Municipales : l’échec cuisant de la droite décomplexée
Les élections municipales sont-elles des élections locales ou nationales ? Vaste question, dont on devine immédiatement, spontanément, que la réponse va donner lieu à un concerto mal orchestré pour pipeaux politicards et langues de bois, et qu’on aurait mieux fait de ne pas poser la question. On aurait ainsi épargné aux Français l’énième palinodie stylistique du président de la République, qui n’a bien évidemment jamais, ô grand jamais, déclaré qu’il comptait faire de ce scrutin municipal une sorte de référendum sur sa politique nationale, de même qu’on leur aurait évité les commentaires humoristiques de François Fillon, selon lequel le résultat ne saurait faire l’objet d’aucune espèce de lecture nationale, tout en considérant que l’élection dès le premier tour d’une poignée de ministres constitue un vote de confiance en faveur du gouvernement. L’intelligence des Français est déjà bien assez maltraitée en temps normal sans avoir besoin d’en rajouter. Au-delà de l’évidente réussite de la gauche, ce scrutin constitue, à n’en pas douter, un échec cuisant de la « droite décomplexée » voulue par Nicolas Sarkozy.
Un score historique... et minable
En effet, une chose est certaine et ne saurait souffrir la moindre contestation. Le résultat enregistré par la droite lors du premier tour de ces élections municipales, et apparemment confirmé par le second tour, est l’un des plus mauvais de toute l’histoire de la Ve République, et ce, détail fondamental, quelle que soit la configuration choisie pour définir, en termes électoraux, cette même droite. De fait, même flanqué des « renégats » du Nouveau Centre, le parti sarkozyste n’atteint que 47,5 % des suffrages exprimés, contre 49,5 % pour la gauche. Un score historiquement ridicule.
D’autant plus ridicule, en fait, qu’il jette un voile de doute sur une tendance lourde de ces vingt dernières années : la « droitisation » supposée de la société française. Amorcée avec l’essor du Front national dans les années 80, elle paraissait enrayée ou, en tous cas, stabilisée, dans la deuxième moitié des années 90, avant de s’emballer de nouveau en cette date fatidique du 21 avril 2002, expulsant de la course à l’Élysée le candidat de la gauche et propulsant du même coup Jean-Marie Le Pen au second tour. Un mouvement de fond, réel, important, qui semblait avoir atteint son paroxysme au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, où le rapport de force droite-gauche était pratiquement de 60-40.
On connaît les raisons qui ont présidé à cette vague de fond électorale : moins la « droitisation » dans son ensemble de la société française que la « gauchisation » de la gauche elle-même, cette gauche jospinienne, cette gauche bobo qui voyait la vie en rose en mettant en place les 35 heures, les Emplois jeunes et le Pacs, mais qui voyait rouge dès qu’on abordait des sujets jugés intouchables comme l’identité nationale, l’immigration et la sécurité et qui, finalement, a dû se mettre au vert, ridiculisée, après sa défaite du 21 avril 2002.
La raison profonde de l’échec de la gauche au cours de ces dix dernières années, c’était donc la totale inadéquation de sa vision du monde avec l’expérience vécue par le peuple, le primat absolu accordé à l’idéologie sur la réalité, une réalité non seulement ignorée, mais aussi méprisée, niée, voire à l’occasion vilipendée : qui a oublié l’immonde expression de « sentiment d’insécurité », déjection idéologique majeure de la gauche triomphante de l’ère jospinienne, cette gauche décomplexée qui s’échinait à voir des révolutionnaires là où le citoyen lambda ne voyait que le délinquant qui avait mis le feu à sa voiture ?
Or, à cet aveuglement entêté de la gauche sur les questions de sécurité répond aujourd’hui la surdité bornée de la droite sarkozyste sur les questions sociales, obstination grotesque matérialisée par l’idée d’une impatience des Français vis-à-vis des réformes. Et c’est peut-être là que se situe le point d’achoppement de la « droitisation ».
De de Gaulle à Sarkozy, la fin d’une époque ?
Que vient donc faire le général de Gaulle dans un article consacré aux élections municipales, vous demandez-vous ? Le lien n’est certes pas évident, pourtant il existe. Il y a quelques mois encore, appuyé ici et là par le pauvre Max Gallo, Nicolas Sarkozy tenait absolument à faire comprendre qu’il était l’héritier direct, l’hoir authentique du trône gaulliste. Las, le trône en question est un vieux fauteuil inconfortable, légèrement déglingué, dépourvu des dorures propres à séduire le président « bling-bling », amateur de grosses montres, de grosses bagouzes, de grosses voitures et de frêles chanteuses qu’on dirait sorties d’un tableau de Modigliani.
Et les résultats de ces élections municipales proclament, plus sûrement que n’importe quelle comparaison entre les deux hommes, qu’ils n’ont rien en commun. Plus encore, ils sont l’image inversée l’un de l’autre. Car, si Charles de Gaulle fut un « rebelle », un homme en opposition quasi constante avec son propre milieu, bourgeois et peu républicain, un homme qui dit « non », Nicolas Sarkozy est, quant à lui, un homme passionné, non seulement par l’argent, mais aussi par ceux qui le possèdent. Un homme qui dit « oui », et pas seulement à Carla Bruni. Oui à l’Europe ultralibérale, oui à l’atlantisme sans borne, oui à une société où seul l’argent triomphe et où l’État, au lieu de protéger les faibles contre les forts comme c’est son devoir et sa raison d’être même, prend le parti des seconds au détriment des premiers, allant jusqu’à faire de la redistribution à l’envers au travers du fameux - et fumeux - paquet fiscal. Et, si de Gaulle fut, en son temps, capable de vampiriser la gauche en captant une partie de l’électorat populaire qui lui était généralement acquis, Nicolas Sarkozy, après avoir « volé » ce même électorat passé entre-temps au Front national, semble aujourd’hui en train de le perdre.
Car que constate-t-on ? Tout simplement que la droite doit son recul électoral à la défection de ces « classes populaires » traditionnelles, qu’elle avait réussi à arracher au Front national en même temps qu’elle se réappropriait, bien légitimement, ses thèmes. Elle retrouvait ainsi la faveur et le vote des ouvriers, des employés, de tous ceux qui travaillent beaucoup pour pas grand-chose et qui se sont laissés séduire, berner, par la promesse de pouvoir gagner davantage. Ceux-là ont selon toute vraisemblance lâché Nicolas Sarkozy, et pas seulement en raison de ses frasques vulgaires et de son indécence, explication intéressante, mais peu à même d’expliquer la chute de sa cote de popularité et la victoire de la gauche aux municipales. Sans doute auraient-ils été prêts à accepter ce président si atypique pour peu que lui, au moins, tienne ses promesses à leur égard.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir si cette perte de l’électorat populaire traditionnel n’est qu’un passage à vide, une turbulence provisoire dans le « mariage » célébré en mai 2007 entre Nicolas Sarkozy et le peuple, ou bien exprime au contraire un malaise plus profond, un désamour complet qui pourrait, le cas échéant, profiter à d’autres.
Mais à qui ? Certainement pas au Front national, désormais clairement asphyxié par le refus de son propre président de lâcher la barre pour la confier à quelqu’un de plus jeune. À la gauche, alors ? Ou alors à un ensemble plus vaste, un melting pot des branches les moins extrémistes de cette gauche moins bornée, des Manuel Valls ou des Julien Dray, et du MoDem, une alliance, improbable sur le papier, entre bobos et prolos ?
Car n’oublions pas qu’à côté des « classes populaires » traditionnelles, potentiellement sensibles aux sirènes du « travailler plus pour gagner plus », se développe un prolétariat d’un nouveau genre, non seulement étudiant, mais aussi post-étudiant, un prolétariat instruit et diplômé qui aimerait déjà pouvoir, d’abord étudier en paix sans avoir à faire la corvée des « petits boulots » puis travailler sans qu’on vienne lui reprocher d’avoir fait des études. Une nouvelle caste d’exclus qu’on voit difficilement se tourner vers un président de la République et un parti politique qui les méprisent, pour ainsi dire ouvertement. La chance de la gauche ou, plus exactement, la chance de la gauche et du MoDem, c’est de pouvoir capter ce double électorat populaire, le classique et le diplômé, et de fusionner les attentes de chacun en une nouvelle dynamique, moderne, républicaine, tournée vers l’avenir et non vers le passé. Sans quoi, c’est dans le dernier livre de François Léotard qu’on lira l’avenir de ce pays, et ce, sans même avoir besoin d’aller plus loin que la couverture : « Ça va mal finir ».
Frédéric Alexandre
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