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Accueil du site > Tribune Libre > Paterfamilias, libérez-moi de mon joug

Paterfamilias, libérez-moi de mon joug

Il est des moments où il faut se souvenir que les mots ont un sens. A défaut, on en oublierait que le sens des mots peuvent présenter des maux à ceux qui les entendent. Comme nombre d’entre vous, j’ai écouté jeudi soir le discours du président de la République, Nicolas Sarkozy diffusé sur France 2 et TF1. Nombre de choses ont été dites là-dessus. C’est notre rôle à nous citoyens de « commenter » puisque nous ne sommes pas élus. C’est notre seul moyen d’action. Aussi, je voudrai commenter ici devant vous l’usage d’un terme qui a surpris mes oreilles. Le terme de « pécule ». Celui-ci a été employé au sujet de l’objectif fixé par le chef de l’Etat de favoriser les départs au sein de la fonction publique. En soi, je ne souhaite pas commenter l’objectif lui-même, mais uniquement revenir sur le sens du terme « pécule » et comprendre pourquoi ce terme spécifique a été employé par le chef de l’Etat ou son entourage puis repris par les médias eux-mêmes pour désigner un outil de management dont la finalité n’est autre que pour le plus grand employeur français - je désigne l’Etat français et ses collectivités - d’amorcer un plan social puisqu’il s’agit bien de cela.

A la question de Poivre d’Arvor au président de la République sur la crainte de « réactions » de la part des agents publics, Nicolas Sarkozy a eu le mérite du discours de la franchise. Rien ne doit être tabou. Puisque rien n’est tabou, il m’est apparu nécessaire d’approfondir la définition du terme « pécule » dont je redis avoir été surpris de son emploi dans le contexte évoqué.

En tant qu’agent hospitalier, et ayant eu à côtoyer le milieu carcéral, le terme de « pécule » évoquait pour moi quelque chose de précis à savoir cette petite somme d’agent qui est octroyée aux personnes qui sont en détention en rétribution de certaines tâches ou travaux, ou bien aux pensionnaires de maisons de retraite voire d’établissements psychiatriques permettant ce faisant de leur compléter un revenu souvent modeste, bien souvent pour leur permettre d’acheter un paquet de gauloises pour ces messieurs ou quelques friandises pour ces dames. Je me suis souvenu que ce terme de « pécule » pouvait également désigner une solde de militaire. Mais je dois reconnaître que n’étant pas linguiste, je ne savais pas clairement si mes références étaient justes ou renvoyaient à un usage « non admis ».

En réalité ce terme de « pécule » renvoyait pour moi à un souvenir attaché à mon premier poste. A l’époque, j’avais découvert qu’un des pensionnaires de la maison de retraite touchait régulièrement ce « pécule » moyennant l’accomplissement de « petits » services dont je finis par comprendre qu’ils étaient en un sens « essentiels » aux bons rouages du fonctionnement de notre institution. Ce monsieur assurait de fait des fonctions de coursier au sein des services, ou entre notre institution et les autres administrations situées en ville. Il n’était donc pas rare de le voir aller et venir avec un gros cartable dont on mesurait certains jours le poids à la courbure de l’échine de ce vieux monsieur. Il faut préciser que cette somme qui lui était versée restait relativement symbolique, là où un agent de l’institution m’aurait « réclamé » salaire et indemnités, et ce, à juste titre (dois-je vous préciser que j’étais alors DRH et que j’ai eu souci à appliquer la réglementation et à éviter de crisper inutilement les relations sociales). La situation de ce monsieur, travaillant en réalité pour l’établissement, mais dont la compensation financière ne pouvait prétendre à d’autre désignation que celle de « pécule », m’avait interrogé. Mais je finis par comprendre que l’essentiel pour ce monsieur n’était pas tant le montant de la somme qui lui était versé, mais le fait que les fonctions qui lui étaient confiées revêtaient une certaine importance et responsabilité (je ne vous détaille pas le contenu du cartable, mais vous aurez compris qu’il ne s’agissait pas de transporter des cacahouètes), situation qui donnait à ce monsieur un statut tout particulier. Et la période la plus probante à cet égard était lorsqu’il partait « en vacances » dans sa famille qu’il voyait peu car éloignée. Dès lors qu’il était absent, chacun s’apercevait que ce petit monsieur « manquait » et qu’il fallait bien pallier à son absence par un agent « dûment » rémunéré. Je pris conscience que l’important pour lui comme pour nous était son rôle social qui créait qui plus est symboliquement du lien entre chacun.

C’est au souvenir de ce monsieur que je réalisais que je n’avais qu’une appréhension « pragmatique » du terme « pécule », et à l’entendre et à le lire au sujet de la réforme de la fonction publique, je me devais de combler cette lacune.

Aussi, je me permettrai de vous citer intégralement la définition que j’emprunte au portail lexical (cf. lien en fin d’article).

PÉCULE, subst. masc.


A. −ANTIQ. ROMAINE. Économies en argent faites par une personne dépendant du paterfamilias, notamment par un esclave, qui pouvait s’en servir pour le rachat de sa liberté. Le client (...) n’a même pas la propriété des objets mobiliers, de son argent, de son pécule. (...) le patron peut lui reprendre tout cela, pour payer ses propres dettes ou sa rançon (Fustel de Coul., Cité antique, 1864, p.333).


B. −P. anal.


1. Somme d’argent généralement peu importante, et économisée petit à petit. Léger, modeste, modique pécule ; se constituer, se faire un petit pécule ; toucher à, disposer de son pécule. Elle cousait, brodait et faisait quelques travaux d’écriture (...). Ces travaux étaient mal rémunérés ; mais le peu qu’elle en tirait constituait un petit pécule (Arland, Ordre, 1929, p. 418). Depuis de nombreuses années (...) des ouvriers agricoles portugais se rendent au Brésil pour y travailler quelques mois et rentrent au pays après avoir amassé un petit pécule (M. Benoist, Pettier, Transp. mar., 1961, p.117) :

« Puis il partit [Ravaillac] n’ayant pour tout viatique que le pauvre pécule économisé sur l’argent qu’il recevait de ses élèves, et ces misérables vers qu’il emportait avec lui. » Tharaud, Trag. de Ravaillac, 1913, p. 46.


− P. métaph. Un de nos bons élèves (...) qui pendant vingt années suspendu aux lèvres de ses professeurs a fini par se composer une espèce de petit pécule intellectuel (Claudel, Soulier, 1929, 3e journée, 2, p.781).


2. En partic.


a) Somme d’argent, capital acquis par le travail d’une personne en dépendance d’autrui, mais dont elle ne peut disposer que dans certaines conditions. Pécule d’un aliéné interné ; toucher son pécule ; pécule de base, complémentaire (Bleand. 1976).


− Spécialement


‣DR. PÉNAL. , Partie de la rémunération d’un délinquant détenu qui lui est remise au moment de sa libération (Jur. 1981). Pécule de réserve, pécule disponible d’un détenu. Sa mère n’était venue que pour la dépouiller de son misérable petit pécule de prison (E. de Goncourt, Élisa, 1877, p. 221).
P. anal. La plupart des captifs auront retrouvé la patrie. Accueillis, le mieux possible, dans des centres hospitaliers, dotés d’un pécule, démobilisés, ils reprennent leur place dans le pays privé de tout (...)

(De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 244).


‣DR. CIVIL et ADMIN., Réserve pécuniaire constituée, sur le produit de son travail et ses économies, au profit d’un enfant mineur, plus spécialement d’un pupille, par celui qui est légalement chargé de sa garde et de son éducation (Cap. 1936). Les établissements hébergeant des mineurs de plus de 14 ans, en état de travailler, doivent leur constituer un fonds de pécule au double titre de récompense et d’encouragement pour leur conduite et leur travail (Les Instit. soc. de la France, Paris, t.1, 1955, p.139).


b) ADMIN. MILIT., Somme versée, au moment de leur libération, aux hommes de troupe engagés, rengagés ou commissionnés, qui, quittant l’armée sans avoir droit à une retraite, remplissent certaines conditions fixées par la loi (Lar. encyclop.). Tout militaire engagé, rengagé ou commissionné sous le régime de la présente loi, a droit de recevoir, au moment de sa libération, un pécule d’une valeur de 5 000 à 12 500 F, selon la durée de ses services ininterrompus (J.O., Loi rel. recrut. arm., 1928, art. 80, p. 3 822).


Prononc. et Orth. : [pekyl]. Ac. 1694, 1718 : pecule ; dep. 1740 : pé- Étymol. et Hist. [1273 « bétail » (Abraham Ibn Ezra, Traité d’astrol., 34b, éd. R. Lecy et F. Cantera, p.80)] 1. XIIIe. antiq. romaine (Digestes, ms. Montpellier 47, fo 190c ds Gdf. Compl.) ; 2. 1611 « ce qu’une personne, dans la dépendance d’autrui, acquiert par son économie » (Cotgr.) ; spéc. 1877 « somme remise à un détenu » (E. de Goncourt, loc. cit.). Empr. au lat. peculium « petit bien amassé par l’esclave » d’où « argent amassé ». Fréq. abs. littér. : 34. Bbg. Chautard Vie étrange Argot 1931, p. 529. _Hasselrot 20e. 1972, p. 85.

Étymol. et Hist. [1273 « bétail » (Abraham Ibn Ezra, Traité d’astrol., 34b, éd. R. Lecy et F. Cantera, p. 80)] 1. XIIIe. antiq. romaine (Digestes, ms. Montpellier 47, fo 190c ds Gdf. Compl.) ; 2. 1611 « ce qu’une personne, dans la dépendance d’autrui, acquiert par son économie » (Cotgr.) ; spéc. 1877 « somme remise à un détenu » (E. de Goncourt, loc. cit.). Empr. au lat. peculium « petit bien amassé par l’esclave » d’où « argent amassé ».

Enfin, le terme « pécule » renvoie à certains autres dont on peut dire qu’ils en sont à un titre ou à un autre synonymes tout en marquant par un effet miroir la spécificité du mot « pécule » : épargne, magot, bas de laine, indemnité, économie, argent.

(Source : Portail lexical - CNRTL)

Je ne voudrai tirer aucune conclusion hâtive de ces définitions du terme « pécule » quant à la considération du président de la République vis-à-vis des fonctionnaires, mais il apparaît clairement qu’en usant sciemment et consciemment du mot « pécule » a bien voulu signifier aux fonctionnaires quel était le montant du prix de leur liberté : 18 mois de salaire.

D’aucuns me diront - à juste titre - que cette somme est déjà conséquente et qu’ils s’en satisferaient bien facilement sans rechigner. Et ils auraient raison. Mais à ceux-là, je ne leur jette pas la pierre. Car très certainement ils font partie de ces personnes qui ont eu la désagréable surprise courant du mois d’août ou du mois de septembre d’être appelées au téléphone par leur « correspondant » de l’ANPE qui venaient vers eux pour leur signifier que le contrat CAE [ndlr, contrat d’accompagnement à l’emploi] dont ils avaient « bénéficié » depuis le mois de mars 2007 [la date a son importance] ne serait pas renouvelé à son échéance du mois d’octobre au bout des six mois. En résumé, ils ont appris par téléphone leur licenciement pur et simple, et ce dans le plus grand silence de chacun : responsables politiques, syndicats, salariés en poste sans parler des employeurs eux-mêmes dont on peut seulement dire qu’ils partagent avec les personnes concernées l’effet de surprise puisque l’ANPE n’a pris la précaution de prévenir personne. Motif de cette rupture unilatérale de contrat ? Restrictions budgétaires... ! En tant que chef de service, j’en ai déjà reçu plusieurs qui sont venus vers moi pour savoir quoi faire. Je dois reconnaître qu’il m’a été difficile de les regarder dans les yeux quand, face à leurs questions, ils comprenaient que les recrutements de CAE qui ont eu lieu en masse avant les élections dans les différentes administrations n’avaient qu’un objectif « masquer » les chiffres du chômage dans une période opportune. Aujourd’hui, les priorités sont ailleurs, le train de vie de l’Etat doit être réduit rapidement sous peine de représailles de nos partenaires européens. En avez-vous entendu parler par les médias, par les responsables politiques de gauche, par les syndicats ? Aucunement ! Alors, oui... ceux-là qui aujourd’hui vont se retrouver sans le sou, ils auraient bien droit de réclamer leur « pécule ».

Mais au final, ce qui me rassure c’est que le mot « pécule » s’oppose à d’autres termes : consommation, dilapidation, débours, dépense, dissipation, frais, gaspillage, prodigalité. Autant de références qui me font comprendre que Nicolas Sarkozy veut bien rendre la liberté aux fonctionnaires, mais sans en avoir payer le prix. Une amie me disait ce matin qu’une entreprise privée du secteur attribuait trente mois de salaire pour obtenir le départ volontaire de ses salariés. Alors, Monsieur le président de la République puisque vous avez tant de bonnes relations parmi d’imminents chefs d’entreprises, demandez-leur de vous fournir le petit manuel du plan social réussi la prochaine fois que vous serez sur un de leur bateau ou dans un de leur appartement [ça doit bien traîner quelque part dans les placards ou même dans les toilettes - il n’y pas d’heures pour travailler dans le privé, pas vrai ?]. Croyez-moi ça marche, mais il faut savoir y mettre le prix.

Pas sûr, Paterfamilias, que votre « pécule » motive beaucoup de monde au point de vouloir se libérer de votre joug !


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1 réactions à cet article    


  • Marc P 24 septembre 2007 19:02

    Bonjour Citoyen,

    En effet, des mots qu’on utilise ou récupère sans en connaître le ou les sens précis ni les connotations...

    Cela me fait penser au terme « prolétaire » dont la signification 1ère et étymologique, fait frémir tant elle les a enfermés (les prolétaires) dans la condition qu’on sait... (qui consomme toute la richesse qu’il produit excepté celle qu’il laisse à la société : sa progéniture). Combien de mensonges dans un seul mot pour justifier, légitimer, et pérenniser un certain capitalisme qui a broyé tant de vie...

    (le terme pronétaire me dérange et ne me paraît pas heureux à cause de ce qu’il évoque en creux de ce fait...)

    Encore une histoire de paterfamilias qui méritérait un papier...

    Cordialement.

    Marc P

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