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Une publicité de la firme SEAT : haute technologie et conduite de primate font bon ménage

Les féministes ne s’en plaindront pas ! Pour une fois que le sexisme est inversé dans une publicité ! L’univers automobile a tant associé la voiture à la femme, par ses photos de pin-up plus ou moins habillées vautrées sur des capots ou découplant des jambes dénudées sous une robe relevée jusqu’aux cuisses à l’instant où la conductrice, portière ouverte, pose un escarpin au sol. Il est même arrivé à « Lancia » d’identifier la femme à la voiture au point, dans un jeu de mots, de soutenir qu’ « une belle italienne doit savoir comment refroidir un chaud lapin ». La publicité de SEAT tourne donc, ces jours-ci, apparemment le dos à une tradition sexiste envers les femmes. 

L’intericonicité plus que le pouvoir de séduction de la star

Elle capte l’attention au moins autant par cette rupture que par l’exhibition d’une star sportive. Il ne semble pas, en effet, du moins au prime abord, que soit ici recherchée le réseau d’incitations affectives qu’entretient la star avec ses fans et le réflexe d’identification qu’elle suscite en eux, comme Ford s’y était employé, en 2001, avec une mise en scène de Zidane en gourou (1). Sans doute, la société SEAT use-t-elle de la notoriété du joueur de rugby Sébastien Chabal pour capter l’attention. Mais elle joue davantage avec son apparence qui fait, en effet, sensation depuis son apparition dans l’équipe de France au cours de la Coupe du monde de 2007. Sa carrure et son visage taillé à la serpe mangé de barbe et de moustache sous une longue crinière qui ne connaît ni peigne ni ciseaux, font défiler, par intericonicité, un flux d’images mémorisées selon le cadre de référence de chacun. Son allure, on ne peut le nier, emprunte aux stéréotypes de l’humanité préhistorique : c’est ainsi qu’on imagine l’homme de Néanderthal ou de Cro-Magnon. Un film comme « La guerre du feu » de Jean-Jacques Annaud en a offert des images. L’apparence de Chabal présente, en somme, un condensé stylisé de ces stéréotypes et donc devient le symbole de la force brute, mâle voire carrément animale, que l’esprit n’a pas effleuré. On songe aussi au « Colosse » de Goya émergeant d’un ciel d’encre.

Une métonymie énigmatique

Comme si ça ne suffisait pas, sa mise en scène vise même à en accroître l’aspect sauvage. Le choix du noir et blanc assombrit les lieux et dramatise la scène : ciel et nuages en arrière plan la mettent hors contexte et ne se distinguent qu’à l’intensité plus ou moins sombre des gris. La bête surgit de nulle part en plan moyen, prise en légère contre-plongée pour amplifier encore sa silhouette impressionnante. L’image mise en abyme la fait braquer des yeux menaçants dans ceux du lecteur pour un simulacre de relation interpersonnelle. À ses bras en équerre, on devine que la bête court : elle charge sa proie. Cet effet présenté par la métonymie suppose une cause qui l’aurait indisposée. Laquelle ? On n’en sait rien ! Le slogan elliptique ne permet pas d’en savoir plus : « Difficile de lui dire non !  » est-il seulement écrit sur trois lignes de lettres mimant, comme dans une bande dessinée, par une graphie de tailles croissantes et décroissantes le cri qui éclate ou s’éteint. On comprend seulement que devant cette masse musculaire menaçante qui foudroie du regard l’ennemi, il n’y a pas trente-six solutions quand la fuite est impossible : il faut lui céder !
On se heurte dès lors à un paradoxe : une publicité pour un produit ne vise-t-elle pas à déclencher un réflexe inné d’attirance et non comme ici un réflexe inné de répulsion. Que peut provoquer d’autre ce primate menaçant ?

Une ambiguïté volontaire

C’est toute l’ambiguïté volontaire de cette image avec son slogan associée aux voitures SEAT. On avait cru, pour commencer, que, cette fois, le sexisme ne s’en prenait pas à la femme. On n’en est plus si sûr. La métonymie de cette bête en train de charger ne renvoie-t-elle pas par allusion à une agression sexuelle qui se prépare et à laquelle il est demandé à sa victime de consentir. « Difficile de dire non » ! Le conseil ne s’applique-t-il pas à la pulsion sexuelle du mâle en rut ?

Certains objecteront que c’est voir « le mal » partout. Et de solides sexistes n’hésiteront pas à soutenir que des femmes adorent être broyées dans les bras de ce genre de mâles velus. D.H. Lawrence ne jette-t-il pas dans les bras d’un garde-chasse la tendre Lady Chatterley ? Brassens, dans sa chanson « Le gorille », ne déplore-t-il pas de son côté que, lorsque « le bel animal » s’échappe de sa cage, toutes les visiteuses « qui naguère / Le couvaient d’un oeil décidé », prennent la fuite, « prouvant alors qu’elles n’avaient guère / de la suite dans les idées /. D’autant plus vaines étaient leurs craintes, ajoute-t-il, que le gorille est un luron / Supérieur à l’homme dans l’étreinte / Bien des femmes vous le diront. »

Mais on peut tout aussi bien voir dans cette charge du colosse la métamorphose du conducteur le plus humilié dans sa vie professionnelle ou familiale qui, une fois installé au volant, devient le roi de la route, claxonnant rageusement à tout va, doublant à tombeau ouvert et abreuvant les autres usagers qui le gênent, d’injures et de gestes obscènes par compensation. Son appétit de puissance rentré se déchaîne soudainement pour le pire aux commandes d’un bolide qui le fait exister aux yeux des autres. Serait-ce que SEAT ait choisi de réveiller en chaque conducteur la bête qui sommeille pour déclencher la pulsion d’achat de ses modèles ?

On veut bien qu’il faille prendre avec humour cet éloge incongru de l’agressivité gratuite au volant, tant la mimique du personnage est caricaturale et ridicule. Il n’est pas sûr pourtant que cela suffise à tempérer le malaise que cet éloge suscite quand on attend au contraire que la tension nerveuse excitée par la vitesse soit contenue par une maîtrise de soi redoublée et même une courtoisie par simple instinct de conservation. Paul Villach 

(1) Paul Villach, " Les avanies d’un footballeur s’aventurant sur le terrain… des choses de l’esprit". AGORAVOX, 27 avril 2006.


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4 réactions à cet article    


  • Fergus fergus 9 février 2009 14:23

    Encore une affiche qui va faire fantasmer Bachelot !


    • LE CHAT LE CHAT 9 février 2009 14:34

      il aurait mieux valu mettre Sarko , encore plus difficile de lui dire non ! smiley


      • maxim maxim 9 février 2009 17:49

        et Stéphane Bern ? quelle marque de bagnole représenterait -il le mieux ?


        • ARMINIUS ARMINIUS 10 février 2009 11:11

          Cette publicité a un caractère vente forcée tout à fait désagréable, style vendeur au porte à porte qui terrorise les retraités pour leur fourguer une marchandise douteuse et largement surévaluée ;de plus, la force brutale, même en rugby, n’est prisée que par une minorité : le vrai jeu se retrouve plutôt dans l’intelligence d’un petit coup de pied au dessus, d’une vista d’un vide dans la défense ou d’un "pick and go "savamment dosé ; d’autre part Chabal cache probablement un coeur de midinette sous son aspect de brute, comme souvent les géants !

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