étaient pas sa signature, mais nous sommes très contents dans l’ensemble. Tout le monde a été satisfait. Nous cherchions à avoir une pochette avec un joli grain, quelque chose de très harmonieux et toute une thématique intérieure, car on peut un jour trouver une super pochette, mais il faut faire tout l’intérieur, or lui vous fait le package. Après, je sais que nous en avions démarché d’autres…

Xavier : Nous avions démarché le mec qui fait les pochettes de Sulphur Aeon. Il était branché par le projet, mais pas trop dispo. Nous voulions clairement que la pochette soit prête avant de rentrer en studio. Nous avons toujours couru dans toute notre carrière avec les pochettes qui arrivent au dernier moment pour le pressage. Là, nous avons voulu anticiper. Du coup, nous avons choisi la simplicité de retourner avec Seth puisque nous savions comment ça allait marcher.

Il y a vingt ans, en novembre 2004, vous ouvriez pour Watain et Dissection. Quels souvenirs gardez-vous de ce concert, et plus globalement de cette époque ?

Sylvain : Clairement, ce concert était mythique ! Ouvrir pour Dissection et Watain, pour nous c’était le Graal ! Nous étions fans de Dissection, un peu moins de Watain parce que c’était vraiment leur début. Nous n’en gardons que des bons souvenirs. Après, il y a plein d’anecdotes… C’était dans un Ninkasi Kao blindé, noir de monde. Si c’était à refaire, je signerais tout de suite ! A l’époque, ce qui était cool, c’est qu’il y avait des associations sur Lyon qui géraient un peu tous ces concerts et elles avaient la capacité de faire ouvrir avec des groupes locaux de la scène lyonnaise, ce qui, aujourd’hui, est très compliqué sur ce genre de tournée. Si vous faites jouer Behemoth et Watain, à mon avis ceux qui ouvriront, ce ne sera jamais un groupe local. A l’époque, nous avons donc eu cette chance, c’était magique, et ensuite, avec Dissection s’est passé ce qui s’est passé… Mais oui, ça fait vingt ans, ça pique, ça fait mal !

Vous jouez à nouveau avec South Of Hell ce soir, vous avez régulièrement fait des plateaux communs avec eux, ils sont de la région. Vous avez joué aussi avec Destinity, encore une fois il y a pas mal d’années. Vous allez jouer au Lions Metal Fest en juin prochain. Comment vous percevez cette scène lyonnaise, ou rhône-alpine, parfois un peu trop méconnue à l’échelle nationale ?

Xavier : Nous avons une super scène en Rhône-Alpes ! Que ce soit en Savoie ou à Lyon. Et puis même en France, la scène hexagonale est énormissime. La période fait aussi qu’il y a énormément de groupes, nous ne sommes pas les seuls. Nous avons une ancienneté, nous avons trente ans, mais il y a des petits nouveaux qui arrivent, qui toquent à la porte et qui sont bien en forme. Mais oui, nous avons une grosse scène à Lyon, que ce soit en death, black, même heavy, dans tous les styles.

Les groupes qui reviennent quand on parle de Lyon, c’est Celeste, Destinity, éventuellement Hysteria, il y a peut-être Kamizol-K qui commence à exploser un petit peu, mais pourquoi on n’entend pas parler des autres ?

Je pense que c’est comme nous : on n’est pas professionnalisés dans la musique, tout simplement. Les groupes ne sortent pas un album tous les deux ans, ils n’ont pas des tournées, des bookers, etc. Aujourd’hui, si tu veux être un groupe professionnalisé, déjà il faut que tu sois intermittent du spectacle, ensuite il faut avoir un booker, puis un manageur…

Adrien : Et ce n’est pas la politique de la ville de Lyon. Lyon n’a jamais été une ville rock/metal. C’est plus une ville électro, si tu compares à Lille, où tu as effectivement une scène metal très implantée et ils en font vraiment la promotion. A Lyon, malheureusement, beaucoup de petites salles ont fermées où les groupes locaux pouvaient initialement se produire. Ça devient de plus en plus difficile, parce que Lyon n’est pas une ville de metalleux.

Xavier, tu étais pas mal pris ces dernières années, tu as quitté Aorlhac en fin d’année dernière (tu y étais depuis 2018), tu es toujours dans Himinbjorg… Nous en profitons pour te demander s’il y a de l’avancée en studio pour le successeur de Wyrd ?

Xavier : C’est simple, le successeur de Wyrd a été enregistré un mois après le Hysteria. J’ai enregistré le Hysteria en avril et la batterie du dernier Himinbjorg au mois de mai. Fred s’est occupé de toutes les guitares, la basse est aussi enregistrée, et là nous attaquons le chant. C’est comme Hysteria, nous ne sommes pas un groupe professionnalisé, nous avons tous des tafs, et nous allons faire notre petit chemin. Nous allons sortir notre album chez Adipocere au mois de septembre et nous verrons par la suite.

Interview réalisée en face à face le 9 février 2024 par Jean-Florian Garel et Clément Demarquet.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Benoit Ravier Bollard.

Site officiel d’Hysteria : hysteria-deathmetal.com

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Blackberry Smoke – Be Right Here https://www.radiometal.com/article/blackberry-smoke-be-right-here,470244 https://www.radiometal.com/article/blackberry-smoke-be-right-here,470244#respond Mon, 19 Feb 2024 11:51:05 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470244 Nouvelle tempête southern rock en provenance de Georgie, USA ! Les enfants modèles des Black Crowes et Lynyrd Skynyrd reprennent déjà du service après un dernier album sorti il y a un peu plus de deux ans. Alors que le combo est confortablement installé dans le paysage country/hard rock outre-Atlantique, notamment au niveau des charts, […]

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Nouvelle tempête southern rock en provenance de Georgie, USA ! Les enfants modèles des Black Crowes et Lynyrd Skynyrd reprennent déjà du service après un dernier album sorti il y a un peu plus de deux ans. Alors que le combo est confortablement installé dans le paysage country/hard rock outre-Atlantique, notamment au niveau des charts, la sauce a toujours un peu plus traîné à prendre en Hexagone (altérité culturelle oblige) malgré une fanbase solide chez les amatrices et amateurs du genre.

Il faut dire qu’une fois de plus, le répertoire a de quoi séduire : un chant clair et authentique, des mélodies fortes et entraînantes ou encore une orchestration à l’américaine tout bonnement redoutable, bref, le contrat semble largement respecté. A travers dix nouveaux titres, les cowboys d’Atlanta assoient leurs guitares chaudes et généreuses le temps d’un voyage aux confins des grandes plaines du pays de l’Oncle Sam et continuent de régaler l’auditeur de leurs ballades rock mid-tempo (citons à titre d’exemple et de façon non exhaustive les quatre premiers singles de l’album « Dig A Hole », « Hammer And The Nail », « Little Bit Crazy » et le dernier en date – très réussi – « Azalea »). Nul doute que tous ces chouettes titres sauront gagner encore en profondeur et efficacité sur scène, là où la country énervée des Blackberry Smoke se transforme systématiquement en fête splendide et un brin kitsch (dans le bon sens du terme s’il en est un !). En dépit d’une image parfois jugée (à tort ou à raison – il conviendra de l’appréhender au cas par cas) poussiéreuse et trop conservatrice, le rock sudiste a encore, grâce à de solides ambassadeurs tels que le quintet géorgien, de beaux jours ensoleillés devant lui ! Yee Haw !

Clip vidéo de la chanson « Hammer And The Nail » :

Clip vidéo de la chanson « Little Bit Crazy » :

Clip vidéo de la chanson « Dig A Hole » :

Album Be Right Here, sorti le 16 février 2024 via Thirty Tigers Records. Disponible à l’achat ici

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Ihsahn : double naissance https://www.radiometal.com/article/ihsahn-double-naissance,470035 https://www.radiometal.com/article/ihsahn-double-naissance,470035#comments Fri, 16 Feb 2024 14:26:21 +0000 https://www.radiometal.com/?p=470035 Il y a trente ans sortait In The Nightside Eclipse, classique parmi les classiques du black metal. Depuis, Ihsahn, frontamn d’Emperor, a parcouru un long chemin jusqu’à se faire un nom en solo synonyme de valeur sûre, affinant, enrichissant, complexifiant sa fibre artiste. Mais le Ihsahn de 2024 est-il si différent de celui de 1994 […]

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Il y a trente ans sortait In The Nightside Eclipse, classique parmi les classiques du black metal. Depuis, Ihsahn, frontamn d’Emperor, a parcouru un long chemin jusqu’à se faire un nom en solo synonyme de valeur sûre, affinant, enrichissant, complexifiant sa fibre artiste. Mais le Ihsahn de 2024 est-il si différent de celui de 1994 ? Peut-être pas tant que ça, à en croire son huitième album solo, sans titre, qui le voit fondamentalement se réapproprier ce qu’il ambitionnait déjà avec Emperor : associer black metal et musique orchestrale d’inspiration cinématographique. Certes, le résultat est tout aussi fondamentalement différent, l’artiste ayant évolué, mûri, acquis de l’expérience, tout comme les moyens techniques ont spectaculairement progressé, au point de pouvoir faire appel à un orchestre… sans orchestre.

C’est donc pour parler de cet album qui porte son nom, se présente sous deux formes – metal et uniquement orchestrale – et développe un « récit wagnérien tournant autour du traditionnel voyage du héros » que nous avons rencontré Ihsahn, mais aussi, conséquemment, de la place de celui-ci dans son parcours entièrement autodidacte, où la production a pris autant de place que la création, comme en a attesté l’an dernier le projet d’EP Fascination Street Sessions. C’est dans un bar parisien ouvert juste pour ces entretiens que nous avons échangé avec le musicien, toujours aussi réfléchi et intéressant, en dépit du froid saisissant autant à l’extérieur qu’à l’intérieur, mais ça, ça n’a pas l’air de déranger le Norvégien…

« L’album Seventh Son Of A Seventh Son d’Iron Maiden compte parmi mes plus grandes influences. J’ai connu beaucoup de fans de Maiden qui, en arrivant à Seventh Son, se sont dit : ‘Oh, ils utilisent des claviers dans du metal. Ça ne se fait pas !’ Pour moi, c’est l’inverse : c’est du metal et c’est encore plus épique ! »

Radio Metal : Tu es de retour avec un album ambitieux qui porte ton nom. Tu as déclaré que tu avais « écrit toute la musique sous forme de partition de piano, réarrangée pour un groupe et pour un orchestre ». Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce processus ? Comment as-tu conçu ce squelette au piano et comment as-tu développé les chansons pour le groupe et pour l’orchestre ?

Ihsahn (chant & guitare) : J’ai décidé avant de commencer à écrire la musique que je voulais sortir ceci sous forme de deux choses séparées, et ensemble. Le défi était là. Je voulais faire du black metal tout en essayant de mettre la barre un peu plus haut. Je trouvais également important d’étendre mon utilisation de l’orchestre. Associer les deux, je l’avais déjà fait par le passé, et ce n’est pas si difficile, mais essayer de faire en sorte que la musique fonctionne ensemble et séparément, comme un puzzle, était vraiment difficile. C’est ce que j’ai fait de plus difficile de ma vie, même si j’ai énormément appris. Voilà quel était l’objectif. Le seul moyen que j’ai trouvé pour y arriver était de traiter la musique un peu comme un carnet de croquis. Tu esquisses la musique, un peu comme si tu faisais un croquis au crayon, puis tu ajoutes les couleurs par la suite. Il n’y avait que comme ça que ça pouvait marcher. C’est une approche technique, et je m’en suis déjà servi par le passé. Il ne faut pas vraiment se fier aux sons en eux-mêmes, mais la composition en soi doit fonctionner. Si ça sonne bien au piano, il y a de fortes chances que ça sonne bien quand tu ajouteras la couleur des autres instruments. C’est un peu comme les Beatles : si ça sonne bien avec une guitare acoustique et la voix, quand tu ajoutes tout le reste, ça reste une bonne chanson – il faut espérer ! [Rires] C’était l’idée.

Comme tu viens de le dire, tu as admis que le processus t’avait poussé dans tes retranchements, et tu as déclaré qu’il « s’agit du projet musical le plus difficile et le plus complexe de [ta] carrière ». Peux-tu développer les problèmes et les défis que tu as rencontrés dans la création de cet album ?

Pour commencer, sans entrer dans les détails ennuyeux, je suis autodidacte. Je n’ai pas d’éducation musicale. Tout est bricolé, je suis autodidacte à tous les niveaux. Les principes de l’orchestration… Il y a tellement de choses qui entrent en jeu, comme la façon d’équilibrer les différentes couches d’instruments, et je me suis inutilement compliqué la vie, mais je voulais écrire de telle façon que, si je devais envoyer une partition de mon logiciel à un orchestre, elle pourrait être jouée exactement comme je l’avais écrite. Ce ne sont pas des ensembles de sons de cordes, par exemple ; il s’agit de violons individuels, d’altos individuels, comme si j’avais écrit pour un vrai orchestre. Le problème était là. Pour un autodidacte comme moi, c’était un vrai défi en soi, mais il fallait aussi penser aux différentes techniques d’écriture pour différents instruments, comment créer différentes textures. Il faut penser aux textures d’arrière-plan, aux textures de premier plan, à la façon dont les instruments se mêlent. Il y a beaucoup d’aspects techniques quant à la façon d’harmoniser, par exemple, les bois dans les accords, où placer les notes de chaque instrument dans les accords pour obtenir une meilleure séparation. Il y avait beaucoup de détails techniques de ce genre. Et comme la plupart de la musique est programmée, il était aussi compliqué de… C’est une chose de se débattre avec tous ces détails, mais ensuite, il faut s’arranger pour programmer tout ça de façon à ce que ça sonne réaliste. C’était énormément de travail.

Dans le dossier de presse, il n’est nulle part fait mention d’un orchestre ou de musiciens classiques, à l’exception de Chris Baum au violon. Tout ça, c’est donc de la programmation ?

Oui !

On dirait un orchestre de soixante-dix musiciens ! C’est fou ce qu’on peut faire avec la technologie, de nos jours.

Ne m’en parle pas ! J’adore ça ! J’en rêvais depuis que j’ai eu mon premier synthétiseur Roland JV 1080 et que j’essayais de créer des sons d’orchestre avec. Aujourd’hui, je travaille principalement avec Spitfire Audio, et quatre-vingt-quinze pour cent des sons que j’utilise sont disponibles dans une bibliothèque appelée BBC Symphony Orchestra Pro. Elle est géniale. J’ai beaucoup trop d’autres bibliothèques que j’utilise [rires], et ça facilite vraiment la vie. Et puis Joel Dollié, qui a mixé la version orchestrale de l’album, est spécialisé dans ce genre de productions. Il a même mixé quelques-unes des démos de Spitfire Audio pour cette bibliothèque, donc il sait ce qu’il fait. Ça aide aussi beaucoup pour rendre le son plus réel. La programmation de la dynamique des instruments à cordes, en particulier, est beaucoup plus facile, parce que ça se base sur la pression, donc c’est beaucoup plus facile à imiter. C’est un peu plus compliqué pour les bois, et aussi pour les cuivres. C’est plus difficile de copier la respiration avec des mouvements manuels, donc j’ai acheté un contrôleur de souffle. J’avais un embout dans la bouche, je jouais avec les doigts au clavier et j’utilisais mon souffle pour obtenir la bonne dynamique.

« Si j’étais peintre, je m’en tiendrais probablement à la peinture à l’huile. Je fais de la peinture à l’huile depuis mes débuts. Je peux changer ma technique, mais au fond, ça reste la même chose. Je pense que mon moteur créatif interne est aussi resté le même. Il y a cet objectif inatteignable au loin. Chaque nouvel album et chaque nouvelle chanson est une tentative de m’approcher de cet idéal, c’est un voyage qui ne s’arrête jamais. »

Tu as dit que ça te facilitait la vie, mais n’est-ce pas beaucoup plus long que de faire appel à un véritable orchestre ?

Bien sûr. Mais l’an prochain, je serai sur scène, et on m’a déjà demandé : « Tu vas jouer l’album avec un orchestre ? » En principe, rien ne me ferait plus plaisir, et c’est faisable, mais ce n’est pas évident. J’ai des collègues qui ont travaillé avec de vrais orchestres et qui se disaient que ça sonne infiniment mieux que des samples, mais ils ont fini par réaliser que les vrais orchestres ne sont pas… Ils jouent au tempo, mais ils ne jouent pas au tempo metal extrême. Je sais que même des compositeurs comme Hans Zimmer, qui ont des budgets illimités, utilisent parfois des samples, parce qu’il arrive que demander à l’orchestre d’atteindre le bon tempo soit trop long. C’est une idée romantique, mais avec mes ressources et la façon dont je fais les choses, le résultat est meilleur que tout ce que j’aurais pu faire avec un vrai orchestre – sauf si j’avais le budget pour des semaines de répétition. Il faut faire avec ce qu’on a ! Je suis très satisfait du résultat. Du moment que ça fait passer des émotions et que c’est beau… Je crois que le public a fini par s’habituer, car beaucoup des bandes originales sur Netflix ou au cinéma sont des hybrides d’instruments réels et de samples. C’est quelque chose dont le public a l’habitude.

Tu as déclaré que tu avais dû « relever le défi » et que tu avais « appris tellement de choses au cours de ce processus ». Quelles sont les plus grandes leçons que tu as apprises pendant la production de cet album ?

Je crois que j’ai beaucoup appris à propos des gammes non diatoniques et de l’harmonie. J’ai grandi avec Iron Maiden, qui est très diatonique dans sa construction. C’était l’un des dogmes que j’ai voulu… J’ai décidé avant même d’écrire quoi que ce soit qu’il n’y aurait aucune progression d’accords diatoniques sur cet album – si ça te parle, parce que beaucoup de gens ne savent pas de quoi il s’agit. Il y a évidemment des accords diatoniques, mais pas de progressions diatoniques. Il y aura toujours une modulation chromatique à la médiante, mais j’utilise beaucoup de gammes diminuées, d’harmonies dans les accords et tous ces trucs que j’ai étudiés. Mon plus gros réapprentissage était là. Il y a beaucoup de structures et d’accords dissonants, mais ça reste dans une même couleur ; ce n’est pas aléatoire. Ç’a été une grande leçon : j’ai enfin pu utiliser les tonalités harmoniques que j’aime tellement dans les bandes originales de Jerry Goldsmith et de John Williams. Ça faisait partie de l’idée. Mais en termes de leçon de vie, pour moi, le plus gratifiant, c’était de pouvoir une fois de plus, alors que j’ai quarante-huit ans et que je fais ça depuis que j’en ai seize, me donner un objectif, avoir l’impression d’évoluer en tant que musicien et artiste, et presque me surprendre moi-même. Je ne dis pas que je suis totalement génial ; ce n’est pas ça. Mon amour pour ce que je fais et mes moyens de l’utiliser et de le développer n’ont pas encore atteint leurs limites. Être encore motivé à quarante-huit ans est ce qu’il y a de plus gratifiant, et j’ai hâte de commencer le prochain album, ce qui est la meilleure position dans laquelle on puisse se trouver ! [Rires]

Tu as déclaré que tu avais « approché l’écriture avec l’intention de présenter le matériel dans toute sa gloire metal, mais également d’arranger les parties orchestrales de façon à ce qu’elles fonctionnent indépendamment ». Par conséquent, l’album est disponible en deux versions : la version metal (qui comporte l’orchestre), mixée par Jens Bogren, et la version purement orchestrale, mixée par Joel Dollié. Le fait de travailler sur la version orchestrale t’a-t-il permis de redécouvrir certains des thèmes et des motifs qui avaient pu se perdre dans la version metal ? Était-ce peut-être même l’objectif ?

Dans la mesure où j’ai commencé par écrire une version abrégée au piano, il n’y a pas vraiment… Je pense que, même si je ne jouais que la version metal en live sans orchestre, toute l’information musicale serait quand même présente. L’orchestre ne joue pas grand-chose que les guitares ne jouent pas. Tout le monde fait plus ou moins la même chose. L’idée était vraiment d’explorer davantage l’impact émotionnel et dynamique de la même musique. Le premier single, « Pilgrimage To Oblivion », est sans doute la chanson la plus agressive de l’album, et la version metal ne lâche vraiment rien, mais si tu écoutes la version orchestrale, c’est presque un murmure. C’est la même musique, mais il s’agit de deux formes d’expression de la même musique, ce que je trouvais intéressant. C’était l’idée. Tout ça, c’est vraiment juste pour satisfaire ma propre curiosité [rires].

« Je pense que ça peut être un inconvénient de trop se concentrer sur l’aspect théorique, de se dire : ‘Non, je ne peux pas faire ça parce que ça ne marche pas comme ça’. […] Un proverbe dit que le premier pas vers le bon goût est de faire confiance à son propre goût [petits rires]. »

Les premiers enregistrements d’Emperor comportaient déjà un côté orchestral (même s’il s’agissait d’un clavier à l’époque) et des influences de musique de film. Bien que tu sois un artiste très différent aujourd’hui, et que ce nouvel album soit très éloigné de In The Nightside Eclipse, qui date d’il y a trente ans, penses-tu qu’il y ait malgré tout une continuité, une ambition ou une recherche artistique commune ?

Tout à fait. Ces deux éléments sont au cœur de tout ce que je fais depuis mes débuts. L’album Seventh Son Of A Seventh Son d’Iron Maiden compte parmi mes plus grandes influences. J’ai connu beaucoup de fans de Maiden qui, en arrivant à Seventh Son, se sont dit : « Oh, ils utilisent des claviers dans du metal. Ça ne se fait pas ! » Pour moi, c’est l’inverse : c’est du metal et c’est encore plus épique ! C’était tout l’intérêt, à mes yeux. Mon envie de combiner ces deux éléments est là depuis que j’ai commencé à enregistrer mes propres chansons sur un enregistreur quatre pistes à la maison, avec mon orgue électrique et ma guitare. Idem pour Emperor. La première démo d’Emperor était plutôt celle d’un groupe de rock. Dans le groupe que nous avions avant Emperor, Thou Shalt Suffer, nous utilisions déjà des claviers.

Quant à mon amour de la musique de films… Ce sont les bandes originales de films qui m’ont mené à la musique orchestrale plus traditionnelle. Ça exerce une fascination sur moi depuis le début. Bien que j’aie beaucoup expérimenté musicalement et que j’essaie constamment de développer ça, il y a toujours des guitares avec de la distorsion et du chant extrême. Tout ce qu’il y a autour peut changer, mais… Si j’étais peintre, je m’en tiendrais probablement à la peinture à l’huile. Je fais de la peinture à l’huile depuis mes débuts. Je peux changer ma technique, mais au fond, ça reste la même chose. Je pense que mon moteur créatif interne est aussi resté le même. J’ai ce moteur créatif en moi, et il y a cet objectif inatteignable au loin. Chaque nouvel album et chaque nouvelle chanson est une tentative de m’approcher de cet idéal, c’est un voyage qui ne s’arrête jamais, même si j’ai sans doute fait de la musique beaucoup plus variée que beaucoup d’artistes black metal et que mon champ d’intérêt musical a toujours été assez large. Je n’ai jamais voulu sonner comme quelqu’un d’autre ; je veux sonner comme moi, mais d’une façon légèrement différente. Pour répondre plus brièvement à ta question, oui, il y a bel et bien un lien très clair et très direct entre mes premiers albums et aujourd’hui. J’essaie simplement de faire les choses mieux qu’avant.

Comme tu l’as rappelé, tu es autodidacte. À quel point ta façon d’écrire est-elle non conventionnelle (y compris pour les parties orchestrales) en termes de théorie et de « bonnes pratiques » ? Penses-tu que le fait de jouer selon tes propres règles est ce qui te rend si unique et reconnaissable ?

Oui, absolument. Bien sûr, ce n’est jamais une mauvaise chose d’avoir le côté théorique – c’est même très bien. Mais pour quelqu’un qui a appris toute cette théorie dès le début, peut-être que, mentalement, ça finit par devenir tellement familier que ça n’a plus rien d’excitant. Pour moi, c’est la même chose en matière de littérature. Je n’étais pas un gros lecteur quand j’étais jeune. Ma femme lit les classiques depuis l’âge de onze ans, mais moi, je ne suis pas très érudit en la matière. Je n’ai pas lu tous les classiques à l’école. Du coup, aujourd’hui, quand je veux lire un bon bouquin, j’ai l’embarras du choix. Je peux opter pour Dostoïevski ou quelque chose du genre. Je peux lire les meilleurs classiques jusqu’à la fin de mes jours. C’est pareil avec le solfège. Pour quelqu’un qui a eu une formation classique en musique, tout ce que je trouve super enthousiasmant, du genre : « Oh, ce passage sonne comme ça parce que c’est une gamme diminuée ! »… Pour moi, c’est un nouveau jouet, mais pour quelqu’un qui a appris ça à l’école, c’est plutôt : « Oui, je sais, c’est une gamme diminuée tout à fait normale… » Ce sont toutes ces nouvelles couleurs et ces nouvelles approches qui me motivent. C’est le plus important, surtout dans la mesure où je fais ça depuis trente ans. Je veux être aussi excité à l’idée de faire de nouveaux albums que quand j’avais seize ans. Je n’ai pas envie de m’ennuyer dans ce que je fais, parce que dans ce cas, je pense que rien de ce que je pourrais faire n’aurait d’intérêt. Si je ne suis pas emballé en faisant de la musique, pourquoi le public le serait-il ?

« Je suis depuis longtemps fasciné par les bois de cerf et leur valeur symbolique dans l’expansion de l’esprit. »

Conseillerais-tu aux gens d’essayer de se débrouiller par eux-mêmes avant de se former ? Ou penses-tu que l’idéal consisterait à suivre une formation puis à sortir un peu des sentiers battus ?

Je ne pense pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise façon de faire. Pour moi, le solfège est un langage, et pour communiquer avec d’autres musiciens… J’ai toujours joué avec des gens qui ne connaissaient pas plus le solfège que moi, donc même si j’avais eu la formation, c’est un langage que nous n’aurions pas pu utiliser. J’aurais tout de même dû pointer les frets du doigt [rires]. Dans mon monde, ça n’a jamais été un obstacle ou un avantage pour jouer dans un groupe. Mais ce que tu peux faire avec un jeu traditionnel de guitare et des gammes classiques est limité. Aujourd’hui, je peux tenter de nouvelles approches théoriques, les entrer dans un système et obtenir une certaine cohérence en matière de ton ou de couleur, et c’est un super outil. Si tu peux entendre la musique dans ta tête et que tu sais déterminer quelle est sa place dans la théorie, c’est plus facile à transférer sur le papier ou le séquenceur que si tu n’en as aucune idée. Mon avis serait : faites ce qui vous fait plaisir, ce qui vous motive. Que ce soit théorique ou que ce soit de l’improvisation, ça n’a pas d’importance. Je pense que ça peut être un inconvénient de trop se concentrer sur l’aspect théorique, de se dire : « Non, je ne peux pas faire ça parce que ça ne marche pas comme ça. » Tout le monde en passe par là dans sa carrière musicale, je crois. Tout le monde suit un schéma directeur, puis on se dit que quelque chose de va pas dans ce qu’on fait, mais au final, la seule chose à laquelle on peut se fier… Un proverbe dit que le premier pas vers le bon goût est de faire confiance à son propre goût [petits rires].

L’album est intégralement autoproduit, ce qui en fait un exploit encore plus important. Cette année, tu as également sorti l’EP Fascination Street Sessions, qui est le résultat de ta collaboration avec l’URM Academy et son programme éducatif en ligne pour la production musicale du producteur et ingénieur Jens Bogren. Dirais-tu que la production est devenue une part essentielle de ta créativité ?

Oui. C’est mon environnement de prédilection. Travailler en studio a toujours été ce que je préférais. J’ai toujours préféré ça au fait de jammer dans la salle de répétition. C’est plus facile pour moi de mettre de l’ordre dans mes idées de cette façon. J’ai toujours été autoproduit et j’ai toujours fait mes propres arrangements. Bien sûr, nous avons eu de super collaborateurs, des ingénieurs qui nous ont aidés à obtenir les sons que nous voulions quand nous étions en studio. Fascination Street, c’était la première fois que je travaillais vraiment avec un producteur. J’envoyais mes démos à Jens, qui me disait : « OK, est-ce qu’on ne devrait pas essayer de déplacer le pré-refrain ? », ce genre de chose. J’ai trouvé ça très intéressant. Travailler avec Jens et son équipe, c’est passer du temps avec des gens extrêmement professionnels. Nous avons passé un super moment. Les journées étaient longues : nous passions quatorze heures en studio, parce que tout était filmé et il fallait tout expliquer en détail, et il y avait des discussions sur tous les micros utilisés. Mais ça faisait partie du contrat.

J’adore tous ces trucs, et je suis tellement envieux de tous ces jeunes. Pour le meilleur ou pour le pire, j’ai grandi avec les vinyles et sans YouTube, mais pour de jeunes musiciens avec les mêmes ambitions que moi, avoir la possibilité de découvrir comment Jens Bogren obtient son son, c’est génial. Ça peut même presque être trop ! Je me souviens que je n’avais aucune idée de comment on faisait un disque ; j’avais peut-être vu la photo d’un studio dans une pochette d’album ou un truc du genre. Ça m’avait permis d’entrapercevoir un monde magique, mais il fallait du temps avant d’acquérir une vraie expérience. Évidemment, aujourd’hui, c’est devenu très naturel pour moi. Mes enfants ont tous les deux leur propre studio ! C’est comme ça que ça marche. On me pose souvent des questions étranges, du genre : « Tu fais tes propres chansons ?! » Les gens pensent que faire un album consiste à mettre tout le monde dans une pièce et à enregistrer la musique telle quelle. Ils ne savent pas ce qu’est l’overdubbing. Je pense que pour beaucoup de gens, la création d’un album est quelque chose d’un peu magique. Ils ne savent pas du tout comment ça marche.

« C’est presque comme si cet album, avec sa structure de guitares électriques, était un grand bâtiment. Tu vois ce que c’est, tu t’en fais une impression. Mais pour ceux qui veulent entrer dans le bâtiment, il y a tous les détails, les leitmotivs, le latin, les petits indices. Je veux décorer les pièces à l’intérieur, et pas me contenter de la façade. »

Pour certains, conserver cette illusion peut être agréable.

Je suis totalement d’accord. Même si j’ai adoré ce que nous avons fait avec Jens… J’ai essayé de faire ce genre de trucs « en coulisses » avant, mais j’en suis arrivé à un point où les réseaux sociaux et tout, c’est trop. Je me souviens de la première fois que j’ai vu Iron Maiden pour la première fois. Je respirais le même air qu’Iron Maiden ! Ils étaient dans le même bâtiment ! Ça faisait partie de l’expérience, de la magie de l’illusion. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles des groupes comme Ghost, Slipknot ou Rammstein ont autant de succès. Ils ont des chansons géniales et ils font un super travail, mais même quand l’identité des membres de Ghost a été connue, le public a continué de jouer le jeu et de maintenir l’illusion, parce que ça fait partie de l’expérience. Tu n’as pas besoin de savoir ce que Rob Halford a mangé au petit-déjeuner ! Tu veux juste voir le Metal God. J’ai eu la chance de le rencontrer, et c’est l’homme le plus adorable et le plus humble que tu puisses imaginer. C’est exactement ce que tu veux quand tu le rencontres, et c’est super, mais sur scène, tu veux le Metal God. Il faut cette distinction. Même si cet album est éponyme, j’ai dit à ma maison de disques que je ne voulais pas faire ma propre promotion. C’est instinctif, je veux distancier ma vie privée de ma musique. C’est peut-être l’âge, je ne sais pas. Je préfère être ce qu’un réalisateur est à un film, plutôt que… Je m’ennuie moi-même. Je ne veux pas que tout ça soit à propos de moi. Je veux que ce soit à propos de la musique [rires].

Qu’est-ce qui t’a poussé à t’impliquer dans l’URM Academy ? As-tu le sentiment qu’à ce point de carrière, après tout ce que tu as appris, il est temps de partager tes connaissances ?

Ce qui s’est passé, c’est que Jens Bogren m’a contacté pour me demander : « Je fais une formation avec l’URM Academy et il me faut un artiste en studio ». Il sait que certains groupes sont organisés, et d’autres pas vraiment, si tu vois ce que je veux dire [rires]. Je suis un grand garçon et j’ai des musiciens de session formidables. Du coup, je pense qu’il m’a invité parce que nous avions déjà beaucoup travaillé ensemble et qu’il sait que quand je dis : « OK, les chansons seront prêtes à temps », je serai prêt à temps. Il savait que je serais préparé. Je pense que c’était un choix pratique qui répondait parfaitement aux besoins. J’ai écrit et arrangé les chansons spécialement pour ça. Il n’y a pas d’orchestre sur cet EP, parce que je savais que Jens voulait un vrai orgue Hammond, donc j’ai fait venir mon claviériste live. Il est génial avec tous ces instruments analogiques. J’ai vraiment écrit pour un ensemble de musiciens qui serait adapté à un programme éducatif.

Le chaos peut être une bonne chose, mais pas quand on enregistre un programme éducatif !

Non, il vaut mieux éviter le mode de vie à la Mötley Crüe !

Intituler ton album Ihsahn est assez audacieux. Est-ce parce qu’il s’agit de l’album le plus « Ihsahn » que tu aies sorti, le manifeste musical ultime, ou parce que cet album parle, directement ou indirectement, de toi ?

Comment expliquer ça ? Pour commencer, ce n’est qu’une fois l’album terminé que j’ai annoncé qu’il allait s’intituler Ihsahn. On m’a répondu que c’était audacieux, mais pour moi, ce n’était pas un manifeste ; ce n’était pas du tout pensé comme un choix audacieux. C’est juste que je n’avais pas vraiment… C’est un album assez complexe, avec une histoire principale, un récit chronologique qui parcourt la version metal, et une histoire secondaire dans la version orchestrale. C’est assez compliqué. Du coup, il était très difficile de trouver un titre qui capture tout ça. Et puis, c’est un peu un retour aux sources, avec mes éléments principaux que sont le black metal et l’orchestration. Ça me semblait vraiment très typé. Ce n’était pas du tout inattendu de ma part, c’était pile dans la droite ligne de ce que je fais. Et puis, je n’ai pas fait d’album éponyme, or tous les groupes en font un, alors c’était une bonne occasion. Mais ça ne se voulait pas être un manifeste. C’était juste commode pour le projet.

En 2010, tu nous disais : « Je pense qu’il n’y a que trois personnes sur terre qui savent [ce que veut dire Ihsahn] et j’aimerais que cela reste ainsi. Rien de bien sérieux, mais bon, puisque j’ai réussi à garder le secret aussi longtemps… » Je sais que c’est improbable, mais puisque tu viens de sortir un album intitulé Ihsahn, peux-tu nous donner quelques indices ?

Non ! Je crois que je ne l’ai même pas dit à mes enfants ! [Rires]

« De plus en plus, pour moi, l’art est ce sur quoi on ne peut pas mettre de mot, mais qu’on comprend tous instinctivement. Malgré tous les détails et les complexités que je me suis imposés, ça reste assez pur. Ce n’est pas vraiment expérimental ; d’une certaine façon, c’est très classique. J’en suis arrivé à un point où ça m’agace d’avoir besoin d’un manuel pour comprendre l’art. »

Le cerf semble être au cœur du concept de cet album ; on le retrouve sur la pochette et dans le premier clip pour « Pilgrimage To Oblivion ». Que représente cet animal pour toi ? Est-ce ton animal totem ?

Je suis depuis longtemps fasciné par les bois de cerf et leur valeur symbolique dans l’expansion de l’esprit. Mais je sais aussi que le cerf est très symbolique dans de nombreuses cultures anciennes, et il y a énormément de symbolisme dans l’histoire de l’album – qui, d’ailleurs, ne parle pas de moi. Au niveau des paroles, c’est sans doute le plus éloigné de moi. Pour une fois, je voulais écrire sur autre chose, et pas sur mon propre univers. J’ai mis ça en contexte, et il y a beaucoup de références à la mythologie grecque – Apollon, Dionysos, beaucoup de symboles archétypaux. Le cerf, et surtout ses bois, fait partie intégrante de ça.

Selon le communiqué de presse, « il y a une histoire conceptuelle au cœur des deux parties d’Ihsahn – deux récits wagnériens distincts mais entrelacés tournant autour du traditionnel voyage du héros ». Peux-tu nous en dire plus sur l’influence de Richard Wagner et de ses récits dans ton travail et dans cette histoire ?

Je ne vais pas faire semblant d’avoir une grande connaissance de cette histoire, mais… C’est plus lié au « voyage du héros » selon John Campbell. La plupart des histoires classiques suivent ce modèle, et dans la mesure où je voulais que ce soit un album très cinématographique, avec toutes mes références et mes influences de compositeurs de musique de film, j’ai écrit cette histoire comme le synopsis d’un roman, de façon très traditionnel. Dans le voyage du héros type, le héros est jeté dans un environnement chaotique ; il connaît la tragédie, la perte, l’amour, et il rentre chez lui en homme changé. C’est très universel et très humain. C’est vraiment une approche très classique de la narration. Pour l’histoire secondaire, je voulais utiliser un vieux conte populaire, mais celui-ci devient ce qui pousse le protagoniste de l’histoire principale à l’action. Il rêve et son rêve est ce conte populaire, donc c’est lié. Quant à la référence à Wagner, il a évidemment beaucoup utilisé les leitmotivs, qui sont devenus une part importante de la culture populaire. Ils sont utilisés pour les personnages de film, par exemple. Il y a des thèmes récurrents tout au long de l’album. Je voulais tenter ça, essayer de créer des motifs pour les différentes parties de l’histoire. Je me prépare à écrire de la musique de film ! C’est un moyen détourné de me faire un showreel pour me vendre en tant que compositeur de musique de film ! [Rires] J’adorerais ça.

En écoutant la version orchestrale, je me disais que ça fonctionnerait très bien en tant que bande originale de… peut-être pas de film d’horreur, mais…

C’est très romantique, hein ? Peut-être que pour une comédie romantique… Non, je plaisante ! [Rires] Mais j’adorerais écrire de la musique de film si j’en avais l’occasion. J’étais très content, parce que quand l’album a été terminé, je l’ai joué à quelques amis proches, qui ne savaient rien du concept, de l’histoire, des paroles ou de l’imagerie – rien, juste la musique. Ils sont tout de suite revenus vers moi en disant : « J’ai eu l’impression de regarder un film. » L’histoire que je mets là-dedans n’importe pas vraiment, c’est surtout le fait que le public perçoive une sorte de continuité qui compte. La façon dont les gens comprennent l’histoire dans leur propre monde m’importe davantage que d’imposer mes propres idées. Bien sûr, il y a des indices dans les paroles, juste pour avoir une ossature sur laquelle écrire. Je crois que ça se transmet bien à l’auditeur. Je disais hier à certains de tes collègues que c’est presque comme si cet album, avec sa structure de guitares électriques, était un grand bâtiment. Tu vois ce que c’est, tu t’en fais une impression. Mais pour ceux qui veulent entrer dans le bâtiment, il y a tous les détails, les leitmotivs, le latin, les petits indices. Je veux décorer les pièces à l’intérieur, et pas me contenter de la façade.

Tu as déclaré que « l’art puise dans l’aspect métaphysique et les archétypes de notre existence ». À quel point le fait de sortir tes albums solos t’a-t-il aidé à comprendre et à gérer ta propre existence ?

Plus je fais ce métier, plus je cherche d’inspiration dans différents endroits, plus je vis d’expériences, et avec ma façon de penser… Quand je lis quelque chose ou que j’écoute quelque chose et que ça fait sens, je réalise que tous ces questionnements existentiels archétypaux sont universels. De plus en plus, pour moi, l’art est ce sur quoi on ne peut pas mettre de mot, mais qu’on comprend tous instinctivement. Malgré tous les détails et les complexités que je me suis imposés, ça reste assez pur. Ce n’est pas vraiment expérimental ; d’une certaine façon, c’est très classique. J’en suis arrivé à un point où ça m’agace d’avoir besoin d’un manuel pour comprendre l’art. Je suis plus intéressé par l’art classique. L’exemple parfait, c’est le David de Michel-Ange. Tu n’as pas à savoir quoi que ce soit à propos de Michel-Ange ou de la sculpture ; tu regardes juste la statue et tu es fasciné. Comment quelqu’un a réussi à trouver une telle perfection dans un bloc de pierre ? C’est incompréhensible, mais tu n’as pas besoin d’en savoir plus. C’est suffisant. Tu pourrais en savoir plus, évidemment, et peut-être que la statue te donnera envie d’en apprendre davantage, mais c’est de l’art en soi. C’est comme les peintures classiques : tu regardes un Rembrandt, par exemple, et tu te dis « waouh ». Tu n’as pas besoin de savoir, contrairement à l’art moderne. Je peux apprécier l’art moderne, mais… Si on me dit que telle photo a l’air parfaitement normale, mais qu’en fait c’est de l’art parce que le photographe a eu une enfance horrible, alors l’œuvre d’art en elle-même n’est pas intéressante, c’est plus l’histoire qui compte, le contexte. Encore une fois, je veux dans ma vie des choses qui soient simples et belles en elles-mêmes, et je peux créer de la musique que j’aime faire pour elle-même. Avec un peu de chance, quelqu’un d’autre appréciera. Je ne veux pas que ce soit très compliqué, même si je me complique la vie de mon côté ! [Rires] Comme je l’ai dit, il n’y a pas besoin de savoir qu’il y a une histoire pour comprendre. Si les gens écoutent tout l’album et ont l’impression qu’il y a sans doute une histoire quelque part, alors j’ai fait mon boulot [rires].

Interview réalisée en face à face le 22 novembre 2023 par Tiphaine Lombardelli.
Fiche de questions et introduction : Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Tiphaine Lombardelli.
Photos : Andy Ford.

Site officiel d’Ihsahn : www.ihsahn.com

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Ace Frehley – 10 000 Volts https://www.radiometal.com/article/ace-frehley-10-000-volts,468922 https://www.radiometal.com/article/ace-frehley-10-000-volts,468922#comments Fri, 16 Feb 2024 08:14:07 +0000 https://www.radiometal.com/?p=468922 Ace Frehley, le Spaceman âgé de soixante-douze ans, guitariste légendaire de Kiss période 1973-1982, est de retour avec un nouvel album solo original intitulé 10 000 Volts, coécrit et coproduit avec son acolyte et ami, Steve Brown (Trixter). A noter qu’Anton Fig qui a officié sur son album solo mythique en 1978 est de retour […]

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Ace Frehley, le Spaceman âgé de soixante-douze ans, guitariste légendaire de Kiss période 1973-1982, est de retour avec un nouvel album solo original intitulé 10 000 Volts, coécrit et coproduit avec son acolyte et ami, Steve Brown (Trixter). A noter qu’Anton Fig qui a officié sur son album solo mythique en 1978 est de retour derrière les fûts.

Le titre éponyme résume parfaitement l’état d’esprit de Frehley (une chanson pour sa nouvelle compagne ?) et la tension électrique de la musique proposée est respectée. Ce sera du pur hard rock, avec des variantes, comme sait le faire son protagoniste. « Up In The Sky » a cette approche groovy, catchy dans ses rythmiques à la « New York Groove », l’un des hits seventies de Frehley. Il y a aussi ce côté plus heavy, appuyé par une production moderne, sur « Cosmic Heart » et son refrain digne des stades, ou encore « Fighting For Life » qui est du pur Kiss démaquillé période eighties. Frehley se veut plus bluesy sur « Life Of A Stranger », un mid tempo digne de la grosse période MTV. Steve Brown apporte clairement sa touche mélodique radio friendly sur l’ensemble de l’album (« Cherry Medicine », « Back Into My Arms Again ») avec des refrains particulièrement soignés (« Constantly Cute »). Frehley est en voix – même s’il est passé par la case autotune – et donne tout ce qu’il a au plus profond de lui. Question solos, c’est une master class du Spaceman avec ce toucher caractéristique si particulier (« Walkin’ On The Moon », « Blinded »). Frehley ne rompt pas sa tradition comportementale artistique habituelle avec un instrumental efficace et très mélodique au titre spatial avec guitares acoustiques et solos pleins de wah wah en fermeture d’album.

Après cinquante années de carrière, des hauts et des bas, un combat contre ses addictions, un retour et un départ dans le Kiss reformé et maquillé de la fin des années 1990-2000, Ace Frehley signe avec ce 10 000 Volts son meilleur album depuis ce coup solo de 1978. Au moment où Kiss tire sa révérence, Ace n’est pas à la fin de la route.

Clip vidéo de la chanson « 10,000 Volts » réalisé par Alex Kouvatsos de Black Wolf Imaging :

Album 10 000 Volts, sortie le 23 février 2024 via MNRK Music Group. Disponible à l’achat ici

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Dans les carnets d’Abduction https://www.radiometal.com/article/dans-les-carnets-dabduction,469981 https://www.radiometal.com/article/dans-les-carnets-dabduction,469981#respond Tue, 13 Feb 2024 17:22:37 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469981 Des textes en français avec des références historiques et littéraires, des mélodies aussi extrêmes que progressives, une prépondérance de chant clair sur une base black metal, et des clins d’œil assumés à la chanson française… S’il y a bien une qualité que l’on peut reconnaître à Abduction, c’est son sens de l’audace. Forcément, la formation […]

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Des textes en français avec des références historiques et littéraires, des mélodies aussi extrêmes que progressives, une prépondérance de chant clair sur une base black metal, et des clins d’œil assumés à la chanson française… S’il y a bien une qualité que l’on peut reconnaître à Abduction, c’est son sens de l’audace. Forcément, la formation peut cliver dans les réactions et les chroniques, mais c’est aussi ce qui fait son charme, que l’auditeur adhère à sa musique ou qu’il y soit hermétique, elle ne laisse pas indifférent. Pour cause, les musiciens font incontestablement les choses passionnément et cela s’entend. Passion pour la musique, bien entendu, mais aussi pour l’histoire, l’écriture et la poésie… En bref, un groupe profondément « à la française ».

Après l’album concept Jehanne de 2020, dédié à l’histoire de Jeanne d’Arc, le groupe présente Toutes Blessent, La Dernière Tue qui mise davantage sur le sens de l’accroche que sur une idée centrale qui orienterait la trame du disque. Ce nouvel opus ne manque pas de relever de nouveaux défis pour le combo, aussi bien dans l’exercice d’écriture des chansons que dans celui de la reprise. Le guitariste et compositeur Guillaume Fleury revient sur les étapes clés de la carrière du groupe, mais aussi sur les évènements historiques qui inspirent les récits du groupe et sa dévotion pour l’icône de la chanson française Mylène Farmer.

« C’est peut-être naïf mais j’y crois vraiment, je pars du principe que quand quelque chose est fait à cent pour cent avec le cœur, tu ne peux pas te planter, ce n’est pas possible. Je ne dis pas que ce sera forcément bien, mais déjà, tu ne peux pas avoir de regret. »

Radio Metal : Abduction est initialement ton projet. Que voulais-tu faire à sa création, aux alentours de 2006, musicalement et conceptuellement ?

Guillaume Fleury (guitares) : Ça a pu évoluer par la suite, mais au tout début, l’impulsion de la création de mon groupe est le décès de Jon Nödtveidt de Dissection en 2006. Ça m’a beaucoup secoué car Disseciton est mon alpha et mon oméga du metal extrême. Le mec a accompli quelque chose que je juge intemporel et profondément marquant. Je me suis dit qu’il fallait arrêter de se dire que peut-être un jour je ferais ci ou ça et m’y mettre, me retrousser les manches, apprendre à jouer de la guitare et essayer de lancer mon truc à moi dans le metal extrême. C’était la seule idée au départ. Il n’y avait pas de concept ultra précis. Ce que je savais est que je voulais faire une musique black metal mélodique et mélancolique. C’est ce qui me plaisait, c’est ce qui me plaît aussi chez Dissection. On voit beaucoup Dissection comme un groupe très mystique et un peu dangereux, mais il y a aussi beaucoup de mélancolie dans les mélodies et c’est ce qui me parle beaucoup. C’est ce qui fait que ce groupe est génial, ce mélange de beaucoup d’influences, notamment du heavy metal dans son metal extrême. Je me suis dit : « Je vais déjà voir ce qui vient, mais je pense que ça va partir vers quelque chose qui sera plutôt dans les atmosphères et les morceaux un peu alambiqués, avec des ambiances, des histoires… » Je me rappelle, au tout début, je me disais que j’avais envie d’évoquer l’automne en musique ; nous nous amusions en disant que nous allions faire du « automnal black metal » [petits rires]. Nous avons d’ailleurs utilisé cette étiquette au tout début, mais c’était vraiment une blague, donc nous ne l’avons pas conservée longtemps. Si je devais résumer, l’idée était de faire une musique très évocatrice.

A part Dissection, est-ce que d’autres références sont venues progressivement quand vous avez constitué le projet ?

C’est assez difficile de savoir quelles sont exactement ses influences quand on compose de la manière dont nous le faisons. J’ai appris la guitare en autodidacte en reprenant les morceaux de groupes que je vénère, donc Dissection mais aussi des choses plus larges comme Metallica, qui est mon groupe ultime, celui avec lequel je suis vraiment devenu fondu de metal, mais aussi Opeth, Primordial, etc. Il n’y a pas vraiment de limites parce que j’aime beaucoup de choses différentes dans le metal. Après, quand je compose, je prends ma guitare et je gratouille, je joue un peu n’importe quoi, je laisse vagabonder les mains sur le manche, je vois ce que ça donne, et à un moment, je tombe sur un truc instinctivement. Même si ça peut sonner un peu mystique, car ce n’est pas facile à expliquer, je pense que l’on a tous ça en nous, ça t’envoie une image très spécifique, une atmosphère, un souvenir d’enfance, tu te dis : « Tiens, ce truc m’évoque quelque chose, un paysage d’automne un peu désolé… » J’aime ce que m’évoque la mélodie que je viens d’entendre, je vais travailler autour, je vais l’élaborer, je vais en faire quelque chose. Ensuite, je travaille, je structure mon morceau, et c’est des fois des mois ou des années plus tard, quand j’ai vraiment suffisamment de recul dessus, que je réécoute et que je me dis : « Ok, là, l’arpège, il y a du ‘Fade To Black’, je vois très bien d’où il vient. » Par contre, c’est totalement inconscient quand je le fais. Quand nous avons lancé le groupe, nous ne nous sommes surtout pas dit que nous allions faire un groupe à la Dissection, à la Opeth, à la Primordial, qui sont les trois groupes que nous citons en général, car ce sont ceux autour desquels nous nous retrouvons tous dans le groupe, puisque nous avons tous des goûts différents. C’est un peu cliché, mais nous nous sommes dit que nous allions faire ce que nous avons en nous, que nous allions voir ce qui sortirait et que nous n’allions surtout pas nous imposer de limites.

Votre line-up est stable depuis 2011, donc avant le premier album qui est sorti en 2016. Est-ce qu’avec Mathieu, Morgan et François vous êtes à parts égales dans la composition ?

Non, pas vraiment. J’ai peut-être un peu le rôle de directeur artistique, si on peut dire ça ainsi. En gros, je compose toutes les guitares et je fais les structures des morceaux. Evidemment, pendant que je compose, je leur envoie et leur demande leur avis, et parfois, avec leurs retours, je modifie un peu des choses, mais je procède beaucoup de mon côté au départ. Je structure tout mon morceau avec toutes les guitares. Ensuite, Morgan colle toutes ses batteries dessus et à ce moment-là, il peut aussi proposer des ajustements, ce n’est pas verrouillé. De la même manière, Mathieu peut ajouter ses lignes de basse. Reste que la pulsion part de moi, donc nous n’avons pas exactement la même part, même si tout le monde participe, y compris François qui écrit une partie de ses lignes vocales et participe au placement de son chant pour qu’il le sente le mieux possible. On va dire que j’ai une idée, une vision au départ assez précise que je leur ai exposée assez tôt et nous nous sommes toujours mis d’accord pour dire que, quand il faut vraiment trancher, j’ai le dernier mot pour que ce ne soit pas non plus la foire. Après, sincèrement, nous en sommes à quatre albums et il n’y a jamais eu de gros débats sur quelque chose qui n’allait pas. Nous nous sommes vraiment bien trouvés pour tout ça et chacun trouve bien sa place, personne ne me semble frustré, donc ça se passe plutôt bien à ce niveau-là.

En 2020, vous avez sorti Jehanne, un concept album sur l’histoire de Jeanne d’Arc à l’occasion du centième anniversaire de sa canonisation. C’était un album audacieux d’une bonne heure, vous en aviez même proposé un coffret limité à l’époque avec notamment un livre de cinquante-deux pages pour développer le concept. On imagine un fort investissement à tous les niveaux. Est-ce que rétrospectivement vous avez eu les retours que vous espériez après un tel travail ?

En fait, nous avons eu encore mieux que ce que nous espérions, parce que l’album a vraiment très bien marché. Ça a vraiment dépassé nos attentes. Au tout début, nous ne savions pas du tout dans quelle mesure Jeanne d’Arc fascinait encore les gens, donc nous nous sommes dit que, si ça se trouve, ça ne parlera pas plus que ça. Je pense qu’une grande partie du succès de cet album, au-delà de la musique et du fait que les gens ont semblé vraiment l’apprécier, vient du fait qu’ils ont été très intrigués d’entrée par la pochette qui accroche beaucoup et par l’idée même du concept. En plus, ça a vraiment bien marché à l’étranger. Je pense que voir un groupe français qui fait un concept entier sur une figure archétypale que le monde entier connaît et a pu s’approprier, c’est très intrigant. Departure Chandelier avait fait un concept album sur Napoléon, par exemple, c’est pareil, ça t’intrigue, tu veux savoir comment ça sonne. C’est intrigant de savoir comment les gens perçoivent cette figure à la fois réelle, qui a existé, et qui a aussi beaucoup de mystique. Je pense que ça a beaucoup joué dans l’intérêt qu’a suscité l’album. Pour revenir à la question initiale, nous avons été très agréablement surpris par la réception. Nous avons fini d’écouler nos stocks, donc nous allons sûrement le represser – ce sera la quatrième fois, je crois – et ça se vend toujours. Nous avons toujours des gens, assez régulièrement, qui viennent le chercher, nous en parler, nous dire qu’ils ont aimé, poser des questions, etc. Nous ne nous attendions certainement pas à ce que ça prenne aussi bien. Au départ, nous pensions même que ça allait peut-être être vu comme quelque chose d’un peu ringard, et en fait non, pas du tout.

« La France est un pays de chansons à texte avant d’être un pays de musique – je parle de musique populaire, évidemment, je ne suis pas en train de dire qu’on n’a pas de grands compositeurs – et les Français ont souvent été moqués par les Anglo-Saxons, notamment. »

Est-ce que pour vous c’était un album destiné aux passionnés d’histoire, par des passionnés d’histoire, ou est-ce qu’à ce moment-là vous vouliez toucher un public assez large ? Je dis ça car, à mon sens, l’album demande un certain investissement pour l’auditeur, c’est une musique assez exigeante…

C’était probablement un album de passionnés pour des passionnés, oui. Quand nous composons, c’est très égoïste. J’ai un truc dans ma tête, je veux parler de Jeanne, car c’est une figure qui me fascine depuis l’enfance, donc je vais le faire, et ensuite, si ça n’intéresse personne, ce n’est pas grave, je l’aurai fait. Ce serait dommage, c’est sûr, car je préfère que ça intéresse des gens, sinon je ne partagerais pas ma musique, mais il n’y avait pas forcément de volonté de toucher très large. Effectivement, comme tu le dis, nous avons été d’autant plus surpris que ça marche aussi bien que les morceaux sont quand même longs, que la production, sans être aride, reste une production de metal extrême, nous chantons en français… Il y avait beaucoup de choses qui pouvaient avoir l’air un peu rebutantes de prime abord. Au début, nous nous sommes dit que ça intéresserait surtout les fondus de black metal atmosphérique et peut-être les passionnés d’histoire, mais nous ne pensions pas forcément que ça plairait de manière plus large.

Le communiqué a indiqué que vous avez fait une petite pause après cet album. Comment ça s’est traduit ?

En général, quand nous finissons un album et qu’il va sortir, nous avons déjà la trame du suivant, des idées voire une pochette, un titre ou une ligne générale assez précise. Là, avec Jehanne, nous avons vraiment tout mis. C’est de loin l’album qui a été le plus dur à faire de tous nos albums. Nous avons vraiment passé une bonne année quasi tous les jours dessus. Même le bassiste, Mathieu, est venu vivre chez moi quelque temps, comme ça nous bossions tous les jours dessus, ne serait-ce que pour les recherches, car c’est beaucoup de recherches en amont. Et un concept historique, c’est chronologique, donc tu ne peux pas te permettre de déplacer des choses parce qu’elles sonnent mieux à un autre endroit, il faut arriver à les faire sonner bien là où elles sont censées être, ça a donc été beaucoup de travail. Tout ceci fait que quand l’album a été fini, nous nous étions tellement investis dedans émotionnellement qu’il nous a fallu deux ou trois mois de coupure, déjà parce que nous avions du mal à quitter Jeanne, nous étions bien avec elle, ça nous avait beaucoup plu, en plus nous avons vu que la réception était chouette, etc. Ça a été un petit peu dur de se dire : « Bon, on tourne la page, on passe à autre chose. » Il a fallu un petit peu de décompression et c’est la première fois que nous finissions un album en n’ayant pas encore la trame du suivant.

Est-ce que vous avez eu de l’appréhension avant de démarrer un nouvel album, en vous disant qu’il allait sûrement passer après votre œuvre la plus aboutie et recherchée ?

Je ne parlerais pas vraiment d’appréhension. Par contre, c’est vrai que depuis le début, je me dis que je sais que ça ne peut pas marcher aussi bien que Jehanne, parce que ce n’est pas un concept album, donc ce n’est forcément pas aussi fort. Après, ça ne m’a pas mis de pression particulière dans le sens où, comme je le disais, ma manière de procéder est très égoïste, je fais ce que j’ai vraiment sur le cœur et que j’ai envie de faire. C’est peut-être naïf mais j’y crois vraiment, je pars du principe que quand quelque chose est fait à cent pour cent avec le cœur, tu ne peux pas te planter, ce n’est pas possible. Je ne dis pas que ce sera forcément bien, mais déjà, tu ne peux pas avoir de regret. Nous aurions pu commencer à nous dire : « Bon, le concept de Jehanne a bien marché. Est-ce qu’on fait un autre concept, puisque ça a l’air de plaire aux gens ? », mais là, nous ne nous sentions pas de faire un concept, donc nous ne l’avons pas fait. Nous ne voulions pas non plus nous enfermer dans une case « groupe à concept » avec à chaque fois une figure ou une période historique. Nous aimons bien aussi varier les plaisirs. Ça n’a pas brimé la composition, ça ne nous a pas anesthésiés, ça ne nous a pas stressés dans notre manière d’aborder ce que nous voulions faire pour la suite. Par contre, nous nous sommes dit : « On sait qu’on sera attendus, on sait que, normalement, quand Toutes Blessent, La Dernière Tue va sortir, il y aura plus de gens qui auront envie de l’écouter, et on sait déjà qu’il y aura probablement des déçus parce que ce ne sera pas un Jehanne 2. » Toutes Blessent est quand même assez différent de Jehanne.

Toutes Blessent, La Dernière Tue est donc sorti le 1er décembre dernier. Tu as indiqué dans le communiqué que vous pensez n’avoir jamais été aussi directs et accrocheurs sur un album, tout en gardant votre marque progressive. Vous aviez donc une démarche intentionnelle d’aller vers un « black épique » plus accrocheur, ou ça s’est fait naturellement ?

C’était intentionnel. Au bout de trois albums, je me suis dit que j’aimais beaucoup les morceaux à tiroirs… Quand je tiens une mélodie qui me plaît, j’essaye d’extraire d’en tirer le meilleur, mais j’ai aussi envie qu’il y ait tout le temps des montagnes russes. Nous abordons nos morceaux comme des romans ou des films ; il y a des montées, des descentes, des accalmies, des moments plus tempétueux, et j’aime bien les imbriquer et raconter toute une histoire plutôt que passer plus de temps à développer autour d’une idée, alors que ça peut aussi apporter quelque chose d’intéressant. En tout cas, quand une idée mélodique est suffisamment forte et que tu la développes bien, tu peux vraiment créer une ambiance et faire évoluer cette mélodie de manière très intéressante, or c’est quelque chose que je n’avais jamais vraiment fait avant. Cette fois, je me suis donc dit que nous n’allions pas tourner en rond et tout le temps procéder de la même manière, et que si je devais me fixer un défi, ce serait d’essayer de faire des formats plus courts… Enfin, les formats courts ou pas, on ne les décide pas à l’avance, ce sont vraiment les morceaux qui nous le disent, on sent instinctivement si le morceau a besoin ou pas de faire huit minutes ; s’il a besoin d’en faire cinq, c’est parfait, s’il en fait douze, c’est parfait aussi. Ce que je me suis dit, c’est que quand je tiens une mélodie qui me plaît, j’allais essayer de davantage l’étirer, la travailler, la développer et la faire vivre plus longtemps, j’étais curieux de voir ce que ça allait donner. C’est comme ça que je suis parti et que j’ai mis en place tous ces morceaux.

« Je pense que ce qui s’est passé est qu’on a longtemps été une scène complexée, comparée à la scène nordique. Il y a sûrement eu un premier temps où on a voulu prouver qu’on savait faire du metal extrême avec les vrais codes un peu élitistes. Puis, les années passant, on a su se dire : ‘Bon, maintenant, on peut apporter notre singularité française et c’est aussi ce qui fera la différence.' »

Pour le côté accrocheur et épique, je trouve qu’on retrouve ces sonorités-là aussi chez un Aorlhac ou un Véhémence, pour ne citer qu’eux, donc des groupes qui s’appuient un peu sur des récits historiques. D’où est-ce que ça vient ce son commun, cette patte française ?

C’est en effet quelque chose qui est revenu plusieurs fois en interview. C’est très intéressant et je suis d’accord avec toi. J’ai vraiment l’impression qu’il y a une unité dans cette scène française. Je pourrais même rajouter Darkenhöld et Griffon qui sont des groupes que j’apprécie beaucoup aussi. Même des groupes plus progressifs comme Opprobre… J’ai l’impression que, sans se connaître tous, sans se concerter, on a tous cette espèce de petit truc, qui vient peut-être de l’utilisation du chant en français, peut-être simplement de racines ou notre culture communes, je ne sais pas. C’est très intrigant et intéressant. Je sens ce que tu dis aussi. C’est ce qui fait que – en toute humilité, je n’inclus pas forcément Abduction dedans, je parle en général – je trouve que cette scène française est vraiment l’une des plus fascinantes actuellement en black metal, parce qu’elle porte une identité très profonde.

Ce qui distingue Abduction assez nettement du reste de la scène, c’est aussi le chant assez largement déployé en clair par François et qui va véritablement accompagner le récit. Je trouve d’ailleurs que c’est remarquablement inspiré de la chanson française. Il y avait une volonté de ramener l’héritage et le patrimoine de la chanson française dans l’œuvre du groupe ?

Absolument. Ce que tu dis est très intéressant, d’ailleurs. La France est un pays de chansons à texte avant d’être un pays de musique – je parle de musique populaire, évidemment, je ne suis pas en train de dire qu’on n’a pas de grands compositeurs – et les Français ont souvent été moqués par les Anglo-Saxons, notamment. J’étais dans une convention de vinyles l’autre jour et je voyais des Anglais devant moi qui fouillaient des quarante-cinq tours de musiciens français. Ils sont tombés sur un truc des Chats Sauvages. Je les entends qui se parlent avec l’accent anglais très marqué, donc je savais que c’était des Anglais pure souche. Il y a un gars qui fait : « C’est quoi ce truc-là ? » Le mec répond : « Ça c’est les Beatles français. » Il marque une pause et il dit : « C’est nul à chier ! » C’est vraiment parce que, pour eux, vraiment, en rock on est nuls. Par contre, ils vénèrent notre scène variété. Françoise Hardi, c’est un truc qu’ils adorent. J’en ai notamment parlé avec Lee Dorrian de Cathedral et du label Rise Above, il trouve notre scène pop et variété [super]. Christofer Johnsson de Therion en a même fait un album de reprises. Ils sont fascinés par la manière dont on met en musique nos textes, qui est très différente de la leur. La façon de chanter, les lignes mélodiques et sûrement aussi les intonations de notre langue les fascinent. Même s’ils ne comprennent pas, ça crée une ambiance chez eux.

Sur cet album, Mathieu a beaucoup pris en charge l’écriture des lignes vocales. Il y a beaucoup de lignes mélodiques vocales qui sont l’œuvre de Mathieu, qui écrit aussi les textes – j’en ai juste écrit un, « Dans La Galerie Des Glace », et lui a écrit tout le reste, à part la reprise bien sûr. Il est très friand de Fréhel, de vieilles chansons des années 30, 40, 50. Il aime beaucoup la prosodie de ces textes, la manière dont c’est déclamé, etc. Nous nous sommes dit que c’était notre héritage, que nous aimions beaucoup ça. J’aime beaucoup Damia, par exemple, qui fait des chansons mélancoliques magnifiques. En plus, c’est tragique, un peu déprimant, je me dis qu’il y a vraiment un fond qui colle au metal, sans problème ! Nous avons donc apporté cette touche-là en nous disant que c’est notre héritage, c’est notre culture aussi, et nous sommes persuadés que ça rend bien avec notre musique. C’est aussi pour ça qu’il y a beaucoup plus de chant clair, je pense.

J’ai l’impression qu’il y avait beaucoup moins de liens avec la chanson française dans le black metal français il y a quelques années. Je pense à Sordide qui avait repris du Renaud… Penses-tu qu’on soit moins complexés qu’avant dans ce milieu du black metal par rapport à la chanson française ?

C’est très intéressant. Je n’ai pas énormément réfléchi à la question, mais en t’écoutant, je pense que ce qui s’est passé est qu’on a longtemps été une scène complexée, comparée à la scène nordique. Il y a sûrement eu un premier temps où on a voulu prouver qu’on savait faire du metal extrême avec les vrais codes un peu élitistes. Puis, les années passant, on a su se dire : « Bon, maintenant, on peut apporter notre singularité française et c’est aussi ce qui fera la différence. » C’est naturel que le style évolue et c’est un sujet très intéressant que j’ai eu l’occasion d’aborder, même avec des musiciens beaucoup plus reconnus que moi, comme Ihsahn d’Emperor ou Satyr de Satyricon qui, tous les deux, te disent : « En fait, au tout départ, il n’y a jamais eu de règle dans notre black metal. » Ils ont un peu de mal aujourd’hui avec le fait que des gens viennent leur dire qu’ils ne respectent pas les codes du black metal, que le black metal ce n’est pas ça. Ils disent : « Les mecs, le black metal, c’est nous qui avons contribué à le lancer, et la règle, justement, au départ, est qu’à l’époque, on ne supportait plus les carcans. On voulait pouvoir aller où on veut et aller toujours plus loin. » Dans cette scène norvégienne, on peut aussi ajouter Ulver et Dødheimsgard. Ce sont des groupes qui ont tout le temps repoussé les limites du style, tout en s’inspirant de leur culture – il y a forcément un lien. Je pense qu’on fait un peu pareil en France actuellement. C’est ce qui fait qu’on a des groupes aussi intéressants. Surtout qu’en plus, c’est très facile de puiser dans l’histoire de notre pays ; on a quand même une histoire très riche et variée, avec beaucoup d’angles à aborder.

« Ce que nous exprimons est précis, nous savons très bien ce que nous voulons dire, mais nous aimons aussi beaucoup user de métaphores pour que ce soit plus poétique. Ce qui nous plaît beaucoup dans les textes, c’est toujours d’ouvrir des questions. »

Pour le côté décomplexé… Depuis notre début nous suscitons des réactions un peu tranchées, et là je vois très bien qu’il y a des gens chez qui notre reprise de Mylène Farmer n’est pas du tout passée – même si c’est une minorité, c’est souvent une minorité un peu plus bruyante –, mais globalement, on a quand même la chance d’avoir beaucoup de gens qui sont très ouverts à la musique. J’écoute énormément de styles de musique différents, je ne me suis jamais cantonné qu’au metal, même si c’est ma musique « mère » ou principale, et mon raisonnement est que si une musique me touche, qu’elle me procure des émotions, je ne vais pas m’interdire de l’aimer parce qu’il y aurait des règles qui font que… Je suis content de constater que c’est le cas aussi chez beaucoup d’autres groupes français et chez les auditeurs. Après, on comprend très bien que ça puisse déranger. Je pense qu’il y a des gens qui sont très nostalgiques de l’époque où ils ont découvert le black metal, où il y avait encore un peu ce côté dangereux, caché, qui sentait beaucoup le soufre, etc. et c’est vrai que c’est de moins en moins le cas. Le style et le monde globalement, la société ayant évolué, on n’est plus dans le même état d’esprit aujourd’hui, donc je peux comprendre. Il n’y a pas de souci, en ce qui nous concerne. Encore une fois, nous avons eu beaucoup plus de retours enthousiastes, positifs ou simplement bienveillants que de haine. Nous n’avons pas eu de haine, juste des remarques un peu circonspectes.

On voit parfois des jeunes blackeux de vingt ans qui se la jouent un peu puristes. On a l’impression qu’ils idéalisent la période où il fallait envoyer des courriers à Euronymous pour avoir sa démo… Les critiques viennent parfois de personnes qui n’étaient même pas nées !

Oui, c’est ça qui est drôle. Nous sommes d’une génération qui a connu une période où Varg Vikernes était encore en prison, où il y avait encore toutes ces espèces de garde-chapelles, etc. Et aujourd’hui, il y a les deux, c’est-à-dire qu’il y a des plus jeunes qui fantasment et idéalisent, et je le comprends, mais je vois aussi des plus jeunes qui sont beaucoup plus ouverts d’esprit que je pouvais l’être moi-même – car à un moment, quand j’ai découvert le black metal, cet univers est tellement fascinant, tellement enveloppant que tu te laisses un peu prendre au jeu, surtout quand tu as quatorze ans, c’est normal. Après, j’ai l’impression qu’on vit une époque où c’est plus facile d’assumer – même si je trouve le mot un peu triste, car on ne parle que de musique ! – que ses goûts ne sont pas forcément cantonnés au metal extrême.

Toutes Blessent, La Dernière Tue comprend plusieurs récits. Est-ce un album, plus que les autres, qui peut se décortiquer pièce par pièce, où chaque chanson se suffit à elle-même ?

Oui, complètement. C’est vrai qu’elles sont assez différentes. J’aime que les albums soient homogènes, donc pour moi, ce n’est pas non plus une compilation. Il y a un lien, les morceaux sont censés fonctionner ensemble, ils ont tous été composés dans le même état d’esprit. C’est même très important pour moi d’avoir la pochette quand je compose, elle guide ma composition. Ce n’est pas quand j’ai terminé l’album que je me dis : « Tiens, qu’est-ce qui pourrait l’illustrer ? » En général, j’en ai besoin en amont, et même pour celui-ci, je sais qu’à un moment, je bloquais un peu sur mes structures et j’ai senti que c’était parce que je n’avais pas le visuel. J’ai donc trouvé le visuel et une fois que celui-ci était vraiment arrêté, ça a débloqué toute la créativité qui manquait et ça m’a permis de finaliser l’album. Même quand nous allons en studio, nous faisons reproduire le tableau et nous l’emmenons avec nous pour l’avoir sous les yeux, parce que nous voulons que l’univers qu’il évoque soit servi par la musique que nous sommes en train d’enregistrer. C’est donc quand même homogène, mais effectivement, les morceaux sont tellement différents et abordent des sujets tellement différents que j’aime bien l’idée qu’on puise les décortiquer ou les prendre séparément, et les interpréter de manière différente. Ce que nous exprimons est précis, nous savons très bien ce que nous voulons dire, mais nous aimons aussi beaucoup user de métaphores pour que ce soit plus poétique. Ce qui nous plaît beaucoup dans les textes, c’est toujours d’ouvrir des questions. Ce n’est ni de donner des réponses comme si nous étions des moralisateurs, ni d’être complètement anarchiques avec des trucs qui seraient très poétiques mais qui seraient tellement abstraits qu’on ne peut pas les comprendre sans un manuel. Nous pensons que les idées sont assez simples – nous avons même l’impression que, globalement, tout le monde comprend très bien quelles sont les thématiques de chaque morceau. Par contre, nous essayons d’ouvrir des questions.

C’est assez rare qu’on vienne vers nous pour nous parler des textes… Un ami, Scars de Christicide, m’avait une fois fait un retour très détaillé sur des textes. Je lui ai dit : « C’est super, je suis content, tu as vraiment creusé et compris. » Il m’avait dit, lui qui a plus d’expérience que moi : « Profites-en, parce que tu verras, ça arrivera beaucoup moins souvent que tu le crois. » Effectivement, il avait raison. C’est assez rare que nous ayons des retours très détaillés sur nos textes. Est-ce parce que les gens s’en foutent, ne les écoutent pas, etc. ? Ou peut-être qu’ils n’ont tout simplement pas l’intention de nous en parler ? Je n’en sais rien, mais c’est vrai que des fois, nous aimerions bien savoir comment les gens ont interprété telle ou telle phrase, et au final, nous ne le savons jamais.

« Des fois, tu as des gens qui te disent qu’on a la sensation d’être à la fin des temps aujourd’hui, que le monde va s’écrouler parce que c’est très dur, tu dis : ‘Ouais, le monde est dur en ce moment, mais tu penses à ceux qui ont vécu 14-18, qui ont pris la guerre plus la grippe espagnole ?’ Et il y a ceux qui avaient l’âge de se taper les deux guerres à la suite ! Tu relativises avec ce genre de chose. »

Comme tu le dis, l’album aborde différents thèmes. Dans le communiqué, vous dites que ça va de la façon dont le « nouveau » monde traite les soldats qui reviennent de la Première Guerre mondiale aux découvertes des navigateurs et des pilotes d’avion, en passant par le développement personnel, la vieillesse et la façon dont notre société envisage la manière dont nos aînés vivent les dernières années de leur vie. Il y a aussi un titre qui rend hommage au personnage de Cyrano de Bergerac. Comment ces thématiques sont choisies, qu’est-ce qui vous inspire à un moment donné pour que vous traitiez tel ou tel sujet ?

Ce sont des sujets communs aux membres du groupe, et surtout à Mathieu et moi qui sommes les deux qui dirigeons le côté textuel. Souvent, avant un album, nous nous disons que dans le prochain, nous parlerons peut-être de ci, peut-être de ça, parce que ça nous tient à cœur. Des fois, c’est la musique : je compose, Mathieu écoute et il se dit que l’aspect un peu épique du morceau lui donne envie de parler de tel thème. Pour Jehanne, c’est un peu né comme ça. J’ai écrit le final de « Par Ce Cœur Les Lys Fleurissent » qui est le second morceau de l’album et c’est en le faisant que j’ai eu un flash de Jeanne à Orléans, de la bataille finale qui est super épique. Je me suis dit que ça ferait un super morceau sur Jeanne d’Arc et sur Orléans, et donc que c’était le moment de lancer le concept, car j’étais dans l’état d’esprit. Ça se fait donc très instinctivement, mais il y a une cohérence avec les choses qui nous intéressent sur le moment où nous travaillons l’album.

Je reviens sur Cyrano de Bergerac et Edmond Rostand : est-ce que vous replongez dans les classiques de la littérature, par exemple, vous impulser des idées ?

Non. D’ailleurs, je n’ai pas relu Cyrano depuis quinze ans. Des choses que nous lisons nous inspirent forcément, mais nous ne le faisons pas volontairement. Nous n’allons pas prendre un classique en disant que ça va peut-être [nous inspirer]. Après, ce pourrait être intéressant aussi. Plus tu avances dans ta carrière, plus tu dis qu’il faut que tu trouves de nouvelles manières de t’exprimer pour ne pas tout le temps faire la même chose. Ça peut être intéressant de lire quelque chose et de voir ce que ça nous inspire. Peut-être que Mathieu l’a déjà fait, mais pas moi, pas encore. Dans le cas de Cyrano, c’est juste que cette pièce d’Edmond Rostand est le truc qui m’a le plus marqué dans ma jeunesse. J’ai passé un concours une fois où on nous demandait : « Parlez-nous des deux livres qui vous ont le plus marqué dans votre vie et essayez de nous les rendre intéressants. » J’avais mis Cyrano pour l’un et l’autre était Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe, parce que ça m’avait aussi traumatisé quand je l’avais lu – je l’ai sûrement lu un peu trop jeune, c’est assez violent [rires]. C’est donc plutôt ainsi que ça se fait et nous avons dans un coin de notre tête l’idée qu’un jour on parlera de ci, un jour on parlera de ça, et à un moment, quand nous faisons la musique, nous nous disons que celle-ci est faite pour ce thème, donc nous le mettons.

Même si de prime abord on pourrait penser qu’Abduction est assez inscrit dans le passé, dans le contexte historique des textes ou dans leurs aspects poétiques et les appuis littéraires sur lesquels ils semblent parfois se reposer, on peut quand même faire pas mal de doubles lectures sur notre société actuelle. Dirais-tu donc que vous déguisez un peu les textes au passé pour parler en réalité principalement du présent ?

Oui, nous faisons souvent ça, sur tous nos albums. C’est pour ça que nous nous disions que, peut-être, des gens viendraient nous voir pour nous dire : « Tiens, là, vous parlez de tel sujet, pas vrai ? » et en fait, c’est arrivé très rarement. Ça arrive, je ne dis pas que ça n’arrive jamais, mais nous nous disons que nous nous croyons peut-être moins subtils que nous ne le sommes et qu’en fait les gens ne comprennent pas de quoi nous parlons, ou juste qu’ils s’en foutent… En fait, nous nous intéressons beaucoup à l’histoire, et au-delà des dates et de ce qui s’est passé précisément, même si c’est important que ce soit précis et de ne pas faire n’importe quoi sous prétexte que c’est artistique, de respecter l’histoire parce qu’elle a vraiment eu lieu, ce qui nous fascine, c’est l’humain voire le côté social – c’est le cas de certains des textes de cet album. Même quand nous bossions sur le concept de Jehanne, ce qui nous fascinait, c’était comment cette jeune femme, qui a entre dix-sept et dix-neuf ans, ressent les choses, comment elle les vit, comment elle supporte le poids de tout ce qu’elle a sur les épaules, etc. C’est ça qui est incroyable et fascinant, et que nous voulons comprendre et savoir. Dans le cadre des textes que nous avons faits pour le nouvel album, c’est un peu pareil.

« Disparus De Leur Vivant », ce sont les soldats de 14-18, qui ont ramassé comme jamais et qui ont déjà la chance d’avoir survécu, parce que cette guerre a été une boucherie pour la jeunesse française. Ils rentrent et ils découvrent un monde – on va bientôt arriver dans les Années folles – qui est très déconnecté de ce qu’ils ont subi. Il n’y a pas de soutien psychologique à l’époque, ça n’existe pas. Il y a aussi énormément de pudeur. On est tous concernés, nous tous Français, même au-delà en Europe pour cette guerre, par le fait qu’on a des ancêtres qui ont fait la guerre, mais finalement, quand on pose des questions, on sait très peu de choses parce qu’ils n’en parlaient pas, ils ont mis ça sous le tapis et ça a été souvent très difficile à vivre. En plus, tu reviens de cette guerre dont tu es quand même un héros, mais tu es vite rattrapé par l’ironie de la réalité qui est qu’il faut que tu ailles à l’usine, que tu turbines, que tu reprennes ta vie… Mon arrière-grand-père était maçon, il a fait la guerre de 14-18, il a fait des choses très violentes, il a même fait le Chemin des Dames et ce genre de choses. Il est rentré de là avec de nombreuses séquelles à cause des gaz, comme beaucoup de ses camarades, et je sais qu’il a repris immédiatement son métier de maçon. Il est décédé à vingt-deux ou vingt-quatre ans des suites des gazages et du fait que sa vie était tellement dure. En plus, à cette époque, la grippe espagnole passe par là ! Des fois, tu as des gens qui te disent qu’on a la sensation d’être à la fin des temps aujourd’hui, que le monde va s’écrouler parce que c’est très dur, tu dis : « Ouais, le monde est dur en ce moment, mais tu penses à ceux qui ont vécu 14-18, qui ont pris la guerre plus la grippe espagnole ? » Et il y a ceux qui avaient l’âge de se taper les deux guerres à la suite ! Tu relativises avec ce genre de chose. Donc ce qui nous intéresse et ce que nous essayons de comprendre, c’est l’humain.

« Peut-être qu’à une époque, les gens s’oubliaient trop, c’est possible, et on a voulu régler un peu la mire en disant aux gens qu’ils doivent aussi penser à eux, à leur bonheur, etc. Ok, mais là, on est parti peut-être un peu trop loin de l’autre côté, donc il faudrait qu’on rerègle. Il ne faut pas oublier que ça peut faire du bien aussi, même pour soi, de s’intéresser davantage aux autres. »

Mathieu et moi, nous faisons des recherches sur nos ancêtres qui ont fait 14-18, parce que c’est très intéressant, et je l’ai fait pour tous les gens de ma famille. On a la chance à notre époque qu’énormément de choses aient été numérisées, des carnets, les livres dans lesquels les officiers écrivent tout ce qui se faisait au jour le jour, donc on peut aller consulter ça sur internet. Je suis notamment allé consulter le moment où mon arrière-grand-oncle est mort héroïquement sous des bombes en essayant de sortir des camarades qui étaient piégés sous des décombres, il y a eu dix-sept ou vingt-sept morts, je ne sais plus, mais c’était énorme. Tu sens en plus que pendant les jours qui ont précédé, il ne se passait rien, ils s’emmerdaient presque, ils jouaient aux dés, ils attendaient, ils ne savaient pas ce qui se passait. Puis à un moment donné, ils se prennent plein de trucs dans la gueule par les Allemands, et ils perdent tous ces soldats d’un coup. J’ai vraiment parcouru sur des mois avant et des mois après pour vraiment comparer, et tu sens que ce que l’officier note dans le carnet est toujours très froid : « Aujourd’hui, on était là. On a bougé le camp là. On a fait ci. On a fait ça. » Après, il se passe ça. Je vois le nom de mon ancêtre, donc je sais que je suis au bon endroit, et je vois dans les jours suivants qu’il y a des choses beaucoup plus humaines qui ressortent. Il y a : « Aujourd’hui, nous avons le cœur lourd, nous avons enterré nos camarades, il fait un temps maussade. » Un officier n’a pas besoin de mettre « le cœur lourd » là-dedans, c’est à destination des armées, mais tu sens que ce qui leur arrive est tellement violent et fort que l’humain ressort. Tu sens vraiment la connexion. C’est beaucoup plus palpable qu’un truc un peu froid, du genre : « Il est mort à telle date. Il était sur tel territoire. Il était dans tel régiment. » Là, au moins, tu as un vrai contact avec l’humain. Pareil, j’ai retrouvé la tombe de mon grand-oncle et j’ai vu que ses camarades lui avaient fait mettre une plaque, qui était toute abîmée et que nous avons nettoyée pour la faire ressortir, en la mémoire de lui et de ce qu’il avait essayé de faire pour sauver ses camarades, même s’il y était passé aussi. Pareil, ça te reconnecte, c’est la vraie vie derrière la grande histoire qui est dans les livres.

S’il y a un titre qui serait particulièrement parlant pour notre époque, ce serait « Dans La Galerie Des Glaces ». On voit bien la dimension individualiste et un peu narcissique du personnage, un roi qui, tragiquement, à la fin, se rend compte – ou ne veut pas se rendre compte – que tout le monde est roi. On peut y voir une critique de notre époque et de son individualisme voire des réseaux sociaux où ce culte de la personnalité est entretenu, d’autant que les glaces peuvent faire penser aux écrans…

C’est exactement ça. Et c’est intéressant ce que tu dis sur les glaces et les écrans, parce que je n’y ai pas pensé. Je suis vraiment parti dans l’idée d’une galerie des glaces où il n’y a que des miroirs, où tu peux toujours te voir et te rassurer en te voyant, en vérifiant que tu es toujours physiquement bien et respectable. Mais oui, tu as complètement raison, même pour les réseaux sociaux. Il y a une phrase : « Sur tous les murs sont placardés des décrets, des rappels à cette loi. » Ce sont les murs Facebook et ainsi de suite. Ce n’est pas très subtil, mais c’est vraiment l’idée que j’avais en tête. Je ne suis pas non plus un poète, et c’était mon premier texte pour Abduction ! Là où Mathieu écrit très vite et est très vite inspiré, moi je mets des mois à faire un truc, je mets tout à la poubelle et je ne suis jamais content, parce que je n’ai pas son talent. C’est donc l’idée, mais sans être moralisateur, sans donner des leçons aux gens. Je comprends tout à fait que ça part d’une bonne intention – de toute façon, les choses partent toujours d’une bonne intention, c’est rare qu’on fasse les choses en voulant tout détruire, même si j’imagine que ça peut arriver. Le développement personnel ou le renforcement positif, comme on dit, c’est très piégeux, parce que ça peut nous mener justement à s’immerger tellement profondément dedans qu’on en oublie qu’il n’y a pas que ça, et peut-être que des fois, en essayant de s’oublier davantage, en essayant… J’ai l’impression qu’on n’a pas bien réglé la mire. Peut-être qu’à une époque, les gens s’oubliaient trop, c’est possible, et on a voulu régler un peu la mire en disant aux gens qu’ils doivent aussi penser à eux, à leur bonheur, etc. Ok, mais là, on est parti peut-être un peu trop loin de l’autre côté, donc il faudrait qu’on rerègle. Il ne faut pas oublier que ça peut faire du bien aussi, même pour soi, de s’intéresser davantage aux autres.

Je ne suis pas en train de dire aux gens : « Vous êtes tous des enfoirés narcissiques. » Tout le monde, même moi, peut tomber dans ce piège de trop penser à soi, parce que c’est ce qu’on nous suggère trop fortement de faire, pour des bonnes ou mauvaises raisons, je ne sais pas. Je pars du constat que j’ai des gens dans mon entourage qui peuvent parfois m’inquiéter parce que je vois qu’ils se noient là-dedans. Ils sont tellement obsédés par le regard des autres, ils ont tellement besoin que les autres leur disent qu’ils sont bien, que les gens les aiment, et on leur sermonne tellement tous les jours qu’ils sont les héros de leur propre vie, qu’ils sont dans un film et qu’ils sont l’acteur principal… Des fois, c’est trop à porter sur les épaules ! Ce qui m’inquiète le plus, c’est quand tu vois des gens dire : « J’ai éjecté telle et telle personne de mes contacts, de mes amis, de mes fréquentations parce qu’elles étaient toxiques. » En fait, quand tu leur demandes pourquoi elles étaient toxiques, c’est parce qu’elles faisaient des remarques négatives qui, pourtant, de l’extérieur, avaient l’air constructives. Il y a aussi ce danger de se dire, dès que quelqu’un nous dit quelque chose qui ne nous plaît pas, qu’on va le dégager parce qu’il serait toxique, alors que ses remarques pourraient nous aider à nous améliorer et à nous sentir mieux. C’est toute l’idée derrière le texte.

« Tu ne peux pas abandonner un sujet qui te tient énormément à cœur sous prétexte qu’il a été récupéré par un parti politique, alors même que tu ne politises pas ton propos. Jeanne d’Arc est une figure qui appartient à tout le monde. Tout le monde se l’est appropriée. »

Votre particularité c’est aussi d’orner d’un tableau classique vos artworks, et cette fois-ci c’est emprunté aux œuvres d’Hubert Robert, peintre du XVIIIe siècle spécialisé dans les paysages. Est-ce que c’est une façon de ramener l’auditeur à redécouvrir des classiques de l’art ? D’ailleurs cette question est valable aussi pour vos appuis en littérature.

Oui, bien sûr. Nous aimons et nous creusons ce genre de chose. Nous les redécouvrons et nous les partageons. Nous nous sommes rendu compte que la pochette a beaucoup plu, nous avons eu beaucoup de retours pour dire que les gens la trouvaient magnifique et que très peu la connaissaient, donc ils étaient contents de découvrir ce peintre, et ils sont allés voir d’autres œuvres. Je sais que certains se sont même renseignés pour se faire des reproductions, etc. Ça fait plaisir, car nous nous disons que, oui, Hubert Robert est un grand peintre français, mais ce n’est plus forcément aussi évident aujourd’hui. Dans la masse d’informations, on peut finir par oublier des choses. Si, à notre petit niveau, nous pouvons le remettre en lumière, c’est super. Après, au départ, c’est toujours le même raisonnement égoïste : c’est la pochette que nous voulons, c’est le visuel qui colle à ce que nous voulons mettre en musique. Là, c’était idéal. Tu as l’impression de t’égarer sur des chemins dans une promenade en forêt et tu tombes sur une stèle, elle est tellement usée que tu ne sais même pas ce qu’elle représente. Ça rejoint un peu ce que je disais tout à l’heure sur la tombe de mon aïeul où il faut gratter pour savoir ce qu’il y a derrière, parce que l’histoire a été oubliée. Ça peut t’amener à te dire : « Tiens, pourquoi il y a ça là ? Les gens ont mis ça là parce qu’il s’est passé plein de choses avant que je sois là moi-même. Ils ont fait ça pour que ce ne soit pas oublié, mais ça l’est quand même, ça prend les ronces, etc. » Ça peut t’amener à te questionner toi-même : « Moi aussi, un jour je ne serai plus là. Quelles traces est-ce que je vais laisser ? Peut-être rien… » Ce sont des choses qui sont universelles. Nous nous sommes dit que ça collait bien à notre rapport à la mort, au temps qui passe et à l’héritage.

Au moment de la sortie Jehanne, il y avait quelques esprits chagrins sur les réseaux sociaux, justement, qui ont vite fait le raccourci avec des appartenances politiques supposées, parce que vous évoquez Jeanne d’Arc. Que répondez-vous à ces gens ? Est-ce que ça vous touche ? Et plus globalement, on a l’impression que dès qu’on parle d’histoire et de metal, surtout dans le black, on est vite catégorisé…

Concernant les réseaux sociaux, nous avons eu de la chance, parce que nous n’en avons pas vu. Tout juste, on m’a rapporté un truc du Petit Metalleux Illustré. Je ne le connais pas et je n’ai rien contre lui, et nous n’avons pas pris ça très au sérieux puisque nous avons vu que son argumentaire principal était : « Ils sont basés à Versailles, donc ils sont forcément d’extrême droite. » Nous nous sommes dit que si on partait de là, ça allait, il n’avait pas trouvé grand-chose ! Dans notre musique, dans nos textes et même dans nos visuels, je pense que tu peux chercher longtemps, tu ne trouveras absolument rien qui invite à la xénophobie, au racisme, au repli identitaire, au nationalisme ou je ne sais quoi. Ce n’est pas du tout le propos de ce que nous faisons. Déjà, tout simplement parce que, dans Abduction, nous sommes quatre, même cinq maintenant puisque nous avons un guitariste live, et je pense que nous sommes cinq à avoir des idées différentes. C’est-à-dire que je ne suis pas sûr que nous soyons tous raccord sur toutes nos idées politiques. A partir de là, nous ne sommes pas assez militants et unis autour d’idées politiques communes pour brandir un quelconque étendard.

Effectivement, quand nous avons fait le concept album sur Jeanne d’Arc, je suis tellement naïf que je ne me suis pas posé la question. C’est une amie qui m’a dit : « Fais gaffe quand même… » parce que Jeanne d’Arc a beau être une figure qui a été récupérée par tous les partis politiques dans l’histoire, actuellement, les gens la relient quand même à Le Pen, à son « Jeanne, au secours », etc. Je n’avais pas du tout pensé à ça ! Pour le coup, je me suis dit que j’allais faire appel à l’intelligence des gens. Tu ne peux pas abandonner un sujet qui te tient énormément à cœur sous prétexte qu’il a été récupéré par un parti politique, alors même que tu ne politises pas ton propos. Jeanne d’Arc est une figure qui appartient à tout le monde. Tout le monde se l’est appropriée. Tu peux lui rendre hommage sans être « douteux ». Encore une fois, je pense qu’il n’y a rien dans nos textes, nos visuels ou même nos réponses en interview qui peut sous-entendre que nous pourrions être là pour donner des leçons de politique aux gens et leur dire comme ils doivent penser, voter ou autre. Il n’y a donc clairement pas ce genre d’idéologie.

Après, je peux le comprendre, car il y a beaucoup de groupes qui n’ont aucun problème à se revendiquer idéologiquement et politiquement. Un groupe comme Peste Noire n’a jamais caché qu’il avait des convictions politiques fortes et il les assume. Forcément, comme il y en a beaucoup, ça ne m’étonne pas que des gens soient suspicieux dès le départ. Sincèrement, avec Jehanne, ça ne nous a pas posé problème, parce que j’ai l’impression que les gens ont très vite compris que nous étions des passionnés d’histoire et que nous parlions d’histoire. Encore une fois, ça ne veut pas dire que nous n’avons pas de conviction politique – j’ai des convictions politiques très fortes, très précises sur plein de sujets, mais tu ne les retrouveras pas dans ma musique. A partir du moment où c’est le cas, tu ne peux pas m’attaquer dessus. Je comprendrais qu’on le fasse si c’était le cas, mais ce n’est pas le cas.

« Tu dois pouvoir retrouver des interventions de ma part qui doivent remonter à quinze ou vingt ans où je le dis déjà sur des forums : ‘Mylène Farmer est plus gothique et plus doom que des groupes de doom gothique ! » »

Evidemment, la petite surprise sur cet album, c’est votre reprise d’« Allan » de Mylène Farmer, que vous avez même illustré par un clip qui rappelle l’esthétique de l’artiste. Pourquoi ce titre, qui n’est d’ailleurs pas forcément le plus connu de son répertoire, et pourquoi Mylène Farmer ?

C’est très simple, si tu me demandes quel est mon artiste ultime de tous les temps, si je devais en retenir un seul, ce serait sûrement Mylène Farmer. J’écoute Mylène Farmer d’aussi loin que je me souvienne. J’ai dû commencer dans les années 90 quand j’étais encore adolescent. J’ai tout de suite été séduit par son univers, par la poésie, par le côté un peu morbide et gothique qui, justement, colle très bien au metal, ce qui fait qu’il n’est pas étonnant que beaucoup de fans de metal aiment Mylène – nous l’avons vu en sortant le clip. Nous ne sommes d’ailleurs pas le premier, ni le dernier groupe de metal à reprendre du Mylène Farmer. Les connexions sont assez évidentes. A la base, je n’aime pas l’exercice de la reprise, ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse, surtout quand tu reprends un artiste assez proche de ton univers musical. Si j’avais repris un groupe de rock ou de metal avec des guitares saturées, de la double pédale, etc., ça n’aurait pas été super intéressant à mes yeux. Je me suis dit que si nous devions reprendre quelque chose, ce serait un artiste que j’aime énormément, mais aussi qui vienne d’un univers musical différent du nôtre. Mylène cochait toutes les cases. En plus, c’était important pour moi que ça chante en français, puisque nous aimons cette idée et ça fait partie de notre identité, donc c’est plus facile de s’approprier le morceau. Le choix était évident. Mylène Farmer est mon artiste ultime, celle qui me suit depuis toujours, que je n’ai jamais vraiment lâchée, même s’il y a toujours des moments où tu écoutes un peu moins. Et « Allan » est mon morceau préféré de tout Mylène. C’est le numéro un. Je me suis dit que si ça ne marchait pas, je ferais le deux ou le trois, donc « Tristana » et « Je T’aime Mélancolie ». En fait, « Allan » a très bien marché. Nous étions très contents du résultat, donc nous sommes restés dessus. C’est un plus que ce soit un morceau qui n’a quasi jamais été repris avant et qui est moins connu. Ça a d’ailleurs permis à des gens d’aller écouter l’original et de l’apprécier. La raison était donc la pure passion pour l’artiste et un hommage très sincère.

Est-ce que tu dirais qu’elle est plus metal que pas mal d’artiste metal ?

Je le pense et, d’ailleurs, si tu fouilles bien sur internet, tu dois pouvoir retrouver des interventions de ma part qui doivent remonter à quinze ou vingt ans où je le dis déjà sur des forums : « Mylène est plus gothique et plus doom que des groupes de doom gothique ! » Je participe des fois à des défis disquaires sur la chaîne de The Doom Dad, qui est un de mes amis, sur YouTube. A un moment, nous étions rentrés chez un disquaire metal à Bruxelles – il est même tenu par le guitariste de Wolvennest – et j’y ai trouve un quarante-cinq tours d’« Allan » live. C’est ce que je dis dans la vidéo, c’est la preuve que Mylène, c’est du metal ! J’ai aussi trouvé un trente-trois tours d’En Concert de 1989, pareil, en convention, chez un disquaire metal – ils n’avaient que du metal et au milieu, il y avait ce disque de Mylène. Elle est souvent balancée dans des trucs de rock gothique ou de metal, parce qu’en plus, l’imagerie va avec. C’est ce qui est d’autant plus fascinant chez Mylène Farmer, le fait qu’elle ait su conquérir un public aussi large avec des choses qui sont parfois très sombres. Il y a des textes de Mylène Farmer qui sont extrêmement sombres. Il y a même des musiques et des clips… Je trouve que Giorgino est un film incroyable, c’est l’un de mes préférés, je le vénère, je trouve qu’il est exceptionnel, et c’est du pur doom gothic metal ! Il n’y a pas plus doom gothic que ça ! Tous les codes sont là. C’est vraiment fascinant.

Plusieurs membres du groupe travaillent chez Rock Hard. Est-ce que ça a fatalement une conséquence sur votre travail, dans le sens où vous êtes exigeants peut-être parce que vous vous comparez à des artistes internationaux que vous chroniquez ? Est-ce que ça a forcément une influence ?

Ça doit avoir une influence, inconsciente sûrement. Nous faisons beaucoup de choses à l’instinct, donc c’est difficile de s’en rendre compte tout de suite, mais je pense que nous devons probablement tirer avantage du fait que nous connaissons le milieu dans lequel nous évoluons, nous savons comment fonctionne la promotion d’un disque, etc. Nous savons que l’envers du décor n’est pas forcément tel qu’il est souvent fantasmé par les gens, et peut-être que ça peut nous aider pour certains choix ou certaines décisions. Je n’ai pas d’exemple précis, mais dans la vie, tout ce que tu fais t’influence, donc il y a forcément un lien. Après, concernant l’exigence, je pense que j’ai un naturel perfectionniste en général, dans la vie, qui peut des fois être pénible pour ceux avec qui je travaille. Peut-être qu’inconsciemment je le renforce avec le fait d’être journaliste, je ne sais pas, c’est très difficile à dire. C’est probable. Je vois des connexions des fois entre les deux. C’est plus facile d’interviewer un musicien quand tu l’es toi-même. Quand il t’évoque certaines galères ou certaines choses qu’ils ont ressenties, tu comprends parce que tu es passé par là aussi, même si c’est à ton petit niveau. Effectivement, ça peut créer des connexions et peut-être que ce qu’ils te disent peut aussi nourrir ton travail artistique derrière, alors même que tu l’as recueilli dans le cadre d’un travail journalistique. Il y a forcément des interconnexions.

Vous avez indiqué avec Abduction que vous étiez déterminés à jouer votre musique sur les planches. Où en êtes-vous de ces démarches ?

Quand cette interview sortira, nous aurons déjà joué le 9 décembre à Nantes, dans les locaux de Frozen Records, notre label. Nous aurons fait un petit set acoustique de vingt-cinq ou trente minutes qui, j’espère, s’est bien passé, puisque nous n’avons eu que deux répétitions avant ! Par contre, pour le live électrique, nous allons commencer à travailler très sérieusement. La grosse difficulté est que nous avons des vies professionnelles très prenantes et nous sommes assez éparpillés, donc nous faisons au mieux. Nous essayons de faire des résidences de trois ou quatre jours, puisque nous ne pouvons pas répéter tous les dimanches comme nous le faisions à nos débuts. Nous allons essayer de mettre en place un set live électrique pour jouer dès 2024. C’est notre ambition. Après, est-ce que nous allons arriver à la tenir ? Nous ne pouvons pas le garantir encore. Nous essayons d’ici le mois de mars d’avoir une vue précise et de pouvoir commencer déjà à prévoir des choses, mais l’envie est là et elle est très forte.

Nous avons vraiment envie de porter la musique sur les planches. Nous pensons qu’elle peut prendre une autre dimension. Nous pouvons la retravailler et la réarranger de manière assez intéressante. Jusqu’à maintenant, ces dernières années, comme nous sommes très pris, nous préférions mettre le très peu de temps que nous avions au service de la créativité et de la composition de morceaux plutôt que de la restitution live, mais plus les années passent, plus nous nous disons qu’il y aurait une énergie qui serait intéressante, et il y a de plus en plus de gens qui viennent nous voir. Nous avons même des propositions que nous sommes régulièrement obligés de décliner. C’est toujours un peu dommage de voir qu’il y a un petit festival par-ci ou une petite salle par-là qui nous propose de jouer et nous ne sommes pas prêts, donc nous ne pouvons pas. Comme nous sentons qu’il y a aussi une demande, sans dire qu’elle est explosive et incroyable, nous avons envie de la satisfaire. Nous essayons de tout mettre en œuvre pour que ça se fasse, nous croisons les doigts. En tout cas, nous avons beaucoup de plaisir à répéter, nous avons vraiment senti une chouette alchimie entre nous tous, nous avons un guitariste live… Nous nous sommes même dit que c’était dommage d’avoir passé autant d’années sans avoir pu répéter à nouveau, parce que c’est vraiment quelque chose que nous aimons.

Interview réalisée par téléphone le 6 décembre 2023 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Pauline Royo.

Site officiel d’Abduction : www.abduction.fr

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The Obsessed – Gilded Sorrow https://www.radiometal.com/article/the-obsessed-gilded-sorrow,469765 https://www.radiometal.com/article/the-obsessed-gilded-sorrow,469765#respond Tue, 13 Feb 2024 08:09:08 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469765 Avec Sacred, sorti en 2017, Scott « Wino » Weinrich était non seulement parvenu à remettre sur pied pour de bon The Obsessed, son premier groupe fondé en 1976 et séparé au milieu des années 1990 après avoir sorti trois albums devenus classiques, mais aussi à produire un album à la hauteur des attentes évidemment […]

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Avec Sacred, sorti en 2017, Scott « Wino » Weinrich était non seulement parvenu à remettre sur pied pour de bon The Obsessed, son premier groupe fondé en 1976 et séparé au milieu des années 1990 après avoir sorti trois albums devenus classiques, mais aussi à produire un album à la hauteur des attentes évidemment élevées des fans de la première heure. Heavy, bon vieux doom, hargne et lourdeur à l’envi : Sacred encapsulait en effet des décennies de rock’n’roll distillées par l’un de ses plus fiers représentants. Quelques années et pas mal de temps passé sur la route plus tard, The Obsessed revient dans une version étoffée avec Gilded Sorrow, son cinquième opus…

Car c’est désormais épaulé d’un deuxième guitariste, Jason Taylor, que Wino a ciselé ces neuf nouveaux morceaux, qu’il qualifie lui-même de « la chose la plus heavy [qu’il] ait jamais faite », ce qui n’est évidemment pas peu dire. Et en effet, avec ses riffs épais, ses solos groovy et la gouaille de Weinrich, Gilded Sorrow passe en revue les différentes facettes du versant le plus brut du hard rock : riffs plombants dans « Stoned Back To The Bomb Age », mélancolie à la Saint Vitus dans « Gilded Sorrow », heavy metal old school dans « Jailine », le tout ponctué d’intermèdes plus lumineux (« Wellspring – Dark Sunshine »)… Pas de temps morts dans cet album au cordeau, brut, efficace et acéré. À l’image de « Realize A Dream », écrite par un Wino encore lycéen il y a près de cinquante ans mais étrangement actuelle, Gilded Sorrow nous propulse dans une temporalité parallèle, à la fois lointaine et familière, où c’est le rock qui rythme les épreuves, les moments de grâce et les excès. The Obsessed est une valeur sûre : ce cinquième album le rappelle avec panache.

Chanson « Realize A Dream » :

Chanson « Stoned Back To The Bomb Age » :

Chanson « It’s Not OK » :

Album Gilded Sorrow, sortie le 16 février 2024 via Ripple Music. Disponible à l’achat ici

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Architects : quand les Anglais voient rouge https://www.radiometal.com/article/architects-quand-les-anglais-voient-rouge,469993 https://www.radiometal.com/article/architects-quand-les-anglais-voient-rouge,469993#comments Mon, 12 Feb 2024 15:53:28 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469993 Paris a le privilège – ou pas, on y reviendra – d’ouvrir la tournée européenne d’Architects, les nouveaux bâtisseurs du metal grand public avec leurs derniers singles taillés pour les radios et YouTube. Le groupe s’est d’ailleurs fait découper en pièces par la critique et les fans de la première heure pour son dernier album, […]

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Paris a le privilège – ou pas, on y reviendra – d’ouvrir la tournée européenne d’Architects, les nouveaux bâtisseurs du metal grand public avec leurs derniers singles taillés pour les radios et YouTube. Le groupe s’est d’ailleurs fait découper en pièces par la critique et les fans de la première heure pour son dernier album, The Classic Symptoms Of A Broken Spirit (2022), beaucoup plus accessible. Un choix assumé, comme nous l’expliquait le démissionnaire Josh Middleton : « Après Holy Hell, Dan m’a dit : ‘On ne veut plus de riffs qui sonnent comme l’Architects du passé ou comme du metalcore. Il faut que nous fassions autre chose et que nous prenions une autre direction.’ C’était une décision audacieuse pour l’époque et ça m’a obligé à trouver d’autres manières d’écrire des riffs. » L’occasion, donc, de voir ce que donne ce choix d’orientation musicale en live.

Les Anglais de Brighton sont accompagnés pour l’occasion de Loathe et, surtout, de Spiritbox, autre groupe dans l’air du temps, en pleine ascension depuis sa nomination aux Grammy Awards au milieu de débutants tels que Metallica. Forcément on attend de voir si c’est mérité… De Metallica, justement, il en était fortement question dans la salle lors d’échanges avec le public présent, beaucoup ayant visiblement découvert Architects en premier partie du célèbre groupe de la Bay Area au Stade de France, ou lors du Hellfest, bref, en France !

Artistes : ArchitectsSpiritboxLoathe
Date : 24 janvier 2024
Salle : Le Zénith
Ville : Paris [75]

C’est au groupe de Liverpool Loathe d’essuyer les tout premiers plâtres, d’où cette configuration qu’on jugera… originale. Imaginez une chambre de bonne parisienne, placez le batteur dans les toilettes, éteignez la lumière et vous aurez une bonne idée des trente minutes du show des Anglais. Situé à l’extrême gauche de la scène, le seul éclairé, le batteur sera la quasi seule image visible du groupe qui fait son show dans la pénombre. D’autres s’y sont essayés avec plus ou moins de réussite, à voir si ce choix surprenant sera conservé sur le reste de la tournée.

Outre ces histoires de lumière, que retenir ? Un show en deux temps. Une phase de réglage sur le début du set avec des titres bien lourds mais assez brouillons, souvent pour des questions d’équilibre de la guitare et de la voix. Une seconde partie plus convaincante où, comme chez beaucoup de groupes de metalcore, le choix ne paraît pas toujours assumé entre le chant clair et le growl. On découvre d’ailleurs dans le timbre du frontman des accents reggae intéressants qui mériteraient une place plus importante, pour peut-être faire sortir le groupe du lot au milieu de la flopée de formations de ce style. A revoir sur plus long que ces trente courtes minutes, entrecoupées par un problème technique (tête d’ampli ?) éclairé… aux lumières de téléphones !

Setlist :

Gored
New Faces In The Dark
Aggressive Evolution
Screaming
Dance on My Skin
Is It Really You?
Heavy Is The Head That Falls With The Weight Of A Thousand Thoughts

Le timing respecté : c’est à 18h50 pétantes que démarre le set de Spiritbox. On gagne un peu de place sur scène, un étage de l’écran géant (celui du bas, qui luttera durant tout le show contre le rideau au-dessus) et un son de (un peu) meilleure qualité – enfin, comme pour Loathe, en fin de set.

Spiritbox commence à être bien armé en termes de titres « bankables », malgré une guitare assez discrète en début de set. Dommage, car les sonorités très graves font partie de la recette du groupe. Courtney LaPlante envoie du lourd dès les premières notes de « Cellar Door » et son riff djent, mais les passages en clair sont assez décevants, peu audibles, même si l’ensemble reste carré. On sent que la frontwoman reste un peu en deçà de ses capacités sur sa prestation. Le contraste est d’autant plus saisissant quand Sam Carter monte sur scène pour « Yellowjacket » : celui-ci éclipse complètement Courtney, alors qu’il n’est là qu’en tant qu’invité, et encore en blouson !

Le choix de la setlist est clairement orienté « violence », la plupart des singles plus mélodiques (hormis « Jaded » et « Circle With Me ») sont écartés pour faire place aux morceaux metalcore. On retiendra le fameux « Holy Roller », la grosse claque du live en clôture ! Spiritbox a livré un set intéressant mais qui mériterait d’être revu en tête d’affiche avec ses propres conditions sonores.

Setlist :

Cellar Door
Jaded
Angel Eyes
The Void
Rotoscope
Hurt You
Yellowjacket
Circle With Me
Holy Roller

Place à Architects. Comme aperçu sur les stories du groupe, la scène est composée de trois écrans superposés, donnant en central, à bonne hauteur, une image géante. Choix audacieux : le batteur se retrouve en position pivot, au centre de l’écran intermédiaire, la plupart des vidéos étant, de ce fait, centrées sur lui ! La setlist est sans surprise, une version Hellfest en plus long – pour faire simple –, le groupe ayant désormais une flopée de singles à sa disposition, notamment issus des deux derniers albums – c’est même le plus récent, « Seeing Red », qui ouvre le bal. Du Hellfest il sera d’ailleurs question à deux reprises, le passage du groupe à Clisson ayant visiblement comblé les attentes des Anglais. D’où le maillot de l’équipe de France de foot en fin de set ?

Le son est énorme, même si, là encore, le début du set est marqué par une guitare peu présente. L’intégration des anciens titres (« Doomsday », « Royal Beggars » et « Deathwish » qu’ils ressortent pour la première fois depuis bien longtemps) se fait sans problèmes dans le « nouveau » Architects. Le tout donne l’impression d’un clip géant, tant l’image et les animations semblent centrales dans le show, au point d’ajuster les positions des musiciens sur scène pour « coller » à celles-ci. On perd en spontanéité ce qu’on gagne en spectacle, en somme.

Architects justifie son nouveau statut (« Animals », en rappel, est monstrueux) contre vents et marées médiatiques, devant un zénith quasi comble. Les fondations d’un nouveau poids lourd de la scène metal ? A suivre avec l’arrivée (et la direction prise) du prochain album en approche. Mentionnons la présence de Paul Watson, la guest star du soir, fondateur et capitaine de Sea Sheperd et figure du combat pour la survie des océans, venu « célébrer » avec le public français la victoire pour sauver les dauphins pris dans les filets des pêcheurs, et de livrer cette terrible sentence : « Si les océans meurent, nous serons les suivants. »

Setlist :

Seeing Red
Giving blood
Deep Fake
Impermanence
Deathwish
Black Lungs
Discourse Is Dead
Hereafter
Gravedigger
Dead Butterflies
Little Wonder
Doomsday
Royal Beggars
These Colours Don’t Run
A New Moral Low Ground
Meteor
When we Were Young
Nihilist
Animals

Photos : Edward Mason / Architects.

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Spectral Voice – Sparagmos https://www.radiometal.com/article/spectral-voice-sparagmos,469276 https://www.radiometal.com/article/spectral-voice-sparagmos,469276#respond Mon, 12 Feb 2024 08:29:15 +0000 https://www.radiometal.com/?p=469276 Si Spectral Voice n’a qu’un album derrière lui – Eroded Corridors Of Unbeing, sorti en 2017 –, ses musiciens sont loin d’en être à leur coup d’essai. Composé de membres de la scène de Denver qu’on a déjà entendus dans Blood Incantation et Black Curse, le groupe explore différentes ramifications du death metal : là […]

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Si Spectral Voice n’a qu’un album derrière lui – Eroded Corridors Of Unbeing, sorti en 2017 –, ses musiciens sont loin d’en être à leur coup d’essai. Composé de membres de la scène de Denver qu’on a déjà entendus dans Blood Incantation et Black Curse, le groupe explore différentes ramifications du death metal : là où le premier propose un death « cosmique », moderne et dissonant, et le deuxième un black/death corrosif, Spectral Voice s’épanouit dans des ténèbres chthoniennes d’où il tire un death/doom caverneux. Dans la droite lignée de son premier opus, qui contenait déjà des titres comme « Visions Of Psychic Dismemberment » et « Dissolution », Sparagmos s’annonce comme rien de moins qu’une mise en pièces…

Le sparagmos, c’est en effet le fait de déchirer et démembrer un être vivant sous l’effet de la transe dionysiaque. Et il y a bien quelque chose de désarticulé dans les quatre longs morceaux qui composent l’album : suintants, barbares, tout en batterie caverneuse et basse abyssale, ils intercalent riffs épais et crissements de guitare, lenteur menaçante et spasmes violents. Étouffante mais pas impénétrable, l’obscurité de Sparagmos a quelque chose d’évocateur, de presque cinématographique tant le groupe soigne les ambiances. Comme des éclats de lumière, des passages atmosphériques (à la fin de « Sinew Censer ») et des incantations en voix claire (« Be Cadaver ») émergent parmi les hurlements : le point d’orgue de la bacchanale est en effet l’extase, la sortie de soi, et c’est bien là que mène « Death’s Knell Rings In Eternity », le dernier morceau de l’album. Évoluant dans les mêmes eaux troubles que Ruins Of Beverast ou le regretté Swallowed, Spectral Voice descend dans le cœur même de ce qui constitue ce genre de death viscéral qui emprunte au black metal son aura sacrée : la sauvagerie et l’exaltation de la vie par la mort.

Chanson « Sinew Censer » :

Chanson « Red Feasts Condensed into One » :

Album Sparagmos, sortie le 9 février 2024 via Dark Descent Records. Disponible à l’achat ici

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