Suppression de la carte scolaire ?
La suppression de la carte scolaire va-t-elle rétablir la liberté de chaque famille à choisir l’école de ses enfants ? Une mesure dite libérale ouvre-t-elle véritablement un champ des libertés individuelles ?
La carte scolaire opère une répartition des élèves par secteur d’affectation, obligeant chaque famille à scolariser son enfant dans l’établissement du secteur où elle est domiciliée. Un débat fait rage autour de son maintien ou de sa suppression.
En effet, la carte scolaire répond essentiellement à un souci de planification des ouvertures et des fermetures de classes par le ministère de l’Education nationale. Accusée d’être un frein à l’égalité des chances parce que détournée, contournée par quelques familles favorisées et bien informées, sa suppression répondrait à une volonté de rétablir le libre choix de manière égale pour toutes les familles.
Cette porte ouverte vers une liberté individuelle doit être analysée dans ses conséquences possibles et concrètes.
L’élève dont le chèque se verrait refusé par l’établissement de son choix serait donc affecté dans l’établissement de son secteur de domiciliation en vertu de l’obligation scolaire. Bien que le "chèque-éducation" ne figure pas dans le programme présidentiel, il faut s’interroger jusqu’au bout sur une logique qui nous y amènera tôt ou tard.
Adhérer comme je le fais à la philosophie libérale n’interdit nullement une réflexion autour de ses questions, quitte à pointer du doigt les contradictions possibles d’un projet libéral : la liberté est d’abord celle de l’esprit, donc le droit à l’esprit critique.
Nous savons qu’il y a des établissements fortement demandés par des familles favorisées et aux capacités d’accueil limitées. Faride Hamana, le président de la Fédération des conseils de parents d’élèves souligne à juste titre, selon moi, qu’un établissement de 500 places ne pourra jamais du jour au lendemain accueillir 2000 à 3000 élèves. Une sélection des chèques éducation s’opèrera donc au profit des « bonnes familles ». Et tous les établissements ne disposent pas de moyens égaux pour monter des projets éducatifs attractifs et concurrentiels : le projet d’Alternative libérale le reconnaît clairement, « la dépense publique par élève dans les ZEP est en effet inférieure de l’ordre de 30% à la moyenne nationale ». Si un élève originaire d’une ZEP se voit refuser son entrée au lycée Henri IV très demandé, il sera contraint de rester dans sa ZEP. Est-il antilibéral de se demander si la suppression va ou non favoriser la concentration des familles populaires et défavorisées dans les mêmes établissements ? Et si cela constitue réellement une liberté possible octroyée à tous ?
Gabrielle Fack et Julien Grenet, chercheurs à l’EHESS, nous renseignent utilement : "Une étude réalisée par Olivier Gilotte et Pierre Girard en 2003 montre que sur les 109 collèges publics que compte l’académie de Paris, les classes de sixième des 58 établissements les plus favorisés sont composées à 46% d’élèves issus de catégories socioprofessionnelles privilégiées (chefs d’entreprises, cadres supérieurs, professions libérales, professeurs, etc.) contre 18% issus de milieux modestes (ouvriers et chômeurs). A l’autre bout de l’échelle, dans les 17 collèges les moins favorisés, les proportions s’élèvent à 7 et 51% respectivement."
Ils posent aussi la question : "Sur le tiers des élèves parisiens scolarisés dans le secteur privé, combien le sont principalement en raison de son approche éducative ?"
Des expériences d’assouplissement de la carte scolaire ont été tentées au début des années 1980 et abandonnées au début des années1990 : "en effet, on s’est vite aperçu que la liberté de choix n’était effective que pour une minorité de parents, dans la mesure où tous les voeux se portaient sur les mêmes établissements. Ainsi, à Paris, il fut décidé de mettre fin à l’expérience parce qu’un tiers des familles obtenaient le collège de leur choix, suscitant frustrations et protestations parmi les autres".
Ils concluent ainsi : "Dès lors, il s’agit moins de se prononcer pour ou contre la sectorisation que de s’interroger sur les modalités concrètes qui pourraient permettre au système éducatif de garantir réellement la mixité sociale à l’école. Sans elle, l’égalité des chances n’est qu’un vain mot."
Et l’égalité des chances doit être le fondement de toute porte ouverte vers la liberté, de tout projet libéral n’est-ce pas ?
Car la mise en concurrence des établissements scolaires revient à rendre ces derniers directement responsables de la dégradation des banlieues, du chômage, de l’exclusion, de l’insécurité : ces facteurs extérieurs et environnementaux dont sont précisément victimes les établissements scolaires sont le fondement des stratégies de contournement de la carte scolaire, comme le sont également les inégalités de moyens. Le libre choix éducatif mis en avant pour justifier la suppression de la carte scolaire est en réalité secondaire dans les motivations réelles des familles.
Le Credoc tente de pointer les vrais problèmes et les solutions : "réfection des locaux, mise en place de filères d’excellence, renforcement de la sécurisation des abords d’établissements, communication sur les succès des équipes pédagogiques et les résultats obtenus par les élèves, implication des communes sur cette communication... L’étude suggère aussi d’éviter les opérations de réhabilitation "haut de gamme" des quartiers qui amplifient les ségrégations scolaires. Le but visé est de fixer les classes moyennes pour élever le niveau scolaire dans les établissements."
Un projet démocrate, libéral et social, donnant par l’égalité des chances la possibilité pour tous d’accéder à une liberté réelle doit entretenir cette réflexion et faire d’une école républicaine intelligemment réformée le moteur de l’épanouissement individuel contre toutes les ségrégations, avec ou sans carte scolaire. Et mesurons en toute transparence les conséquences immédiates de sa suppression.
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