De l’intelligence militaire à l’intelligence politique... et policière
Fabrice Delloye, premier mari d’Ingrid Betancourt et par ailleurs diplomate aguerri, a livré un petit détail sur les circonstances de la libération des otages des Farc par l’armée colombienne. Un petit détail qui passera sans doute inaperçu, mais pourtant riche en enseignements sur quelques tendances prises par les rouages du monde. Ce n’était pas une opération militaire a-t-il dit.
Delloye a qualifié d’opération d’intelligence militaire et non pas d’opération militaire l’action du commando menée dans la jungle colombienne pour parvenir au lieu de détention des otages et neutraliser l’équipe des Farc responsable du groupe d’otage le plus coté, avec Ingrid, mais aussi trois Américains. Nul besoin d’être stratège pour réagir avec perplexité et s’interroger sur la facilité avec laquelle l’opération a été menée. Facile étant un bien grand mot, car nous n’étions pas dans l’hélicoptère des forces colombiennes à ce moment. Toujours est-il qu’aucun coup de feu n’a été tiré et donc, que la technique du leurre a très bien fonctionné. On pourra juste se demander quel était le nombre de guérilleros responsables de la surveillance d’otages si précieux. Un nombre sans doute suffisant pour la tâche à effectuer, mais pas assez d’hommes pour réagir à une opération de l’armée colombienne que les Farc n’auraient jamais imaginée. C’est sans doute l’une des clés de la réussite. Une dissymétrie de l’information. Les Farc parfaitement rodés pour gérer des opérations conventionnelles, mais très vulnérables en cas d’une situation qu’ils n’avaient pas prévue. Sans doute un classique dans les guerres. Les guerriers perses défaits face aux phalanges d’Alexandre par exemple, ou la fameuse bataille d’Austerlitz, cas d’école s’il en est, gagnée par l’armée française face à la coalition austro-russe grâce à d’incroyables ruses menées par Napoléon, assorties d’innovations tactiques sur le terrain. L’information est devenue le nerf de la guerre. La comparaison s’arrête là car l’échelle d’Austerlitz est de 100 000 hommes alors que celle mise en œuvre dans la libération d’Ingrid se situe entre la dizaine et la centaine. A ce compte, une opération sans coup de feu peut se concevoir. Et si elle a réussi, c’est suite à une préparation de longue date nécessitant une logistique d’une tout autre envergure et, notamment, on retrouve le nerf de l’opération, un énorme travail de renseignement auquel ont participé des instructeurs américains, mais, aussi, on le sait maintenant, quelques spécialistes israéliens. Et Dieu sait si Israël sait s’y prendre pour identifier les caches des activistes d’Arafat et maintenant du Hamas.
Delloye n’a pas tort lorsqu’il qualifie cette opération comme relevant de l’intelligence militaire. Avec comme instrument de guerre déterminant non pas la puissance de frappe ou la sophistication des armes, mais la maîtrise cognitive du champ opérationnel. Certes, dans tout conflit la saisie des informations est importante. Des éclaireurs sont envoyés sur le champ de bataille, des vigies observent les mouvements de troupes et le ciel. C’est ce qu’on appelle un travail d’informations générales. Alors que les « renseignements » utilisés dans le cadre de l’opération Ingrid seraient plutôt d’ordre chirurgical. Informations précises, invisibles, transitant par des ondes hertziennes, utilisant des drones, des GPS, des systèmes de traitement de l’information, de brouillage, bref, tout ce qu’on peut imaginer en termes d’usage des technologies disponibles.
Mettre en avant ce petit distinguo de qualification, ce dispositif d’intelligence militaire, n’est-ce pas nous renvoyer une puissance image métaphorique voire allégorique du monde dans lequel nous sommes entrés progressivement. Dans les grandes écoles, on enseigne « l’intelligence économique », « l’intelligence industrielle », les cellules de veille pour surveiller un champ où se confrontent des opérations concurrentielles. Une précision, le mot intelligence est pris dans son acception anglo-saxonne. Le sens provient d’Intelligence service, organisation bien connue et pas seulement des amateurs de James Bond. Chez nous, il y a les Renseignements généraux et la DST, aux Etats-Unis, la CIA, le FBI et la NSA. Mais, en fin de compte, ne pourrait-on dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ces organismes de renseignements datant de la Guerre Froide et les pratiques bien rodées. Sans doute sommes-nous devenus habitués à ces manœuvres d’intelligence et nous n’y faisons plus guère attention alors qu’elles sont à notre porte. La gestion des « renseignements » est un outil crucial pour les militaires, efficace pour mener des conflits ou bien des opérations commando. Elle sert aussi d’autres enjeux où, s’il n’y a pas bataille physique avec des armes, il reste la compétition, les batailles politiques, les « guerres économiques ». Mais aussi les surveillances accrues, les caméras, les fichiers et les fichages, de plus en plus étendus. Il n’y a pas si longtemps, le responsable d’une centrale syndicale découvrait un mouchard dans son véhicule, sans qu’on sache quel était l’auteur de ce forfait ni le commanditaire. Qui dit surveillance, intelligence, veille, dit avantage en termes économiques ou politiques. C’est d’ailleurs ce qui semble ennuyer la commissaire européenne à la culture, Marianne Mikko, qui voit un danger dans l’usage des blogs avec l’éventualité de créations de puissants lobbys. Mais n’est-ce pas un peu l’hôpital qui se fout de… parce qu’autour de Bruxelles les lobbys des industriels ne gravitent-ils pas pour quelques pressions amicales envers les instances édictant les règles communautaires ? Mme Mikko conçoit sans doute une démocratie où l’Etatique a la maîtrise du renseignement et le monopole du lobbying, comme, usant d’une célèbre formule de Weber, il s’est doté du monopole de la violence légitime.
Nous sommes bien entrés dans une ère du contrôle de l’information, du renseignement accentué, centralisé, étatisé. Les coupes effectuées par Sarkozy dans l’armée de terre sont tout à fait inscrites dans cette tendance, à laquelle on ajoutera la fusion entre la DST et les RG. Collecter des informations, mais aussi les interpréter. Evaluer la pertinence. Nous croyons être dans une ère médiatique des flux d’informations. Mais nous sommes peut-être entrés dans une autre époque, celle de la gestion des informations, autrement dit, une époque cognitive liée aux nouvelles technologies. Une époque où, sans doute, les opérations d’intelligence politique se dérouleront avec des moyens inattendus, pour surprendre les citoyens, pour surveiller, que sais-je…
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