Une année de blogues et d’articles

Il y a un an, j’ai créé deux blogues [1], conçus comme des ateliers de travail de (et autour de) la pensée d’Hannah Arendt. Confronté à une actualité et une œuvre foisonnantes je poursuivais alors un double objectif. Tester la pertinence de l’éclairage de la pensée d’Hannah Arendt. Nous aide-t-elle à comprendre ce que nous faisons dans un monde enserré dans le double carcan de la raison économique et de la pensée binaire ? Approcher une œuvre réputée difficile et complexe, image accentuée en France par des traductions parfois mauvaises et une publication par morceaux et sans véritable logique.

Le recul est maintenant suffisant pour tirer les premiers enseignements de cette recherche et tracer des axes de travail pour 2008. J’ai testé plusieurs approches globales pour entrer dans l’œuvre d’Hannah Arendt. Approches écrites ou traduites en français : une introduction globale à l’oeuvre, une approche par le vocabulaire, plusieurs biographies. Approches publiées en anglais et non traduites : préfaces des dernières éditions de The Human Condition, et On Revolution, et une réinterprétation de la pensée politique d’Hannah Arendt. J’en ai tiré des premiers repères de lecture et j’ai traduit la préface de la dernière édition de The Human Condition.

Ø Article : « Lire Hannah Arendt : quelques repères »

Ø Article : « Hannah Arendt et la Condition humaine »

J’ai publié sur mes blogues deux schémas d’approche globale de la pensée d’Arendt. Le premier à partir de mes lectures en français, le second à partir du plan de travail adopté par Margaret Canovan pour réinterpréter la pensée politique d’Hannah Arendt.

Au-delà de l’approche théorique et souvent trop statique des philosophes, de l’approche psychologisante et parfois trop anecdotique des biographes, je m’appuierai en priorité en 2008 sur l’approche dynamique et structurée des penseurs politiques, plus fidèles à la posture revendiquée par Hannah Arendt : écrivain et non philosophe politique. L’objectif sera de rendre explicite les « fils de pensée » (trains of thougth) qui constituent la trame solide et cohérente d’une œuvre toujours actuelle. Six fils conducteurs de réflexion sont ainsi identifiés par Margaret Canovan : la modernité, le social, la libération du processus vital, la nécessité de repenser la politique, la tension entre philosophie et politique, la tension entre morale et politique. J’ai aussi testé plusieurs approches volontairement plus ciblées de la pensée d’Arendt. Par la lecture d’ouvrages ayant adopté un angle ou un thème d’exploration (l’action, les distinctions ternaires...). Par l’étude directe de ses œuvres. Par des exercices de lecture de l’actualité à l’aide de ses principaux concepts. J’ai publié sur le blogue Comprendre, agir et penser avec Hannah Arendt de courts articles présentant les concepts créés et développés par Arendt et les risques liés à leur confusion. Totalitarisme, vie active, travail, action, morale, politique, pouvoir domination, jugement ont été abordés.

En 2008 je testerai l’approche de la pensée d’Hannah Arendt proposée par Christian Delmas. Face aux excès de la pensée binaire, Hannah Arendt oppose une pensée trinitaire (« trois-en-un ») qui remet en jeu ce que la binarité rejette ou minore : la pluralité. Un événement est toujours obtenu après cristallisation de trois éléments. L’actualité m’a fourni la matière pour des exercices de pensée mettant en œuvre des concepts arendtiens. Ces exercices se sont concrétisés par l’écriture de quatre articles publiés sur trois sites d’information participatifs.

1. La distinction faite par Arendt entre œuvre et action et son insistance sur les dangers de la confusion entre faire et agir m’ont permis de décrypter comment le politique avait été tué par le gestionnaire en m’appuyant sur l’expérience (1997-2007) de Tony Blair au Royaume-Uni.

Ø Article : « Blair, Brown et le New Labour ou la mort du politique » En 2008 cette distinction sera particulièrement utile pour évaluer les responsables et partis politiques. Au-delà des discours, sauront-ils prendre les risques de l’action et non se réfugier, comme la pensée unique les pousse en Europe et dans le monde, dans le confort douillet et mortifère de la gestion.

2. La distinction faite par Arendt entre trois modalités dans la vie active (travail, œuvre et action) permet de sortir de la pensée binaire pour poser la question de la retraite et plus largement du sens d’une vie limitée à la seule dimension du travail sous ses deux formes complémentaires de la production et de la consommation.

Ø Article : « Retraite, travail, activité au-delà de la pensée binaire » En 2008, quarante ans après mai 1968 et sa mise en cause violente de la société de consommation, le thème du sens de la vie et du travail reste complètement d’actualité. Il semble même que la pensée ait régressé sur ce point ! Cinquante ans après sa publication, les apports de The Human Condition, improprement traduit en La Condition de l’homme moderne sont indispensables pour éclairer ce que nous faisons et devenons.

3. L’analyse par Arendt des éléments ayant cristallisé dans les deux totalitarismes ainsi que de la nature des régimes totalitaires, m’a amené à me poser la question des risques de voir émerger en Europe un troisième totalitarisme. La construction européenne menée sous le règne sans partage de l’idéologie de la concurrence de tous par tous conduit à rendre superflus de plus en plus d’hommes et de femmes et peut, à juste titre, susciter l’inquiétude sur un continent responsable des horreurs sans précédent connues au XX^e siècle.

Ø Article : « L’Europe et la concurrence, des risques de totalitarisme ? » En 2008, avec le passage en force du traité dit simplifié, cette analyse mérite d’être poursuivie et approfondie d’autant plus que manifestement elle dérange si j’en juge, par exemple, par le refus d’Agoravox de publier mes articles sur ce thème.

4. Un thème juste abordé par un court billet en 2007. Celui de l’apport et des risques de l’action dans des domaines comme la recherche et l’entreprise qui sont, par nature pour le premier, et du fait de la concurrence généralisée pour le second, soumis à une incertitude croissante.

Ø Billet : « Recherche, action et oeuvre » La recherche tend à être de plus en plus encadrée par des processus de gestion, au risque de tuer l’invention alors que certains salariés dans la finance voient leur autonomie et leur possibilité d’action s’accroître pour générer des gains de plus en plus élevés mais au risques de pertes catastrophiques. Arendt nous a bien alertés aussi bien sur les apports de l’action que sur ses risques.

5. Dans son analyse du totalitarisme, Arendt a montré que sous ces régimes, mais aussi plus largement dans les sociétés de masse, des êtres humains, « devenus superflus », étaient confrontés à l’expérience ultime et terrifiante de la désolation, c’est-à-dire à la perte de la relation non seulement avec les autres mais aussi avec soi-même.

Ø Article : « Retrouver le sens et le chemin du vivre ensemble » Le fil conducteur pour 2008 sera de travailler l’importance cruciale de l’existence d’un monde commun et durable. Monde commun, qui bien au-delà des simples approches écologiques, protège les êtres humains de la violence des processus naturels et leur offre un espace public d’apparition et d’action.

Enfin, j’ai fait appel en 2007 à plusieurs apports complémentaires à Hannah Arendt. Jean-François Billeter pour sa description du passage « De la relation marchande à la raison économique ». Jean-Pierre Dupuy pour ses réflexions sur comment « Penser la catastrophe »et l’impact de l’imitation généralisée sur le marché (« Imitation, technique et marché »). Enfin François Jullien pour son approche de l’action à partir de la Chine («  Amorcer et désamorcer »).

En 2008 j’approfondirai l’analyse faite par des auteurs comme Christian Laval et par la revue Mouvements du néolibéralisme européen dont l’inspiration vient de l’école allemande de l’ordolibéralisme née de la crise de 1929. J’ai en 2007 découvert les sites d’information dits « participatifs » ou « citoyens » (Cent Papiers, Agoravox, Esprits libres). Les dix articles mentionnés ci-dessus y ont été publiés ainsi qu’un « Billet d’humeur sur la grève contre la réforme des régimes spéciaux » et une « Réflexion d’un citoyen sur le journalisme citoyen ».

En 2008 je continuerai à contribuer à ces sites mais plus dans un souci de nourrir la réflexion que d’augmenter une information déjà surabondante et dont le traitement reste le point faible. Je tiens à la disposition de tous ceux qui m’en feront la demande un fichier pdf rassemblant l’ensemble des articles publiés en 2007 sur mes deux blogues.