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Philosophie et politique

Avec la « politique de civilisation », concept emprunté à Edgar Morin, la philosophie est entrée de plain-pied dans le débat d’opinions. Mais dans ce XXIe siècle où l’idéologie semble reléguée à des temps immémoriaux, que peut encore faire la philosophie ?

La res publica, la chose publique, entretient des rapports ténus avec le monde des idées. Les Anciens ont fondé les idéologies à l’origine de nos systèmes politiques quand les Modernes les ont révolutionnés. Nous devons à John Locke l’émergence du parlementarisme et, aux Lumières, les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité aux frontons des édifices publics. En cela, la Révolution française fut l’aboutissement de la pensée libérale et la vie publique hexagonale - par l’intermédiaire du droit et des institutions - s’en inspire largement. De même que la conception hégélienne du droit a cristallisé la doctrine française et un pan entier de la jurisprudence. Sur ce libéralisme triomphant, le marxisme a lui-même eu des répercussions ; que ce soit par l’édification d’un Etat providence ou par les acquis sociaux en découlant.

Avec la chute du Mur de Berlin, nos contemporains ont estimé que le temps des idéologies était révolu pour que l’emporte un pragmatisme technocratique. La "troisième voie" de Tony Blair a fait des émules partout en Europe jusqu’à la droite française qui, après des décennies d’un gaullisme circonspect, a invité l’ancien Premier ministre britiannique à la tribune du conseil national de l’UMP. Dès lors la politique de "ce qui marche" l’aurait emportée sur les derniers bastions partisans, relégués aux extrêmes gauche et droite. Ainsi, les philosophes contemporains auraient abandonné l’ordre du conceptuel pour la seule analyse factuelle. Autrement dit, la philosophie ne serait plus qu’une science académique, séparée des sciences politiques qu’étudient les élites en devenir de la nation dans leurs Instituts d’études politiques. Le triomphe de l’économie, de la sociologie et de l’histoire dans les années 1980 à 1990 sur les classes dirigeantes démontrerait cet état de fait.

Mais au-delà de ce constat pessimiste, colporté par les journaux, le monde des idées semble rejoindre à nouveau celui de la praxis. Toujours en quête d’idées, les acteurs publics de gauche comme de droite reviennent doucement à la philosophie politique.
Quoi que le concept de "politique de civilisation" ne soit pas entendu de la même manière par Edgar Morin et par Nicolas Sarkozy, il n’en demeure pas moins que la présidence édifie peu à peu sa doctrine. Lorsque Nicolas Sarkozy s’exprime ainsi lors des voeux aux Français (discours du 31 décembre 2007) : "Avec 2008, une deuxième étape s’ouvre : celle d’une politique qui touche davantage encore à l’essentiel, à notre façon d’être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c’est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation (...)", les concepts de culture, d’identité et de civilisation sont alliés avec une philosophie politique. A ce propos, viennent les fameuses références de la nation française aux noms de Jaurès et Blum lors de la campagne électorale. Si le Parti socialiste a estimé qu’il y a eu prise illégale d’un héritage de Jaurès à Blum dont il est dépositaire, une certaine influence philosophique sur le sarkozysme se fait ressentir. Une influence philosophique propre au bonapartisme se basant sur le concept de nation, continuité des temps immémoriaux jusitifiant un exécutif fort et investi d’un destin national (si l’on en croit René Rémond).
A gauche, loin d’avoir abandonné la pensée marxiste, le Parti socialiste est partagé entre une rénovation de gouvernement à la Tony Blair et l’influence de l’altermondialisme dont on a vu les premiers sursauts lors de la campagne électorale de Ségolène Royal. Si le Parti socialiste est loin de vouloir instaurer la fameuse taxe Tobin, n’en demeure pas moins une critique du libéralisme pour la création d’un "contrat social" rappelant les heures heureuses du rousseauisme en France. Au-delà des ancêtres illustres de la pensée sociale et socialiste, d’autres voix s’additionnent sur plusieurs thématiques. Ainsi, la critique de la mondialisation tenue par la direction du PS rappelle celle de Bernard Stiegler, quand le propos sur la laïcité et les valeurs morales de l’Etat raisonne en écho avec la pensée de Régis Debray (tombée en disgrâce depuis lors dans la gauche française). On ne s’étonnera pas qu’un Bernard-Henri Lévy ait inspiré un pan entier des propositions émises par Ségolène Royal tout comme Michel Onfray impose sa réflexion altermondialiste. Réflexion qui perce peu à peu dans une extrême gauche traditionnellement trotskyste.

 

Cependant, si les idéologies ont encore un poids sur les acteurs publics et si les philosophes tendent à s’immiscer dans les questions de société, l’effectivité du pouvoir démontre la faiblesse conceptuelle des apports des Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Michel Onfray et autres intellectuels académiques et télévisuels. Autrement dit, le pragmatisme l’emporte sur les idéaux. Plutôt que de réfléchir sur une politique globale qui serait une représentation factuelle d’une philosophie, nos intellectuels développent une opinion sur un sujet restreint. Ainsi, la société d’opinion l’emporterait-elle sur la société des idées ? Il faut croire que le cas français est loin d’être généralisé. Outre-Atlantique, le philosophe et économiste Friedrich Hayek a profondément changé la matrice de pensée démocrate quand le slovène Slajov Žižek inspire les élites sorties de Yale et de Columbia. La philosophie n’a pas dit son dernier mot.

 


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6 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 14 janvier 2008 10:30

    L’expression "politique de civilisation" ne veut absolument rien dire. C’est une absurdité. "Politique et civilisation" a du sens mais "politique de civilisation" non. (à moins que vous ne me prouviez le contraire !)Les seuls sens qu’on a pu trouver dans l’histoire furent : évangélisation, colonisation, impérialisme, totalitarisme... 


    • Capreolus Capreolus 14 janvier 2008 16:50

      Dans la mesure où l’expression n’est pas contradictoire, comme le serait celle de "cercle carré", on ne voit pas pourquoi cette expression ne pourrait avoir de sens. Cela signifie par exemple que la politique menée est celle de notre civilisation, ou qu’elle est menée en son nom.

      De même que le siècle s’est ouvert part la déclaration de guerre d’une certaine civilisation contre la nôtre (via deux tours jumelles), c’est peut-être là en effet le concept clé d’une nouvelle façon d’envisager la politique, non plus tournée uniquement vers les logiques marchandes, mais davantage soucieuses d’affirmer les valeurs fondamentales de notre civilisation.


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 14 janvier 2008 12:21

      Très intéressant article montrant entre autres comment quelques philosophes orientent l’opinion dans un sens ou un autre tout en orchestrant les thèmes à débattre, et désignant ce qu’il faut combattre

      Dans ce contexte, on peut aussi décider d’autres débats sans être dépendant de ceux qui décident de ce qu’il faut penser. Par exemple, l’autonomie, un sujet à mettre sur le tarmac


      • poetiste poetiste 14 janvier 2008 14:08

         

        Le fond et la forme.

         

        La machinerie médiatique n’a jamais été aussi friande de nourritures inconsistantes. Jamais autant de personnes n’ont été rémunérées pour ne rien dire. Le système d’informations unilatéral s’évapore dans le futile, le virtuel, l’anecdotique. Les paparazzis sont lâchés pour la curée, après la chasse à l’image, la chasse au mirage. La drogue du rêve se vend d’autant mieux que le pouvoir d’achat baisse. La liberté médiatique ne s’emploie pas à une politique de civilisation, la dite civilisation souffrant d’un évanouissement des valeurs, celle-ci en rajoute. On amuse la galerie jusqu’à l’écœurement mais qui se retire de la « rêve-partie » pour légiférer et se préparer un avenir malin ? Un roi nous amuse et des ministres inconditionnels, des « introuvables », travaillent dans l’ombre. Le cheval de Troie est de droite. La stratégie est de droite et a pompé tout ce qui pouvait être de droite autant dans l’esprit des électeurs du peuple que dans l’esprit de certains dirigeants socialistes. Où est donc l’utopie d’une politique participative ? Les « croyants » socialistes ont été trahis dans leur foi et le train est manqué pour redonner une crédibilité à un parti aux valeurs solidaires et généreuses. La solidarité, ce n’est pas « travailler plus pour gagner plus » mais redonner un sens au travail quand la technologie est devenue l’outil qui ne profite qu’à une minorité et qu’il peut se délocaliser sans causer d’états d’âme aux actionnaires anonymes. Réveille-toi Français moyen ou tu risques de perdre tous tes moyens ! Tu subis une espèce de colonisation intérieure en ton propre pays. Hé ! On ne se refait pas. « Toi vouloir du travail ; toi aller à l’ANPE » : C’est ainsi que l’on faisait parler les colonisés dans les bandes dessinées d’après guerre. Faire baisser le degré de responsabilité de chacun, est-ce vraiment ce que l’on peut appeler un procédé démocratique ? Infantiliser et égarer le peuple dans le « non-essentiel » n’est pas une politique de civilisation mais plutôt un retour à l’obscurantisme. La tête et les mains dans un carcan, on peut tenter par le rêve d’échapper à la souffrance (ou à la sous France), mais pas pour longtemps. La Chine est un pays qui ne subit pas l’engourdissement pathologique des régimes démocratiques essoufflés. En une dictature aux mains libres on n’hésite pas à exproprier de pauvres gens pour bâtir des mégapoles. Si dans ce pays la fin justifie les moyens, ce n’est pas une raison de suivre cet exemple. En démocratie, en principe, chacun devrait avoir un degré de responsabilité suffisant pour mener une politique participative constructive dans l’intérêt général. Si nous faisons faiblesse d’une richesse telle que la république, autant nous saborder tout de suite. Comment pouvons-nous exporter une démocratie qui ne croit plus en elle-même ? Et ce n’est pas à la manière des Américains en Irak que nous pourrions et voudrions le faire. Est-ce que le tsunami de la mondialisation va élargir l’esprit du Français moyen ? La dichotomie n’est plus « gauche-droite » mais d’un côté des actionnaires et de l’autre des travailleurs consommateurs qui ignorent qui spécule sur le fruit de leur travail. Ah ! Comme le beau conte de fées arrive à point pour endormir les pauvres et profiter aux nantis ! Dans les médias, on attise ce feu, on en tire profit, on est riche et complice de cela. Qui n’a jamais péché jette la première pierre au roi que nous avons élu.

        A.C


        • fouadraiden fouadraiden 14 janvier 2008 23:59

           

           le dernier paragraphe est excellent ,les précédents moins.trop simples de généralités creuses.pour un philosophe ,meme discret ,ça peut assassiner la philosophie ce genre de blabla historico-mythologiques.

           


          • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 19 janvier 2008 12:20

            Une politique de civilisation ne peut avoir de sens positif que si cette politique (au sens large du souci de la cité, de l’intérêt général et du bien-être qui dépend des relations inter-humaines et sociales) n’est pas politique (au sens restreint d’un pouvoir d’état qui prétendrait imposer une philosophie ou une religion, voire une morale officielles) mais philosophique et critique. Ce qui veut dire que, si elle ne prétend pas à un pouvoir transcendant, mais que si elle met en jeu une réflexion immanente et critique ,ouverte au débat pluraliste, à propos du mal vivre en société , à savoir de la violence, de la domination et de l’absence de solidarité ouverte ou cachée que la société recèle.

            Une telle politique est auto-éducative et participative, elle ne peut provenir que d’en bas, de la société civile, de ses institutions culturelles et associatives sur fond d’engagement volontaire des individus , et non pas d’en haut, d’un pouvoir politique déterminé, au nom de je ne sais quelle vérité supérieure, divine ou profane.

            Toute autre politique de civilisation est , au mieux, un supplément d’âme, un illusion réconfortante ou consolante dans et au service d’ un monde injuste et, au pire, liberticide.

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