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Accueil du site > Tribune Libre > Sauve-qui-peut pour une toile du Titien, « Diane et Actéon », menacée (...)

Sauve-qui-peut pour une toile du Titien, « Diane et Actéon », menacée d’être vendue au bordel du marché ?

Le leurre d’appel sexuel a encore frappé. On sait qu’il n‘a pas son pareil pour capter l’attention et qu’il promeut tout produit, même le plus éloigné de lui. Il suffit d’un peu d’imagination pour l’en rapprocher.
On a vu récemment une nageuse américaine, aux Jeux olympiques de Pékin, militer en faveur des animaux à fourrure : il lui a suffi de tomber la sienne et même son maillot pour capter l’attention en posant nue sur une affiche (1)

« Diane et Actéon », un tableau du Titien mis en vente

Voici une campagne de promotion inédite. Un tableau de Tiziano Vecelli, dit Le Titien, le maître vénitien du 16ème siècle, « Diane et Actéon », est sur le point d’être vendu aux enchères par son propriétaire, le duc de Sutherland. Des artistes s’en sont émus à la pensée qu’il pourrait quitter la Grande Bretagne. Ils remuent donc ciel et terre pour que le tableau soit racheté par deux musées britanniques. Mais le coût de 50 millions de livres à réunir avant le 31 décembre, selon le site de Libération, dépasse leurs possibilités.

Un pastiche du tableau menacé

Parmi les dits artistes, une actrice, Kim Katrall, qui s’est fait connaître en posant nue dans une série à succès, « Sex and the city », a décidé de payer de sa personne. Elle a eu la riche idée - ou le photographe, Tom Hunter, lui l’a soufflée - de s’exhiber comme Diane dans un pastiche du tableau à défendre.

La scène peinte par le Titien est de celles qui à la Renaissance rendent grâce aux corps de l’homme et de la femme, « renaissants » libérés du carcan religieux, en célébrant les mythes grecs pour contourner les interdits de l’époque. Une femme au bain surprise par des yeux voyeurs, ce n’est pas ce qui manque dans les mythologies. Même la Bible offre les charmes de Suzanne à des vieillards concupiscents cachés dans l’ombre.

Un instant de trouble saisi sur le vif

Le Titien a saisi un instantané où Actéon, un chasseur, surprend Diane et ses compagnes dans leurs ablutions intimes : un vague voile suspendu soudainement écarté et les jeunes femmes sont livrées au voyeurisme de l’intrus. L’instant est celui de l’irruption. Certaines ne s’en aperçoivent pas, d’autres si : Diane, surprise, esquisse un geste de protection en brandissant une serviette qui ne voile pas grand chose, la perfide ! Le Titien connaissait bien la ruse du leurre d’appel sexuel qui, par un double jeu, exhibe et dissimule à la fois pour exaspérer le désir. 

Le décor est le bord d’un ruisseau en lisière d’un bosquet et d’une porte en ruine qu’on prendrait bien pour un vestige de vestibule d’église, un narthex, rendu à la nature comme le sont toutes ces filles s’ébattant en liberté loin des hommes, mais aussi bien loin du carcan où ils ont prétendu les enfermer. Cette métonymie de l’intrusion du chasseur et de ses chiens sonne donc comme un viol, car la vierge Diane a fait vœu de rejeter tout commerce sexuel avec les hommes. Sans doute le Titien réunit-il aussi dans sa toile les fantasmes masculins insensés de femmes s’ébattant entre elles dans des lieux retirés.
Mal en a pris au pauvre Actéon ! La déesse a puni son audace impudique en le transformant en cerf pour le livrer en pâture à ses propres chiens : il finit déchiqueté. Le crime commis était-il donc si impardonnable ?
 
Du paradoxe à la métaphore ?

Le pastiche du tableau du Titien , si on excepte la louable intention de ses auteurs, tient du paradoxe : on y voit davantage une mauvaise parodie tant l’intericonicité voulue n’est pas évidente. Quelle comparaison entre ces jeunes femmes libres et épanouies dans la nature, vues par l’œil du peintre vénitien et la photo sinistre de cette brochette de filles alignées sur canapés dans l’antichambre tapissé de rouge d’une maison close cossue avec tableaux aux murs et tapis au sol. Cette autre intericonicité est ici, en revanche, on ne peut plus claire. Elles s’offrent, esclaves du sexe, à l’œil d’un client nu, jouant mal Actéon, « tout nu dans sa serviette qui (lui sert) de pagne », comme disait Jacques Brel. La métonymie présente un effet d’une cause évidente : c’est l’instantané saisi au moment où le prédateur paraît et fait son choix.

Les artistes qui ont imaginé cette mise en scène, ne pouvaient donc réaliser parodie plus contraire au tableau du Titien, à une réserve près. Peut-être doit-on, pour leur honneur, leur concéder un humour britannique qui verrait dans cette scène de bordel où, à l’image des autres tableaux accrochés au mur, les chairs féminines sont offertes à l’appétit des hommes, une métaphore  du tableau du Titien lui-même, menacé d’être livré en pâture aux enchères à l’appétit des milliardaires. Assimiler le marché de l’art à un bordel ? Il fallait le faire. Décidément, les temps changent. Mais qui va lâcher les chiens  ? 

Paul Villach

(1) Paul Villach, « Une nageuse américaine pataugeant dans les eaux du réalisme nationaliste à Pékin », AGORAVOX, 9 août 2008.

Documents joints à cet article

Sauve-qui-peut pour une toile du Titien, « Diane et Actéon », menacée d'être vendue au bordel du marché ? Sauve-qui-peut pour une toile du Titien, « Diane et Actéon », menacée d'être vendue au bordel du marché ?

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10 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 26 novembre 2008 11:57

    Encore un coup de canif de Paul Villach dans la toile du web. Mais devinette, qu’est-ce qu’un canif ? Réponse : un Titien.


    • La Taverne des Poètes 26 novembre 2008 11:59

      Ben oui : "Qui va lâcher les chiens ? " qu’il demandait...


    • Marc Bruxman 26 novembre 2008 23:37

      Mais devinette, qu’est-ce qu’un canif ? Réponse : un Titien.

      Excellent :)


    • JoëlP JoëlP 26 novembre 2008 14:32

      C’est la forme La Taverne.

      Villach lâche le canif qui est un petit fien. Bravo pour ce coup de canif.


      • Paul Villach Paul Villach 26 novembre 2008 14:53

        @ la Taverne
        "Coup de canif", "petit fien" ? J’ai peine à comprendre. De quoi est-il question ? Paul Villach


      • JJ il muratore JJ il muratore 26 novembre 2008 18:05

        @ Villach. la Taverne, qui est effectivement en grande forme, met un voile pudique sur sa recomposition du tableau : dans celui-ci on peut voir que les jeunes pousses (poufes en allemand) ont vieilli. Elles serrent dans leurs girons des petits Tiens tout frisés dont la queue frétille d’aise. ce qui est de toute évidence une entorse au bon goût (un coup de canif en quelque sorte)
        Hélas les temps changent et les grands Bretons restent les mêmes.


      • Paul Villach Paul Villach 26 novembre 2008 18:35

        @ Muratore

        Ces amusements ontsans doute leur prix. 
        J’aurais préféré qu’on s’interressât à la métaphore de cette photo qui a justifié que j’en fisse un article. Cette représentation du marché de l’art est-elle si fréquente ? Paul Villach


      • JJ il muratore JJ il muratore 26 novembre 2008 19:40

        @]Villach. je vous dois des excuses, je comptais bien revenir sur votre texte mais un empêchement domestique m’a retardé.
        Effectivement votre conclusion est superbe ! En tout cas je ne peux qu’y adhérer. Métaphore du marché de l’art, je ne puis plus voir autrement ce tableau vivant. merci donc !


      • Cher Paul Villach,

        Pour tout dire j’ai un peu tendance, moi aussi, à trouver cette photo assez minable. Ceci dit j’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre texte explicatif du tableau du Titien. A mon niveau votre article aura au moins servi à l’amélioration de mes pauvres connaissances sur Diane et Actéon !


        • Paul Villach Paul Villach 26 novembre 2008 20:26

          @ Lt-Cl Jean-Michel Beau

          Et que pensez-vous tout de même de cette photo comme métaphore du marché de l’art : Le Titien (ou n’importe quel autre artiste) mis aux enchères, comme ces filles exposées au choix du client ? Je la trouve intéressante, car elle n’est pas fréquente. Paul Villach

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