Le travail flexible est-il bon pour les entreprises ?
Quatre syndicats, à l’exception de la CGT, ont signé le mois dernier avec le Medef un accord visant à rendre le travail plus flexible. Ils ont signé sous la contrainte : François Fillon avait prévenu que si la négociation n’aboutissait pas à un accord avec au moins trois syndicats, il ferait voter une loi imposant un contrat de travail unique.
Le Medef a déclaré le lendemain : « Si ce projet est validé et transposé en droit, il clôt une époque et il ouvre une ère nouvelle pour les relations sociales et pour l’économie en France : il invente la flexisécurité française. Grâce à cet accord, on diminuerait pour les entreprises le risque à l’embauche et, pour les salariés, le risque d’être mis à l’écart du marché du travail. » L’organisation patronale soutient une fois de plus l’idée que si les entreprises peuvent licencier à leur guise, le chômage sera guéri. C’est un discours qu’elle tient depuis trente ans.
La CGT au contraire a expliqué que ce projet, s’il était adopté, « marquerait un recul important du Code du travail ». Pour résumer, il allongerait les périodes d’essai, favoriserait la séparation à l’amiable et légaliserait le contrat à objet défini. On comprend bien que ces trois mesures pourraient augmenter l’insécurité des salariés, mais elles n’ébranleraient pas les deux piliers du Code du travail : le CDI et le CDD.
Il s’agirait, selon le Medef, de protéger les chefs d’entreprise contre l’insécurité juridique que représentent les procédures devant les conseils des prud’hommes, d’où en particulier l’exigence d’un plafonnement des indemnités accordées par le tribunal en cas de licenciement abusif. Curieuse demande d’une organisation qui se plaît à exalter le goût du risque.
Le but de cet article n’est pas de prendre la défense des salariés pour des raisons partisanes ou par idéalisme. Il n’est pas non plus de critiquer l’attitude des patrons. Il est de montrer que le nouveau Code du travail qui semble se dessiner sous la pression du gouvernement risque de réduire encore un peu plus la compétitivité des entreprises, même s’il ne change pas fondamentalement les dispositions actuelles.
La flexibilité n’est pas la même pour tous
Dans une grande entreprise, tous les directeurs qui ont connu le problème du transfert de personnes d’un établissement à un autre vous diront que la flexibilité des salariés est une bonne chose. Mais un salarié qui démissionne parce qu’il ne veut pas être envoyé dans une contrée lointaine vous dira le contraire. Il existe en effet plusieurs sortes de flexibilités. Le mot peut vouloir dire, selon les cas :
1. l’aptitude d’un salarié à changer de travail dans une même entreprise ;
2. la mobilité géographique d’un salarié dans une même entreprise ;
3. la facilité pour un salarié de changer d’entreprise ;
4. la facilité pour une entreprise de se défaire d’un salarié.
Les deux premiers cas concernent uniquement les grandes entreprises, où la mobilité interne est de règle en raison du nombre de métiers et d’établissements. Une telle conception de la flexibilité présente de nombreux avantages, autant pour le salarié que pour l’entreprise, notamment si le salarié est sous CDI.
Les deux autres cas concernent toutes les entreprises, grandes et petites. C’est la mobilité externe, une autre conception de la flexibilité. Elle rime souvent avec précarité car le salarié qui sort d’un CDD, même quand il a la chance de ne pas rester trop longtemps au chômage, va souvent retrouver un CDD dans une autre entreprise. En outre, le sentiment de précarité entretenu chez le salarié permet à l’employeur de mieux faire pression sur le salaire. Je voudrais montrer ici que non seulement le salarié est perdant, mais aussi que l’entreprise est perdante.
Pourquoi la compétitivité est en danger
La compétitivité d’une entreprise, c’est sa capacité de mettre en vente des produits meilleurs et moins chers que ceux de la concurrence. La seule question qu’il faut poser est donc : que doit faire une entreprise pour être compétitive ?
La qualité et le prix de revient d’un produit dépendent de nombreux facteurs : de l’innovation, de l’organisation, des méthodes, des matières premières, des machines... et des hommes. Dans cet ensemble tout se tient. La défaillance d’un seul facteur peut provoquer un échec. Les Japonais ont bien compris l’importance du facteur humain quand ils ont créé les cercles de qualité. Dans les entreprises japonaises, tous les salariés participent à l’amélioration de la qualité et à la réduction du prix de revient. Ils ont donc un rôle important dans la poursuite de la compétitivité.
L’importance du facteur humain dans la bonne marche d’une entreprise fait que la précarité, conséquence de la mobilité externe, est un obstacle à la compétitivité. Il est clair en effet qu’un salarié ne peut participer aux efforts d’amélioration que dans la mesure de son intégration dans l’entreprise, et que son intégration est impossible avec un travail précaire. Il faut toujours un certain temps pour qu’un nouveau salarié connaisse la maison, pour qu’il s’adapte à ses collègues et à ses chefs. Et puis comment pourrait-il s’investir dans la durée alors qu’il risque de partir au bout de quelques mois ?
Un autre inconvénient du travail précaire est l’impossibilité de se concentrer totalement sur ce qu’on fait. Un salarié en situation précaire est assailli de soucis, par exemple quand il veut louer un appartement ou obtenir un crédit auprès d’une banque. Le pire est qu’il ne voit pas comment il va se construire un avenir stable. C’est un problème pour le salarié, mais je répète que c’est aussi un problème pour l’entreprise, car dans ces conditions le salarié ne peut pas donner le meilleur de lui-même.
Comment sauver la compétitivité
Le contrat flexible que le gouvernement nous prépare semble surtout destiné aux patrons qui ne voient leur entreprise qu’à travers des indicateurs financiers. Ils sont si contents de faire des bénéfices à la petite semaine qu’ils ne comprennent pas que les économies obtenues en rognant sur la masse salariale sont en train de ruiner leur entreprise. Ils croient peut-être que la compétitivité va leur tomber du ciel.
Tous les patrons n’ont pas la vue aussi courte. La plupart d’entre eux sont assez avisés pour savoir où se trouvent les facteurs de compétitivité dans leurs entreprises. Si la nouvelle législation leur permet de choisir un type de contrat de travail favorable à l’amélioration de la compétitivité, ils continueront certainement à donner la préférence au CDI.
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