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Accueil du site > Actualités > Economie > Carton jaune pour les thuriféraires du low-cost

Carton jaune pour les thuriféraires du low-cost

Nicolas Sarkozy avait ouvert le feu en réclamant, dès l’automne dernier, un libre accès aux vols low-cost à destination de la Corse, suscitant l’ire de la CCM[1]. Son exercice de rétropédalage, dans lequel il disait, à propos de la réglementation de continuité territoriale, « c’est une curieuse conception du service public que celle qui empêche une compagnie de proposer, sans subvention, une offre de vol à prix réduit » démontre une certaine méconnaissance des mécanismes du low-cost. Cette semaine, le délégué général de l’Union des Aéroports Français jette un nouveau pavé dans la mare. Un coup dans l’eau ?

Jacques Sabourin, délégué général de l’Union des Aéroports Français, est un grand naïf. Dans son communiqué du 24 juillet, repris par plusieurs médias français (dont Le Monde et L’Expansion), il se livre à une savante analyse de la performance relative des aéroports français, « surtaxés » par rapport à leurs voisins européens, selon un rapport de la société Odit France. Une surtaxe qui plomberait la croissance du trafic aérien hexagonal. Est-ce grave, docteur ? C’est surtout une interprétation unilatérale liée aux objectifs poursuivis, comme on le lira ci-dessous. Du reste, ses collègues du Conseil National du Tourisme (CNT) abondent dans le même sens, arguant, dans un autre rapport remis ces derniers jours au ministre Hervé Novelli, que les coûts au sol et la « fiscalité aéronautique » infligés aux compagnies aériennes, en particulier les low-cost, ont un impact négatif sur le « développement touristique des territoires ». Et Jacques Sabourin d’en rajouter une couche, précisant que la France se trouve dans une situation de concurrence frontale avec d’autres pays européens – ce qui est exact – qui savent, eux, « accueillir avec des coûts plus faibles, comme l’Italie et l’Espagne » - ce qui est nettement moins certain. « Le Monde » en profite pour reprendre un calcul communiqué par Ryanair, expliquant benoîtement que sur un billet à 44 euros, les charges s’élèvent à 25 euros sur un aéroport français contre 7 euros ailleurs – ce qui expliquerait que la croissance du trafic de la compagnie irlandaise ne soit que de 10,3% vers la France alors qu’elle est de 37% vers l’Espagne et de 30% vers l’Italie. Un dossier bien ficelé, dont on devine toutefois les motivations sous-jacentes au moment de l’annonce d’une chute spectaculaire des bénéfices de l’aviation low-cost.

Des subventions par millions

Passé le moment de perplexité devant toutes ces explications légèrement simplistes, on se rappellera qu’en novembre dernier, plusieurs Chambres régionales des Comptes ont publié des rapports assassins épinglant les dépenses somptuaires effectuées par les collectivités locales pour attirer Ryanair sur des aéroports secondaires tels Strasbourg, Rodez, Pau, Saint-Malo, Beauvais, Limoges, Biarritz et quelques autres encore. Au menu de ces gracieusetés : diminution des taxes d’aéroport et des coûts des services au sol, subventions pour l’ouverture de nouvelles liaisons « régulières » parfois fermées quelques mois plus tard, prise en charge par l’aéroport du personnel au sol et achat de dispendieuses « campagnes de promotion » à la filiale de Ryanair, Airport Marketing Services Ltd. On ne parle pas de quelques fifrelins : rien que pour l’année 2005, ces « aides » s’élèvent à 1,4 million d’euros à l’aéroport de Beauvais…[2] Et nous sommes en 2008 ! Les Chambres régionales des Comptes d’Alsace et d’Auvergne ont abondamment dénoncé le système des campagnes de promotion dont la contrevaleur (quelques annonces sur un site Internet) sont sans commune mesure avec les montants versés. Il s’agit donc bien, selon les termes de l’Union européenne, de « subventions déguisées ». Est-ce cela que Jacques Sabourin tente de cautionner ?

Les voyageurs sont des « unités »

En réalité, Jacques Sabourin – de bonne ou de mauvaise foi - analyse le marché selon les termes habituellement en vigueur dans l’aviation civile. Seulement voilà : le « business model » de Ryanair suppose une lecture différente ; en réalité, les clients de la compagnie ne sont pas les voyageurs, mais les aéroports. Les voyageurs sont le « produit », calculé en « unités », que le transporteur vend aux collectivités locales en échange de leurs subventions. Ce statut un rien méprisant se vérifie dans les conditions de confort subies par les passagers dans les avions de l’Irlandais. Pour le « client », le vrai, le retour sur investissement se chiffre en nuitées d’hôtel, en repas de restaurant, en création d’emplois, bref, ce qu’on appelle le « redéploiement régional » pour lequel rien n’est trop beau ni trop cher. Plus la collectivité locale est demandeuse d’unités, plus elle est prête à subventionner Ryanair. Au risque de le voir plier bagage à la fin de la saison touristique en empochant les subventions, comme ce fut le cas à Biarritz ou à Vitoria, au Pays basque espagnol, d’où la compagnie s’est retirée après avoir empoché 1 million d’euros de subventions.

Comme le lait sur le feu

Mais un grain de sable s’est glissé dans cette belle mécanique avec « l’affaire Charleroi », du nom de l’aéroport belge qui, le premier, a été épinglé par la Commission Européenne pour « subventions illégales et distorsion de la concurrence ». Au terme d’un procès fleuve, Ryanair a été condamné à rembourser quelque 3,8 milliards d’euros à la Région Wallonne, avant de se pourvoir en appel. C’est que les subventions des compagnies aériennes sont surveillées comme le lait sur le feu par les autorités de la concurrence[3]. En position de force grâce à son nombre élevé de passagers, Ryanair impose ses conditions aux aéroports, choisissant soigneusement ceux qui sont en concurrence ou situés dans des zones ayant un besoin criant de développement. Après Charleroi, le « watchdog » européen a lancé des enquêtes analogues dans plusieurs aéroports européens, tels Leipzig[4], Lübeck-Blankensee[5], Tampere-Pirkkala[6], Dortmund Neres[7], Berlin Schönefeld[8], Alghero[9], Pau-Bearn[10], Bratislava et Aarhus[11]. Du coup, plusieurs aéroports européens ont décidé de ne plus répondre aux sirènes de Ryanair (Tours, Milan Malpensa), tandis que ceux qui sont déjà engagés tentent vaille que vaille de régulariser leur situation.

Un investissement risqué

Le cas de l’aéroport de Pau-Béarn est l’un des plus emblématiques en France, puisque, outre les tracasseries de la Chambre régionale des Comptes, il se trouve au centre d’une procédure formelle de la Commission européenne. Un exemple qui devrait faire réfléchir tous ceux qui, comme Sabourin ou Nicolas Sarkozy en Corse, veulent favoriser le low-cost à tout crin. La question qui se pose est celle-ci : le low-cost a-t-il un avenir ? Ryanair vient d’annoncer des pertes de l’ordre de 60 millions d’euros[12] attribuées à la hausse du kérosène, et une chute de ses bénéfices de 85% sur la période avril, mai, juin 2008[13]. La même compagnie a déjà annoncé la fermeture de 200 liaisons dès décembre, et en juin dernier, 70 avions à l’enseigne de la lyre sont restés cloués au sol. Même si le baril est redescendu à 125 euros, cela ne suffira pas à enrayer cette dégringolade. Dès lors, est-il raisonnable de risquer l’argent du contribuable dans des infrastructures dispendieuses au nom d’un « développement régional » qui est loin d’avoir fait ses preuves ? Poser la question, c’est déjà y répondre.



[2] Source : « La Tribune », 21/03/08

[3] Directives 2005/C312/01et COM(2006) 820 en révision sous 2007/0013 (COD).

[4] OJ C48/7 du 02.03.2007

[5] OJ C295/29 du 7.12.2007

[6] OJ C244/14 du 18.10.2007

[7] C217/25 du 15.09.2007

[8] OJ C257/16 du 30.10.2007

[9] OJ C12/7 du 17.01.2008 corrigendum C38/19 du 12.02.2008

[10] OJ C41/11 du 15.02.2008

[11] Pas encore de référence officielle pour ces enquêtes.


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12 réactions à cet article    


  • K K 2 août 2008 11:37

    Ce qu’on oublie vite avec les low-cost, ce sont les frais annexes. Le service en cas d’annulation d’un vol par exemple. Voyageant parfois, il m’est arrivé de voir un vol annulé et d’être logé à l’hotel en attendant le vol suivant. En low cost, il faut se débrouiller... si il reste des chambres dans les hotels après que les grandes compagnies ont casé tous leurs passagers.


    • zadig 2 août 2008 12:13

      ON critique les low-cost, mais parfois elles savent innover.

      Prenons l’exemple  de Ryanair sur certaines destinations doit  proposer un service innovant :

      "Bed and blow job"
      RTL Info — Ryanair propose des fellations en première classe ?

      Je ne dispose pas d’information sur la qualité des prestations.

      Et pour les femmes nature des prestations  ?


      • Jean-paul 2 août 2008 16:22

        Travaillant en Angleterre, je REMERCIE RYANAIR !!!!!!!! grace a cette compagnie j ai pu me rendre souvent en Bretagne pour visiter ma mere .J’ ai souvent rage qu’il n’y ait pas de Ryanair a Lorient ,le plus proche etant Brest ou St Malo il fallait apres louer une voiture mais moins chere avec Ryanair car pas de correspondance de trains et le taxi aeroport -gare coute 30 euros,plus cher que le vol que j ai souvent paye 1.5 euro plus taxes environ 25 euros .Les prix d’Air France etant exhorbitants ainsi que le ferry avec la voiture et une couchette (partant un samedi a 6 heures du soir de Londres pour arriver le lendemain a midi a Lorient ).
        Donc une question PRATIQUE a l’auteur si on supprime Ryanair comment je fais pour me rendre en Bretagne ?????????????
        J’ai grace a Ryanair pu visiter avec ma femme Rome ,Berlin ,Venise ,Paris .Sur le site Ryanair on trouve des campings pour Rome et Venise et des hotels a meilleur prix .Alors oui je veux bien etre un produit calcule en unite et comme l’avion etait souvent complet je ne dois pas etre le seul qui aime etre un produit .
        Quant au service il est basique ,mais pour le prix et pour 2 a 3 heures de vol et parfois moins ,c’est parfait .
        Un passager


        • Gil Genappe 3 août 2008 09:57

          Cher Monsieur,

          Puis-je vous faire simplement remarquer que ce n’est pas Ryanair que vous devez remercier, mais l’ensemble des contribuables bretons qui ont payé la différence entre le coût réel de votre voyage personnel et celui que vous avez payé. Si chacun fait payer ses déplacements par la collectivité, je ne donne pas cher de notre avenir commun. Bien sûr que tous ceux qui veulent voyager et ont l’occasion de le faire pour une bouchée de pain trouvent le "modèle Ryanair" séduisant. Croyez-vous que la vie sera plus belle s’il y a 5 aéroports internationaux en Bretagne ? L’objectivité incite à reconnaître que ce modèle n’est pas viable à terme, ni sur le plan social, ni sur le plan économique ni sur le plan environnemental, comme je l’ai déjà démontré dans divers articles parus dans la presse belge et luxembourgeoise - en m’appuyant sur des études scientifiques d’une valeur incontestable. Au plaisir de vous en donner les références.


        • Gil Genappe 3 août 2008 10:05

          Une erreur s’est glissée dans mon article : ce sont 3,8 millions que Ryanair s’est vu contraint de rembourser à Charleroi, et non 3,8 milliards(!). Le lecteur attentif aura rectifié de lui-même...


        • Torvald 2 août 2008 16:47



          Cet article est celui d’un penseur en chambre. J’ai pris de nombreux low cost,
          ryanair ** dès le début, easyjet, skyeurope, wizzair etc., et même combiné plusieurs lowcosts pour aller de Lyon à Venise via Stansted avant que Easyjet créé la liaison pour 30 euros TTC.

          Si ces compagnies se sont installées en France en particulier c’est que la technocratie parisienne a saigné à blanc les régions.
          La nature a horreur du vide, les aéroports aussi.
          Sur le quart sud-est, à part Lyon, au sud de la Lorraine, il y a un véritable désert des Tartares de l’air avec Dijon en forteresse Bastiani car il faut protéger le noeud ferroviaire, puis Grenoble mise à part, il faut aller jusque sur la Côte pour voir trace d’un avion abordable.

          ** tester les dates du 16/09 ou 23/09 ce 2 aout





          • Gil Genappe 3 août 2008 10:14

            Cher lecteur,

            Vous me traitez de "penseur en chambre" (il m’arrive en effet d’y penser) mais ce que vous dites des crânes d’oeuf parisiens va exactement dans le même sens... Quant aux exemples que vous citez, ces régions sont très bien desservies par le réseau ferroviaire (TGV et TER), qui ne pollue pas, ne consomme pas d’énergie fossile et s’avère donc compatible avec le développement durable qui sera notre modèle futur. Je prends le pari que dans 10 ou 15 ans, il n’y aura plus de lignes aériennes intérieures en France, ni même entre la France et la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne.


          • Gil Genappe 3 août 2008 10:15

            Lyon-Venise via Stansted, ça fait combien de litre de kérosène ?


          • Céline Ertalif Céline Ertalif 2 août 2008 18:23

            Bien sûr qu’on a construit beaucoup trop de petits aéroports, alors qu’on a besoin de 7 ou 8 aéroports régionaux solides pour moins concentrer sur Paris. Le problème, c’est que maintenant ils sont construits... Les CCI élisent des libéraux qui sont pour la protection des intérêts locaux quand ils sont aux responsabilités, ce sont des gens qui font volontiers la leçon aux élus politiques qu’ils accusent de noyer les entreprises sous les charges. On peut constater que, quand ils sont aux commandes, ils font pire que ceux qu’ils critiquent.


            • tvargentine.com lerma 2 août 2008 21:51

              C’est un tres grand travail que vous avez produit ici avec cet article

              Toutefois,concernant la Corse,le problème c’est toujours posé d’une meilleure ouverture des plages horaires et de tarifs

              C’est cher et les vols sont souvent plein et c’est une manière peut etre de maintenir le prix élevé qu’a trouvé Air France pour préserver son monopole

              Maintenant il est vrai que le low-cost pour la Corse serait interessant si les horaires tot le matin et tard le soir existerait car la demande est bien là et depuis des années mais si c’est pour casser les prix sur les horaires de jour,alors effectivement le low-cost n’apporte rien,d’autant que derriere il y a tout les services dans les aéroports Bastia ou Ajaccio (location de voiture,bus,taxi...) qui connaissant le tempérament ne serait pas tres chaud pour travailler + le matin 4h,5h ou le soir 22h ,23h,24h,1h

              Ensuite,la Corse est c’est un secret de polichinelle n’a pas les capacités d’accueil pour recevoir au dela que des capacités actuelles et je pense que les Corses,ne cherchent pas à en faire plus

              C’est pas plus mal,cela évite le bétonnage de ce pays fantastique même si plus d’une fois je me suis fais avoir sur le dernier vol en surbooking à Bastia Poretta


              • Jeune Cadre Dynamite Jeune Cadre Dynamite 4 août 2008 16:17

                Il existe déjà des vols low-cost pour la Corse ! Mon point n’étant pas de promouvoir cette compagnie, je vous laisse le soin de la chercher...

                « C’est cher et les vols sont souvent plein et c’est une manière peut etre de maintenir le prix élevé qu’a trouvé Air France pour préserver son monopole »

                Le prix est relatif à la rareté et AIR France (opéré en propre ou par la CCM) tenait son monopole de son assurance de continuité territoriale. Pour vous entretenir la rareté est un moyen de tenir un monopole ? J’ai beau relire votre assertion, pas un raisonnement ne tiens !!! N’envisagez vous pas un instant que cette problématique de continuité territoriale et la saisonnalité du trafic en Corse induise des variations de rentabilité... ?

                « Maintenant il est vrai que le low-cost pour la Corse serait interessant si les horaires tot le matin et tard le soir existerait car la demande est bien là et depuis des années mais si c’est pour casser les prix sur les horaires de jour,alors effectivement le low-cost n’apporte rien,... »

                Et pourquoi ??? Je vous assure que nombreux seraient ceux que de tels tarifs/horaires intéresseraient... Cela ne permettrait-il pas de libérer des places sur les vols du matin/soir...

                « d’autant que derriere il y a tout les services dans les aéroports Bastia ou Ajaccio (location de voiture,bus,taxi...) qui connaissant le tempérament ne serait pas tres chaud pour travailler + le matin 4h,5h ou le soir 22h ,23h,24h,1h »

                A titre informatif, je signale un abus de votre part pour ce passage.

                « Ensuite,la Corse est c’est un secret de polichinelle n’a pas les capacités d’accueil pour recevoir au dela que des capacités actuelles et je pense que les Corses,ne cherchent pas à en faire plus »

                Pendant la 1ère quinzaine d’août ? De mai à octobre ? Dans quel type de structure d’accueil ? Quand à ce que les Corses cherchent à faire... Permettez-moi de ne pas m’appesantir sur ce point après lecture de votre paragraphe précédent...

                « C’est pas plus mal,cela évite le bétonnage de ce pays fantastique même si plus d’une fois je me suis fais avoir sur le dernier vol en surbooking à Bastia Poretta »

                Voilà une bonne idée, préparez-nous donc un article sur les PLU en « pays » Corse...

                Cordialement, JCD


              • buddy 11 juin 2009 13:42

                et bien,

                qui vivra verra

                --------------------------------------------------

                Chambres d’hôtel à Grenoble

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