Eléments de sarkologie : sarkonnades et sarkonneries

Voilà un dialogue qu’aurait volontiers signé Michel Audiard, pour un film intitulé « les cons cons flingueurs », en précisant que deux cons ça ose tout et c’est à ça qu’on les reconnaît. Cet échange, cette prise de bec eut lieu entre un anonyme visiteur du Salon de l’agriculture et le président Sarkozy. La vidéo de cet événement fut mise en ligne par Le Parisien et dimanche 24 février à midi, déjà 350 000 visites, sans compter Dailymotion et autres lieux où l’on peut visionner ce petit clip dont l’audience dépassera certainement celle d’un documentaire en prime time sur Arte. Voilà, après l’affaire du SMS, un banal fait divers dont le retentissement médiatique sera considérable, faisant sans doute perdre un ou deux points supplémentaires à Sarkozy. Nous voilà loin des mœurs civilisées de la société de cour sous le grand Louis, analysée par Nobert Elias qui y voyait un signe de maîtrise de soi et de civilisation. Les temps ont changé et notre président d’inaugurer une rupture et de plaider pour une politique de civilisation, mais dont le « casse-toi alors pauvre con » serait plutôt un signe de décivilisation.

Cet épisode est devenu habituel dans notre vie publique. L’invective, l’insulte, les provocations verbales sont presque banales, comme cet échange musclé entre un marin breton et toujours le même président. A ceux qui n’ont pas de mémoire, on rappellera un fait divers rue Sainte-Catherine à Bordeaux, une dame la quarantaine criant au passage d’Alain Juppé alors Premier ministre, mort aux cons ! Et Alain de répliquer en prenant prétexte pour écrire un livre intitulé Entre nous, paru aux éditions Nil en 1996. Un signe de hauteur selon L’Humanité. On retrouve là une réaction d’un certain style, celui de l’ère graphosphérique dirait Régis Debray, alors que l’événement en ce Salon de l’agriculture est du style vidéosphérique. Simple et direct comme une réplique d’Audiard insérée dans une série d’épisodes médiatiques dont on se sait pas quand sera joué la prochaine saynète, et c’est ce qui en fait le charme de l’inattendu, pas comme dans Plus belle la vie où tout est prévisible chaque soir sur France 3.

A l’instar du théologien qui étudie Dieu, le sarkologien tente de fournir une théorie du président Sarkozy. Alors que le théologien emploie des mots précis, trinité, spiration, kénose, le sarkologien forge lui aussi un vocabulaire savant pour désigner de manière générique des événements produits par Sarkozy, spontanément ou bien en milieu social déterminé. L’échange verbal de ce samedi 23 février est défini comme une « sarkonnerie ». Dans le langage du Midi où est tourné Plus belle la vie, on dirait que c’est une cagade. Cela fait rigoler, grincer, mais c’est sans réelle conséquence pour les décisions politiques essentielles. Une autre sarkonnade, moins médiatisée, concerne la demande de classement au patrimoine mondial de l’Unesco de la gastronomie française. On ne sait pas qui a conseillé le président, mais on mentionnera qu’une telle demande ne peut pas aboutir, car ce patrimoine est constitué de sites géographiques et/ou architecturaux. Sarkozy ne manque pas d’air, faisant preuve de narcissisme patriotique en affirmant haut et fort que notre cuisine est la meilleure du monde, du moins pour nous Français. Soyons-en sûrs, les membres éminents de l’Unesco vont satisfaire ce caprice présidentiel. La journaliste du JT de la une a affirmé qu’en effet, cette demande devrait aboutir. La sarkonnade serait-elle contagieuse ? A ce compte-là, nous aurons bientôt inscrit au patrimoine mondial le jean américain, le lego danois, les pâtes italiennes, l’espadrille basque, la meilleure au monde et gageons que, si Ségolène Royal devient présidente, elle demandera le classement de la charentaise du Poitou au patrimoine mondial !

Autant on peut s’amuser des sarkonnades, en sirotant un pastaga sur le Vieux-Port de Marseille ou dans les dîners en ville près de Saint-Germain rive gauche, autant une sarkonnerie mérite d’être prise au sérieux car elle peut avoir des conséquences graves sur la société. Alors qu’une sarkonnade fait le bonheur des sites internet, des Dailymotion, une sarkonnerie fait réagir des spécialistes et des professionnels concernés. Ce fut le cas des parents d’élèves, instituteurs, pédopsychiatres et intellectuels, suite aux mesures préconisées pour implanter la mémoire de la Shoah dans la conscience des écoliers. Pareillement pour la question des ressources publicitaires de la télé publique ayant valu la plus grande grève de l’audiovisuel depuis des lustres. Et récemment, troisième affaire, aux multiples aspects, concernant l’enfermement à vie de quelques individus jugés dangereux et irrécupérables par la justice. Un texte lourd de conséquences qui a fait réagir un Badinter y décelant une période sombre pour la justice. C’est en effet une véritable rupture dans le principe du droit qui reconnaît que la justice est instituée pour que le condamné purge sa peine puis redevienne un justiciable comme les autres, or, avec cette loi, un individu sera, après sa peine, enfermé pour des délits qu’il pourrait commettre. Certes, il ne faut pas sous-estimer les risques de récidive, mais, au nom d’un principe de précaution, une loi vient d’être édictée qui, dans l’esprit des citoyens, ancre l’idée qu’un homme soit par essence classé comme relevant d’un autre traitement et donc privé de son statut d’humanité garanti par la Déclaration universelle. Il y a un esprit des lois comme le dit Montesquieu, mais aussi des lois qui modifient l’esprit d’une société. On aurait aimé avoir l’avis d’un Pierre Legendre, penseur aussi éminent que méconnu du grand public. Mais la loi est votée et ce qui fait débat, c’est cette saisine surprise de la Cour de cassation pour réfléchir à une manière de contourner l’avis du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité. De quoi inquiéter les juristes.

Sarkonnades, sarkonneries, au citoyen de voir et de penser. Cette leçon de sarkologie, ni la première ni la dernière, est terminée, à bientôt !

Deux jours ont passé, la vidéo a été regardée 3 millions de fois, une audience à la M6. La leçon à retenir c’est que les sarkonnades constituent un écran de fumée, tout en donnant le champ libre à tous les moralisateurs de France qui vont gloser et juger une prise de bec en fin de compte, assez anodine, traduisant un certain style présidentiel. La mauvaise fois est de mise. Ce matin, Roger Karoutchi évoque une provocation d’un visiteur du salon prononçant cette phrase, touche-moi pas, tu me salis. C’est foncièrement inexact. Entre le « touche-moi pas » et le « tu me salis », il y a eu le « casse-toi » de Sarkozy. Un sarkologien, comme un théologien, se doit de ne pas altérer l’écrit sinon son exégèse n’a aucune valeur. Pour le reste, on verra un autre signe de la désinvolture du président dans une interpellation de la chancelière allemande, lorsqu’il lance un « hey Angela » bien familier. Voilà une sarkonnade derrière laquelle se dessinent quelques sarkonneries en matière de politique européenne. Notamment cette propension de Sarkozy à tout décider, ramener à lui, ce qui en agace pas mal et notamment la dirigeante de l’autre moteur européen, l’Allemagne. Autre sarkonnade récente, la félicitation adressée aux diacres traditionnalistes récemment ordonnés à Latran, mais, cette fois, la sarkonnade pourrait bien avoir été soulevée par une presse qui n’est pas innocente et se plaît à traquer les écarts de Sarkozy. Car cette lettre est une missive automatique émanant des services de l’Elysée et, d’ailleurs, le président lui-même n’était pas au courant. Sarkozy est déjà lourd de ses sarkonnades, inutile d’en rajouter, surtout que cela nuit à la clarté médiatique, détournant les Français des problèmes plus sérieux.

Nous pouvons nous demander maintenant si le style révélant l’homme, les sarkonnades sont liées au sarkonneries faisant de l’ensemble une caractéristique complète et cohérente du président.