De l’origine de l’instabilité financière... (1/2)
Dans un article du monde.fr, daté du mardi 23 septembre, M. Strauss-Kahn considère que la crise financière actuelle serait une "crise de la réglementation". La conclusion est sans appel, les crises financières ont pour origine de mauvaises règles prudentielles et un déficit de régulation. Mais alors pourquoi avoir déréglementé ?
Première partie, rappel historique : l’apparition de la financiarisation.
Dans un second article, rappel économique : la finance intrasèquement instable...
L’évolution du capitalisme marque l’avènement d’une orientation financière de la logique d’accumulation. Deux types d’organisation de la production et mode de régulation se sont succédé depuis les années 1940 : le capitalisme fordiste ou industriel des « Trente Glorieuses » et le capitalisme à dominance financière depuis les années 1980. Or, l’instabilité de ce mode de production varie entre ces deux périodes. Il est donc nécessaire de voir dans quelle mesure cette instabilité évolue et pourquoi un régime est plus stable que l’autre.
Quand l’accumulation chasse la régulation…
Avant toute chose nous devons revenir sur la notion de régulation. Il existe deux types de régulation. Dans un premier temps, la régulation économique qui se décompose d’une logique macroéconomique et d’une logique microéconomique. Ensuite, la notion de régulation institutionnelle qui se résume par la vision de la théorie régulationniste. Le passage d’un capitalisme fordiste, ou industriel, à un capitalisme financier se traduit entre autres par la modification des modes de régulation économique et institutionnelle. Cette évolution trouve sa source dans la mutation des modes d’accumulation. La montée en puissance des acteurs financiers et la constitution de marchés plus puissants ont mis à mal le système de Bretton Woods. L’accroissement des liquidités sur les marchés ne pouvait se combiner avec des changes fixes et la limitation de la mobilité des capitaux. De plus, la crise structurelle du capitalisme, traduit par la baisse de la productivité ainsi que la chute des taux de profit, a engendré une mutation radicale des modes d’accumulation. Il était nécessaire de renouer avec des taux de profit pour que le capitalisme puisse survivre. Les années 1970 sont caractérisées par une crise typique de ce mode de production comme l’a théorisé Marx. En effet, l’économie est entrée dans une situation de surproduction et les taux de profit diminuent. Ces deux processus, crise structurelle et accroissement de la sphère financière, ont joué sur l’évolution du modèle d’accumulation et de régulation.
Evolution des modes d’accumulation et de la régulation
La fin des « Trente Glorieuses » se résume par l’apparition de contradictions entre les modes d’accumulation et de régulation. Un mode d’accumulation correspond à l’ensemble « des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital » [Boyer, 2004, p. 54]. Parmi ces régularités se trouvent : les types d’organisation de la production, les rapports salariaux, le partage de la valeur permettant la reproduction des groupes sociaux, le mode de valorisation du capital et la composition de la demande sociale validant l’évolution des capacités de production. La régulation, quant à elle, résulte de la combinaison d’un régime d’accumulation et de formes institutionnalisées. Les formes institutionnelles sont la codification des rapports sociaux fondamentaux ; le rapport salarial, les contraintes monétaires, l’intervention de l’Etat, les modes d’insertion dans l’économie mondiale. La chute du régime de Bretton Woods est le résultat d’une modification des modes d’accumulation et des formes institutionnelles.
La globalisation financière fut la conséquence de la crise du mode d’accumulation, en effet, l’accumulation du capital, par le profit, se trouve ralentie voire limitée. Par conséquent, le retour de l’accumulation est permis par une nouvelle organisation de la production. Ainsi, la logique de croissance extensive est remplacée par une logique intensive. Ce passage se retrouve dans l’imposition ou l’adaptation du modèle de Toyota. La production devient flexible, au juste à temps, la recherche continuelle de la baisse des coûts en est la philosophie. Le rapport salarial et le partage de la valeur se modifient de la même manière, ainsi, le travail est considéré comme un coût et non plus un facteur de profit futur. Le partage de la valeur ajoutée s’en trouve donc affecté. En effet, les années 1980 voient le retour des taux de profit et une chute de la part des salaires dans le partage de la valeur.
Ces évolutions économiques ne furent pas compatibles avec les formes institutionnelles en présence, et le régime de Bretton Woods ne peut survivre. L’internationalisation de la production et la montée en puissance des marchés financiers sonnent le glas de ce mode de régulation internationale. Ainsi, la modification des structures économiques se combine à la modification des régulations économiques. Alors que les « Trente Glorieuses » sont l’apogée des régulations macroéconomiques, le capitalisme financier est l’avènement des régulations microéconomiques. Au niveau national et au niveau international, ce sont les règles de gestion de l’économie qui priment. Ainsi, un système monétaire international (SMI) strict est mis en place pour gérer la bonne marche de l’internationalisation de l’économie c’est-à-dire de la consommation et de la production. L’objectif étant la mise en avant de l’économie réelle au service du développement économique. Cette logique est aussi présente au niveau national avec l’Etat « keynésien » ou Etat providence.
La globalisation financière a détruit ce mode d’organisation pour instaurer un mode de régulation microéconomique. Dans ce cas, la logique de normalisation du mode de production se résume dans la capacité du marché à réaliser les ajustements nécessaires au bon fonctionnement de l’accumulation capitaliste. Le SMI disparaît et est remplacé par une multitude de systèmes régionaux où la place du marché domine, pour certains le SMI s’est privatisé. Les marchés financiers se structurent, se connectent et sont interdépendants. La conception libérale est la philosophie de ce modèle de régulation. D’un point de vue interne, les modèles de croissance se calquent sur cette évolution, l’Etat perd de son pouvoir et se décharge sur les acteurs privés. Le marché doit assurer le bon fonctionnement de l’économie.
Une perte de stabilité
La question qui reste en suspens est de savoir en quoi l’évolution de la régulation institutionnelle et économique est source d’instabilité financière. Partons de la régulation économique. Nous venons de voir qu’elles ont été les mutations. La stabilité de Bretton Woods s’explique par la place mineure des marchés financiers. Le financement interne se réalise essentiellement à crédit et le rôle des banques est central. Les seules crises possibles sont des crises de financement, ces dernières découlent de défaillances du prêteur ou de l’emprunteur. Or, dans un système à faible mobilité des capitaux, les crises probables ne peuvent devenir internationales, elles restent internes. Il n’existe pas d’interconnexion entre les systèmes de financement. Les défaillances du secteur privé ne peuvent agir à l’international, ce qui est différent dans la situation actuelle où les financements d’entreprises et de banques s’inscrivent dans une logique de marchés mondiaux. Les crises de financement découlent de la logique d’économie d’endettement présentée par Hicks. Le rôle du crédit permet l’accumulation, les politiques économiques sont actives et permettent de relancer l’activité ou de la limiter. Dans ce cas, les stratégies du « réel », c’est-à-dire de la production, sont au cœur des stratégies. Le politique avait des pouvoirs pour limiter tous risques liés au crédit, l’encadrement de crédit, le contrôle des réserves obligatoires ou l’action sur les taux d’intérêt du refinancement en étaient les armes. Les banques centrales étaient dépendantes en grande majorité du pouvoir public et étaient au service de la croissance. Cependant, au niveau international, les ajustements des balances des paiements sont source de crise de financement. Mais, le FMI conservait un pouvoir coercitif pour imposer un ajustement et limiter ces risques. De plus, la fixité des changes oblige les Etats à tenir leurs fondamentaux pour éviter toutes dévaluations ou appréciations de leur monnaie. Le mode de régulation fordiste permettait quant à lui de limiter le pouvoir des marchés financiers. En effet, la logique d’accumulation capitaliste était mise en avant, les profits servaient au développement de la production et offraient une progression régulière de la rémunération du travail. La finance bancaire était au service de l’accumulation. Ainsi, la stabilité de Bretton Woods se comprend par l’ensemble de ses règles institutionnelles qui avaient pour objectif la croissance des économies mondiales.
Le capitalisme financier est bouleversé par des crises financières de différentes natures. Les crises deviennent des crises de marchés financiers. La régulation économique devient microprudentielle, c’est-à-dire qu’elle se situe au niveau des agents économiques et donc au niveau des marchés. Or, en reprenant simplement les analyses classiques des crises financières, réalisées par les libéraux, les marchés ne peuvent fonctionner de façon optimale car les hypothèses le permettant ne sont pas réalisées. En effet, pour que le marché agisse de manière efficace, l’information doit être parfaite, et la concurrence pure et parfaite. Ainsi, cette conception reste un idéal-type qui ne résume pas la réalité économique. Les analyses néo-libérales se fondent sur les défaillances de l’information, cependant, elles refusent de considérer l’instabilité intrinsèque de la finance. Le fondement même de la régulation microéconomique par le marché est faussé dès le départ, les hypothèses n’étant pas vérifiées. Plus fondamentalement, la privatisation de la régulation n’offre pas de perspective de stabilisation générale de la finance. Les marchés sont interconnectés et la mobilité des capitaux amplifie tout choc intervenu sur un marché pour s’étendre à l’ensemble d’une zone. La logique de marché s’illustre par la recherche de profit maximum, la multiplication des instruments financiers le prouve. En effet, l’instabilité financière se trouve sur les marchés dérivés peu contrôlés et très volatils. La myopie des marchés à travers la formation de bulle spéculative prouve la faiblesse d’une telle régulation. De plus, la flexibilité des changes ne répond pas aux attentes formulées par ses défenseurs, elle ne permet pas un ajustement des balances des paiements, l’exemple américain est frappant.
La globalisation financière entraîne une nouvelle régulation institutionnelle. En effet, les modèles productifs évoluent vers la recherche toujours plus prononcée de « cash » pour alimenter les marchés financiers. De plus, le rapport salarial devient défavorable au travail, le partage de la valeur se réalise au profit de la rémunération du capital. Or, une telle évolution tend vers une situation de surproduction ou suraccumulation. La situation en Asie est criante, les capitaux du monde entier se sont investis en masse dans cette zone, cependant, une crise du secteur réel a mis en avant certains déséquilibres qui ont déclenché la crise. Ainsi, une crise générale découle d’une masse de capitaux accumulés qui est en excès par rapport au profit réalisable. La compression des coûts à outrance engendre une crise de débouchés.
Pour Soros [la crise du capitalisme mondial, 1998, p. 27], « Il est difficile de ne pas conclure que le système financier international lui-même a été le principal responsable de l’incendie. Il a joué un rôle actif dans chaque pays, même si d’autres ingrédients ont varié d’un pays à l’autre. Une telle conclusion est difficilement compatible avec la notion très répandue selon laquelle les marchés financiers reflètent de manière passive les fondamentaux. Si mon point de vue est juste, il conviendrait de revoir radicalement le rôle qu’ils jouent dans le monde ». La modification des modes de régulation est au cœur de l’instabilité financière, il est possible de prolonger l’analyse en proposant une étude de l’autonomisation de la finance.
Ce texte est issu de mon mémoire de master II économie appliquée : territoire, environnement, industrie, mention histoire économique. Disponible à la bibliothèque universitaire Bordeaux IV.
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