19/02/2008

Sarkozy décore Desmarais, son riche et discret ami canadien

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Sarkozy décore Desmarais, son riche et discret ami canadien
La Légion d'honneur compte un nouveau grand'croix, sa plus haute distinction: Nicolas Sarkozy a décoré vendredi le Canadien Paul Desmarais. Selon les chiffres de 2000, seules 61 personnes possèdent cette médaille. Méconnu des Français, c'est pourtant "en partie grâce à Desmarais" que Nicolas Sarkozy est aujourd'hui à l'Elysée, de l'aveu même du Président.

L'homme d'affaires de 81 ans incarne le rêve américain, version canadienne: après avoir racheté une compagnie d'autobus en faillite pour un dollar à 24 ans, il a bâti un empire industriel et financier pour devenir la cinquième fortune du pays. Une "ascension prodigieuse", selon les termes du président de la République, pour celui qui s'est aujourd'hui retiré des affaires après avoir passé les rênes de Power Corporation, sa société, à ses deux fils.C'est aussi l'homme qui s'était dit, en parlant de Nicolas Sarkozy: "c'est quelqu'un qui serait bien pour la France", comme le rapporte le quotidien La Presse. Le principal intéressé a évoqué ce soutien lors de la cérémonie de vendredi: "Si je suis aujourd’hui président, je le dois en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais."Les deux hommes se connaissent depuis 1995. A l'époque, Sarkozy était au fond du trou, écarté de la Chiraquie après l'échec de la candidature d'Edouard Balladur aux présidentielles. "Un homme m’a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt, et il me disait: il faut que tu t’accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi." Il a depuis séjourné plusieurs fois au domaine de Sagard, 75 km2 au coeur du Québec, propriété de la famille Desmarais. Le terrain, qui compte 32 lacs, doit son nom à un missionnaire français du XVIIème. Desmarais comptait aussi parmi les invités de la soirée au Fouquet's sur les Champs-Elysées au soir de l'élection du président, le 6 mai 2007. Au Canada, les Desmarais ont soutenu plusieurs premiers ministres : Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney, puis Jean Chrétien (dont la fille, France, est mariée avec le cadet, André Desmarais) et Paul Martin. Ce dernier a d’ailleurs été vice-président de Power Corporation avant de se lancer en politique. La famille ne s’en cache pas, elle défend l’unité canadienne et s'oppose au mouvement souverainiste du Québec. L’actuel Premier ministre, Stephen Harper, n’entretient pas de liens avec eux.La famille Desmarais au coeur de la fusion GDF-SuezMais la famille s’intéresse de plus en plus à l’Hexagone. Avec son partenaire de toujours, Albert Frère, elle se retrouvera au coeur de la fusion -en attente- de GDF et Suez. Les Desmarais et lecapitalisme français 1979 Paul Desmarais investit dans Paribas. Albert Frère siège à l’époque sur le conseil d’administration de la banque et celui de sa filiale belge, Copebas.1981 Frère et Desmarais embarquent dans l’opération "Arche de Noé" pour contrer la nationalisation de la banque par François Mitterrand.Ils injectent 440 milions dans la suisse Pargesa. L’opération échoue (non sans profit), mais le duo a acquis un puissant levier financier avec Pargesa. 1990 Le duo créé Parjointco, partagé moitié-moitié par l’intermédiaire des groupes Frère-Bourgeois et Power Corporation du Canada. Enregistré aux Pays-Bas, il détient aujourd’hui 54,1% de Pargesa (et 67% des droits de vote) qui possède lui-même 48,3% du capital de GBL (et 50,1% des droits de vote).Les Desmarais et Frère possèdent 9,5% du capital de Suez et 13,2% des droits de vote, par l’intermédiaire du Groupe Bruxelles Lambert (GBL), ce qui en fait son principal actionnaire. GBL s’intègre dans une lignée de holdings contrôlés par les deux familles: Parjointco constitue la clé de voûte de leurs investissements, qui chapeaute lui-même un nom plus connu dans les milieux financiers, Pargesa.Dans la nouvelle entité GDF-Suez, la participation de GBL pourrait augmenter, comme Albert Frère le laissait entendre dans une interview à L’Expansion. Le duo canado-belge a les moyens de ses ambitions, après avoir regarni les coffres au mois de mai avec le rachat, par Bertelsmann des parts que GBL détenait dans le groupe de médias allemand. Montant de la transaction: 4,5 milliards d’euros, dont 2,4 milliards de plus-values.La fusion apportera un autre fruit à GBL: le département environnement de Suez (gestion de l'eau, traitement des déchets...). Albert frère et son partenaire canadiens comptent parmi les grands gagnants de l'opération.La famille Desmarais étant plutôt discrète, Frère s’est prononcé pour deux sur la place publique, en faveur de la fusion Suez-GDF. Un avis que ne partageait pas Nicolas Sarkozy avant son élection, essentiellement pour des raisons politiques.Autour de la table du Fouquet'sD’accord ou pas, Albert Frère et Paul Desmarais étaient sur la liste des convives au Fouquet’s, le soir du 6 mai. Desmarais aurait ramassé l’addition, évoque Paul Wells, de Maclean’s. Faut-il voir l'explication du changement de cap de Nicolas Sarkozy dans le dossier GDF-Suez dans ces relations? Le journaliste canadien reste prudent: "Impossible de faire un lien direct entre le penchant démontré de Desmarais pour Sarkozy et n’importe quelle politique du Président. Le carnet d’adresse de Sarkozy est simplement trop épais pour ça."Quant au carnet d’adresses des Desmarais, il n’a rien à envier à celui du Président. La Presse donnait plusieurs noms connus parmi les invités de la cérémonie de remise de la grand’croix, vendredi: Bernard Arnault, Martin Bouygues, Serge Dassault. Les deux fils Desmarais, André et Paul Jr participaient aussi à la cérémonie privée organisée au grand salon de l’Elysée, aux côtés du Premier ministre du Québec, Jean Charest - "en voyage privé"-, sans oublier Albert Frère.De quoi illustrer les nombreux liens qu’ont tissés les Desmarais avec le capital français. L’Express dressait récemment le portrait de l’un des deux fils Desmarais, Paul Jr, coiffé du titre: "Comment il a conquis Paris". On y apprend que l’héritier fréquente les Peugeot, Rothschild, Dassault, Wendel, mais aussi Philippe Labro, Christine Ockrent, Maurice Druon et autres. Les relations d’affaires sont nombreuses au sein des dirigeants du CAC 0, comme l’atteste la présence du président de Suez, Gérard Mestrallet au conseil d’administration de Pargesa.Des actions dans Total, Lafarge, Pernod-Ricard...Le groupe GBL, dont Frère et Desmarais possèdent 50,1% des droits de vote, détient également 3,9% de Total, ce qui vaut un siège au conseil d’administration à Paul Jr.Celui qui s’occupe des affaires de la famille en Europe peut y croiser le président de BNP Paribas, Michel Pébereau, qui siège aussi sur celui de Pargesa. La banque détient 14,6% des actions de Pargesa et 21,3% des droits de vote.Les deux familles sont aussi majoritaires dans la minière française Imerys par une participation croisée entre Pargesa et GBL. A cela s’ajoute une participation de 17,3% dans l’entreprise de matériaux de construction Lafarge, 6,2% dans Pernod Ricard et 3% dans Iberdrola, producteur espagnol d'énergie éolienne.Du côté canadien, la société Power Corporation gère 250 milliards d'euros d'actifs et détient plusieurs compagnies d’assurances. Elle vient d’avaler Putnam Investments Trust, une société de gestion de placements américaine qui gère 160 milliards d’actifs. Le holding détient aussi Gesca, un groupe de médias qui imprime neuf quotidiens au Québec, dont La Presse.Et pour qui doute encore de l'intérêt de la famille Desmarais pour la France, Paul Jr a aussi créé les fonds de capital-investissement Sagard I et II, baptisés du nom de leur domaine familial. Le portefeuille, vieux de quatre ans, représente 1,6 milliard d’euros, et investit principalement dans l’Hexagone. La France pourrait donc voir plus souvent l’ours polaire, symbole du fonds. Le site Internet donne d'ailleurs le ton: "On lui reconnaît une grande habilité à la chasse et un vrai talent dans l’éducation de sa descendance."

Par Florent Daudens (Journaliste) (De Montréal)
http://ceddoinfos.blogs.nouvelobs.com

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