Moïse a-t-il, oui ou non, existé ?
Jusqu’au XVIIIe siècle, il allait de soi que Moïse était l’auteur des cinq premiers livres de la Bible : Pentateuque pour les Grecs, Torah pour les Juifs. Pour les trois grandes religions monothéistes - judaïsme, christianisme et islam - il en était, avec Abraham, le personnage principal. C’est à partir du XIXe siècle, avec l’apparition de l’exégèse historico-critique, que des savants émirent des doutes puis se persuadèrent que ces livres avaient été rédigés par des auteurs plus récents, et cela, à partir de sources différentes qui auraient traversé les siècles avant de leur parvenir.
Au nom de la logique et de la raison, les chercheurs biblistes scrutèrent la moindre anomalie, firent les rapprochements les plus risqués avec des documents égyptiens et mésopotamiens et, comme cela se produit malheureusement parfois en matière de recherche, ils firent des hypothèses de plus en plus argumentées jusqu’à écrire : « Jusqu’à la fin du règne de Saül, on pense généralement que les Hébreux... vivaient dans une atmosphère de civilisation uniquement orale... Cette composition de la Bible qui s’étale sur plus d’un millénaire entre la formation des traditions, leur fixation, leur réunion, et leur ordonnancement successifs, a fait l’objet d’innombrables études... » (La Bible de Pierre de Beaumont, Fayard-Mame, Nihil obstat, 1981).
Ma thèse est la suivante : au nom de la logique et de la raison, il m’est impossible de croire que les textes du Pentateuque aient été écrits à partir d’un recueil de traditions anciennes qui se seraient transmises oralement de générations en générations sur plusieurs siècles. Pour moi, il va de soi que Moïse est l’auteur des cinq premiers livres de la Bible.
Les Chroniques de Salomon disent que le roi commença à bâtir la maison de Yahwé le second mois de la quatrième année de son règne (2Chr 3,2) c’est-à-dire vers l’an 965 avant J.-C. et le Livre des rois (1Rs 6,1) précise qu’au moment où fut édifié ce temple, il y avait 480 ans que les fils d’Israël étaient sortis d’Egypte. On pouvait en déduire la date de la sortie d’Egypte (965 + 480) : 1445 av. J.-C.
Bien que d’accord sur ce simple calcul, les biblistes estimèrent que la Bible se trompait et que l’exode ne pouvait avoir eu lieu qu’au XIIIe siècle, deux siècles plus tard. Et tout suivit : la conquête du pays de Canaan par Josué, la continuation de la conquête au temps des juges, tout cela, au XIIIe siècle au lieu du XVe comme l’indique la Bible.
Après l’exégèse historico-critique, c’est l’archéologie dite scientifique qui entra en jeu. Comme on dit : « La science avance, on n’arrête pas le progrès. » On porta une attention toute particulière aux vestiges du XIIIe siècle. Il fallut se rendre à l’évidence. L’examen des vestiges de cette époque ne confirmait ni l’exode ni la conquête, et pour cause. Allant encore plus loin que les biblistes, les archéologues en conclurent que ces événements n’avaient tout simplement pas eu lieu comme le décrit la Bible, que les textes qui les relataient étaient "le brillant produit de l’imagination humaine", qu’ils avaient été écrits sous forme d’épopée au VIIe siècle avant J.-C., au temps du roi Josias, en s’inspirant d’histoires locales anciennes et de légendes (La Bible dévoilée, éditions Bayard puis Gallimard). Moïse n’était plus qu’un héros inventé, un mythe.
On n’a pas cru la Bible, on a eu tort. Les textes du Pentateuque fourmillent de détails tous plus crédibles les uns que les autres. Il s’y trouve une telle logique dans le déroulement des événements qu’il est impensable qu’ils ne se soient pas passé comme cela est dit. Il est facile de le prouver. Il suffit de les expliquer par le raisonnement militaire en se mettant dans le cerveau de l’extraordinaire chef de guerre, de cet étonnant conquérant que fut Moïse.
Comme je l’ai proposé dans mon article du 12 janvier, Moïse n’était pas un individu, mais un conseil de prêtres, un conseil de chefs. Cela n’a rien d’extraordinaire. Prêtres d’Osiris en Egypte, ces hommes de haute culture étaient parfaitement instruits et expérimentés dans ce qu’on a appelé plus tard l’action psychologique et l’art du commandement. Savamment entretenue, la crainte de Dieu aidait au maintien de la discipline.
Loin d’être une troupe "de gueux dépenaillés", le peuple de Moïse était articulé en unités constituées avec des chefs nommément désignés et responsables. Avec le recensement, les hommes en état de porter les armes ne pouvaient échapper à leurs devoirs (Nomb 1, 2-3).
Les camps se montaient dans un ordre précis. Tribu privilégiée, donc fidèle, les lévites se trouvaient au centre, à l’image d’une garde impériale. Chargés du culte, leur mission était de garder la tente du sanctuaire, les objets précieux et, évidemment, le trésor de guerre. Le profane qui s’approchait de trop près risquait la mort (Nomb 1, 48-51).
Dans ce système extrêmement autoritaire, socialement et militairement organisé, le haut commandement n’était jamais, ni fautif ni coupable. Quand cela se passait mal, il n’était donné qu’une explication : c’est Yahvé qui punissait à cause du peuple qui avait fauté.
Au mont Sinaï, Moïse a donné ses premières lois. Le plus étonnant aurait été qu’il ne les donnât pas. Il les complétera sur le mont Nebo, au pays de Moab, avant que Josué franchisse le Jourdain. En outre, il y dressa le plan de la conquête du pays de Canaan avec une compétence et un sens stratégique qui ne peuvent s’expliquer que parce que ces hommes connaissaient déjà géographiquement la région pour en avoir été instruits lorsqu’ils étaient en Egypte.
C’est une discipline de fer que Moïse a imposée à son peuple, avec tout un système de règles, de contraintes et de cérémonies qui le maintenait fermement "dans le moule". Josué, son successeur, maintiendra encore les "valeurs" de Moïse. Puis, on devine le relâchement. Les scribes n’ont plus la même instruction. Les textes n’ont plus la même force.
Prêtres d’Osiris comme je l’ai expliqué dans mon article du 12 janvier, d’origine égyptienne pour certains, d’origine sémite pour les autres, Moïse avait très certainement emporté avec lui les textes écrits concernant le pays qu’il voulait conquérir. Avant de se lancer dans une opération de conquête, c’est ce que fait tout chef digne de ce nom. Colonie sémite dans un pays de Sumer à l’avant-garde de l’écrit, Abraham, son prédécesseur, connaissait forcément l’écriture. Connaissant l’écriture, il pouvait écrire son histoire. Moïse a repris cette histoire pour s’y inscrire dans son prolongement. Il n’y a apporté que quelques corrections mineures. Abraham ne connaissait que le dieu El, Yahvé n’étant venu qu’ensuite. Moïse a fait la correction en remplaçant El par Yahvé (sauf dans quelques passages où la correction a été oubliée, volontairement ou non). Dans le texte abrahamique, Dieu dit au patriarche : « Je te donnerai ce pays, à toi et à ta descendance, depuis le torrent d’Egypte jusqu’au fleuve Euphrate, mais seulement dans quatre cents ans ; car toi, Abraham, tu vas mourir ici. Ensuite, ton peuple sera asservi et accablé pendant ces quatre cents ans par le pays d’Egypte. Mais lorsque j’aurai jugé et puni cette nation, alors ta descendance à la quatrième génération retrouvera sa liberté. Elle emportera avec elle de grands biens, et elle reviendra ici pour reprendre possession de son héritage (Gn 15, 13-16). » De toute évidence, ce passage a été rajouté par les scribes de Moïse.
Et puis, il y a les passages difficiles qu’il faut interpréter : les dix plaies d’Egypte, les 600 000 hommes recensés de l’exode dont beaucoup n’ont manifestement suivi qu’après la première vague (Deut 25, 17-18), les cailles et la manne qui sont en réalité des prélèvements fiscaux en nature, la bataille de Rephidim où Moïse élève les deux bras pour invoquer le Seigneur, le bras gauche et le bras droit que soutiennent Aaron d’un côté et Hour, c’est-à-dire les alliés Hourites, de l’autre. Il s’agit-là d’une étonnante image qui évoque une ligne de bataille déployée avec son aile gauche, son aile droite et son élément de commandement au centre (Ex 17, 11- 13).
Voilà quelques exemples qui montrent comment je conçois l’examen critique des textes. En comparaison, refuser à Moïse la paternité du Deutéronome à cause de sa conclusion "Il ne s’est plus levé en Israël de prophète comme Moïse" me paraît loin d’être justifié (Deut 34, 10). De même l’affirmation qu’une terre nommée "Ramsès" ne pouvait avoir été appelée ainsi qu’au temps du pharaon qui porta ce nom et non au XVe siècle ; et pourtant, cette terre est citée ainsi une fois au temps de Jacob (Gn 47, 11) et trois fois au temps de Moïse (Ex 1, 11 ; 12, 37 ; Nomb 33, 3-5). Et puis, il y a toutes ces discussions qui portent sur des différences de style et d’écriture qu’on essaie d’expliquer de différentes manières en oubliant tout simplement que Moïse n’avait pas qu’un scribe, mais des scribes. Ces trois exemples montrent combien les arguments des exégètes sont fragiles.
Il en est de même pour les interprétations archéologiques. Dans leur opération de conquête, les troupes de Josué occupaient les villes, ne laissant survivre personne ou soumettant à la corvée les populations locales (Deut 20, 16-17 ; Jug 1, 1- 36). Pour avoir vécu si longtemps en Egypte, leurs poteries et autres vestiges qui auraient pu marquer leur passage ne pouvaient être que de facture égyptienne. Cela explique pourquoi les archéologues ne peuvent pas faire, en ce qui concerne les vestiges du XVe siècle, la distinction entre ce qui revient aux Egyptiens d’Egypte et ce qui revient à leurs anciens assujettis. Quant aux vestiges du XIIIe siècle, mis au jour sur les hautes terres de Judée, de nature différente et en dehors des villes, ils donnent l’image d’une colonisation tranquille, certainement pas celle d’une conquête brutale (la Bible dévoilée, foliohistoire, page 171). C’est une grave erreur d’y voir l’acte de naissance du peuple d’Israël.
Le Pentateuque offre de nombreux indices qui prouvent qu’il n’a pu être écrit qu’à l’époque de Moïse. Jeter l’anathème sur tout un ensemble de peuples (Deut 7, 1) n’est guère plausible au temps de Josias. En revanche, au temps de Moïse, lorsqu’il est prescrit au peuple de considérer l’Edomite comme son frère (Deut 23, 8-9), cela s’explique par les quarante ans durant lesquels Edom ou Esaü l’a hébergé lors de son séjour dans le désert (il y aurait beaucoup à dire sur le sens que les scribes hébreux donnent au mot "désert"). Quand il lui est demandé de respecter l’Egyptien (Deut 23, 8-9), c’est probablement pour que Josué puisse compter sur l’administration égyptienne en place pour rétablir en Cannaan un ordre que le pharaon ne maîtrise plus.
Mais le plus grave, dans ce malentendu, serait de rayer, comme cela, d’un trait de plume, cet extraordinaire témoignage sur l’Homme et la société humaine que l’antiquité nous donne, à un moment important de son histoire. Car il y a une réalité de l’Histoire et une logique d’évolution. Les belles histoires saintes trop bien illustrées que nos pères nous offraient en cadeau à l’occasion des fêtes de Noël nous montraient un Moïse inspiré, paré des plus belles vertus, magnifique exemple de pureté pour les enfants que nous étions. La vérité est bien différente. Au XVe siècle avant Jésus-Christ, Moïse interdisait la pitié (Deut 7, 2) et ordonnait à ses sujets de "dévorer" les peuplades qu’il voulait déposséder (Deut 7, 16). Cela est écrit dans un paragraphe de mon excellente Bible d’Osty ainsi titré : "L’élection divine et ses bienfaits".
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