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Accueil du site > Tribune Libre > Ishmael Beah : le bien et la vérité

Ishmael Beah : le bien et la vérité

Révéler la vérité est-il dommageable pour le bien ? L’un et l’autre sont-ils compatibles ? Dans un monde où s’entrechoquent la liberté d’expression et la raison d’Etat, les grandes faillites et les aussi grands mystères, l’axe du mal et les mouvements de libération, tout est blanc ou noir. Les différents niveaux de gris n’ont plus vraiment leur place dans notre société, même si, parfois, on le regrette.


Ishmael Beah est né en 1980 au Sierra Leone. Enfant soldat pendant la guerre civile qui a ravagé le pays, il a vécu des atrocités et y a participé activement, de janvier 1993 à janvier 1996. Il y a perdu ses parents, ses deux frères ainsi que nombre de ses amis d’enfance.

C’est cette vie de réfugié et de tueur abruti par la drogue qu’il raconte dans son livre-témoignage, Le Chemin parcouru.

Un parcours exemplaire

Réfugié aux Etats-Unis depuis 1998, il est aujourd’hui âgé de 27 ans et l’expérience qu’il a vécue et décrite lui vaut d’avoir été nommé « ambassadeur défenseur des enfants affectés par la guerre » par l’Unicef, cette même organisation à qui il doit en partie son retour à une vie normale.

Parcourant le monde, il se partage désormais entre la promotion de son livre (dont 650 000 exemplaires ont déjà été vendus aux Etats-Unis) et les conférences qu’il donne au profit des enfants soldats, dans le cadre de son partenariat avec l’Unicef.

A en juger par les réactions des lecteurs de son livre, ce jeune homme ouvre sûrement la voie à une prise de conscience réelle du monde face aux sévices qu’endurent les enfants soldats.

Ann Veneman, la directrice générale de l’Unicef en parle en ces termes : « Ishmael Beah s’exprime au nom des jeunes du monde entier dont l’enfance a été marquée par la violence, les privations et autres violations de leurs droits. Il est un éloquent symbole d’espoir pour les jeunes victimes de la violence, ainsi que pour tous ceux qui œuvrent à la démobilisation et à la réinsertion des enfants pris dans les conflits armés ».


Il est un exemple pour ces jeunes, et pour les adultes du monde qui ne croient plus en rien.

Trous de mémoire ?

Pourtant, d’après The Australian, un quotidien australien, tout n’est pas aussi clair dans l’histoire d’Ishmael Beah.

Après une enquête au Sierra Leone, et citant des témoins adultes survivants des événements, le journal a mis au jour des différences notables de date entre les témoignages et l’histoire qu’Ishmael Beah raconte dans son livre. Vous pouvez retrouver l’article ici (en anglais).
D’après l’enquête, l’attaque des troupes rebelles sur son village et sa région natale n’aurait eu lieu qu’en 1995 (et non pas 1993). Ishmael Beah n’aurait par conséquent pas pu passer plus de trois mois comme enfant soldat dans les rangs de l’armée gouvernementale, au lieu de deux ans comme il l’affirme dans son livre.

De plus, le journal cite l’ancien instituteur d’Ishmael qui affirme que l’enfant se trouvait à son école tout au long de 1993 et 1994.

Le jeune auteur et son éditeur ont fait savoir qu’ils démentaient formellement les allégations de The Australian par un communiqué de presse, le 22 janvier dernier.

Mais le quotidien australien ne s’arrête pas là.
Un passage du livre de Beah dit qu’après son placement par l’Unicef dans un camp officiel de Freetown, en 1996, les enfants soldats présents s’entretuèrent à l’aide d’armes prises sur leurs gardes adultes. Ce combat aurait fait six morts et de nombreux blessés.

Et le quotidien de citer les représentants locaux de l’Unicef et du HCR (Haut Commissariat aux réfugiés), les correspondants de l’AFP et de Reuters présents à l’époque, pour lesquels un incident de ce type dans une structure contrôlée par des organisations internationales ne peut pas avoir eu lieu sans laisser de traces, même de simples rumeurs. (L’article ici)

Question ouverte...

Quelle que soit la suite de cette « affaire », elle aura sûrement des répercutions sur Ishmael Beah et ses occupations actuelles.
A tout le moins, elle engendrera le doute sur sa légitimité et son honnêteté.

Si le choix nous était donné, que ferions-nous ?

  • Comme je l’ai lu sur certains blog anglo-saxons, pencher pour un vaste complot de News Corp., groupe propriétaire de The Australian, pour déstabiliser un auteur issu d’un pays du tiers-monde ?
  • En prétendant que trois mois sont tout à fait égaux à deux ans, affirmer que seul ce que Ishmael Beah fait aujourd’hui est important ?
  • Nous révolter et classer Ishmael Beah dans la même catégorie que Nadia Khouri ou James Frey, celle des menteurs ?
  • Ou, comme The Australian, mettre en cause l’éditeur plus que l’auteur, car il n’a pas vérifié la fiabilité des informations publiées avant la mise en circulation ?

Quel que soit notre choix, quel que soit notre champion, nous devons nous poser la question essentielle, celle qui fait vivre un site comme Agoravox et qui donne un sens au concept de liberté d’expression :

Qu’est-ce qui est le plus important pour vivre libre ? Le Bien ou la Vérité ?


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2 réactions à cet article    


  • geko 6 février 2008 14:20

    Lorsque le gris n’est plus discernable le blanc et le noir deviennent rassurants ! En tout état de cause le Bien devrait ressortir de la Vérité !


    • Entropiste 8 février 2008 01:39

      Pour répondre à cess interrogations, il est d’abord nécessaire de s’interroger sur les définitions à donner à ces termes de vérité et de bien.

      Ce sont des notions extrèmement polémiques, qui gravitent dans l’esprit du journaliste comme du scientifique, du philosophe, de l’historien ou du géographe.

      Ces questions se posent-elles en ces termes ?Nous pourrions aussi observer le comportement des différents acteurs de cette histoire : l’auteur, l’UNICEF, les journaux et nous. Comment cet homme a pu faire une telle erreur dans ses propos, et quel intérêt trouve-t-il à mentir ? etc.

      Par ailleurs, l’espoir selon lequel le-bien-ressort-de-la-vérité anime tout scientifique ou journaliste est criticable et engendre des ’problèmes’. L’un fini par ’croire’ en un bienfait, voire un progrès, qui découlerait de ses recherches et l’autre se met en situation de perpétuelle remise en question de sa pensée, et donc d’immobilité en terme d’actes. Deux extrèmes qui se résument par l’opposition science sociale/ science dure.

      La recherche de la vérité (et non la vérité, il faut nuancer) n’abouti pas nécessairement sur le bien, si tenté qu’il existe. Elle doit s’accompagner de conviction et d’empathie.

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