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Accueil du site > Tribune Libre > Une Ordonnance pour l’Académie française

Une Ordonnance pour l’Académie française

La santé de l’Académie française m’inquiète. Le bâtiment du quai Conti a toujours belle mine. Le délabrement est devenu pourtant apparent tant la vieille dame peine à recruter des immortels qui méritent l’éternité. Cette disette n’est que le reflet de l’état de la langue française, d’une culture, de son expression. On aurait aimé que l’Académie face à l’adversité, ait une autre réaction que celle qu’elle a pu avoir, de loin en lointain, face à des agressions trop voyantes. Le cri a sans doute épuisé l’énergie du grand vieillard : « qu’on me laisse agonir en paix », semble-t-il murmurer.

La récente découverte de la poésie et de la prose de Marie Noël m’a fait prendre conscience que cette Académie avait – et depuis toujours – méprisé beaucoup de grands écrivains au profit de médiocres ou même d’autres dont les seuls mérites étaient politiques, ecclésiastiques ou opportunistes. Balzac, Zola, Baudelaire, Maupassant l’auraient honorée.

Retrouver un souffle, une grandeur, une justification, une évidence devrait être pour l’Académie française un grand projet. Elle y retrouverait une jeunesse qui l’empêcherait de poursuivre sa décadence.

Le combat pour l’avenir ne pourra être gagné que si les oublis sont réparés. Le travail de mémoire – si encensé – devrait conduire l’Académie à revisiter son passé et à réintroduire en son sein tous les grands artistes de la langue française qu’elle a méprisés. Rien dans ses statuts ne s’oppose à cette rénovation.

Pour que la génération actuelle saisisse bien le message, elle devrait commencer par les oubliés du XXe siècle. En leur donnant solennellement le statut d’académicien in memoriam, elle leur rendrait hommage et s’honorerait de leur présence à la mesure du déshonneur dont leur absence l’accable.

La liste serait longue, mais comment ne pas admettre qu’Aragon, Camus, Malraux, de Gaulle, Marie Noël, Cioran, Saint-Exupéry, Giono, Simenon ont été l’honneur de notre langue ? Ce coup d’éclat, cet élargissement, ce bol d’air ferait de la Coupole un vrai Panthéon. Tous les écrivains de talent qui, aujourd’hui la dédaignent, s’y présenteraient sans avoir l’impression de déchoir. Des Sollers, Modiano, Le Clezio sortiraient, il faut l’espérer, l’Académie de sa torpeur et ne se contenteraient pas d’accompagner le déclin de la langue. Ayant retrouvé prestige et autorité, ne se contentant pas d’être aimable, ne se trouvant pas indigne de sa Charte fondamentale, elle pourrait enfin se battre pour « rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences », la langue française.

Le silence que l’Académie oppose à la querelle de l’enseignement du français à l’école primaire est consternant et mesure le degré du coma. En juillet 1995, Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel, se félicitait que l’Académie ait toujours su s’adapter aux circonstances et conditions nouvelles de l’histoire et des mœurs. La tentative de continuer d’inscrire sa Maison dans la tradition a de la noblesse, mais reste bien vaine puisque, si le président de la République reçoit toujours le nouvel élu, le gouvernement se garde bien de faire de l’Académie son conseiller pédagogique, lui préférant quelque obscure commission remplie de pédagogistes ayant fait la preuve depuis longtemps de leur pédanterie impuissante et d’énarques plus ou moins illettrés, mais capables de pérorer en globish avec aplomb, leur deuxième langue, celle qui envahit Sorbonne et ministères.

C’est dans cet esprit que j’adressais cette lettre pleine de déférence à la secrétaire perpétuelle de l’Académie française le 16 juin dernier :

Votre Académie symbolise la défense et l’illustration de la langue française. C’est une grande et belle mission qu’elle remplit aujourd’hui comme hier avec panache.

Au hasard d’une vente aux enchères, j’ai fait l’acquisition d’une caisse de livres parmi lesquels se trouvaient plusieurs œuvres de Marie Noël. La beauté de sa poésie, mais aussi de sa prose, la force du style ont été pour moi une découverte. Marie Noël est une grande poétesse qui aurait eu sa place à l’Académie française. Ma conviction convoque cette question : pourquoi votre illustre institution ne s’ouvrirait-elle pas à des écrivains du passé qui auraient mérité d’y entrer, mais qui en ont été empêchés par le hasard, la malchance ou d’autres raisons – bonnes ou mauvaises ?

À part ceux qui, par idéologie ou par choix ont clairement exprimé leur refus, il y a, je pense, beaucoup d’autres auteurs qui mériteraient cette reconnaissance posthume.

Je ne doute pas que cela serait un signe très fort qui montrerait que votre Académie est capable d’initiatives hardies et une réponse à ceux qui doutent de sa légitimité puisqu’elle n’a pas accueilli tous ceux qui ont fait la gloire de notre langue. Aragon, Camus, Céline, Césaire, Colette, Genêt, Malraux, Marie Noël, Péguy et d’autres auraient été dignes de la Coupole. En remontant les siècles, on en trouverait d’autres.

Ce choix rétroactif serait une ouverture qui débarrasserait l’Académie du reproche de conservatisme, voire d’immobilisme qui l’a desservie dans l’esprit du public et peut-être aussi dans celui d’écrivains qui ne rêvent plus d’y entrer. Inaugurant une nouvelle ère, elle serait à nouveau désirée par les meilleurs puisque les grands anciens, injustement oubliés, y auraient enfin trouvé leur place. L’Académie devenue leur Panthéon y trouverait un titre de gloire supplémentaire. Reconnaître une injustice, réparer un oubli ne sont pas des signes de faiblesse, mais de courage. L’exemple n’est pas si fréquent, il a de la noblesse.

Pour me résumer, je vous dirai, Chère Madame la Secrétaire perpétuelle : attachez votre nom à la création d’un nouveau type d’académicien : l’académicien français à titre honorifique.

Je vous prie d’agréer, Madame la Secrétaire perpétuelle, l’assurance de mes salutations respectueusement distinguées.

 

Cette lettre est restée sans réponse.


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