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Le XV de France en 2007, affaire déclassée : l’individu et la société

Le divorce de Nicolas et Sarkozy, affaire privée ou affaire publique et même affaire d’Etat ? La presse, répondant aux souci émotionnel et voyeur d’une catégorie de population lisant plutôt Paris-Match que Courrier international, a joué son rôle de diffuseur de nouvelles et de détails sur ce fait divers dont certains, dont un facteur de Neuilly, se tapent. Pendant ce temps, le monde tourne, le Pakistan inquiète, comme la Turquie, Georges Bush aussi, l’économie faiblit et le rugby s’achève avec une prestation française qu’on dira moyenne. Quelques-uns ont tiré un enseignement des trois défaites des Bleus, de la tactique employée par Bernard Laporte, secrétaire d’Etat accueilli avec une bienveillance toute présidentielle. J’ai trouvé une analyse intéressante sur le blog de Nice rugby, un billet qui mérite d’être commenté.

D’après les auteurs, la défaite de la France ne tient pas à la faiblesse des joueurs, loin s’en faut, mais à l’absence d’esprit collectif. Et c’est ainsi que s’expliquent les deux dernières défaites, contre une Angleterre qu’on disait en perte de vitesse et contre une Argentine que la fédération internationale ne reconnaît pas à sa juste valeur mais qui n’était pas pressentie pour finir sur le podium. Inversement, cet esprit de groupe, ce jeu d’une équipe fonctionnant comme une grande famille unie, c’est ce qui a permis à l’Angleterre et l’Argentine de l’emporter, et s’agissant des Pumas, de fort belle manière avec cinq essais et une excellente prestation dans les phases de jeu. Thierry Gilardi ne s’y est pas trompé, soulignant cette rage collective de vaincre imprimant à l’équipe d’Argentine un ressort puissant la portant vers la victoire. La personnalisation de quelques joueurs ne doit pas faire oublier que le rugby est un sport collectif, sans doute plus que d’autres classés dans cette même catégorie. Il ne suffit pas d’additionner 15 super techniciens du ballon ovale. Encore faut-il que les phases de jeux se déploient tel un ballet parfaitement synchronisé. Ainsi se font les défaites et les victoires. La partie est finie, n’en parlons plus et n’en faisons pas une affaire !

Mais si, enquêtons sur cet événement sportif pour ce qu’il renseigne sur le cours de la société française ont décrété Paul-Henri Safayan et Julien Schramm pour qui les choix de Laporte et l’attitude des joueurs français en dit long sur un individualisme régnant et notamment celui de Laporte, autoritaire, compétent, mais aussi boulimique, avide de réussite, dont l’horizon aurait été de se servir du rugby pour parvenir à ses fins, au lieu de servir le rugby. Pareillement pour quelques membres du staff et bien des joueurs français pour qui une sélection nationale vaut médaille et consécration, au lieu d’être un honneur et un devoir de participer à de belles épreuves. Ces joueurs qui, prenant image sur leur coach, auraient inconsciemment décroché de l’esprit collectif pour s’atteler à leur réussite personnelle. Enfin, l’individualisme latent de Laporte, ne l’avons-nous pas saisi tout récemment, alors qu’il déclarait subordonner sa fonction de secrétaire d’Etat au plaisir qu’il en tire, et de se tirer si le poste devient ennuyeux ou pénible ? Les deux auteurs font également un lien avec l’amitié reliant l’entraîneur du XV de France et président Sarkozy, celui-ci voyant en Laporte une sorte de double ayant réussi à gravir les échelons, parti de rien et arrivé très tôt au sommet du rugby (et dans les affaires aussi) à un âge où la plupart des cadres sont encore dans les jupes du patron. Nicolas Sarkozy aime les gens qui réussissent et il en est, de ceux qui parviennent au faîte d’un dessein ascensionnel, comme Vincent Boloré et bien d’autres. Et c’est cet individualisme qui semble gagner la France, suscitant des envies et des comportements adéquats, pouvant parfois passer, à juste raison, comme autocrate. Sarkozy n’a pas inventé l’individualisme, il a juste surfé sur la vague qu’il contribue à maintenir, voire à amplifier.

En aparté, il n’aura pas échappé à l’observateur philosophe une contradiction dans le « schéma présidentiel ». D’un côté, une exhortation de la jeunesse à ne pas reculer devant le sacrifice, avec comme symbole la lettre de Guy Môquet et de l’autre, un Laporte déclarant, l’année des JO de Pékin et du nouvel élan français, si je m’emmerde avec mon Cabinet, je me tire. Quel bel exemple de sacrifice. Coluche dirait que face au sacrifice, certains sont plus égaux que les autres. Un lecteur approximatif d’Arendt verrait dans cette différence de traitement un signe de totalitarisme. Mais il faut garder raison. Il n’y a rien d’illégal dans ces pratiques. Disons pour faire simple que la morale et les devoirs ne sont pas les mêmes selon que l’on soit en haut ou en bas de l’échelle. De plus, on peut penser que la déclaration de Laporte n’a pas forcément plu à son pote président. Affaire jaugée, sans surprise.

Le collectif du rugby est certainement en résonance avec une conjecture universelle, celle du rapport entre l’individu et la société. Deux tendances minent une société, l’individualisme parce qu’il conduit à faire de la société un champ indifférencié ou l’intérêt public est laissé de côté. Certes, des réussites personnelles éclatantes sont possibles, mais au détriment d’une unité sociale. Au final, l’individualisme joue contre l’individu car il est impossible de progresser s’il n’y a pas de partenaires pour œuvrer dans les aventures personnelles. A l’inverse, le collectivisme, cette plaie idéologique dont peine à se défaire la gauche, met chaque individu à égalité en méconnaissant l’importance des qualités personnelles. A la fin, le système collectif devient déresponsabilisant. Au lieu de porter l’ensemble, les individus finissent par se laisser porter par le système. Ainsi, tout ensemble d’individus, famille, entreprise, équipe, association, collectivité locale, nation, doit savoir doser la place de la personne et celle du groupe. Et chaque dosage dépend de l’ensemble. Un collectif de rugby ne se détermine pas comme une entreprise ou une nation. Ni comme une université où pour innover, il faut laisser le champ libre aux personnalités, voire aux ego, alors que pour enseigner et faire de cette même université une gagnante, il faut un esprit collectif. Il n’y a aucune recette universelle, mais quelques principes généraux.

Depuis que l’homme s’est intéressé au rapport rationnel entre l’homme et la cité, autrement dit, quand il a commencé à philosopher en Grèce (voir dans ce propos une facétieuse provocation européocentriste), la tension autant que la complémentarité entre l’individu et le collectif ont été explicitées. A l’époque moderne, Kant parle d’insociable sociabilité pour désigner la condition humaine. Rien n’a vraiment changé, sauf en complexité et en matière de gouvernance. Ainsi que sur le plan des valeurs et des horizons. Si l’on en croit la mouvance au pouvoir, la croissance est un objectif qui nécessite l’investissement des individus dans le travail. Il n’est pas certain que l’individualisme mis en avant par Sarkozy puisse faire réussir la France. Ainsi signifia Laporte.

Sans doute, quelque allégorie à suggérer. Les rugbymen français s’en iront jouer dans les clubs et faire fortune, comme Laporte au gouvernement et Jo Maso dans les instances internationales. Le schème des réussites individuelles semble prisé de Sarkozy. Les individualités vont réussir et seront récompensées, dans le privé et le public. Ainsi se dessine un nouvel âge pour la France, celui du darwinisme social, pétri de contradictions comme le furent les âges précédents. Qu’est-ce ce darwinisme social ? C’est une sorte d’état d’esprit consistant à reconnaître le talent des individus dans leur aptitude à œuvrer dans un monde complexe, à avancer en mobilisant des moyens personnels articulés à d’autres dispositifs qui sont eux aussi, assuré par des personnes aptes à œuvrer et exercer un savoir-faire accompli. Cette conjecture est complexe dans ses rouages, mais simple dans son principe. Consistant à mettre en avant les qualités personnelles dans la réalisation des œuvres. La solution à cette énigme n’existe pas. Le conflit entre individu et société est universel, sur terre, il faut faire avec, ainsi le dernier terme sera qu’il n’y a pas de solutions à cette conjecture, que le rugby en a livré une illustration magique et que la tension entre l’individu et le collectif reste au niveau politique un sujet d’oppositions et de conflits, comme d’ailleurs bien des conflits en d’autres domaines. Croire en une société sans tension est une illusion. Résoudre les tensions est une bonne intention.

A travers l’épopée du XV de France, j’ai essayé de faire transparaître une conjecture. Une démarche tirée par les cheveux diront les uns. Il est question de réussites personnelles et de dispositif collectif. De société et d’individu. D’une tendance où la part de l’investissement personnel et du support collectif n’est pas clairement établie, ce qui au final, suscite une forme de « darwinisme social » et une dévotion (dans la sphère médiatique), une déférence (dans le monde des notables) vis-à-vis de gens qui ne le méritent pas toujours, avec en surcroît les avantages financiers. Bref, je viens de faire un exercice de morale qui me ressemble un peu, mais que je n’apprécie guère. Et cette affaire est déclassée, bien évidemment. Car le débat continue !


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2 réactions à cet article    


  • Philippakos Philippakos 23 octobre 2007 10:25

    Article qui touche à l’essentiel : l’individu et le collectif. Il semble que l’individu ait un désir incontestable et virulent de se promouvoir et que ce soit le rôle d’une société de le juguler en lui donnant ses limites qui sont celles de la nuisance pour le groupe. Un gouvernement qui valorise l’individu ne peut que compenser en promouvant les valeurs collectives, (la nation (lettre de Guy Môquet), le sport etc....). Reste à savoir si l’individu est forcément en opposition avec le collectif ? Y-a-til forcément « contradiction » ? Le collectif n’est-il pas formé d’individus ? N’y a-t-il pas coexistence forcée et interaction indispensable ?

    Où les sociétés évoluent c’est effectivement dans la glorification de l’ego qui était combattu et même condamné jusqu’à présent (Narcissisme). C’est-à-dire en reconnaissant que le « succès » passe davantage par l’unité que par le nombre on dévalorise les vertus du groupe. Une façon, peut-être de rassurer le citoyen sur son identité bien malmenée en lui prétendant que tout est toujours possible pour lui seul. Une évolution qui oblige à renforcer le contrôle étatique de l’activité personnelle au risque de voir les sociétés dégénérer en jungles où tous les coups seraient permis. C’est ce qui arriva à la Russie de Elstine dans son enthousiasme pour l’économie de marché et qui fut un désastre économique et humain. Donc, développement de l’individu implique rôle accru de l’Etat, réglateur des ego surdimensionnés mais opposé à la notion de « liberté » (là est peut-être davantage la contradiction). Est-ce le chemin que nous prenons ? Rien n’est moins sûr.


    • Sahtellil Sahtellil 28 mai 2008 08:33

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