Le libre-échange est-il libre ?
A l’heure du libre-échange et de l’ouverture des frontières, le protectionnisme américain et la politique agricole commune en Europe sont-elles bénéfiques pour la planète ?
Dans son édito du 22 août 2007, Ouest-France offre une tribune à Michel Godet, professeur au CNAM, dans laquelle celui-ci explique la nécessité d’une réforme de la politique agricole commune (PAC) en Europe à l’heure où le libre-échange au niveau mondial est largement encouragé par les pays développés. Un paradoxe qui est loin d’être nouveau, les accords ayant conduis à la PAC ont eu lieu en 1957 lors de la signature du traité de Rome. Les Etats-Unis ne sont pas en reste, ils subventionnent abondamment leurs producteurs agricoles. En 2002, on estime à 47 milliards d’euros les aides européennes et à 100 milliards de dollars celles américaines. L’impact au niveau du prix mondial de plusieurs produits agricoles est alors inévitable : une baisse artificielle des prix. Si cette conséquence semble bénéfique pour les populations des pays riches, elle est désastreuse pour les paysans des pays en voie de développement, dans le sens où les produits subventionnés importés dans ces pays entrent en concurrence déloyale avec les produits locaux. Ceux-ci, malgré un coût de production moins élevé, ne bénéficient pas de subventions à leur production et sont donc plus chères. Ils se vendent alors nécessairement moins bien.
Au final, le protectionnisme des pays riches créé une distorsion de concurrence vis-à-vis des pays en développement, qu’ils soient importateurs ou exportateurs. Dans tous les cas, les paysans de ces pays sont les victimes. Pire encore, ces nations vivant essentiellement d’une économie agricole, toute la population est finalement touchée. Mais ce n’est pas tout. Certains pays en voie de développement sont même accusés de dumping sur le prix de certaines marchandises [1], c’est-à-dire qu’ils sont soupçonnés d’exporter à perte. Les Etats-Unis ont ainsi interdit l’importation de certains produits venant du Mexique, de Colombie ou du Vietnam sous prétexte de dumping. Ces affirmations sont remises en cause dans le dernier livre [1] de l’économiste américain et Prix Nobel Joseph Stiglitz, dans lequel il démontre que les accusations de dumping sont inacceptables et traitées de façon à privilégier les producteurs américains.
Or, depuis plusieurs dizaines d’années, la tendance dans le commerce international est à la libéralisation des marchés et à la suppression des barrières douanières, avec une accélération depuis les années 80. Les différents accords conclus depuis, comme le consensus de Washington et les accords de l’AGCS concernant les échanges de biens et services, vont dans ce sens. Le FMI a également longtemps poussé les pays en développement à ouvrir leurs marchés pour pouvoir recevoir une aide internationale. Même si cette organisation a revu ses méthodes controversées d’"ajustements structurels", la tendance à l’ouverture des marchés continue. Mais la résistance existe et provient... des mêmes pays qui poussent au libéralisme. En effet, l’échec des négociations commerciales internationales du cycle de Doha en juillet 2006, qui avait pour objectif la suppression des subventions agricoles à l’horizon 2013, a montré à quel point les pays développés étaient réticents à adopter de telles mesures.
La position de force des Etats-Unis et de l’Europe, de part leur pouvoir politique et leur pouvoir économique (lié entre autre au double avantage que leur procure le libre-échange au niveau mondial et leur protectionnisme), ne peut alors être contrebalancé que par des instances internationales comme l’OMC et l’OCDE. A condition qu’elles prennent des mesures pour sanctionner les comportements anti-concurrentiels de certains pays riches. L’échec de Doha a montré que le pouvoir de l’OCDE sur ces nations est encore trop faible. A quand un libre-échange mondial réellement libre et honnête, qui laisserait entrevoir des possibilités de commerce équitable à grande échelle ? Le développement économique des pays du Sud et, par effet d’entraînement, de ceux du Nord, en dépend.
[1] Un autre monde, Joseph Stiglitz, Fayard 2006
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