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Accueil du site > Tribune Libre > Prométhée a de quoi se faire de la bile

Prométhée a de quoi se faire de la bile

L’écologie est une bonne chose car elle participe à l’entretien de notre relation au monde. Sa caricature, « l’écologisme », qui anime l’air du temps, échauffe par contre les esprits : le sceptique est rangé, automatiquement, du côté des ennemis de la Terre.

Face aux possibilités décelées désormais par le savoir techno-scientifique, l’enjeu provoqué par ce savoir, est sans doute l’équilibre du face-à-face entre l’homme et la nature. Il demeure vital que celle-ci conserve aux yeux de celui-là une dimension de gratuité se dérobant à la logique du fonctionnel et dont les merveilles nous rappellent à l’étonnement où sommeille tout désir authentique.

Tout cela est bien connu : la survie de l’ours polaire est devenue le gage de notre humanité. A tel point qu’il est peut-être temps d’y revenir, dans un retour critique sur ce qui s’est transformé, selon moi, en rengaine écologiste, avec ses réflexes. Avec son enthousiasme au sens de « délire sacré ». Les signes d’une Mère Nature agonisante qui nous tendrait les bras obsèdent en effet l’opinion. La consécration : un prix Nobel décerné à un homme qui nous fait son cinéma.

Aussi, en vue d’un peu plus de modération, je voudrais tenter de déloger, mettre à mal deux évidences qui participent à la rhétorique écologiste.

J’observe depuis peu qu’un consensus a lieu autour d’une matière scientifique dont les incertitudes sont encore grandes : la climatologie. Tout le monde parle de réchauffement climatique. Mais personne n’est invité à s’interroger sur le sens qu’il y a à parler de phénomène « global », lorsqu’il est question du climat. On s’imagine que celui-ci a naturellement suivi la voie de la « mondialisation » (un mot-valise). Les plus prudents parleront de « changement » climatique. Personne n’y verra de truisme : le climat, par nature, change. Et pourquoi ne se rappelle-t-on pas qu’au Xe siècle, le climat du Groenland était, en l’absence de toute civilisation industrielle, tempéré, et que les ours polaires y ont manifestement survécu ? Pourquoi n’entend-on pas plus attentivement une voix discordante comme celle de Yves Lenoir[1], chercheur à l’École nationale supérieure des mines de Paris, qui nous met en garde contre les simplifications dont use le discours dominant, alors que ce chercheur est un farouche adversaire du nucléaire ? Lenoir nous explique pourtant que la géologie fait remonter le phénomène de réchauffement (local) au XVIIIe siècle, avec des fontes de glace et un recul des glaciers, tandis que l’essentiel des rejets de CO2 liés aux activités humaines s’est produit au XXe siècle. Que l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère est une conséquence de la hausse des températures et non l’inverse. Que le principal gaz à effet de serre (à plus de 90 %) est la vapeur d’eau...

Non, visiblement, l’opinion lui préfère le catastrophisme à la Al Gore.

J’observe également que « le principe de précaution » est sur toutes les lèvres. On n’en a donc toujours pas fini avec la rhétorique de Heidegger. Le scientifique demeure, aux yeux des bienveillants, le fonctionnaire d’un réseau technique planétaire qui s’auto-entretient et s’auto-reproduit de façon compulsive. C’est la science qui fait l’homme et non l’inverse. Il faudrait ainsi, dans un sursaut éthique, se régler en toute situation sur le scénario du pire, afin qu’apparaisse la valeur de ce qui risque d’être perdu et que l’on se sente, par là, « responsable ».

Mais cette attitude découle d’un sophisme : celui de la pente glissante. On suppose, dans une vision toute romantique, que la science ne contient pas en soi ses propres correctifs, débordée qu’elle serait par son hyperpuissance (alors que la science a toujours progressé contre elle-même). Je note aussi que ledit principe ne contient pas en soi son propre correctif. Enfin, parce qu’il exige, en cas d’innovation techno-scientifique, que ceux qui l’introduisent fassent la preuve de son innocuité, il repose sur un autre sophisme. Il est en effet impossible de prouver que quelque chose (en l’occurrence, les effets pervers) n’existe pas.

Je sais que j’expose ici une version absolutiste du principe de précaution, version dont usent les radicaux de l’écologie. Mais il reste que ce principe, fût-ce sa version modérée, par son établissement même, fait du débat, une instance exogène à la communauté scientifique. (Et lorsque j’évoque la communauté scientifique, je ne parle pas de cette imposante machine qu’est le GIEC, qui réduit l’homme de science à un fonctionnaire.)

Le paradoxe terminal est alors le suivant : ceux qui accusent la démesure, l’hubris prométhéenne, de l’homme épris de science et son industrie, sont les mêmes qui, du même coup, placent dorénavant l’homme à l’origine du temps qu’il fait : rien que ça !

L’emballement écologiste s’explique, selon moi, à la croisée de deux passions tristes. D’une part, la logique du « qui gagne, perd » propre au militantisme. Depuis le début des années 70, l’écologie est devenue un thème de conférences au sommet : son intégration au « système » risque alors de l’éclipser en tant qu’objet d’un combat progressiste, anticapitaliste. Il fallait donc en rajouter, en permanence, jusqu’à verser dans le catastrophisme (les pluies acides, le trou dans la couche d’ozone et maintenant le réchauffement climatique). Ainsi, le militantisme se régale désormais d’une condamnation paniquée (« il resterait à l’humanité, en l’absence de mesures ‘‘radicales’’, quelques décennies à vivre confortablement ») et internationale de notre style de vie. C’est que, d’autre part, l’homme est un animal démocratique qui supporte mal l’angoisse d’une existence ouverte sur l’avenir, c’est-à-dire l’indéterminé. Il préférera donc s’attacher, lorsqu’il se présente, au fantasme d’un discours qui clôt son histoire en lui livrant l’explication ultime. En l’occurrence : l’homo œconomicus, programmé par la technique, devient la racine du mal. Viva la révélation ! Tout s’éclaire ; la bonne conscience, en mal d’action, a de quoi se satisfaire[2] - enfin ! libérée de l’insoutenable interrogation qui fait le poids des choses, leur horizon. Il ne reste plus qu’à éliminer l’intrus et ses sbires...

Le carnage de la Première Guerre mondiale a certainement ridiculisé l’idée même de progrès. Le mythe est mort et l’on ne cesse de se débarrasser de son cadavre. Le projet de notre savoir-faire occidental n’aura plus jamais la transparence des Lumières. Mais penser que chacun de ses pas entame son capital vital ne signifie par pour autant qu’il est voué à "l’empêtrement" de la contradiction. A notre dégrisement néo-moderne ne doit pas se substituer les enfantillages de l’affolement où se dirait la détresse de Mère Nature.

En somme, je ne plaide pas seulement ici en faveur de la raison opérante (celle qui agit avec mesure en calculant les risques). Oui, la science n’est pas neutre et comporte en soi des effets pervers. Oui, l’action de l’homme (mais avançons plutôt, avec Lenoir, des phénomènes) comme la déforestation et la désertification, amplifie les problèmes dus au climat. Mais on ne délibère pas sous le règne de la peur (« Ca va chauffer ! »). Car la question n’est peut-être pas tant l’adhésion à tel ou tel discours que la possibilité d’un débat contradictoire, sans lequel la vérité ne trouve que des fanatiques...



[1] Yves Lenoir est l’auteur, entre autres, de Climat de panique aux Editions Favre, 2001.

[2] L’action de la bonne conscience constitue l’activisme, lequel n’est pas sans rapport avec ce que la psychopathologie appelle la manie.



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10 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 27 mars 2008 10:32

    Ne pensez vous pas plutôt que les experts financiers inventent des marchés spéculatifs sur l’avenir en utilisant l’écologie comme argumentation ?

    Vendre la raréfaction des ressources c’est attirer les spéculateurs et les fonds de pension à la recherche de profits énormes et ainsi voir effectivement se créér des raréfactions de matières premières uniquement dans un but spéculatif

    Attention à l’utilisation de l’écologie comme argument des ultras de la finance spéculative car cela entraine déja en France des problèmes avec l’envolée des prix (y compris l’électricité nucléaire d’ailleurs ! )

    C’est phénomène de fonte des glaces se sont déjà produit depuis que la vie existe sur Terre et nous ne maitrisons pas la science de la création de la vie pour en savoir plus à ce jour

    D’ailleurs il semble exister aussi sur Mars,Titan,Europe.....

     

     


    • Zalka Zalka 27 mars 2008 10:57

      N’importe quoi...

      C’est bien beau de faire le caliméro et d’insister pour écouter une voix discordante. Mais le septicisme et la volonté de ne pas être d’accord avec les autres ne constitue pas une preuve que l’on a raison. Le fait est qu’un paquet de type aussi compétant (sinon plus) que Lenoir pensent que le changement climatique est une réalité due à l’action de l’homme.

      Et comment balayer vous ce fait ? En mettant comme fin en soi la survie de l’ours polaire, quand c’est en réalité l’humanité entière qui est concernée. Bref, voici que ceux qui manquent de scepticisme (selon votre commentaire) sont classés comme écologiste...


      • Francis, agnotologue JL 27 mars 2008 11:19

        Oui, n’importe quoi. Si au lieu de s’écouter parler, l’auteur s’effaçait un peu derrière son sujet, peut-être qu’on pourrait essayer de comprendre le message, si message il y a.


      • Daniel Topper 27 mars 2008 16:18

        @ Zalka

        Mon scepticisme n’a rien de rhétorique. Que faites-vous par exemple de cette pétition signée par 19,000 scientifiques mettant en doute l’origine anthropique du phénomène ?

        http://www.oism.org/pproject/

         


      • nounoue david samadhi 27 mars 2008 13:30

        car parcourir le tour du monde me semble une fabulation quand on connais les problèmes de la planète, il y a encore beaucoup à faire dans les mentalités !
        http://www.calculateurcarbone.org/
        http://www.carboneimpact.com/fr/0-calculateurCI.htm
        La flamme a été transmise au premier relayeur, pour démarrer un périple de 137.000 km à travers les cinq continents.
        allo la terre ? Mais à quoi sa sert ! on est plus au début du 20 iéme siècle !


        • léonard 28 mars 2008 09:20

           

           

          Je me suis promis de ne plus répondre à ce genre d’article traitant du réchauffement climatique et ou de notre biosphère qui tente de nous déculpabiliser ou nier l’impact négatif de l’homme sur notre environnement. Les arguments sont toujours les mêmes : c’est pas nous, c’est inéluctable, incontrôlable donc peu importe que nous détruissions notre écosystème nous ne sommes pas maître de notre devenir. Ce qui est en partie exact surtout qu’en tant que philosophe diplomé(l ’auteur de l’article) il pourrait dire :"l’avenir n’appartient pas à l’homme, encore moins lorsqu’il s’en détourne ou nie sa responsabilité" 

          . Et bien je replonge briévement pour dire à l’auteur DEA de philosophe que si le changement climatique peut procéder de plusieurs variations : cosmiques, oscillations arctiques, cycles de Milankovic, activité solaire,etc...( je renvoie l’auteur à des ouvrages de référence concernant ces phénomènes qu’il prendra soin de lire ), le consensus appuyé par des mesures et études scientifiques ne laisse aucun doute que nous avons 200 milliards de tonnes de C02 de trop dans l’atmosphère par rapport au début de l’âge interglaciaire dans laquelle nous sommes et que cela croît ; que l’effet serre suit (depuis la mise en évidence de ce phénomène par les travaux d’Arrhénius au XIX siècle) une courbe ascendante très étroitement corrélée aux taux de C02 dans l’atmosphère. Oui il y a des changements incontrôlables du climat, mais bon sang monsieur Topper accepteriez-vous de prendre en considération que nous accélérons le changement qui serait d’après vous inéluctable, et qu’au lieu de parler de milliers d’années nécessaire au changement climatique qui périodiquement fait passer d’une période glaciaire à interglaciaire, et vice versa notre planète, ils(oui ils constatent - les scientifiques spécialisés en climatologie - à travers toutes les études) que la rapidité des changements est un phénomène nouveau qui ne peut s’expliquer à lui seul par soleil, oscillations, gravité, pivotements, axe, orbite , etc.... sauf par le réchauffement de l’atmosphère provoqué par l’activité humaine( gaz a effet de serre, pollution en aérosols, réflexion moins importante du rayonnement solaire...... ETC ENCORE UNE FOIS). 

           Je ne réponds même pas à l’argument avancé et toujours brandi par les anti-responsables du réchauffement de la biophère concernant le petit âge de glace(non pas au XVIII comme le dit l’auteur mal informé ou peu méticuleux dans la manipulation des informations mais entre le XIV et le XIX siècle) et du réchauffement médiéval. Non, l’auteur n’a qu’a fouillé la littérature scientifique ou lire de Fred Pearce " Points de rupture" suffisamment vulgarisé pour que même un philosophe versé dans le scientisme puisse comprendre les mécanismes mis en oeuvre.

          Mais s’il vous plaît monsieur l’auteur ne nous prenez pas pour des cons et des médiocres. Votre article le laisse penser.

           léonard

           


          • Daniel Topper 28 mars 2008 10:10

            La virulence des anti-sceptiques a toujours constitué pour moi le symptôme d’une raison mal assurée, refoulant le plaisir de la haine, inspiré par ce nouveau prophétisme qui ne veut pas dire son nom. Je me souviens qu’au début des années 70, l’hystérie à la mode tournait autour du refroidissement global...


          • gany 28 mars 2008 09:39

            Et Claude Allègre, c’est un con ?


            • alceste 28 mars 2008 09:50

              Daniel Topper,

              Je n’ai nullement la conviction que les modifications climatiques soient dues aux activités humaines, et je conviens que le catastrophisme n’est pas la bonne façon d’aborder un problème. Je pense même que c’est un procédé rhétorique contre productif.
              Mais je ne parviens pas très bien à comprendre si votre critique porte uniquement sur les dérives de l’écologie (dérives romantiques ou médiatiques) ou sur l’écologie elle-même, en tant que science ( ou plutôt ensemble de sciences ) de l’environnement .
              Ce qui me gêne également , c’est le raccourci "homo oeconomicus" = racine du mal : pour être objectif, il faudrait aussi noter que l’ "homo ecologicus" est la bête noire des World Companies qui exploitent sans scrupule les ressources naturelles de la planète. Compagnies qui ne se privent pas d’exploiter sans vergogne le courant "écologiquement correct" tout en discréditant plus ou moins ouvertement les constats qui les dérangent.

               


              • Daniel Topper 28 mars 2008 10:36

                Comprenons-nous bien. Il ne s’agit nullement pour moi de discréditer l’écologie. (Je triais mes déchets bien avant que l’on ne commence à parler de recyclage.) Mais ce combat passe également selon moi par le combat contre sa caricature. De même, s’il est évident que notre système économique produit des effets pervers, ceux-ci, aussi importants soient-ils, ne peuvent pas être présentés comme la substance de la chose. Et vous avez raison de pointer l’ironie du sort : l’écologie piégée par sa propre caricature est devenue un argument pour vendre des voitures...

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