• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > « Je m’affirme donc je suis » vient de répliquer Playtex à (...)

« Je m’affirme donc je suis » vient de répliquer Playtex à Descartes

Est-ce facétie ou pur hasard ? Mais AGORAVOX a assorti mon dernier article de la semaine dernière sur « La femme d’aujourd’hui selon la Banque populaire et la Vénus d’Urbino » d’une publicité inattendue de la marque de sous-vêtements féminins Playtex. « Je m’affirme DONC je suis » prêchait-elle aux femmes pour qu’elles se libèrent enfin.

Était-ce pour réveiller la « femme de la Banque populaire » dont je diagnostiquais l’assoupissement des sens ? Pas besoin, en tout cas d’avoir fait de longues études pour y reconnaître un détournement de la maxime de Descartes, « Je pense donc je suis  », mais comme on parlerait d’un détournement de mineur !

S’auréoler de l’autorité d’une maxime à la Descartes

Pourvu qu’ils leur rapportent de nouveaux clients, les marchands et leurs publicitaires sont vraiment prêts à tous les détournements, même s’ils s’abritent derrière l’humour pour faire admettre leurs audaces. Qu’importe que les principes qu’ils proclament renvoient une société au temps des cavernes ! Ils osent le faire, car ils supposent - et peut-être pas à tort - que leur public est assez inculte pour ne pas s’en apercevoir. La ficelle de la parodie est pourtant grosse.
- Playtex singe d’abord la maxime de Descartes pour flatter son public : il croira se prouver sa culture en la reconnaissant : quel inculte l’ignore, même s’il ne la comprend pas ?
- Ensuite, Playtex vise à usurper l’aura de son autorité acquise depuis quatre siècles mais en la vidant de son contenu, comme un mauvais plaisant remplacerait dans un ostensoir l’hostie sacrée par un caramel mou. Playtex défend, en effet, un mode d’existence aux antipodes de celui préconisé par Descartes.

Priorité aux réflexes sur la réflexion

- Comment ne pas ressentir comme un affront cette profanation qui remplace la primauté de la pensée par celle de la pulsion de puissance débridée ? « S’affirmer » n’est pas du tout « penser », c’en est même le contraire ; c’est céder à ses réflexes primaires avant tout examen par la pensée : « Assumer ses envies, ses folies » explique Playtex au cas où on n’aurait pas bien compris. Les réflexes doivent primer la réflexion. L’irrationalité devient le seul et unique critère de l’existence. Or, où mène tout droit pareil principe sinon au conflit avec ses semblables, qu’ils l’adoptent eux-mêmes ou non ? N’est-ce pas dans la jungle que règne le caprice de celui qui « s’affirme » le plus fort ?

Une ambiguïté ravageuse

Heureusement tout aphorisme publicitaire vantant les vertus de la libération porte en lui-même un paradoxe, comme l’a bien vu G. Bateson en forgeant le concept de « la double contrainte » (« double bind  », en anglais) repris par Paul Watzlawick, mort à la fin de mars dernier. Comment, en effet, « m’affirmer » d’un côté, c’est-à-dire n’écouter que « mes envies, mes folies » en m’affranchissant de toute tutelle, et, de l’autre, me soumettre à l’ordre donné par l’aphorisme de Playtex ?
La solution du paradoxe est en fait dans un jeu de mots qui a sans doute échappé à Playtex et qui ruine sa campagne publicitaire. A-t-elle vu qu’une homonymie ouvrait sur une ambiguïté ravageuse ? « Je m’affirme donc je suis » veut en fait tout simplement dire : « Je m’affirme donc je suis... comme un mouton Playtex dans ses divagations ». L’appel à l’affirmation de soi, à la libération et à la distinction n’était en fait qu’une sommation à rester bien sagement dans les rangs du conformisme sous la houlette d’une autorité usurpée !

On ne joue pas impunément avec la maxime de Descartes qui se retourne contre ses profanateurs. Elle rappelle fort opportunément qu’avant de suivre ses pulsions, il est plus prudent de réfléchir, sous peine d’être mené par le bout du nez comme un benêt par des stratèges qui, eux, se gardent bien d’appliquer les conseils qu’ils donnent.


Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (14 votes)




Réagissez à l'article

14 réactions à cet article    


  • jakback jakback 5 juin 2007 12:31

    Je crains fort que vous surestimiez vos compatriotes, cela dit bravo pour votre démonstration.


    • ZEN ZEN 5 juin 2007 13:05

      Pauvre Descartes !mais il y en a bien d’autres qui sont détournés:Einstein, par une marque de voiture,etc..La pub fait feu de tout bois.

      Les publicitaires devraient relire son « Traité des passions », qui ne se termine pas par la formule « parce ce que je le vaux bien... » La logique pulsionnelle et la logique rationnelle font rarement bon ménage...


      • Je partage l’avis de jackback...je crains que cela ne vole un peu haut ...mais il n’est pas interdit de tirer dans ce sens


        • docdory docdory 5 juin 2007 13:47

          @ Paul Villach

          Merci pour cette nouvelle , excellente et dévastatrice analyse de pub . Il faudrait introduire dès la sixième au collège des cours d’esprit critique , pour lutter contre cette gigantesque entreprise de lavage de cerveaux qu’est la pub !


          • Paul Villach Paul Villach 5 juin 2007 14:17

            Je crois en effet que le niveau auquel vole les arguments publicitaires traduisent, mieux que toutes les évaluations statistiques de l’École française, le niveau réel d’instruction que nos concitoyens reçoivent dans ses locaux.

            Je comparerai volontiers un publicitaire à un pécheur à la ligne qui n’a même pas besoin de masquer son hameçon avec un ver : les poissons trop peu instruits sautent sur tout hameçon nu !

            Vous avez raison : c’est l’enseignement du Français, aujourd’hui dévasté par le formalisme et la théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias, qui est à reconstruire ! Mais qui veut en entendre parler ? Paul Villach


          • Paul Villach Paul Villach 5 juin 2007 17:57

            « Je crois en effet que le niveau auquel vole les arguments publicitaires traduisent, mieux que toutes les évaluations statistiques de l’École française, le niveau réel d’instruction que nos concitoyens reçoivent dans ses locaux. »

            Chacun aura su inverser : « volent » et « traduise ». Pour donner des leçons à l’École, encore faut-il que je les respecte moi-même. Avec mes excuses !


          • Frodon Frodon 5 juin 2007 16:13

            J’apprécie réellement votre réflexion.

            Les élèves du collège ont des cours de technologie, de dessin et de musique au nom de « l’ouverture culturelle » ( c’est sur que de demander de faire des villes en papier alu est un gage d’ouverture culturelle...) La musique n’en parlons pas... et la technologie est plus un défouloir qu’autre chose...

            Ne pourrions nous pas instaurer un cours de « critique audiovisuelle » ou même un cours de « télévision ». Parce que vous dénoncez cette publicité que vous avez vu mais le travail se fait bien plus en amont...dès les premiers dessins animés ( démontrer que titeuf et dora l’exploratrice n’ont aucun message publicitaire par derrière serait impressionant !).

            LEs parents bouffent de la télé , ils en donnent à leurs enfants. La télé abrutit...mais elle n’abrutit que ceux qui ne la regardent comme tel.


            • docdory docdory 5 juin 2007 17:11

              @ frodon

              Oui , on fait faire aussi aux collégiens des « exposés » , dont on sait qu’ils sont en général une compilation d’encyclopédie encarta et de wikipédia recopiés tels quels , sans qu’aucun cours ne leur soit donné sur la critique de ces « sources bibliographiques » ! Très formateur pour l’esprit critique ... Finalement , la seule compétence nécessitée par ces exposés , c’est l’aptitude à parler en public et à recopier un texte déjà écrit !


            • Paul Villach Paul Villach 5 juin 2007 18:09

              « Ne pourrions nous pas instaurer un cours de »critique audiovisuelle« ou même un cours de »télévision« . »

              Très bonne idée !

              Si vous regardez le nombre d’articles que j’ai déjà consacrés à la publicité et à l’information, car les deux sont liées évidemment, vous verrez que c’est un peu ce que je propose sur AGORAVOX.

              Il ne tient qu’à vous d’y ajouter vos contributions et d’alerter vos collègues.

              La publicité fait rarement l’objet d’une critique précise en s’appuyant sur des concepts bien définis. L’École devrait être le lieu pour cet apprentissage. À défaut, AGORAVOX peut servir de relais où les professeurs pourraient venir puiser, voire renvoyer leurs élèves.

              Rares sont les médias où une critique sérieuse de la publicité peut-être menée, car ils en vivent. Il faut donc saluer AGORAVOX pour avoir publié cette critique d’une publicité de PLAYTEX parue sur AGORAVOX même. Paul VILLACH


            • La Taverne des Poètes 5 juin 2007 20:13

              Tout est playtex à article sur Agora ! smiley


              • Frodon Frodon 5 juin 2007 22:10

                L’idée n’est pas forcément de mettre à mal la télé mais je pense qu’au final , si on apprenait à la décortiquer ça ne serait pas plus mal.

                Déjà , une introduction au cinéma apprend tellement de choses, quand on sait aujourd’hui ce que fait ressentir un plan large ou un plan serré, de face ou de dessus. LE simple fait d’éveiller à cette critique est drolement intéressante ( d’autant plus en matière de politique et d’images de meetings).

                Les cours d’éducation civique seraient en soit une bonne place déjà existante pour ce genre de cours, quitte à doubler la plage horaire.

                De là , on pourrait suggérer l’idée d’un decortiquage hebdomadaire de documents vidéos ( pubs floutés) avec un éveil ou déjà une mise en commun d’une classe. Je pense que de confronter une perception d’une publicité peut etre vraiment intéressante.

                Si on prend par exemple l’exemple d’une publicité de voiture , on pourrait chercher à voir comment la pub cible son audimat et quels sens elle réveille. C’est pas trop compliquer et ça servirait bien plus qu’un cours de flûte affreux qui démoralise même les moins mélomanes d’entre nous...


                • Paul Villach Paul Villach 6 juin 2007 18:55

                  1- Je crois que pour qu’une analyse de la publicité soit efficace, elle doit être insérée dans une analyse plus générale de l’information, qu’elle s’exprime par les mots (ou les silences) sans doute, mais aussi par l’image, sans oublier le langage analogique des postures.

                  2- L’École ne fait rien de tout ça, à ma connaissance.

                  3- Je répète que les leurres plus ou moins grossiers utilisés par les publicitaires renvoient à l’ignorance du public auquel ils s’adressent et que l’École obligatoire forme depuis plus de 100 ans ! Quel constat ! On n’utilise pas un leurre qui risque d’être démasqué par celui qu’on veut tromper.

                  4- C’est plutôt le cours de Français qui doit être refondé de fond en comble autour de l’analyse de l’information. Mais je vous l’accorde, l’analyse de l’information nécessite des lumières non seulement en langue française avec les procédés d’expression, mais en lecture d’image, en histoire, en psychologie, en sociologie... Vous voyez beaucoup de profs du Secondaire actuellement répondre à ce profil ?

                  5- Ce n’est pas demain la veille qu’on en trouvera, vu que, vous le savez, les programmes sont le fruit de compromis entre les groupes universitaires dominants qui, pendant une génération et quelquefois plus, ont le pouvoir à l’Université et répandent leurs modes et hypothèses plus ou moins fondées.

                  6- L’heure, dans le Secondaire, est encore au formalisme linguistique échevelé, venu des années 60, qui aborde le « discours » dans une sorte de bulle spéculative loin du contexte de « la relation d’information » et ses contraintes, avec une préférence pour les fantaisies de Benvéniste et ses histoires d’énonciation...

                  7- Reprenant à son compte « la théorie promotionnelle de l’information » diffusée par les médias (qu’elle a fait entrer dans un organisme mixte chargé d’ éduquer à l’information !), l’École enseigne, comme le dictionnaire, qu’une information est « un fait » et non « la représentation d’un fait ». Là est la ligne de partage des eaux entre deux théories de l’information, l’une naïve, l’autre expérimentale. L’École ignore toujours Paul Watzlawick qui vient de mourir.

                  8- J’ai tenté de contribuer à remédier à cette carence monumentale par divers ouvrages que vous trouverez dans ma biographie ci-contre. L’avant dernier d’entre eux inspire particulièrement mes articles sur AGORAVOX.

                  9- Pour ceux qui auraient peur qu’on oublie les grands Classiques, il faut les détromper. Revisités sous cet angle, les grands Classiques sont précieux. Ils ont eu tous quelquechose à dire sur l’information, même si ce n’est pas le mot qu’ils emploient à leur époque. Jean de La Fontaine, par exemple, est un maître hors pair en information, puisque son recueil de fables est une somme des diverses relations que les hommes entretiennent entre eux.

                  10- Vous connaissez sa première fable, « La Cigale et la Fourmi » ? Vous êtes vous jamais demandé : 1- pourquoi c’est cette fable qui ouvre son recueil de 250 et quelques fables et pas une autre ? ; 2- pourquoi il n’a pas repris la morale que lui offrait Ésope ? C’est tout simplement la fable qui établit le principe fondamental de « la relation d’information ». Je vous laisse le soin de le deviner. Paul VILLACH


                • ocean 6 juin 2007 01:08

                  completement dáccord avec tout ca.

                  je trouve qu,il y a en plus dans cette image et dans le texte une dimension narcissque qui nárrange rien.

                  Cocteau disait que « les miroirs feraient bien de reflechir avant de renvoyer certaines images », ca sáppliquerait assez bien aussi aux publicitaires !


                  • clairette 6 juin 2007 15:51

                    @ l’auteur,

                    Bonjour Paul,

                    Quel régal, une fois de plus, de lire vos commentaires qui « décortiquent » cette pub ! Même si j’ai la même approche ou réaction que vous, je ne saurais pas si bien l’expliquer et l’exprimer.

                    C’est pourquoi j’apprécie la manière que vous avez de nous exposer votre analyse tout en finesse, mélange d’érudition et d’humour ! On ne s’ennuie pas un brin tout en étant « tiré vers le haut » ! et ça c’est la cerise sur le gâteau !

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès