Autopsie d’une œuvre littéraire
Au lycée, on apprend à faire l’autopsie d’une œuvre littéraire. Quelle aberration !
Le programme de français de seconde comporte l’analyse d’un texte littéraire. Cet enseignement existe depuis longtemps, mais la méthode est devenue si compliquée qu’elle décourage les meilleurs élèves, et ne parlons pas des autres...
Prenons un exemple. On donne aux élèves un texte de deux pages en leur demandant le travail suivant :
A. Étude de l’énonciation. On parle de focalisation interne et externe pour désigner ce que sait le narrateur. On parle de narrateur homodiégétique (récit à la première personne) par opposition au narrateur hétérodiégétique (récit à la troisième personne). Quand il est question de poésie, on ne parle pas de narrateur, mais de locuteur.
B. Étude de la structure. On demande comment le texte a été découpé, quelle est son unité, s’il fait allusion à des textes codifiés. En poésie, on parle du caractère incantatoire de la parole.
C. Étude sémantique. On demande de relever et d’analyser les champs lexicaux et sémantiques et leur distribution dans le texte.
D. Étude grammaticale. On demande d’analyser la répartition des pronoms et des dominantes pronominales, les temps des verbes, leur aspect accompli, inaccompli, duratif, itératif, singulatif. On demande d’identifier le patron syntaxique des phrases
E. Étude rhétorique. On demande de repérer les figures de style significatives dans le texte. Les figures à connaître sont la métaphore, le symbole, la métonymie, la synecdote, la litote et l’euphémisme, sans oublier l’hyperbole, le chiasme et l’anaphore.
F. Étude de l’intertextualité. On demande si le texte est écrit sur un modèle connu, tel que la réécriture, le pastiche, la parodie ou la satire.
Ouf !
Passons sur les mots savants que la plupart des élèves n’apprendront pas, et que les meilleurs élèves oublieront dès qu’ils auront passé le bac. Ce qui me préoccupe, c’est que cette méthode les dégoûte définitivement de la lecture.
Même à 15 ans, on peut aimer lire Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant, Mauriac, Malraux... Mais celui qui aime la littérature ne décortique pas le texte. Les professeurs de français sont obligés en quelque sorte de jouer le rôle du médecin légiste qui, devant ses élèves, autopsie le cerveau de Maupassant.
Maupassant, d’ailleurs, aurait été bien étonné si on lui avait dit que ses romans seraient un jour décortiqués par des professeurs de lycée. Je crois que, comme tous les grands écrivains, il écrivait d’instinct en se conformant à un minimum de règles.
Et puis une dernière remarque : Décortiquer un texte, à quoi ça sert ? Ce n’est sûrement pas pour former des écrivains, encore moins pour aider les élèves à réfléchir de manière intelligente. L’essentiel d’un roman ou d’une poésie échappe à toute analyse : c’est le génie de l’auteur. Sinon tout le monde pourrait écrire aussi bien que Maupassant.
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