Affaire EADS : du délit d’initiés au défaut de communication financière, l’AMF menace
Dans un article paru le 14 février dernier, le magazine Challenges annonçait que l’enquête de l’AMF sur l’affaire EADS abandonnait le délit d’initiés pour se concentrer sur d’éventuels défauts de communication. Le scoop semblait résider dans la possible exonération de responsabilité pour ceux qui avaient vendu leurs titres avant la chute du cours en mars 2006. Pourtant, la preuve du délit d’initié est rarement apportée et très peu de condamnations sont prononcées. Ce que l’article affirmait par ailleurs, et qui n’a étonnamment pas suscité beaucoup de réactions, c’est la probable mise en cause de Noël Forgeard, ex-coprésident d’EADS, et Hans Peter Ring, directeur financier du groupe aéronautique européen, pour la mauvaise communication financière de l’entreprise.
Ce « revirement » dans l’enquête du gendarme de la Bourse témoigne de l’évolution des règles qui encadrent la communication financière, et doit alerter les entreprises quant aux nécessaires adaptations de leurs pratiques en la matière.
Le délit d’initiés est une infraction pénale résultant de l’utilisation d’une information confidentielle sur une société cotée. Sa définition stricte (article L.465-1 du Code monétaire et financier) permet rarement à l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’identifier l’usage frauduleux d’une information privilégiée, et à ses enquêtes d’aboutir à des condamnations.
Dans le cas de l’affaire EADS, la note préliminaire de l’AMF rendue au Parquet, et dévoilée par Le Figaro le 3 octobre dernier, constatait "le caractère concomitant et massif" des ventes de titres effectuées par les cadres du groupe fin 2005 et début 2006. Plus de 1 000 personnes seraient ainsi poursuivies pour avoir profité d’une information concernant les retards de production de l’A380, alors connus de tous et depuis un certain temps. Les précédentes annonces de délais rallongés n’avaient d’ailleurs pas entraîné de réaction boursière aussi vive que la chute du cours telle que survenue en juin 2006.
La communication financière du groupe étant mise en cause, quelles informations, autres que les déboires industriels dont on a peine à croire qu’ils puissent faire l’objet d’une confidentialité sans faille pendant des mois, ont pu aiguiser la sensibilité du marché ?
La publication des résultats du groupe le 8 mars 2006 fait apparaître une augmentation des dettes à long terme de 5 à 25 milliards d’euros entre 2004 et 2005, et un ratio des dettes à long terme sur les capitaux propres passant de 30 à plus de 200 %*. Ces chiffres étonnants témoignent d’un endettement maquillé les années passées, et démasqué par l’application des nouvelles normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards). Élaborées à la suite de plusieurs scandales financiers (Enron, WorldCom, Global Crossing, Adelphia, Tyco...), ces règles de haute qualité visent à rétablir la confiance du public, des épargnants et des investisseurs en améliorant la transparence comptable des entreprises faisant appel public à l’épargne. Outre l’imposition de critères d’intelligibilité, de pertinence, d’importance et de fiabilité, les normes IFRS innovent avec notamment une option de valorisation à la juste valeur des actifs et passifs qui rompt avec l’esprit de la comptabilité française.
Le bilan tel que présenté en 2006 aurait donc révélé une situation difficile que la communication financière des années précédentes n’avait pas permis aux analystes, et a fortiori au
public, d’appréhender.
Noël Forgeard et Hans Peter Ring sont sans aucun doute coupables d’avoir pratiqué une communication financière à maints égards critiquable et telle qu’elle doit aujourd’hui évoluer. Une communication, voire une publicité, plus qu’une information, répondant à des priorités à court terme, où le résultat net peut être exprimé de 60 manières différentes, sans éléments de comparaison et sans interactions, unidirectionnelle et ne faisant pas appel à des sources indépendantes. Laissant place, dès lors, à la mésinformation et à la désinformation.
Selon l’Observatoire de la publicité financière 2007, la communication financière représentait en 2006 1,2 % du budget global de publicité des entreprises du Cac40, en hausse de 10,4 % sur un an. Si l’AMF a émis une recommandation pour que celles-ci communiquent sur leurs résultats de manière régulière, dans un souci de transparence, d’autres entreprises comme Coca-Cola ont choisi de ne plus diffuser d’états prévisionnels trimestriels afin de promouvoir leur stratégie à long terme. La clarté de l’information plutôt que sa profusion. Mais ne peut-il y avoir qu’une communication financière pour ses différents destinataires ? Les informations livrées aux analystes et aux journalistes financiers, et celles s’adressant à une audience plus large (6,5 millions d’actionnaires français, dont les deux tiers ne lisent pas la presse patrimoniale), sont nécessairement différentes et n’empruntent pas les mêmes canaux. L’Observatoire distingue pour les entreprises étudiées différentes stratégies, de la publication d’informations quasi neutres à la posture offensive et l’usage des méthodes de la publicité.
L’on peut concevoir sans mal comment l’information financière s’inscrit dans le cadre d’un plan de communication institutionnelle, mais quoi qu’il en soit, certains éléments apparaissent indispensables. L’information doit être exhaustive, mais pour être lisible elle doit être enrichie d’indicateurs permettant de mettre en perspective les résultats de l’entreprise : présentation des stratégies à court, moyen et long terme, description de l’évolution du marché, prise en compte de critères de développement durable... Sa présentation doit également bénéficier des avantages offerts par internet : interactivité, personnalisation selon les profils de public, disponibilité immédiate et sous de multiples formes, synthèses, graphiques, présentations dynamiques, etc. Il reste encore beaucoup à faire sur ce terrain !
Les comités consultatifs peuvent par ailleurs constituer un bon outil de sécurité financière : un panel d’actionnaires individuels bénévoles se réunit ainsi deux à quatre fois par an pour contrôler la transparence et la cohérence des messages. Les activités et les perspectives de développement y sont présentées par la direction, qui peut également demander l’avis du comité pour l’élaboration d’une opération de communication ou avant l’assemblée générale. L’importance du rôle de ces comités varie cependant, selon que le désir de donner aux actionnaires les moyens de participer au processus de décision est réel ou seulement apparent.
Il n’existe pas de comité consultatif au sein d’EADS. Cette absence est liée à la logique égalitaire franco-allemande qui empêche les actionnaires français, plus nombreux, d’y être majoritaires. Sur un plan matériel, la gestion de l’actionnariat individuel déjà coûteuse est volontiers amputée par ses responsables de l’organisation de réunions bilingues supplémentaires. Mais il est entendu que l’existence d’un comité consultatif serait profitable au groupe aéronautique, et sa création pourrait être décidée prochainement.
Il serait aujourd’hui bien malaisé de tenter quelque prédiction sur les conclusions de l’AMF, imminentes. Notons cependant que le gendarme de la Bourse, inquiet des propositions de réformes du rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires, qui privilégie le recours à la justice pénale à son détriment, pourrait faire preuve, à cet égard, d’une sévérité accrue. L’on pourra remarquer là une certaine contradiction dans un rapport qui devrait favoriser les actions au civil, mais qui fait l’objet de nombreuses critiques, quant au plaidé coupable ou à l’allongement des délais de prescription par exemple. Requise avec l’objectif, notamment, de faire évoluer les pratiques des entreprises françaises en matière de communication financière, une condamnation de Noël Forgeard et Hans Peter Ring prendrait, peut-être, valeur d’exemple.
L’AMF peut sanctionner la diffusion d’une information inexacte, imprécise ou trompeuse avec des amendes allant jusqu’à 1,5 million d’euros. Le délit d’initiés élève ce plafond au décuple des profits réalisés. Le gendarme de la Bourse a revendiqué l’année dernière auprès du gouvernement le renforcement de ses pouvoirs de sanctions, et notamment le déplafonnement des amendes lorsque les fautes n’ont
pas donné lieu à profit...
*Sources :
Comptes EADS 2005 : http://www.reports.eads.net/2005/ar_2005/fr/book2/4/3/2/1.html
Comptes EADS 2004 : http://www.reports.eads.net/2004/ar_2004/fr/frames/c_b2_2_2_1_1.php
Application des normes IFRS pour les résultats 2005 : http://www.reports.eads.net/2005/ar_2005/fr/book2/4/3/2/notes/2.html
Application des normes IFRS pour les résultats 2006 : http://www.reports.eads.com/2006/fr/book2/4/3/2/notes/2.html
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