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L’Union européenne a-t-elle accouché d’une politique extérieure commune mort-née ?

Pressée par les Etats-Unis, l’Union européenne s’est hâtée de bâcler et précipiter la résolution de la question kosovare et, allant à l’encontre du droit international et des principes fondamentaux sur laquelle elle repose, a prématurément accouché d’une espèce de mutant. L’avenir déterminera le degré de malignité de cette tumeur qu’elle porte désormais en son sein.

Comme je l’ai dénoncé à l’occasion de ma première intervention sur Agoravox (L’indépendance du Kosovo pire que les Accords de Munich ?), l’Union européenne, qui s’efforce de bâtir une politique extérieure commune à la hauteur de sa puissance économique, tente, à l’image de l’Allemagne qui y réussit admirablement, de réaliser cette prouesse sur le dos des Balkans et, plus particulièrement, de la Serbie. A la différence de Berlin cependant, il est plus que probable que cette tentative soit vouée à l’échec car elle repose sur la négation de nombre des principes fondateurs de l’Union tels que le respect du droit (international en l’occurrence, mais droit tout de même), l’égalité entre les Etats ou le principe de consensus, pour n’en citer que quelques-uns.

A la base, cette négation ne fut pas tellement le fait de l’Union en tant que telle, mais davantage des Etats-Unis, que Bruxelles appela à la rescousse après que la reconnaissance en solo de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie par l’Allemagne, suivie par le Vatican dont le rôle dans le processus de démembrement de l’ex-Yougoslavie est loin d’être négligeable, eut sérieusement ébranlé la cohésion de l’Union. Inutile de dire que Washington, via le truchement d’émissaires tels que le diplomate bulldozer Richard Holbrooke, s’embarrassa peu des finesses du fonctionnement compliqué des mécanismes européens et apporta des solutions pragmatiques et à l’emporte-pièce à chacun des conflits yougoslaves. Comme l’Allemagne, les Etats-Unis tirèrent un grand profit de leur intervention dans les Balkans, qui leur permit de mettre au point toutes sortes d’aspects de leur politique extérieure contemporaine, et c’est désormais à l’Union de se débrouiller avec cet espace fait de bric et de broc et n’ayant pas résolu les questions fondamentales ayant mené à son éclatement.

Avec le dernier chapitre du Kosovo, présenté comme étant l’acte final du drame yougoslave, l’Union a non seulement fait preuve une fois de plus de suivisme de la politique américaine, mais a également activement contribué à l’indépendance de la province serbe dont elle clame désormais haut et fort la paternité. Il est intéressant de noter que l’une des fées les plus actives s’étant penchées sur le berceau de notre nouveau-né fut la Grande-Bretagne, dont tout le monde connaît le statut de poisson-pilote des Etats-Unis et l’aversion profonde envers toute notion d’Europe politique, ce qui laisse songeur quant à ses réelles motivations et son rôle de cheval de Troie dans cet aboutissement. Nous sommes en droit de nous demander dans quelle mesure la politique extérieure commune de l’Europe, et par conséquent la nôtre, n’est pas au service des intérêts américains.

Les Américains ont investi près d’un demi-milliard de dollars dans la construction de leur base militaire de Bondsteel au Kosovo et la première chose qu’ait décidé la Maison-Blanche, après avoir reconnu l’indépendance de la province, fut d’autoriser la livraison d’armes à Pristina sous le prétexte que cela contribuera à « renforcer la sécurité des Etats-Unis et promouvoir la paix mondiale », tel que l’a expliqué le président George Bush. Au-delà de la portée symbolique d’une telle mesure, présentée comme étant pratique commune quand les Etats-Unis établissent des relations avec un nouvel Etat, ceci, bien entendu, va à l’encontre de la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations unies régissant la présence internationale dans la province serbe. Celle-ci avait permis à Washington de donner a posteriori une couverture pseudo légitime, à défaut d’être légale, à sa guerre contre l’ex-Yougoslavie lancée il y a neuf ans jour pour jour. Cela apporte aussi de l’eau au moulin du Premier ministre serbe Vojislav Kostunica, qui dénonce la conversion de la province serbe en un Etat marionnette sous le contrôle de l’Otan, le tout aux frais de la princesse UE.

Réagissant à cette dernière initiative américaine, la Russie a demandé la convocation d’une réunion d’urgence du Conseil Otan-Russie qui pourrait se tenir le 28 mars. L’un des arguments fréquemment avancés par les membres de l’Union ayant poussé à la roue de l’indépendance fut que les vingt-sept ne devaient pas permettre à la Russie de dicter leur politique extérieure. Là encore nous retrouvons une forte empreinte britannique qui, à la différence de Moscou dont on ne peut nier la métamorphose, semble continuer à réagir selon les schémas qu’elle a développés pendant la guerre froide et dont les affaires à la John Le Carré sont la marque de fabrique. Cette attitude de confrontation se trouve renforcée par certains des nouveaux venus dans l’Union qui tendent à nourrir une aversion envers tout ce qui est russe en souvenir du traumatisme vécu lors de l’occupation soviétique.

Il est vrai que la Russie effectue un retour marqué sur la scène internationale et européenne, en grande partie soutenue par les copieux revenus tirés de la vente de gaz et de pétrole, et devient un partenaire économique de premier plan de l’Union. Cette nouvelle réalité ne semble cependant pas avoir été intégrée à sa juste mesure dans les calculs de Javier Solana, le Monsieur « Politique extérieure » de l’Union, qui, avec son acolyte à l’élargissement Olli Rehn, semble davantage faire office d’héraut des intérêts de Washington que de ceux de Bruxelles. A titre d’exemple, la course de vitesse engagée avec la Russie pour la construction d’un gazoduc au travers du Caucase, une zone d’influence russe traditionnelle truffée de conflits sécessionnistes semblable à celui du Kosovo, afin de réduire la dépendance européenne au gaz sibérien, implique la nécessité de s’allier aux Américains, ce qui ne fait qu’accroître les tensions et s’inscrit en faux avec le boom des liens économiques. Moscou vient de signer deux accords successifs avec la Bulgarie et la Serbie, où passera son futur gazoduc en direction de l’Italie, et ne pourra donc pas se permettre de laisser de tels intérêts à la merci des Américains.

L’Union, soucieuse de faire le ménage dans son arrière-cour balkanique, a pris sur elle d’adopter le dernier rejeton de la politique extérieure américaine sur la base d’une décision non soutenue par un nombre non négligeable de ses membres. Ceux-ci se font d’ailleurs sérieusement tordre le bras en coulisse afin d’accepter ce qui prend de plus en plus l’aspect d’un diktat, tel que le confessèrent à leur homologue serbe deux des ministres des Affaires étrangères des trois derniers pays ayant reconnu l’indépendance du Kosovo la semaine dernière, à savoir la Hongrie, la Bulgarie et la Croatie. Doutant que Zagreb ait éprouvé beaucoup de répugnance à se plier à cette exigence, on peut parier que ce sont Budapest et Sofia qui succombèrent à la pression. Ceci ne va certes pas renforcer la position de l’Union européenne qui, s’étant délibérément placée aux premières loges d’un conflit d’intérêts entre Russes et Américains, ne dispose pourtant pas des moyens de contrôler ce jeu de pouvoir qui n’est pas le sien et dont elle ne peut récolter que des mauvais coups.

Ceci sans mentionner le fait qu’elle va devoir s’appuyer sur les dirigeants kosovars, qu’il serait d’ailleurs temps d’appeler par leur vrai nom, c’est-à-dire Albanais, car il n’y a pas de nation kosovare. Ces derniers ont eu beau changer leurs frusques d’anciens terroristes, comme l’envoyé spécial américain et ambassadeur Robert Gelbard les qualifiait alors, pour le costume de représentants légitimes du peuple, ils n’en demeurent pas moins mêlés de près ou de loin à un nombre considérable de trafics en tous genres, incluant celui d’organes de Serbes kidnappés au Kosovo après l’intervention de l’Otan et passés sous le bistouri en Albanie, comme le révèle l’ancienne procureur du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie Carla del Ponte dans son livre La Chasse qui doit être publié sous peu. Tout un chacun est alors en droit de s’interroger sur le temps qu’il faudra au Kosovo pour achever de dissoudre les fameuses valeurs européennes, déjà sérieusement battues en brèche par le seul fait que l’Union ait dû violer le droit pour envoyer sa « mission de droit » EULEX, ceci au vu de l’effet particulièrement corrosif qu’il a eu sur les fameux standards que l’ONU a vainement tenté de lui inculquer avant qu’il ne soit question de parler du statut final de la province.

Là-dessus, il ne faut pas oublier les Serbes, qui ne sont pas du genre à se soumettre et à se faire une raison de l’injustice que l’on peut leur infliger. Leur histoire est émaillée de combats héroïques, comme peu de nations peuvent se targuer, contre toutes sortes de forces occupantes dont ils finirent toujours par se débarrasser, et il serait futile de croire qu’ils vont abandonner la partie sans lutter. Forts du droit qui, tel que nous le connaissons, est indubitablement de leur côté, ils n’auront de cesse de récupérer leur Jérusalem et leur combat ne manquera pas de sérieusement ébranler cette politique extérieure commune bâtie sur de véritables sables mouvants.

Pourquoi, alors, s’être précipité pour régler ce conflit en quelques mois et de façon arbitraire alors que l’on se donne du temps pour résoudre d’autres conflits similaires ? Pourquoi avoir rejeté l’offre des Serbes qui, au seul prix de la préservation symbolique de leur souveraineté sur le berceau de leur civilisation, proposent de conférer à leur province un degré d’autonomie sans équivalent dans le monde, et avoir opté pour cette indépendance plus que problématique et génératrice de tensions qui, au-delà des Balkans, ont déjà commencé à gagner d’autres régions confrontées à des conflits de même nature ? Pourquoi, enfin, avoir opté pour une solution allant, pour qui connaît un tant soit peu les Balkans et l’importance de la Serbie en leur centre, à l’encontre de toute logique géopolitique et géostratégique telle que suivie au cours des siècles dans la région ? Cette politique extérieure commune accouchée aux forceps et présentant tant de malformations congénitales, n’est a priori pas appelée à faire long feu, mais qu’en sera-t-il si ses concepteurs font preuve d’opiniâtreté et parviennent, au-delà du Kosovo, à l’imposer pour traiter des sujets comme l’Iran ?


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1 réactions à cet article    


  • PONURY 25 mars 2008 20:13

    Il faut lire bien sur "métaux".

     

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