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La blogosphère mise à nu par ses observateurs, même

Dans un billet dont je voulais parler depuis quelques jours sans trouver le temps, Olivier Ertzscheid, sur Affordance, aborde une question qui m’intéresse au sujet de la blogosphère : dans quelle mesure sa visibilité grandissante, plus elle est placée sous l’observation des médias qui interagissent avec elle, perturbe son fonctionnement et menace son fragile écosystème ? C’est bien, formulée autrement, la même question posée par Versac, lorsqu’il a arrêté son blog...

Les médias ne sont d’ailleurs pas les seuls « observateurs » de la blogosphère en mesure d’influer sur sa « mécanique interne ». Le problème se pose également avec le classement Wikio des blogs, qui suscite toujours le débat...

La question, en définitive, est de savoir si la république autogérée des blogs résistera à son évolution en conservant son identité originale, où si elle de diluera dans la normalisation...

Voir en ligne : Olivier Ertzscheid (Affordance) : Vendredi ou l’entorse creative

Olivier Ertzscheid a accepté que des billets de son blog soient repris par le journal Vendredi, contre une petite rémunération (Avis : j’ai accepté aussi), alors que l’ensemble des billets de son blog sont placés sous une licence Creative Common, qui autorise leur rediffusion libre, à la condition d’un usage non-commercial (Avis : c’est le cas des billets de novövision également).

Bon. Où est le problème ?

Donc disons, pour faire simple, qu’en acceptant cela, pour le moment, et pour ce journal particulier, je change (me semble-t-il) légèrement sinon la nature de cette publication (mon blog), du moins le « contrat éditorial et lectoral » qui le caractérisait jusqu’à lors.

Et alors. Qu’est-ce que ça change ?

En fait beaucoup et peu. C’est juste une petite brèche ouverte, sans grandes conséquences immédiates. Mais si la brèche s’agrandissait ? Un ver de logique médiatique, professionnelle et commerciale, dans le fuit gorgé de pureté de la blogosphère immaculée ? La question n’est pas si anodine. Y a-t-il un risque, s’interroge Olivier Ertzscheid, d’aller « vers un lissage des espaces de publication » ?

Reste entière la question de savoir si cette « carotte » potentielle impactera à terme le mode de publication et le rédactionnel d’Affordance (non à 99,9%) ou d’autres blogs/sites (je n’en sais rien mais suspecte que « oui, probablement, pour certains en tout cas »). Question subsidiaire encore, si le modèle Vendredi prend (ce que je lui souhaite), va-t-on vers un lissage des espaces de publication existants et des autorités afférentes : citoyens / journalistes / auteurs ? Et si oui, ce lissage est-il une bonne chose ? Pour préciser ma pensée, et en mettant cette fois de côté le cas particulier d’Affordance et des blogs tenus par des scientifiques en général, il est un grand nombre de rédacteurs dans la blogosphère auxquels il ne manque que la carte de presse pour s’installer journalistes.

Qui a peur de devenir journaliste ?

On l’observe ici depuis longtemps, la frontière maintenue entre blogueur et journaliste est en réalité extrêmement ténue (lire « Les blogueurs sont déjà des journalistes, et ils ne le savaient même pas »), voire carrément artificielle, basée sur une argumentation en réalité très fragile de la part des journalistes et dissimulant des motivations si ce n’est « inavouables », du moins inavouées (lire : Denis Ruellan, « Le journalisme, ou le professionnalisme du flou »).

Quoi qu’ils en disent en effet, les journalistes professionnels n’ont jamais estimé nécessaire de définir leur activité autrement que par la pure tautologie qui figure dans la loi. En substance : « est journaliste, celui qui est payé pour être journaliste » (article L7111-3 du code du travail). Pas de définition qui tienne relative à une compétence ou une technicité particulière (cf. Denis Ruellan, déjà cité). Pas de déontologie qui tienne non plus, si ce n’est pure pétition de principe sans conséquences pratiques (lire : « L’introuvable déontologie des journalistes »).

Dès lors que redoute-donc Olivier Ertzscheid ? Etre journaliste ou blogueur (ou les deux ), qu’est-ce que ça change ?

Nul ne nous oblige en effet à être en permanence « en situation de journaliste » ou à tout le temps « jouer » au journaliste : on a le droit à l’erreur (les journalistes aussi me direz-vous), le droit à la mauvaise foi, à la mauvaise humeur, le droit de décréter un jour avoir une ligne éditoriale à tenir et le droit tout aussi imprescriptible de s’y soustraire le lendemain.

Si je comprends bien, le blogueur redoute en se faisant journaliste de perdre une forme de liberté dont il jouit dans son blog. Etonnante conclusion à vrai dire : devenir journaliste c’est perdre sa liberté d’expression !

Certains journalistes, qui se font aujourd’hui blogueurs, partagent au fond ce point de vue (« La liberté retrouvée ou la naissance d’un néojournalisme dans les blogs »). Plus radical encore que cette « fuite » du journalisme dans le blog, Benoît Raphaël invite toute la profession à une véritable « contamination » par le blog : « Comment les blogueurs ont révolutionné le journalisme ». Tout cela conduisant bien, à mon sens, à travers la collision de deux galaxies à de nouvelles formes d’hybridation et de métissage.

Le blogueur attend donc que l’introduction de logiques « importées » des médias dans le fonctionnement de la blogosphère ne modifie son fonctionnement chez certains blogueurs :

L’initiative lancée par Vendredi devrait rapidement permettre d’y voir un peu plus clair dans les stratégies éditoriales à l’oeuvre sur le net et dans la blogosphère.

Les médias vont-ils tuer la blogosphère ?

Versac (alias Nicolas Vanbremeersch) exprimait finalement l’été dernier, sur Transnets, de Francis Pisani la même crainte, en soulignant comment l’interaction des médias et des blogs détruisait « l’économie vertueuse de la conversation » :

Une de mes clefs d’analyse, c’est que deux mondes se rencontrent actuellement, qui ne se connaissaient pas vraiment, et qui ont des logiques inversées. Celui des media, et de leur économie (de la rareté, du monopole, de la relation individuelle) et celui des media sociaux, avec leur vision plane, en réseau, où aucun monopole d’expression n’existe. Je remarque que ceux qui vivent mal la crise sont souvent ceux qui se retrouvent propulsés, volontairement ou non, dans le monde d’en face.

Je crois vraiment que le blogging doit rester un truc de petites choses, de communautés relativement homogènes, où l’auteur est présent et s’adresse à un public réduit. Sans quoi, faute de devenir professionnel (et c’est rarement possible), la pollution empêche l’interaction. Je me souviens ainsi du temps béni où mon blog, peu célèbre, mais fortement lié, drainait une population de commentateurs et de discussions passionnantes sur des blogs. C’était le moteur du blogging. C’est la même chose pour tout bon blog juridique, technologique, de cuisine ou sur le sport : aucun n’a vocation à devenir TF1.

Enfin, il y a un phénomène nouveau, aussi. L’argent.

Ou alors ce sont les classements d’influence des blogs ?

Cette interrogation renvoie, sur un autre sujet, celui du classement Wikio des blogs, à cette réflexion d’Olivier Le Deuf, sur Le Guide des égarés :

Etrangement, je fais mon apparition dans le classement science dans le top ten ce qui n’est pas sans effet terrible du type mails disant” désormais il va falloir tenir ton rang !” Voilà désormais l’apparition d’un nouveau concept : la pression blogosphérique, phénomène qui vous oblige à tenir votre rang parmi les classements de blogs et qui peut entrainer une forme de melonite incurable. Remèdes : débloguer.

J’ai fait une remarque du même ordre en commentaire d’un billet de Jean Véronis, sur Technologies du langage, à propos du fonctionnement de ce classement, qui accorde dans son calcul « une valeur supérieure aux liens issus des blogs les plus liés » :

Il accroît la visibilité de ceux qui sont déjà les plus visibles et tend à renforcer une hiérarchisation déjà installée. Il accorde aux blogs de haut de classement une forme de pouvoir de cooptation sur les blogs de bas de classement. A sa nature aristocratique et cooptatrice s’ajoute ainsi une dimension conservatrice.

L’image qu’un tel classement renvoie de la blogosphère n’est ainsi, selon moi, pas du tout conforme à son fonctionnement réel - c’est une image faussée. De surcroît, un tel classement perverti son fonctionnement et la dénature. Il lui est donc toxique. (...)

La blogosphère est, à mes yeux, dans son fonctionnement d’avant les classements automatisés de ce type, basée sur un pur système de recommandation inter-individuel. C’est un système d’élection par les pairs et pas du tout une aristocratie. L’élu n’en reste pas moins pair et son élection est révocable à tout moment.

Economie du lien et de la citation

L’un des effets pervers, souvent dénoncé, du fonctionnement de ce classement, est de favoriser des « effets de clique » (voire « de meute »), d’encourager des actions collectives de blogueurs destinées uniquement à améliorer - ou à défendre - leur place dans le classement. D’autres signalent un « effet de cour » auprès de ces « blogueurs influents » que l’on tente de séduire pour en obtenir ces précieux liens qui comptent plus que les autres (ne vous fatiguez pas avec moi, ce blog est hors classement. ).

A mon sens, cela perturbe l’écosystème de la blogosphère, en introduisant de nouvelles données dans l’« économie des liens » et la manière dont se régule leur valeur. Ça change même le « sens », ou la « valeur » du lien, en introduisant un intermédiaire. On n’échange plus les liens « de la main à la main », selon la méthode habituelle de la blogosphère : je te lie si tu me lies, et ainsi nos lecteurs nous lirons... On place (ou on sollicite) des liens pour que ces liens soient vus et comptablilisés par Wikio. Wikio devient une sorte de banque des liens, qui détermine elle-même la valeur des liens échangés, là où cette valeur se régulait auparavant sur un marché boursier.

Le lien ne sert plus à « acheter » de la visibilité dans la blogosphère, mais à « vendre » des places dans le classement. Ce classement devient le passage obligé de la visibilité. Le banquier s’est imposé dans le jeu comme intermédiaire et prélève au passage, bien entendu, sa commission...

Olivier Ertzscheid fait un remarque que je rapproche de la mienne au sujet de l’« économie de la citation » :

L’écriture « pour le web » est pour l’instant majoritairement une écriture pensée dans une stratégie de présence. Il faut « occuper l’espace » (virtuel) du Net. Une écriture de la présence : il faut être présent dans les résultats des moteurs. Une écriture du placement : il importe d’être bien placé, bien référencé. Or ce que nous enseigne l’héritage de l’écriture scientifique, c’est la manière dont s’est progressivement constituée une écriture de la citation. Il ne s’agit cette fois plus « seulement » d’occuper la place, mais bien d’être (bien) cité par d’autres, parce que c’est là le meilleur moyen ... d’occuper la place..

Et Olivier Ertzscheid d’envisager que l’on en vienne dans les blogs à écrire pour être cité par Vendredi, comme j’envisage qu’on en vienne à lier sur son blog pour vendre à autrui une amélioration de son classement Wikio (j’ai même le sentiment que ça se fait déjà).

La fin de la république ?

Je tire de tout ça que la blogosphère s’est construite peu à peu, en grande partie à l’abri des regards (hors de l’espace des médias de masse, en tout cas) comme un écosystème autonome, selon des mécanismes de recommandations croisées entre blogueurs (avec la participation des commentateurs). La simple intervention du regard d’un observateur sur cet écosystème perturbe son fonctionnement : que ce soit le regard des médias, ou le regard du classement.

Ces interactions avec le « milieux extérieur » sont probablement inévitables. Il n’est d’ailleurs ni sain, ni souhaitable que la blogosphère soit un espace fermé. Mais cela signifie aussi que cette blogosphère est en mutation. Toute la question est de savoir si elle peut évoluer sans perdre quelques unes de ses caractéristiques originales et précieuses, en restant cette sorte de république autogérée, ce qui en fait, à mes yeux, tout le charme et la valeur...

Le titre de ce billet et son illustration sont une référence parfaitement gratuite à ça.

Car ça fait toujours bien d’étaler un peu de culture pour asseoir se crédibilité en ligne...


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2 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 25 octobre 2008 20:50

    Article passionnant (comme en fait très souvent l’auteur) mais qui oublie pour moi un point fondamental (qui est d’ailleurs l’essence-même du journalisme) : Le POIDS de celui qui parle. C’est-à-dire sa représentativité. Si vous parlez de nulle part, comme je le fais moi-même en ce moment, personne ou peu de monde vous lira et c’est comme si vous n’avez rien écris. Par contre si vous représentez un groupe d’intérêt quelconque, votre prise de position intéresse les gens, donc les journalistes qui viennent vous interroger. (je mets ensemble ici volontairement les groupes d’intérêts, les entreprises avec les médias, puisque ces derniers nous montrent tous les jours qu’ils en sont une composante comme les autres avec comme intérêt propre, celui de leur actionnaire ou du pouvoir).

    Mais cette audience a un coût : l’expression de la vérité. Si vous représentez un groupe, vous ne pouvez plus dire la vérité. Mais vous êtes payé pour parler et l’on vous écoute.

    Les deux vraies définitions qui définissent et distinguent finalement le mieux les journalistes des bloggeurs n’est donc pas la carte de presse, mais celles-ci.


    - Un journaliste est payé, a de l’audience et dit des choses fausses,

    - Un bloggeur est un gars pauvre qui dit des choses justes, mais que personne ne lit, ou plutôt, dont tout le monde se fiche de l’avis puisqu’il ne représente pas un pouvoir, donc un danger potentiel.

    Choisis ton camp camarade smiley



  • Guillaume Narvic Guillaume Narvic 25 octobre 2008 21:53

     @ La mouche,

    Journaliste et blogueur, j’ai choisi mon camp : les blogs. smiley

    C’est à partir de là, à mon avis, que l’on est en train de reconstruire une relation durable - un contrat de lecture - basée sur le partage, l’échange et la confiance, car en relation directe et interractive entre le rédacteur et le lecteur, qui peut commenter, interpeller, critiquer, compléter, élargir, corriger, etc..

    La logique économique de l’audience condamne les médias au marketing éditorial, à la "fast news", au people et à "l’infotainement". Je ne leur reproche même pas : c’est la seule manière pour eux de trouver l’argent pour payer les salaires (et encore... de maigres salaires), sinon, ils vont tous à la faillte.

    On verra bien si ça marche. L’audience de chaque blog en lui même est faible, mais la capacité qu’ont les blogs à s’associer ponctuellement (le pouvoir de lier !) fait d’eux une formidable caisse de résonance. Ils ont même prouvé plusieurs fois qu’ils pouvaient parler plus fort que les médias. C’est une véritable aventure en tout cas... smiley

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