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Accueil du site > Tribune Libre > Le pragmatisme et l’idéalisme

Le pragmatisme et l’idéalisme

On loue souvent le pragmatisme des hommes politiques, cette faculté de faire face aux événements et de trouver une solution efficace. Le pragmatisme tient du bon sens, c’est un gage d’efficacité. A l’inverse, il semble que l’idéalisme fasse peur. Les idéaux aliènent. Ils seraient un aveuglement, une négation de la réalité. L’idéale mène à l’idéologie. Il veut corrompre la réalité, la tordre, la soumettre. Le pragmatisme, lui, ne cherche qu’à améliorer les choses au jour le jour. Pourtant... On ne peut finir par se demander : quelle est la finalité de nos actions ? Qu’est-ce qui fait sens ? Où nous mène un pragmatisme sans but ? La fourmi qui évite si habilement chaque obstacle semble bien ridicule à tourner en rond... Car l’homme a besoin d’un but. Il lui faut un phare pour naviguer, et non seulement une barre. L’idéalisme seul peut le pousser à une réflexion approfondie et lui offrir les repères de cette réflexion. Il offre une vision globale. Le pragmatisme est dans le court terme sans cesse renouvelé tandis que l’idéalisme est dans le long terme.

Les deux folies

Le pragmatisme sans idéal est une folie. Lui aussi devient une idéologie : celle de la négation de l’idéalisme, relégué à l’irréalisme, celle de l’illusoire contrôle de tous les paramètres permettant de se passer de vision globale. Il ne fait que renforcer la force pour ce qu’elle est, mais la laisse aveugle, au lieu de la diriger vers un but. Le pragmatisme est conservateur : il ne fonctionne que dans un cadre qu’il ne saurait remettre en question de lui-même. L’idéalisme sans pragmatisme aussi est une folie, s’il est autiste, qu’il refuse de s’adapter au réel. Pragmatisme et idéalismes tous deux deviennent fous quand ils finissent par ignorer leurs limites. Mais aujourd’hui les idéaux semblent avoir déserté la politique. On s’en méfie, on les relègue aux extrêmes. Parfois cependant ils sont profanés par pragmatisme : pour se faire élire. Le pragmatisme se servant de l’idéalisme est un cynisme. Le pragmatisme a-t-il vaincu l’idéalisme ? Ce qu’il faut, c’est remettre les choses à leur place : l’idéalisme doit se servir de pragmatisme, et non l’inverse.

Le pragmatisme illustré

Illustrons nos propos d’exemples concrets. Le pragmatisme, en politique étrangère, ce serait le ralliement systématique au plus fort. En économie, un bon exemple serait le désormais célèbre slogan de campagne "Travailler plus pour gagner plus". En effet on sait que le travail est créateur de richesses. On pourrait toutefois penser que chacun est libre de travailler à sa guise s’il souhaite effectivement s’enrichir, sans que ce soit une injonction. Ce serait vrai si nous étions isolés, mais c’est compter sans la concurrence : si nous, nous ne travaillons pas, d’autres que nous prendront des parts de marché et seront à même d’avoir un ascendant économique sur nous. Ne pas travailler, ce n’est pas seulement ne pas gagner, c’est aussi perdre. Il est donc tout à fait pragmatique de travailler plus. De cette logique s’ensuit une escalade, une "course à la richesse" et une concurrence qui investit tous les champs de la société, y compris les secteurs de la connaissance, de l’art ou des relations sociales, pourtant typiquement motivés non pas par le pragmatisme, mais par un idéal.

De gauche ou de droite ?

Cette vision aujourd’hui fait consensus. Elle est partagée par les grands partis de gouvernement, de droite comme de gauche. La gauche reprochera à la droite de sous-estimer l’importance des inégalités de naissance et de ne considérer que le mérite. La droite reprochera à la gauche son angélisme de croire que chacun peut réussir et de produire des assistés qui minent l’économie. Qu’importe, ils sont d’accord sur un point : il faut optimiser l’économie. Tout ce qui sort de ce cadre pragmatique, c’est-à-dire finalement tout ce qui tient de l’idéalisme, à droite l’idéal de la nation, à gauche l’idéal de la communauté, n’a pas droit de citer dans les grands médias, chantres de la pensée unique. Loin de moi l’idée de vouloir valider tous les idéaux, et certainement pas ceux qui sont fondés sur la peur de l’étranger (ou sur tout autre idée irrationnelle). Cependant force est de constater qu’aujourd’hui l’idéalisme quel qu’il soit est catalogué comme étant forcément un extrémisme. L’explication tient sans doute dans ce que l’histoire des idéaux est pavée de totalitarismes et d’idéologies meurtrières. Mais paradoxalement le pragmatisme devient lui aussi, à son tour, une idéologie.

De l’idéologie pragmatique à l’idéalisme rationnel

Cette vision de l’économie fondée sur la concurrence, et le fait même de donner à l’économie une place centrale en politique, fait partie du consensus de ce qu’on pourrait appeler "l’idéologie pragmatique". L’économie elle-même est un moyen et non une fin. La privilégier devant le reste, c’est donc ne pas avoir d’idéaux. Pourtant ne serait-il pas possible de dépasser ce principe de concurrence ? Sommes-nous à ce point incapables d’envisager que d’autres modèles, basés sur la collaboration, soient possibles ? D’essayer de les mettre en œuvre ? Est-il seulement possible d’affirmer la prépondérance de certains principes sur le principe d’optimisation économique lui-même ? Est-ce "fou" à ce point ? Nous le disions, le pragmatisme est conservateur. Il porte des œillères. Son plus grand danger est de se donner l’illusion de la maîtrise complète et de conduire à la catastrophe, faute de se doter d’une vision plus globale que seul l’idéalisme peut offrir. A l’inverse, le plus grand danger de l’idéalisme est de s’aveugler jusqu’à sombrer dans l’irrationnel. C’est pourquoi aujourd’hui il devient urgent de réhabiliter - avec pragmatisme - un véritable idéalisme rationnel.


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14 réactions à cet article    


  • sisyphe sisyphe 25 juin 2008 16:29

    Merci pour cet article.

     On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années ; on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau ; renoncer à son idéal ride l’âme.

    Douglas Mac Arthur

     

    Le courage, c’est de comprendre sa propre vie. Le courage, c’est d’aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille. Le courage c’est d’aller à l’idéal en ayant compris le réel.

    Jean Jaurès.

     

     

         

    • jesuisunhommelibre jesuisunhommelibre 25 juin 2008 18:21

      D’accord avec vous pour le besoin d’idéal. Le problème étant dans la confrontation des idéaux.

      Etant tous différents, nos priorité peuvent être différentes.

      Les deux tendances opposées et néanmoins légitimes sont le besoin de sécurité et le besoin de liberté. Si on met ces deux aspirations sur une echelle, chacun va se positionner à une place différente.

      Le résultat est une insatisfaction permanente de chacun à satisfaire son idéal.

      Le pragmatisme est de constater que la réalité est une oscillation permanente et irrégulière entre ces deux extrêmes. Que vouloir contrarier cette tension peut occasionner un retour d’autant plus violent dans l’autre sens, ou au contraire causer un déséquilibre durable et néfaste à la société.

      L’opposition n’est donc pas entre pragmatisme et idéal, mais entre sécurité et liberté. L’idéaliste cherche à imposer son point de vue. Le pragmatique fait en sorte que les différents points de vue s’expriment et que la dialectique entre les deux extrêmes fonctionne de façon équilibrée ou, au moins, dans une tentative d’équilibre dynamique.


      • sisyphe sisyphe 25 juin 2008 18:54

        Pas du tout d’accord sur "l’idéaliste veut imposer son point de vue".

        Rien à voir avec l’idéalisme qui est la recherche d’un monde meilleur, de plus de liberté, de justice, et surtout pas de vouloir imposer ou contraindre. L’idéaliste se bat contre les impositions et les contraintes qui empêchent un monde plus juste.

        Ceux qui imposent leur point de vue sont les tenants du pouvoir : vraiment pas des idéalistes...


      • quen_tin 25 juin 2008 21:54

        Quand je parle d’idéal, il ne s’agit pas de réaliser l’idéal de chacun. Il s’agit plutôt pour un homme politique élu d’avoir un idéal, une vision d’avenir à long terme de ce vers quoi il faut tendre, et d’essayer de l’appliquer.

        Concilier les besoins différents et contradictoires des différents acteurs tiens effectivement du pragmatisme, et c’est certainement souhaitable, mais je pense que ce n’est pas suffisant si on n’a pas de vision plus globale.


      • jesuisunhommelibre jesuisunhommelibre 26 juin 2008 10:30

        Globalement d’accord, avec comme précision : l’idéal doit être individuel et le pragmatisme collectif.

        L’idéal doit être la volonté de s’améliorer soi-même, d’être exigent avec soi-même.

        Le pragmatisme, d’accepter le point de vue des autres, pour faire "au mieux".

        Quand c’est l’inverse, c’est la dictature et la corruption : Imposer son point de vue et s’arranger, à titre individuel, avec les principes.


      • quen_tin 26 juin 2008 11:42

        Je suis assez d’accord. C’est juste que "idéalisme" n’est pas employé dans le même sens. Quand je parlais d’idéalisme, je pensais à avoir une vision et un but à long terme. Pour moi ce que vous décrivez (la main invisible, etc), ce sont plutôt des idéologies, des croyances, en tout cas pas l’idéalisme au sens ou je l’entendais.

         

        A ce propos je voudrais ajouter que l’image qu’on se fait de la société est souvent assez statique, alors que le monde réel, lui, est dynamique. On aurait tendance à croire qu’il suffit de trouver "le" bon modèle sociale, "le" bon modèle économique, et ça y est on peut rentrer chez soi. Je pense que c’est très réducteur. Les choses évoluent sans cesse. Les relations entre les différents groupes sociaux, les relations internationales, les relations à l’environnement naturel sont permanentes. Les choses bougent sans cesse. C’est pourquoi avoir une vision à long terme est je pense beaucoup plus complexe que de savoir s’il faut faire du sécuritaire, du libéralisme, du libertaire, du protectionisme. Un idéal ne se réduit pas à ça.


      • Bof 26 juin 2008 09:15

        Merci pour cet article. Vous écrivez :" Le pragmatisme est dans le court terme sans cesse renouvelé tandis que l’idéalisme est dans le long terme." et mon prof. d’histoire nous a appris qu’il existait des grands Hommes politiques qui avaient une vision à long terme bénéfique pour les pays et l’humanité. tq Roosevelt, Colbert...

         Et actuellement, nous avons des énarques et technocrates qui nous ont confisqué tous les pouvoirs depuis 1974. Ils trouvent la meilleure solution le plus rapidement possible à tous problèmes et depuis la situation de notre pays est devenue plus que préoccupante puisque le pays est " sans le sous"nous a dit Monsieur Hollande. Les solutions trouvées et appliquées par nos responsables politiques actuels sont donc nocives pour le pays au vue des résultats.

         Je me permets donc de différencier ces êtres hypermentaux d’avec les Êtres bénéfiques aux pays que sont les véritables chefs politiques qui sont, eux, au service du peuple et qui mettent les pays sur la bonne voie et pour des décénies. Ils ont un idéalisme : le Bien du peuple et sont pragmatiques car les Français râlent tout le temps. Ils ont comme un mental supérieur à l’hypermental de nos technocrates .Qu’en pensez-vous ?

         


        • quen_tin 26 juin 2008 10:23

          Je suis tout a fait d’accord. Pour moi les "grands" hommes politiques de l’histoire avaient un idéal et une vision à long terme de leur pays. Aujour’d’hui cette espèce semble se raréfier.

          Il serait d’ailleurs intéressant de chercher les causes de ce changement. Je pense que les grands médias de masse jouent un certains rôle, parcequ’ils incitent à une prépondérence de la communication sur l’action politique.


        • TEO TEO 26 juin 2008 12:48

          Désolé. Mais vous êtes tombé dans l’erreur d’envisager vos concepts dans le seul "ciel des idées". Vous vous en retrouvez embarqué par la logique inhérente aux idées... ce qu’est justement l’idéalisme au sens philosophique. Or, vous auriez sans doute mieux fait d’aborder le problème sur le terrain, linguistique, de "la pragmatique" ; c’est-à-dire, des effets, notamment d’influence, visés à travers l’acte de communication.

          En effet, en contexte de communication socio-politique, quand Untel se déclare "pragmatique" c’est généralement pour suggérer que son adversaire serait, lui, un "rêveur", un "confus", un "compliqué",... en définitive, "quelqu’un qui ne s’y entendrait pas, dans l’action, à obtenir des résultats palpables."  Seulement, ce ne sont là que des mots ; et qui sont liés à la logique même du contexte de concurrence politique : ce sont des coups portés à l’adversaire politique. Votre erreur est de ne pas le réaliser et par suite de confondre déclaration et faits tout en oubliant le contexte, le théâtre sur lequel ces mots agissent.

          1 - Ce ne sont là que des mots… Les mots ne sont pas les choses et ce n’est pas comme chez les enfants « celui qui dit qu’y est ». Se déclarer pragmatique, n’a aucune relation nécessaire avec le fait qu’on le soit ou pas ; pas plus que de déclarer l’autre "idéaliste".

          2 – … des mots qui sont des coups portés à l’adversaire politique. Je m’explique. Soit un contexte où, briguant des suffrages, deux parties (hommes, partis politiques...) essayent chacun d’obtenir le vote d’une troisième partie soucieuse « d’en avoir pour son argent" (l’électeur). Dans un tel contexte, il est presque nécessaire qu’émerge comme argument central : l’assurance de fournir effectivement à l’électeur-courtisé "le plus de prestations, pour le moins de contribution". Invoquer et s’auto-attribuer « Le pragmatisme » vise à suggérer qu’à la différence de l’adversaire on garantirait soi-même mieux cette assurance… En somme il s’agit simultanément de disqualifier aux yeux de l’électeur, l’adversaire politique quant à son aptitude à concrétiser les « rêves tentants » qu’il fait miroiter, tout en essayant de persuader de sa propre aptitude à concrétiser les « objectifs clairs et précis » qu’on se proposerait soi-même d’atteindre suivant des voies éprouvés et connues…

           

           

           


          • quen_tin 26 juin 2008 13:16

            Non ce n’est pas une erreur. Je ne confond pas se dire pragmatique et l’être réellement. Je parle de l’être réellement.

            Or tout ce que vous décrivez, c’est bien de la communication, du pure pragmatisme dans le but de se faire élire. En fin de compte ceux qui se disent pragmatiques pour discréditer leurs adversaire le sont réellement, au fond (mais pas forcément de la façon dont ils le disent).

            Mais vous avez raison, mon article est idéaliste.


          • TEO TEO 26 juin 2008 14:27

            "Mais vous avez raison, mon article est idéaliste."...

            Certes oui ; mais pas forcément au sens, esthétique, où vous l’entendez... : la "préférence" personnelle d’avoir des idéaux et d’oeuvrer à les concrétiser sans trop salir ses "mains morales"... Non ; plutôt au sens philosophique, comme je l’expliquais avec entre autres pour conséquences que votre article est plaisant et paraît familier mais est foncièrement ambigü et indécidable. Pourquoi ?

            - parce qu’il interprète en termes de sens commun des concepts philosophiques qui signifient autre chose

            - parce qu’il surfe sur des oppositions artificielles, qui ne sont sensées que parce que "idéelles" : pragmatisme vs idéalisme... Or dans la vie de tous les jours toutes les combinaisons sont possibles et effectives.

            C’eût été moins gênant si vous aviez utilisé d’autres termes que "pragmatisme et idéalisme" pour nommer ce que vous décrivez et si vous vous étiez moins abandonné à la logique de contraste inhérente à ce genre de propos.


          • quen_tin 26 juin 2008 21:00

            Merci pour cette critique. Prenez ça comme un article sans prétention, je n’estime pas avoir la formation nécessaire pour discuter sur les concepts philosophique, et donc j’emploie naturellement les mots dans leurs sens commun...

            L’opposition est peut-être un peu "idéelle", comme vous dites, mais pourtant je ne nie pas qu’on puisse combiner le pragmatisme et l’idéalisme, je l’affirme même.

            Ensuite je faisait surtout référence dans l’article à une certaine "doctrine" qui voudrait que les idéaux soient à proscrire, soit parce qu’ils sont irréalistes, soient parce qu’ils sont dangereux, et que la seule chose qui vaille est finalement l’efficacité à court terme. C’est quelquechose qui me semble assez concret et tangible, et même très répandu. J’entend souvent des opinions allant dans ce sens (et pas seulement de la part de politiques pour discréditer leurs adversaires). Donc je ne pense pas que ce soit une opposition si artificielle que ça.


          • Francis, agnotologue JL 14 octobre 2008 14:14

            Ce petit billet n’est qu’un exercice de style naïf : on ne saurait parler de pragmatisme sans parler d’opportunisme, pas plus que l’on ne saurait le comparer à l’idéalisme sans évoquer le dogmatisme. Sachez que j’avais lu ce billet lors de sa parution et n’avais pas jugé utile d’intervenir, mais comme vous m’avez provoqué sur un autre fil, voilà qui est "réparé".


            • quen_tin 14 octobre 2008 14:29

              "L’idéalisme autiste [qui] refuse de s’adapter au réel."
              C’est une référence claire au dogmatisme (ne pas remettre en question le dogme).

              "Parfois cependant ils sont profanés par pragmatisme : pour se faire élire. Le pragmatisme se servant de l’idéalisme est un cynisme"
              C’est une référence à l’opportunisme.

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