L’accompagnement de l’autisme
Nous avons tous en mémoire le vif échange qui opposa Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal le 2 mai dernier lors du débat d’entre-deux tours. Le sujet brûlant était alors le handicap de certains enfants, et les difficultés de leurs parents quant à leur encadrement. Outre son aspect polémique, cette question reste un vrai sujet de société. Parmi ces handicaps se trouve l’autisme, qui n’est certainement pas le plus connu.
Pour aborder ce sujet grave, je souhaitais avoir l’avis d’une personne dont la parole ait véritablement un poids sur la question. Je l’ai trouvé en la personne de Flamant Rose.
J’ai eu la chance de connaître Flamant Rose dans le cadre de la vie de mon blog. Il se trouve être très au fait de ces questions, comme vous allez le découvrir. L’actualité nous a de plus donné un bon prétexte, puisqu’à l’initiative de Sandrine Bonnaire, France 3 abordera sous peu les problématiques inhérentes à l’autisme, dans le cadre d’un film consacré à Sabine Bonnaire, soeur de l’actrice, filmée par cette dernière. Ce sera sur France 3, le 14 septembre.
En attendant pour en savoir plus sur l’engagement de Sandrine Bonnaire, c’est ici, ou encore là. Il y a même une vidéo, si vous insistez. En ce qui me concerne, je vous laisse avec Flamant Rose. Bonne lecture.
Damocles
Le 14 septembre sur France 3 Sandrine Bonnaire va présenter le film qu’elle a réalisé sur sa sœur Sabine, qui est autiste. Il y a environ 40 000 autistes en France plus ou moins sévères.
Je viens d’écrire une lettre à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. Je lui suis reconnaissant d’avoir pris un certain nombre de mesures en faveur des personnes handicapées, mais j’attire son attention sur le fait que le handicap, ce n’est pas qu’être privé de l’usage de ses bras ou de ses jambes : or il me semble que lorsqu’on parle handicap, on pense « handicap moteur » ou « retard mental léger ».
Voici le détail des mesures en question :
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la création d’une commission d’accessibilité dans toutes les communes de plus de 5000 habitants. Objectif : veiller à ce que soient accessibles aux personnes handicapées les établissements accueillant du public. Une mesure qui accompagne la décision d’avancer au 31 décembre 2008 le diagnostic d’accessibilité des établissements initialement prévu en 2011 ;
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la mise en place d’un groupe de suivi de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, chargé d’établir un bilan des situations locales ;
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l’adoption de la majorité des décrets et arrêtés d’application de la loi ;
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par ailleurs, il a été annoncé, dans un entretien accordé au journal La Croix, le 29 août, la revalorisation de 25 % de l’allocation adulte handicapé (AAH) d’ici à 2012. L’AAH concerne près de 800 000 personnes, qui sont très éloignées de l’emploi ou ne peuvent exercer une activité professionnelle. Son montant actuel est de 621,27 euros par mois.
Les mesures prises pour l’accès à tous, la scolarisation sont de bonnes mesures, mais pour les autres, les oubliés, ceux dont le handicap nécessiterait d’autres mesures, les choses se passent parfois autrement.
Qu’est-ce que l’autisme ?
L’histoire commence toujours par une bonne nouvelle. Les parents sont très heureux de la naissance de leur enfant. Les semaines, les mois passent et l’enfant ne réagit pas aux paroles d’amour de ses parents, et tarde à parler. "Il est peut-être sourd", se disent son papa et sa maman. Le choc passé on se dit : "on va l’appareiller et tout rentrera dans l’ordre" et on reprend le moral. Visite chez l’ORL. Le diagnostic est clair : l’oreille est normale. Visite chez un neuropsychiatre et là, la sentence qui vous glace : votre enfant est autiste. S’ensuivent les explications du professeur sur ce qu’est l’autisme, on vous dit que c’est irréversible. A ce moment-là vous ne réalisez pas encore que votre vie vient de basculer.
L’autiste est enfermé dans sa bulle, il a son monde à lui et il y vit. Il y a deux approches de l’autisme : l’approche comportementaliste et l’approche psychanalytique. L’association que je préside a toujours privilégié la seconde. Mais en l’état actuel des connaissances, aucune discipline ne parvient à rendre compte seule des origines et des causes de l’autisme, d’où la nécessité d’une approche pluridisciplinaire. Nous préférons une approche psychanalytique de la prise en charge de nos résidants. En clair nous souhaitons comprendre le pourquoi de leur comportement et essayer de comprendre leurs codes plutôt que d’interdire ou d’imposer en fonction de notre vision de personne dite « normale », qui ne rejoint pas forcément les normes des personnes autistes. Nous pensons qu’une méthode uniquement comportementaliste peut entraîner des contrariétés inutiles des résidants et par la suite être génératrice de crises qui à leur tour risquent d’amener une surmédicamentation.
Le rapport Chossy - du nom du député qui en est l’auteur - analyse très bien les difficultés liées à ce type de handicap. Etre confronté à l’autisme c’est devoir faire face à une abondante masse d’informations bibliographiques scientifiques qu’il est très difficile de hiérarchiser et d’exploiter. Elle porte sur :
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des prises en charge éducatives ;
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des méthodes thérapeutiques ;
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des approche médico-sociales ;
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des approches psychanalytiques ;
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des régimes alimentaires ;
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des traitements médicaux ;
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des centres de dépistage ;
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des colloques, des conférences, des journées d’autisme ;
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et bien d’autres choses...
Etre confronté à l’autisme c’est rechercher sans faillir la meilleure ou les meilleures des solutions et se retrouver souvent démuni face à la pénurie de structures adaptées quel que soit l’âge de la personne autiste.
Etre autiste, c’est :
- être entouré de gens bizarres que l’on ne comprend pas et dont on ne parvient pas à se faire comprendre ;
- être incapable d’exprimer ses besoins ou ses désirs, donc vivre dans la frustration permanente, ne pas être capable de situer les choses, les événements dans leur contexte et / ou dans le temps ;
- ne pas pouvoir communiquer ;
- éprouver une difficulté accablante à apprendre et à comprendre les règles multiples de la vie sociale et à développer l’empathie ;
- souffrir d’un manque d’adaptation, qui entraîne une grande résistance au changement ;
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avoir très envie d’être comme les autres, ou du moins de s’en faire comprendre ;
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ne pas dévoiler ses sentiments ;
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vivre dans une forteresse ;
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être condamné à s’en remettre à autrui pour les décisions de la vie courante.
Monter une association
J’ai l’honneur de présider le conseil d’administration d’une association qui gère un établissement pour adultes autistes. Créer ce type d’association, c’est la galère, c’est au bas mot cinq ans de travail, de négociations avec les autorités de tutelle, c’est démarcher auprès des banques et des bienfaiteurs pour trouver de l’argent. C’est apprendre les sigles DDASS, DIS, CROS, etc. (il y en a des dizaines), c’est essuyer des refus, puis repartir, c’est parfois un sentiment d’impuissance et l’envie d’abandonner, et c’est aussi... le regard des autres.
Puis, si l’on a réussi à monter l’association, c’est admirer son établissement tout neuf, c’est se dire que dorénavant de jeunes adultes autistes vont pouvoir vivre là, c’est sortir des jeunes de l’hôpital psychiatrique où ils n’avaient rien à faire, c’est libérer des familles, mais c’est aussi le déchirement de dire non à d’autres, car l’établissement est très vite complet tant les listes d’attente sont longues.
Etre président du conseil d’administration, c’est avec les administrateurs choisir celui qui sera directeur de l’établissement, et une fois ce choix fait, c’est embaucher les salariés éducateurs qui s’occuperont des résidants. Nous avons choisi d’intégrer dans notre établissement des jeunes atteints d’un autisme sévère. Nous en avons sorti plusieurs d’hôpitaux psychiatriques, c’est pourquoi nous avons un ratio en personnel important (1,66).
Avant d’ouvrir l’établissement, il aura fallu créer et présenter un projet associatif. C’est à partir de ce document que le directeur va décliner les orientations voulues par l’association et qu’avec les salariés il va les traduire en objectifs opérationnels et bâtir ainsi un nouveau projet d’établissement. Ce projet sera bâti à partir des valeurs de l’association qu’elle veut pérenniser.
Autiste un jour, autiste toujours
Dans mon association, nous pensons qu’accompagner, c’est tenir compte des besoins, des envies et aussi des goûts des résidants. Or l’expérience met en évidence la nécessité d’offrir aux résidants un accompagnement, qui s’il est réduit à 3 pour 1 la plupart du temps, doit parfois aussi être individuel - et c’est ici qu’intervient la notion de ratio, car notre moyenne est de 1,66 salarié pour 1 résidant. Il faut ajuster les soins et les mesures éducatives à l’évolution de la personne tout au long de sa vie. En effet les autistes ne sont pas condamnés à mener à perpétuité une vie d’exclus ou de reclus, et notre établissement est là pour ça. Les parents doivent donc avoir la possibilité de contribuer le plus librement possible aux choix de mise en œuvre des méthodes d’accompagnement, dont le but avoué est d’aider les résidants autistes à mieux s’adapter à l’environnement en améliorant leurs capacités de communication, de socialisation et d’autonomie.
Mais pour les familles qui ne trouvent pas de placement, la vie est tellement difficile que certains ne le supportent pas et s’en vont en laissant le conjoint encore plus désemparé. Certains d’entre eux en arrivent à la pire des extrémités. Nous avons eu connaissance de certains cas. L’un des deux parents doit aussi parfois s’arrêter d’exercer une activité professionnelle car un autiste doit être occupé ou surveillé en quasi-permanence. Beaucoup d’entre eux ne parlent pas, ce qui accentue la détresse de leur entourage, car il faut tout deviner. Quand la personne autiste se cogne d’une manière très violente, qu’est que ce cela veut dire ? il y a eu une raison, mais laquelle ? et si on passait à côté d’une rage de dent ? et si on ne détectait pas un mal au ventre ? etc. C’est une nécessité de traduction permanente.
Des services de prise en charge à domicile sont en train de se mettre en place, mais contrairement aux établissements, ce n’est pas gratuit. Les parents dont les enfants ne sont pas pris en charge aimeraient souffler au moins une semaine par an. Pour cela il existe des centres de vacances pour autistes. Cela coûte 200 euros par jour, peu de personnes peuvent se permettre une telle dépense. Donc les parents ne partent pas. J’ai à plusieurs reprises dénoncé cette sélection par l’argent dans le milieu du handicap. A chaque fois que je rencontre des autorités politiques ou administratives je reviens à la charge.
Ces familles sont courageuses. La solution serait de mettre les autorités politiques et administratives au pied du mur. Le problème étant le manque d’établissements, le jeune autiste serait placé en hôpital psychiatrique là où n’est pas sa place. Quand (rarement) une place se libère dans notre établissement c’est pour le directeur et moi-même un déchirement car il faut choisir parmi de nombreuses demandes. Les autres familles vont continuer à subir à domicile les violences de leur enfant, les automutilations, et pour être plus matérialistes les bris de vitres, les casses de vaisselle, etc. Il y a des périodes de calme, puis sans raison apparente c’est le retour vers l’enfer.
Les autorités publiques
Le paradoxe, c’est que l’attitude des autorités n’est pas compréhensible : on met les autistes en hôpital psychiatrique par manque d’établissements. Le prix de journée dans un établissement pour autiste est selon l’établissement de plus ou moins 200 euros, alors qu’il est plus du double en HP. Je connais la réponse pour l’avoir entendue maintes fois : ce n’est pas le même budget ; c’est vrai, mais dans les deux cas la provenance de l’argent est la même : en HP c’est la CRAM c’est à dire l’assurance maladie qui paie intégralement, alors que pour les établissements c’est la DDASS, service de l’état à 25 %, et la DIS service du département à 75 %.
Je commence à travailler sur un projet d’établissement pour les autistes vieillissants. Concernant le terrain, j’ai eu affaire à un maire dont le discours en période électorale est sensiblement différent de celui qu’il m’a tenu en privé. J’en ai conclu qu’il préférait vendre un bon prix à un promoteur plutôt que de faire un geste envers notre projet. Son approche de l’autisme s’est résumé à : "combien d’emplois cela va-t-il créer, quels seront les effets induits sur la commune, la population va-t-elle accepter, etc.". Ce fut une approche politique.
J’ai d’autres rendez-vous avec les différentes autorités. Je peux vous assurer que l’intégration des personnes handicapées autres que moteur, ce n’est pas gagné. Chaque année il faut se battre pour négocier un prix de journée qui permette à nos résidants de vivre le mieux possible en améliorant les ateliers et activités.
Heureusement d’autres essaient de compenser les carences des pouvoirs publics : des associations comme le Lion’s Club, le Rotary, France Télécom, des commerçants, des entreprises privées, et d’autres encore, sont là pour nous aider à améliorer nos installations, à en créer de nouvelles et essayer de faire en sorte que la vie de nos résidants soit la meilleure possible. Qu’ils en soient remerciés.
Il est bien que des personnes célèbres comme Sandrine Bonnaire fassent découvrir l’autisme. Si vous regardez son film (et je le découvrirai avec vous), essayez d’avoir une pensée pour toutes ces personnes différentes, autistes ou autres. Eux ne voteront jamais, ce n’est pas une raison pour les oublier.
Flamant Rose
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